Notes sur la psychanalyse, sur l’écriture. Journal de navigation en eaux troubles

Octobre 2020 Préambule

J’écris un journal.

Parfois aux éléments personnels se mêlent des réflexions sur la pratique, sur la psychanalyse. Réflexions un peu décousues, sous forme de notes, sans le formatage de l’article de psychanalyse. Je préfère cette forme-là, décousue, à la croisée du personnel et du « professionnel », à la croisée de l’analyse personnelle, didactique et de contrôle. Cette forme-là est celle qui (me) parle le plus. D’une façon (trop) peu théorisée ?

Cela tombe bien, je pense précisément que le discours d’un analyste ne consiste pas à faire des théories, mais à les défaire. C’est-à-dire qu’il ne s’agirait pas de travailler sans théorie, cela n’aurait pas de sens, mais de travailler avec les théories et de travailler les théories elles-mêmes de manière à les « traverser » plutôt que d’être fasciné par elles.

Je vous livre donc des notes de mon journal, et les intitule « Journal de navigation ». S’y mêlent quelques éléments « personnels » : c’est à partir de mon « bazar » intérieur que les réflexions plus générales se sont construites. Je suppose, ou espère, que l’idée que la psyché d’un-e « psy » n’est pas plus ordonnée que celle de quiconque n’étonnera personne, n’effraiera personne.

Navigation en eaux troubles et turbulentes – les remous de la période actuelle n’y sont pas pour rien, perturbations du monde, perturbations du cadre de la pratique par les téléconsultations, distances, mains non serrées, masques… À travers l’écriture j’essaie de re-construire des repères, une boussole, histoire de mener ma barque, tant bien que mal.

25 septembre 2020

Bazar complet dans mes pensées, dans ma tête, à l’intérieur de moi. Vents et fracas d’orage, nœuds, emmêlements, ils se tordent et se convulsent dans les bourrasques. Et les autres autour de moi – leur présence, des tentacules à ventouses, elles entrent dans ma tête se posent, se collent, adhèrent, se retirent, emportent avec elles quelques fils, quelques cordes, resserrent les noeuds, tiraillent les emmêlements, les ventouses, les tentacules, des tractions en directions diverses, tiraillements, cisaillements…
Un être humain, c’est cela ?

Séance d’analyse de contrôle. Vertige. Ai parlé d’une dame – angoisses, hypocondrie, « angoisses tournoyantes », une ritournelle, elle n’en sort pas, épisode ancien étiqueté « dépressif », un peu étrange, à l’écouter en parler l’épisode semble moins dépressif qu’un moment de dénouage des mécanismes psychiques – « lâchage d’un point de capiton », pourrait dire Lacan.

Vertige d’entendre cela. Vertige d’entendre que mon métier, c’est d’entendre cela, et même, dans la parole, les réactions, les prescriptions éventuelles (psychiatre, aussi !), de « manier » cela – du moins d’en tenir compte. Le psychanalyste travaille avec ces matières-là. Incroyablement fragiles, volatiles, évanescentes, évanouies, ou plombées, pétrifiées, lourdes, immobiles, immuables, et explosives. Qu’elles soient évanescentes, évanouies ou pétrifiées, elles sont explosives.
Vertige.

Un être humain, c’est cela.
Et à ressentir une forme de cela qu’est l’être humain, en moi, vaste bazar nœuds, tiraillements paralysie, et l’autre et ses ventouses – à ressentir cela, vertige.
Rien ne tient parfois, tout se délite, parfois tout est figé, aucun mouvement possible pas même celui de respirer. Parfois à la fois rien ne tient et tout est figé.

La forme la plus habituelle, l’équilibre approximatif de l’être humain – prodige et absurdité – un entrelacement incroyable entre du leurre, des semblants, des aliénations (aux identifications « je suis moi », « je suis médecin », « je suis… », aux discours), et une part de mouvement possible.
Par exemple un être humain parle : son discours est un assemblage de morceaux de discours courant, « tout faits », « prêts à parler », qui le traversent sans même qu’il ne le sache, qui parlent à travers lui, ventriloque involontaire et dupe, mais quelque part au milieu du patchwork une faille, une touche personnelle subjective, et l’être humain peut dire « je parle ». Prodige et absurdité.

Parfois un fragment d’idée me traverse l’esprit, et je me rends compte que je ne pourrai pas le saisir, l’écrire, je ne pourrai pas, il échappera. Le truc étrange de bric et de broc qu’est un être humain. Le truc étrange qu’est la vie. La vie – nous cherchons qu’en faire, trouvons un intérêt, un sens, un objectif, nous y appliquons – vertige soudain, le fragment d’idée, moment de sensation-expérimentation d’être ce truc étrange de bric et de broc, la vie est la perception étrange de cela. La vie est la sensation aiguë qui traverse le truc étrange de bric et de broc, la vie est le boitillement de ce truc.

À l’intérieur cela ; à la surface on entend : « Docteur, pouvez-vous me guérir ? » Vertige.
La sensation aiguë, parfois la sensation du mouvement de la vie, mouvement si vif, mise en abîme, un instant une perception, un regard qui traverse de part en part, traverse le monde traverse le temps, traverse la vie, de la mort à la mort.

Parfois la sensation aiguë de cela, et je sais que je ne saurai pas la saisir, l’écrire ; tant pis, peut-être c’est précisément cela la vie, la perception aiguë insaisissable, « inécrivable », elle me traverse, elle m’emporte dans la folle vivacité de son mouvement. La vie, cela, la folle vivacité de ce mouvement ?

Je sais que je ne saurai pas l’écrire – me rends compte, me rappelle que mon élan premier est écrire – parfois je vais trop loin dans cet élan : une journée qui ne m’a pas permis d’écrire a-t-elle une quelconque importance, a-t-elle existé ? Je pense à Rimbaud, parti bourlinguer en terres inconnues ; Rimbaud a écrit, puis n’a plus écrit. Folle vivacité de la perception de la vie.

Bazar absolu dans ma tête.
Reprenons les bases, les fondamentaux. C’est quoi la vie ? Être là, respirer – énorme déjà, cela, rare –, rire !
Exister, plus compliqué encore.
Cela ne dit pas grand chose, ces mots, cela n’explique rien. Cela me dit du moins, me souffle à l’oreille, tous les superflus, accessoires, les montre du doigt, ils disparaissent. Être là, respirer, rire… exister. Il ne suffit pas de le dire, n’est-ce pas, il ne suffit pas de le décider ni de le vouloir, pas de coaching ni d’épanouissement personnel, pas de mantra, pas d’objectif. Quelques mots qui essaient de dire, c’est tout. Y être est une autre affaire…

Les « bases », encore.
C’est quoi le monde ? Un chaos incroyable, innommable.
C’est quoi un être humain ? Un truc étrange de bric et de broc, qui boitille à travers le chaos sus-cité, et tente de ne pas s’y faire broyer – tout de suite. Tente d’être là, de respirer, de rire… d’exister ?

26 septembre 2020

Le chaos du monde… le monde-chaos devrait être un même mot.
Tenter d’y faire quelque chose, au chaos du monde ? Les horreurs, les injustices, les faire cesser ? … Je n’ai pas assez de morts à mourir… Alors, si l’une de ces morts se présente à moi, un jour… mais je n’irai pas en choisir une. Laquelle choisir ? Quelle « cause » plutôt qu’une autre ? Quelle mort plutôt qu’une autre ?
Amertume pourtant du confort, fadeur et ennui et lâcheté du confort, dans l’ombre de toutes les morts qu’il y aurait à mourir.
Je pourrais me réconforter en me disant que j’ai « ma cause » – mon métier, et en dire quelque chose, en écrire quelque chose, en transmettre quelque chose, de ce que cela m’enseigne de la condition humaine. On n’a pas le droit de se réconforter ainsi – supporter –assumer de me tenir, dans l’ombre de toutes les morts qu’il y aurait à mourir.

Les « bases », encore.
C’est quoi mon métier ? Écouter parler un truc étrange de bric et de broc, un être humain. Qui vient parler parce que « quelque chose ne va pas ». Paradoxe en quelque sorte. Toujours quelque chose ne va pas. Pour lui, celui qui vient parler, à ce moment-là plus que d’ordinaire. À ce moment-là cela dépasse ce qu’il peut supporter.
Qu’est-ce que je peux y faire ? !
Qu’est-ce que cela peut y changer, de l’écouter ?…

« Quelque chose ne va pas », cela veut dire : il y a des nœuds (tensions, tiraillements, écrasements, paralysies…), ou des dénouages (cela ne tient pas, se délite, le monde s’effondre, le moi s’efface, l’autre est transparent…), ou des « emberlificotements » (l’autre toujours me déteste, toujours me trompe, l’autre toujours me fuit, toujours me maltraite, l’autre jamais ne s’intéresse à moi, ou toujours s’intéresse à moi, toujours m’aime, trop m’aime !) ; il y a l’un de ces accrocs-accidents dans les mécanismes psychiques qui déjà fonctionnent comme des nœuds dans les ficelles et le bric à brac du truc de bric et de broc, le truc humain. C’est-à-dire les nœuds et nouages nécessaires et impossibles entre le corps et la parole, les pulsions, la pensée, le moi, les autres – comment cela tient-il, au fond, ce bric à brac, quelques ficelles, de la boue, un caillou, des fragments de dentelles ! Et pourtant cela tient, plus ou moins.

Quand « ça ne va pas », enchevêtrement de l’impossible nouage, ou dénouage, ou nœud trop aliénant, « cisaillant ». Et parler, parler d’une certaine façon, c’est suivre les circonvolutions des ficelles, errer dans les labyrinthes de la dentelle, se cogner à la surface froide, si froide, si dure du caillou, patauger dans la boue.
Parler d’une certaine façon, quand quelqu’un est là pour l’entendre, c’est remobiliser le bric à brac, dénouer un emmêlement, retisser une effilochure, recoller un peu de boue contre le caillou. Permettre au truc de bric et de broc de continuer à boitiller à travers le chaos du monde, boitiller, avec même quelque légèreté, parfois, quelque gaieté, quelque joie, un rien de souplesse et de liberté… deux pas de danse ?…

Comment j’écoute, pour que cela soit possible, cela ?..
Écouter au niveau des rouages, de la dentelle, de la boue, des ficelles, derrière le paravent tissé de semblants du discours.
Écouter, ne pas faire taire la souffrance, supporter de l’entendre, ne pas rassurer au lieu d’écouter – « mais non, ne vous inquiétez pas ! », un pansement, un bâillon apposé – écouter et déjà le bric à brac se remobilise, et déjà germe la sensation, l’idée que quelque chose peut changer, un peu au moins, et cela, cela ne rassure pas faussement, mais apaise, un peu.

Difficile lorsque intrication avec la psychiatrie : les patients déjà sous traitement médicamenteux, ou passés par une hospitalisation courte, ou dans un état d’angoisse, de noirceur, de délire… qui nécessite aussi un médicament. Tenir les deux places, le médicament et l’autre, la place où l’on écoute. Difficile. « Idéalement » deux thérapeutes différents : difficile aujourd’hui, services psychiatriques surchargés, psychiatres libéraux débordés, souhait de simplicité du patient, du médecin traitant, un seul thérapeute, et s’il faut choisir seul le psychiatre prescripteur sera consulté.

27 septembre 2020

Les « bases », encore.
Mes questions fondamentales, prises à la racine, dans leur chair profonde, et simple – beaucoup de choses sont bien plus simples qu’elles ne paraissent.
C’est quoi, l’art ? La création, l’écriture ? C’est quoi « créer » ? Qu’est-ce que ça crée, « créer » ?

J’ai un rapport quasi sacré à l’écriture. Écrire n’est pas un choix, c’est une nécessité. Les mots sont là et s’imposent. Pas de recherche formelle. Le rythme, le souffle des mots s’imposent avec les mots, me portent, deviennent mon rythme, mon souffle – ai-je un autre rythme, un autre souffle que ceux-là ?

Quelque chose sédimente du vif de l’expérience de la vie, sédimente en mots, et je les écris. Certains de mes textes se sont écrits comme des récits. Je les ai donnés à lire, on m’a répondu – « trop complexe parfois, tu devrais peut-être expliciter davantage, éclaircir, trop de répétitions de mots aussi, ne pourrais-tu pas en supprimer quelques-uns ? » (on m’a dit d’autres choses encore, certaines plus agréables à entendre.)

Je ne peux pas faire cela. Je ne cherche pas à divertir, amuser, je ne cherche pas à tisser de jolies fresques, tapisseries décoratives tendues sur le vide et les affres de nos vies – l’écriture perce les toiles, les voiles, les semblants. L’écriture est la pointe incandescente du vivant : est-ce cela, la création ? l’art ?

Pourtant nombre de textes littéraires sont de très belles toiles, fresques raffinées, splendides – et la pointe incandescente du vivant ?…

Je pense, les « grands » textes, les « vrais » textes sont écrits à la pointe incandescente du vivant quand bien même ils peignent aussi des fresques. Le génie des grands auteurs, le texte se fait à la fois voiles et le poignard qui les transperce.

Beaucoup de textes, voiles seulement, pâles rideaux parfois, tissus de baratin. Ce n’est pas de l’art, ce n’est pas de la création ? J’ai envie de dire que cela n’en est pas, manque trop cruellement de la pointe incandescente du vivant, de l’espace de respiration qu’elle seule ouvre, mais peut-être dans le mouvement même de tisser ces fades toiles, dans le mouvement même il y a du vivant ?…

J’aurais envie de dire, on m’en voudra peut-être, probablement : l’art, la création relèvent du lacérage des semblants, relèvent du tranchant et de l’incandescence du vivant, et s’y mêle une part plus ou moins grande de fresque ; l’artiste a le génie de savoir aussi nous divertir, nous fasciner, nous ravir, de savoir tisser des voiles chatoyants dont la matière est aussi celle du poignard qui les transperce.

Lorsqu’il n’y a ni tranchant ni incandescence, seul divertissement, plaisir, c’est du jeu artistique, du jeu créatif. Le jeu a son importance, ses fonctions. Mais ce n’est pas de la création. Il ne suffit pas de peindre une toile ou de noircir un carnet pour en faire une création, une œuvre d’art. Le jeu artistique a son importance et ses fonctions, il ne s’agit en rien de le décourager, bien au contraire.

Il reste que « créer » est une notion très spécifique, à ne pas diluer, édulcorer, affadir, banaliser : trancher les semblants à la pointe incandescente du vivant. Peut-être même plus précisément : créer des semblants et dans le même mouvement les trancher à la pointe incandescente du vivant.

« Les non-dupes errent1. »
Les dupes n’errent pas. Ils suivent leurs mirages de chemin, avancent sous le joug de leurs aliénations.

Mon métier ? Permettre aux uns, et aux autres (parmi ceux qui s’adressent à moi !) de marcher tout de même. Et de danser parfois.

Écrire comme je le fais à l’instant, me laisser porter par les mots « nécessaires » me permet de continuer à vivre. Que la lourdeur, la brûlure, la douleur, le vide, le tiraillement, la pétrification… que je ressens puissent sédimenter en mots sur le papier, me permet de continuer à vivre. Au sens premier. Je mourrais si n’était l’écriture. Explosée par l’intensité l’acuité de ce que je ressens, ce que je vois, ce que j’entends, je mourrais, n’était l’écriture.

1 Titre du séminaire de J. Lacan, année 1973-1974.

2 octobre 2020

La façon la plus habituelle de vivre et de parler, la façon la moins maladroite, la moins douloureuse, est la technique du patchwork – technique à entendre sur le plan des mécanismes psychiques, rien n’est conscient ni volontaire en l’affaire. Un discours est un assemblage de morceaux de discours ambiants, une vision du monde est un assemblage de morceaux de semblants. Le sujet n’est dans aucun de ces morceaux, aucun de ces fragments. Il est peut-être dans le fil qui coud et fait tenir ensemble, tant bien que mal, les fragments, et peut-être dans les brèches plutôt que dans le fil.

Le discours le plus habituel, le discours de chacun dans une discussion, est un patchwork de ce type-là : rien de ce qui est dit n’est dit par le sujet, perroquet ventriloque seulement, mais parce que le fil, parce qu’une brèche peut-être, le sujet dit et pense « je parle ».

La version la plus habituelle, normale pourrait-on presque dire, est de se promener entre les différents voiles qui ondoient, ondulent dans l’espace, de passer de l’un à l’autre, au fil du fil qui tisse et coud le patchwork, voiles des semblants, voiles des discours, assemblages aléatoires, l’aiguille glisse et mène le fil d’un voile à un autre, au gré d’on ne sait quels vents. Le sujet, araignée accrochée à son fil, glisse de voile en voile…

Pourquoi l’écriture ?
Parce que je ne sais pas faire cela. Je ne sais pas coudre mon fil dans les voiles des semblants, dans les trames des discours courants. Je tente, tant bien que mal, de tisser mon fil et de le tendre, d’un point à un autre du vide, d’un point à un autre du chaos du monde, je tente de marcher sur le fil.

Le fil ainsi tendu serait une parole, hors discours courant. Difficile de dire une « parole-fil tendu » en présence d’un autre ; la présence d’un autre induit tant de turbulences, comment tendre le fil ?
Alors l’écriture : tisser et tendre un fil d’un point à un autre du chaos du monde. Sans ce fil, il n’y a rien sur quoi marcher. Ou danser ?…

Post-scriptum

À relire les pages précédentes, quelques jours plus tard, une impression de houle, une sensation sombre. Alors qu’aujourd’hui un peu plus de légèreté. Une rencontre et une autre, quelques paroles entendues, il est possible tout de même, et de parler et d’entendre, entre les semblants et les malentendus. Parfois se lève un souffle, il porte la barque, parfois les eaux sont douces.

À la possibilité de parler, et d’entendre !
À la possibilité de rencontrer l’autre, un peu.

Humœurs

Depuis 8 mois, la pandémie du Covid-19 écrase à peu près tout et nous devons maintenant faire face à une deuxième vague et à un second confinement. De dimension planétaire, impossible d’y échapper, impossible de la contourner même en changeant de continent…

Alors que des techno-prophètes (le terme est d’Etienne Klein, physicien, enseignant de philosophie des sciences) annonçaient notre imminente libération des soucis liés à la matérialité de notre corps grâce aux nouvelles technologies, le coronavirus est venu brusquement nous rappeler notre finitude et notre condition de mortel.

Pressé par l’impatience collective en demande de conclusions et de certitudes que les chercheurs ne peuvent satisfaire – puisque, précisément, ils les cherchent – nous avons raté l’occasion d’expliquer au public, en temps réel, ce qu’est la méthodologie scientifique. Au lieu de ça, nous avons au contraire droit à un spectacle médiatique affligeant ressemblant à une sorte de foire d’empoigne permanente entre experts qui ne parviennent jamais à tomber d’accord et opposant des égos parfois boursouflés. Ceci conduit une partie du public désorienté à considérer désormais la science comme une simple affaire d’opinions qui s’affrontent ou ne relevant que d’une croyance parmi d’autres.

Il n’est pas inutile de préciser que la science n’est pas la même chose que la recherche. La première représente un corpus de théories, de connaissances, de résultats acquis qui ont été dûment mis à l’épreuve et qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause – jusqu’à nouvel ordre. La recherche, elle, tente d’aborder des questions précises dont la réponse n’est pas encore connue. Lorsque cette distinction n’est pas faite – comme ce fut trop le cas ces derniers mois – l’image de la science, abusivement confondue avec la recherche, se brouille et se

dégrade, jusqu’au discrédit. Cette forme de discrédit en engendre une autre, exploitée et diffusée massivement sur la Twittosphère par certaines gouvernances outrancières et calamiteuses.

Pour Christian Salmon, nous sommes rentrés dans une spirale du discrédit, dans ce qu’il appelle l’ère de la Tyrannie des Bouffons, titre de son dernier ouvrage qui revient sur les ressorts du « pouvoir grotesque » et ses mécaniques – le Bouffon étant celui qui répand le discrédit. La pandémie du Covid-19 a levé le voile sur une nouvelle forme d’hégémonie qui ne cesse d’étendre son emprise aux États-Unis, au Brésil, au Royaume-Uni, en Italie… Elle a provoqué chez un grand nombre de chefs d’État une série de réactions irrationnelles allant du simple déni aux formes les plus archaïques de superstition, de pensée magique ou de religiosité… Devant une telle avalanche d’absurdités, l’attitude souvent adoptée est celle de la sidération : comment peut-on rester au pouvoir en faisant preuve de tant d’incompétence ? Mais alors – se demande-t-il – comment comprendre le fonctionnement de ce pouvoir grotesque ? Quel en est le mécanisme qui en fait non pas un accident de l’histoire politique, mais un rouage essentiel de la souveraineté arbitraire à l’ère du discrédit ? Il ne s’agit plus aujourd’hui de gouverner à l’intérieur du cadre démocratique mais de spéculer à la baisse sur son discrédit et celui du système en général. Ce « fonctionnement énorme » s’appuie sur la puissance des réseaux sociaux et l’usage stratégique du Big Data et des algorithmes. On n’obtient plus aujourd’hui de crédit par ses compétences, mais au contraire en répandant le soupçon sur tous les récits autorisés. Autre forme de pandémie donc, la prise en masse de millions d’individus par la transmission fulgurante de fake news ou de théories conspirationnistes.

C’est un autre sujet, non moins terrible et anxiogène, qui vient dorénavant percuter la France mais aussi l’Autriche, l’Afghanistan… : la recrudescence de la barbarie terroriste qui assassine des hommes comme on tue des bêtes. La liste des victimes s’allonge de jour en jour… La première, en France, fut Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie de 47 ans qui a été décapité à Conflans-Sainte-Honorine dans les Yvelines, non loin du collège où il enseignait, pour avoir montré à ses élèves deux caricatures publiées par Charlie Hebdo. Si les caricatures peuvent, en effet, nous interroger sur la place de l’humour et du mot d’esprit, elles posent une autre question. Reportons-nous à l’une des définitions du mot caricature qui est la suivante : « Image non conforme à la réalité qu’elle représente ou suggère, et par rapport à laquelle elle est une altération déplaisante ou ridicule. » Déjà évoqué

ici dans les Éphémérides à propos de la pratique grandissante des visioconférences, du télétravail et des entretiens cliniques en visioconsultations, cet acte terroriste doit aussi nous questionner sur le statut de l’image. Qu’est-ce qu’une image ? Qu’est-ce qu’une image spéculaire ? Qu’est-ce qu’une Gestalt ?…

Pourquoi y a-t-il une interdiction des images et une interdiction de la représentation de Dieu et de ses prophètes dans certaines religions, si ce n’est pour ne pas voir qu’ils sont imparfaits et incomplets ? Ce petit détour par l’incomplétude des Dieux que faisait Lucien Israël en son temps, doit nous faire réfléchir sur l’incomplétude de notre propre image dans le miroir. Dans le premier travail de Lacan, « Le stade du miroir », ce qui donne le plus de fil à retordre à ceux qui le lisent, c’est d’essayer de comprendre que l’image dans le miroir est incomplète.

Pour mieux en situer les enjeux, il est utile de rappeler comment l’image spéculaire et le fantasme se situent dans la structure du sujet décrite par Lacan avec son graphe (l’une se trouvant à l’étage inférieur, l’autre à l’étage supérieur, celui de l’inconscient ou de l’énonciation). Le lien entre l’image spéculaire i(a) et (S<>a), le fantasme, est cet objet a, qui

est un morceau de corps soustrait à la jouissance narcissique de l’image spéculaire i(a) pour aller dans l’inconscient servir de support du sujet. Son pouvoir de garantir la réalité ne tient que s’il est en creux dans l’image, que son absence « métaphorise » le sujet en tant qu’il n’est lui-même qu’un « manque » attaché à un érotisme particulier, oral, anal etc.

De nombreux articles publiés ces derniers temps tendent à montrer que la « santé mentale » est largement éprouvée par la pandémie de Covid-19. Son émergence aurait aggravé les troubles de l’anxiété, du sommeil et les états dépressifs d’une partie de la population. La dimension traumatique a été évoquée, pouvant se décliner par la nouveauté de cette pandémie, la rencontre avec un agent pathogène inconnu, la rapidité de sa diffusion, la violence des mesures de contraintes prises pour l’enrayer…

Mais à titre individuel, quels peuvent être les effets et l’impact de ces effractions du réel sur les assises narcissiques primaires, sur la constitution primaire de l’image et la

« fabrique » spéculaire des individus ? Cela peut nous donner l’opportunité d’aborder les choses par le biais d’une clinique du narcissisme primaire et du « stade du miroir ».

Le narcissisme primaire n’est pas à penser comme quelque chose de premier mais bien comme le résultat d’un mécanisme psychique qui se rapporte à l’effet structural du « stade du

miroir ». Sans cesse en mouvement et en constitution, c’est l’endroit du nouage entre le nom et le corps, entre les signifiants et les pulsions. Sa clinique touche ainsi à la question de l’intrication et de la désintrication entre Éros et Thanatos et à la bisexualité freudienne. Il est aussi plus ou moins mobilisé et remis en chantier suivant les positions sexuées.

Le narcissisme primaire se rapporte davantage au concept d’« image inconsciente du corps » de Françoise Dolto, où il s’agit d’un « miroir » concret, charnel, sensoriel, constitué de marques tangibles et donc « non-spéculaire » – nous pourrions même dire « pré- spéculaire » si la chronologie a un sens. En principe, l’advenue du registre spéculaire du

« stade du miroir » achève le moment où prédomine cette image du corps archaïque, mais il se peut qu’un sujet ne puisse pas la quitter complètement. Il ne s’identifiera alors pas complètement et de manière permanente à son image dans le miroir qui pourra s’effondrer dans certaines circonstances. Cette vacillation pouvant se traduire, par exemple, dans le monde des sensations.

Beaucoup de discours courants actuels qui prévalent dans notre société sont des discours qui retranchent l’instance phallique et imposent une sorte de réel nettoyé du sexe – taxée de sexisme par certain(e)s, la psychanalyse deviendrait même dangereuse pour les patient(e)s. Ces discours retranchent l’indice d’un retrait, d’une perte, d’un manque. Pourtant, la place du signifiant phallique, ce sera le signifiant qui aura la charge de rappeler que le langage a troué le réel et introduit le discontinu dans la continuité du réel. S’il n’y a pas l’instance phallique – ce que Lacan appelait la signification phallique – entre le sujet et l’Autre, le sujet se retrouve dans le danger d’être entièrement sous la coupe de l’Autre, il risque d’être aliéné, envahi par cet Autre sans pouvoir y faire objection et de lui opposer un non. Faute de disposer de la signification phallique, le sujet risque à tout moment d’être

« aspiré » par l’Autre.

D’autre part, comme nous le rappelait Jean-Richard Freymann dans son dernier ouvrage, Amour et Transfert, « les effets de groupe, les effets collectifs ou encore les effets de foule viennent s’attaquer au narcissisme primaire, sorte de mobile du côté pulsionnel et du côté du langage, par des modèles suggestifs qui peuvent provoquer des débordements. Cette zone mise en défaut, produit des transferts psychotiques qui ne renvoient pas aux transferts individuels. » Dans la psychologie de groupe, de masse et du côté médiatique et des réseaux sociaux avec leurs algorithmes (conçus pour ne renvoyer qu’à du même et trouver confirmation à ce que l’on pense déjà), ce sont des processus qui produisent des transferts majeurs qui mettent entre parenthèses la question de l’angoisse et de la culpabilité.

Lorsqu’il n’y a plus d’« hystérisation » possible, les gens peuvent alors entrer dans des contrats pervers avec une incroyable facilité ou être soumis au pacte paranoïaque. Les questions de soumission, d’obéissance et d’emprise sont très contemporaines et suscitent de vifs débats jusque dans les tribunaux.

Contrairement à la fugacité du lien transférentiel, le contrat pervers propose, quant à lui, du solide, de l’inamovible et de l’intemporel, ce qui fait que les gens sont prêts à aller très loin dans ce lien serré à l’autre où il doit se passer exactement ce qui était prévu une fois le contrat « signé ». Quant à sa rupture, lorsqu’elle vient à se poser à un moment, les choses tournent souvent assez mal.

Pour ce qui est du pacte paranoïaque, c’est tout simplement le règne de l’arbitraire et de l’imprévisible où il n’y a plus de place pour un Autre…

Subversive de naissance, la psychanalyse a, comme à chaque fois, une place à jouer dans la société afin de promouvoir la singularité et l’individualisation, mais aussi de concourir, à l’aide du transfert, à cette restauration de l’image spéculaire en permettant que le vivant se « réaccroche » à l’image et que les individus retrouvent une certaine place dans le monde.

Ou pour le dire autrement avec les termes du triptyque de notre prochain congrès dont les travaux de préparation ont déjà débuté : élaborer un traumatisme, produire des mythes et constituer un fantasme.

Le confinement crée-t-il un nouvel autisme ?

Le confinement confine le psychisme !
Il suffit qu’un groupe soit constitué pour que la paranoïa trouve des racines, ça manque de trous, comme dirait le gruyère !
La respiration est saccadée, les idées sont fixes ; il suffit que l’autre ne porte pas son masque sur les deux narines pour que se déchaîne « l’adversaire ». Le « Je » et le « Tu » manquent de « Il ».

D’un côté on manque de « Il », de l’autre côté, chacun fait appel à de l’autre ! Insupportable est aussi des scientifiques qui doutent.
Du coup la parole vient à prendre une portée de granit.
Vous aurez reconnu la force d’un Surmoi verbal qui nous ferme « le Verbe ».
Et pourtant l’expérience de l’analyste – que j’essaie d’être – ne trouve pas que de la « psychorigidité ».

Paradoxalement, pour beaucoup, le confinement rend beaucoup moins « con » ! Vive les sublimations !

Tout d’abord impossible de ne pas écouter ses enfants et ses petits-enfants.

L’enfant n’est pas branché sur le rituel de travail. Il sait supporter tous les délires et fioritures des aînés. Moustapha Safouan est décédé, il me disait en supervision : « Quelle solidité ces enfants, par rapport aux garrots des parents ! ? ».

À l’instant nous apprenons que le vaccin approche ; du coup toute la planète pécuniaire et capitaliste a retrouvé du dynamisme. (Pour combien de jours ?)

Trêve de plaisanterie de mauvais goût, voici la réapparition d’un point de perspective : le Ciel renaîtrait dans un tableau classique !

Les Montres Molles de Salvador Dali redeviendraient-elles molles ?

J’ai beaucoup appris des urgentistes et des réanimateurs, ils ont été contraints de trouver une individualisation à leur pratique et nous avons trouvé tout le personnel médical et

paramédical prêt à affronter les limites de leurs possibilités. À l’époque où les psychiatres devaient être consultés après une tentative « d’ auto-analyse » et où les réanimateurs demandait un avis psy : « L’hospitalisé peut-il rentrer chez lui ? »

Je me rappellerai toujours la question d’un des professeurs de réanimation qui me demandait : « Sur quels critères vous décidez-vous ? ». Tout en rappelant mon patron de psychiatrie !

Comment peut-on vitalement faire fonctionner le doute ?

Alors les psychanalystes sont nécessaires parce qu’ils font un pari sur la vie. Au risque de se planter.

Ne pas lâcher l’autre, même si l’on ne sait rien ! Voici une éthique à transmettre qui a à voir avec le « ne pas céder sur son désir » de Lacan.

J’ai connu l’épidémie du SIDA et ses conséquences sociales quand on ne connaissait aucun remède.

Plus la recherche et la médecine sont en difficulté ou en hésitation, plus les propriétés de la parole peuvent être considérables. La manière d’être présent pour le psychanalyste est une autre affaire, pleine de nouveauté. Quand la voix devient univoque, quand le temps du regard est évanescent.

Avez-vous déjà regardé le petit enfant qui découvre l’écran de l’ordinateur ? Lui au moins, il essaie d’y mettre les doigts.

Redonner de la voix à la loi, c’est aussi constater les effets d’une loi pour le collectif.

Il y a les respectueux, les transgresseurs, les dénonciateurs, les collaborateurs…

Restez prudents et respectez les règles communes qui ne sauraient trop durer, j’espère !

L’aquarelle, le sommeil de la raison

« Descendre avec le peintre aux racines sombres, en remonter avec les couleurs et la lumière1. »                      Cézanne à Joachim Gasquet.

À l’heure où sonne le glas du confinement, on imagine le peintre, enfermé dans le secret de son atelier, se livrer à des rituels d’embaumements. Onctions et inspiration sont invoquées et gracieusement invitées à jouer leur rôle.

Pour ma part, je pris donc le chemin des pinceaux, jubilant presque d’avoir enfin du temps à moi.

J’avais pour idée de reprendre une image-source, négligée depuis longtemps. Cette image était le tableau de Fragonard, Les Baigneuses. Elle représentait une sorte de fibule pour moi, d’un éclat un peu terni et enfermée dans une boite. Lors d’un épisode douloureux sur le plan émotionnel, elle m’avait permis de reprendre pied, en se prêtant à diverses interprétations gestuelles et chromatiques sur le papier.

Je commençais mon petit voyage, avec un bagage léger. J’avais choisi de me consacrer à l’aquarelle, pratique de jeune fille, dit-on (la peinture à l’huile, c’est bien plus beau que la peinture à l’eau…) qui souffre un peu de mélancolie, à la manière de Verlaine.

Bien sûr, tous les peintres savent que c’est LA technique la plus difficile à maîtriser.

Elle ne souffre aucun repentir, on la rate ou on la réussit, cela l’espace d’un instant.

C’est cette immanence qui me séduisait justement au moment où tout se figeait dans la ville. Bien sûr le choix d’exhumer cette image devait beaucoup à ce qu’elle représentait, plusieurs jeunes femmes – ni toutes à fait les mêmes, ni tout à faite les autres – s’ébattant librement dans une cascade.

1 Rien de certain dans ce célèbre entretien, il est tout à fait possible que cela soit des paroles interprétées.

Une manière de « rafraîchissement » en quelque sorte. Notons que l’on rafraîchit également les tableaux…

L’accord entre le tact léger de l’aquarelle et le sujet était parfait. Après une série quelque peu compulsive de jolies figurantes flottantes, je décidais de changer un peu de sujet.

J’allais donc puiser dans mon Kriegschatz d’images nombreuses et variées, formant un atlas sans rime ni raison, collectionnées depuis l’enfance. Combien de fois ne me suis-je pas vue reprocher de rêvasser évasivement devant ces mirabilae !

Donc, très logiquement, je suis passée des baigneuses à une sirène antique pétrifiée, qui avait littéralement perdu la tête, quelque part dans les campus romains.

De là, j’ai aéré mes figures dans un de ces parcs abandonnés qui me sont chers.

Sans doute parce que j’étais saisie de frayeur en réalisant que tous les parcs de la ville étaient clos. Je tournais autour en ayant l’impression qu’ils étaient devenus une sorte d’utopie, comme dans les romans de Jules Verne ou dans La Belle au bois dormant.

Je me suis permis un collage osé en disposant Watteau et Artaud de part et d’autre d’une de ces folies nécessaire au charme du pittoresque. Je me souvenais que ce dernier avait entrepris de « forcener le subjectile » ! Il aurait été le meilleur compagnon du peintre du XVIIIe siècle.

L’aquarelle se prêtait à toutes mes fantaisies en imaginant elle-même des formes aux contours improbables. Elle avait une faculté extraordinaire à recréer des sensations tactiles : rosissements épidermiques, troubles cutanés, palpitations, macules et mouchetures se succédant comme autant d’épiphanies.

Elle réagissait à tous mes gestes, griffures, syncopes ou nappages et buvardages.

Chiffonnages…

La couleur est sans pareille également dans l’art de l’aquarelle, effusif et synesthésique par excellence.

On est perpétuellement surpris par des rencontres non organisées !

Les flux, les fluides et les affects avaient pris les rênes d’une imagination matérielle autant que figurale, chez moi, le temps du confinement.

Peut-être me permettra-t-on, en guise de conclusion, d’évoquer le célèbre milieu micellaire, cette métaphore freudienne dont le créateur était un fervent de Goethe.

Je veux parler de cet endroit plus dense et entrelacé où s’élève le Wunsch comme un champignon, qui serait quelque chose comme une « substance jouissante » (Lacan).

Un songe creux, le temps d’un confinement, a le pouvoir, à bas bruit, de donner une forme, même tremblée, à l’Ombilic des rêves.

À quoi Réel ?

Oeuvres

Quelques petits textes

Sur la place chaude de la ville, un enfant brun et nu joue avec des paillettes qui scintillent dans la lumière dorée

C’est un enfant de huit neuf ans échappé de la gitanerie Il est séduisant et magnifique

Une petite fille encore nubile est sous son charme Elle danse

sous un jet de paillettes L’enfant brun et nu

dépose sur sa joue un baiser Elle sera l’élue

Et l’avenir se confondra avec l’ amour

¨¨

Mes yeux sont sombres à l’ombre du coronavirus Des visages masqués errent de par la ville

Où sont vos sourires ?

J’ouvre une lucarne de mon être intime Peut-être à nouveau

Verrai-je

des femmes et des hommes et non plus

cette cohorte de fantômes qui errent

ça et là

Je voudrais tant caresser ton visage passant qui passe

et déposer sur tes lèvres un baiser sucré

Météo Humaine

Chaque jour, depuis le 21/03/20, je propose une Météorologie Humaine , écrite dans la spontanéité du soir, moment où les enfants, les sensations et les mots se couchent…

Sophie Nehama

Le 02/04/20 à 21h33… Dégagé / 9°C

Coucher du soleil à 20h03

Modification

Lente Minutieuse

Progression journalière Le soleil gagne chaque jour

Précieuse minute Mue de fonctionnement

Petit à petit Oiseaux font leurs nids Idées se renouvellent

Ne s’arrêtent plus Travaillées par le temps Mises à son épreuve Fulgurante tranquillité Défilé des heures

Avec elles Celui des certitudes

Tout

Est remis en mouvement Ce qui stagnait

Remonte à la surface Particules délétères Pépites d’or Insoupçonnées

L’assainissement suit son cours Proposant une mécanique confuse de discernement

Mécanique naturelle Comprenant

Lutte Elle aussi Naturelle Défense

Travaillés par

Ce que nous ne saisissons que Pas à pas

Pas

Pas encore

🌤 Météorologie Humaine 🌤

Par Sophie Nehama

Le 03/04/20 à 21h18… Ciel plutôt dégagé / 10°C C’est à 20h06

Que le coucher Du soleil a eu lieu Peu de mots

À l’économie Des mots Amis Partage Patience

Patience et partage Prodigués avec soin Douceur

Déployer le fil

Fil ténu de notre infinie fragilité Fil accrochant

Lumière Imperceptible trace Équilibre naïf

Humilité de notre chemin Répartition des forces Concentrées

Diffusées Ne pas tomber

Ne pas se laisser engouffrer par Obscurité

Funambule parmi les ombres La sienne

Surtout N’obstruant pas Délicate direction Révélée

Tissage de nos fébrilités

« Number 17-A » de J. Pollock

🌤 Météorologie Humaine 🌤

Par Sophie Nehama

Le 04/04/20 à 23h01… Dégagé / 9°C Couché à 20h06

Le soleil a diffusé Aujourd’hui Sa lumière

Lumière réchauffante Réconfortante

Lumière ne dissipant pas La vérité

Celle qui brûle Secrète Parfois Secrète Criante

Celle qui se rappelle à nous Ne se tait pas

Celle qui nous embrasse Nous brûle aussi

Parfois Celle qui ravive

L’âme

Nous la fait ressentir Celle qui fait qu’elle pèse aussi

Plus lourdement Que le corps Lui-même

Le coeur

Contient son rythme propre Qui diffère

De celui de l’esprit Rythme vital Rythme profond

Celui qu’on ne choisit pas Celui qui s’impose à nous Évidence négligée Réparable

Mais à tout jamais Inscrite à l’intérieur de nos chairs

  • ·Les ,amants I )) de .R. Magritte

Réponse de la FEDEPSY

A l’attention de FEDEPSY Bresil

Strasbourg, le 16 juillet 2020

Chers amis,

Merci de nous avoir fait parvenir un condensé de vos activités analytiques qui ont eu lieu à Belo Horizonte et les perspectives qui se dessinent.

Nous nous sommes retrouvés autour de la question du désir de transmission depuis des années en articulant la FEDEPSY avec vos activités locales. Par ailleurs nos échanges ont aussi toujours concerné la question de la pratique par le biais des journées et de supervisions que j’ai contribué à opérer. Nous avions participé a un énorme congrès international sur « Psychopathologie et psychanalyse » coordonné par Marisa DECAT DE MOURA aujourd’hui hélas disparue.

Ce que vous avez déjà mis en chantier c’est, en 2018, l’économie de la jouissance; en 2019, une révision de l’hystérie et en 2020, un développement sur le thème « Traumatisme et fantaisie » qui pourra parfaitement s’adjoindre au prochain congres de la FEDEPSY intitulé « Traumatismes, mythes et fantasmes ».

Vous êtes déjà partis du texte de Jacques Lacan « Le mythe individuel du névrosé » et vous nous rejoignez dans nos efforts et nos recherches.

Suite à nos derniers échanges, nous avons donc fait le projet de créer à Belo Horizonte, une Ecole de Psychanalyse du Brésil qui sera une association membre de la FEDEPSY. Cela en plus des inscriptions individuelles à la FEDEPSY qui ont déjà lieu.

Sur le plan pratique, nous avons commencé à travailler par Zoom les questions de transmission et vous vous êtes aussi associés à l’association ATO Ecole de Psychanalyse, ce qui permettra de multiples partenariats.

II serait utile que tous les psychanalystes de la FEDEPSY intéressés par la naissance de cette école de psychanalyse brésilienne prennent contact avec nous pour développer de nouveaux échanges.

Ce texte précèdera dans Ephemeride 10 et sur le site de la FEDEPSY votre compte-rendu du partenariat FEDEPSY Brésil-ATO Ecole de Psychanalyse.

En avant pour de nouvelles aventures et bon courage pour ce drame de l’épidémie.

Très amicalement,

Jean Richard FREYMANN, President fondateur de la FEDEPSY

Demande de partenariat de la FEDEPSY Brésil à la FEDEPSY

En consonance avec la tradition de collaboration de la FEDEPSY, l’ATO – école de psychanalyse à Belo Horizonte – a elle-même des liens de dialogues établis avec les différentes écoles de psychanalyse dans le but d’établir des échanges et de transmettre la psychanalyse. Le partenariat avec des analystes de la FEDEPSY au Brésil et en France renouvelle aussi bien le désir de transmission que le désir de mettre à l’épreuve les mutations et les orientations diverses qui prennent pied sur la subjectivité de notre temps.

Le partenariat engagé à partir de 2018 avait comme thème initial d’études : « Pulsion, sexualité et formes de vie dans la clinique psychanalytique actuelle ». La sexualité comme thème fondateur de l’œuvre de Freud qui a été inépuisablement revisité par Lacan a été le pivot de nos rencontres tout au long de cette année. L’économie de la jouissance révèle ce qui est le plus singulier au sujet. Les destinations sexuées et pulsionnelles de chacun nous donnent l’indication qu’il n’y a pas de modèle et encore moins de norme concernant l’utilisation du phallus. Les formules de la sexuation et la clinique borroméenne en témoignent. Les symptômes, les pulsions, la jouissance, les semblants et les liens érotiques étaient des thèmes travaillés, alors que des cas cliniques étaient également portés au sein du débat. Cette année-là nous avons encore travaillé sur des thèmes tels que les politiques du symptôme (érotisme et souffrance psychique), les corps parlants / les corps sexués, les destinations sexuées et leurs pulsions, la jouissance queer, la sexualité et les semblants.

L’année suivante (2019), l’hystérie nous a fait un appel à sa révision. Le phénomène hystérique ne cesse de remettre en cause la psychanalyse, mais on s’est demandé avec Lacan où sont-elles les hystériques d’autrefois ? La place de l’hystérie comme symptôme du malaise dans la culture nous indique que dans ses plaintes et ses confessions, le réel est en jeu. Même si l’hystérie a disparu aujourd’hui dans les nomenclatures actuelles liées aux neurosciences, elle ne cesse d’interroger la médecine et de démasquer la fonction du maître. C’est en

consentant à défaire sa propre position de maîtrise que le désir de Freud a pu ouvrir la voie à la fondation de la psychanalyse. Tant dans l’hystérie que dans les cas cliniques courants de névrose d’un sujet moderne, Freud fait remarquer une satisfaction en jeu dans le symptôme qui va au-delà du plaisir, une jouissance que chacun extrait de son symptôme, une jouissance basée sur le réel et non pas sur le déchiffrement.

Cette année, les thèmes traités étaient :

  • mythe et vertige – relecture du mythe individuel du névrosé ;
  • – sexuation et invention – un savoir-faire à l’étrangeté de la jouissance ;
  • l’état névrotique commun ;
  • le rôle de l’hystérie dans le passage du maître à l’analyste ;
  • hystérie, fantaisie et mythe ;
  • l’invention de l’hystérie.

En 2020, sous le thème « Traumatisme et fantaisie », la proposition de travail a commencé par un retour au concept de mythe à travers une réflexion sur l’expression forgée par Lacan : « le mythe individuel du névrosé ». Le trauma à proprement parler a commencé avec la pandémie où nous nous sommes tournés vers cet événement, essayant a minima de soutenir dans ce temps suspens notre travail clinique et de transmission. Actuellement nous sommes dans ce processus de reprise de nos activités de collaboration, sachant que ce n’est que dans l’après-coup que nous récolterons les effets de ce réel. Les manifestations du traumatisme font appel à une responsabilité du sujet, lorsqu’on sait que l’une des destinations de l’invasion du trauma est la fixation qui fait sceller la répétition, les symptômes, l’angoisse, les inhibitions et les somatisations. Plutôt que d’aborder le traumatisme du côté d’une quelconque causalité, il faudrait l’aborder donc en fonction de la réponse que le sujet en donne.

Écouter l’autre dire qu’il va mal ?…

Quel étrange métier nous faisons, à faire cela!… Pourquoi nous « enquiquinons-nous » ainsi ?…
Il y a un point-pivot à cet endroit, précisément, autour d’écouter l’autre dire qu’il va mal.

Parce qu’il y a différentes façons de parler de ses souffrances – son mal à être –, et différentes façons d’écouter l’autre parler de ses souffrances – son mal à être.

Je vais me concentrer sur les « façons » qui nous concernent, dans la pratique de l’analyse et de la psychothérapie. Et sur le point-pivot, l’endroit qui permet de franchir un cap et de passer d’une façon de parler-écouter à une autre façon de parler-écouter.
Lorsque l’on prend rendez-vous avec un psy (-chiatre, -chologue, -chanalyste, chothérapeute…), c’est que quelque chose va mal. Il y a une souffrance, un problème.
En particulier lorsque le psy se termine par -chiatre, donc médecin, l’attente de celui qui se met d’emblée en position de patient correspond peu ou prou à l’attente d’un diagnostic et d’un traitement, efficace et simple si possible.

L’exposé du problème est alors d’abord à visée quasi scientifique : dire ce qui ne va pas, pour que le médecin puisse poser un diagnostic et guérir la maladie, dissiper le « trouble ». Tout médecin « correctement » constitué entre dans le jeu et en suit consciencieusement les règles, lesquelles aboutissent au traitement, médicamenteux bien souvent – quoi de plus simple et de plus satisfaisant, lorsque cela fonctionne, que pour l’un de griffonner avec art quelques mots sur une jolie feuille et pour l’autre d’avaler un petit comprimé ?

Parfois pourtant cela ne suffit pas. Souvent à vrai dire, dans le domaine psychique du moins. L’angoisse persiste, se déplace, la morosité et la panne du désir s’aggravent : « toujours aucune envie de me lever à 5h30 quand sonne le réveil, ni de cuisiner quand je rentre à 18h, ni de faire le linge le dimanche, malgré votre antidépresseur docteur, je ne comprends vraiment pas pourquoi ça ne marche pas ? »

Dans un premier temps le psy-médecin ne s’inquiète guère : il connaît beaucoup de noms alambiqués à griffonner sur ses ordonnances, il a passé quelques années à les apprendre, autant que cela serve… Pourtant lorsque la souffrance persiste, il aura de plus en plus de difficultés à supporter d’entendre le patient continuer à lui dire qu’il va mal. Qu’à cela ne tienne, hospitalisation ! Peut-être cela aidera-t-il le patient, du moins cela reposera-t-il les oreilles endolories du médecin, et calmera-t-il le très désagréable et malvenu sentiment d’impuissance qui est en train de lui pousser dans l’estomac.

Le psy -chanalyste par contre est un étrange individu : « Ah oui, vous allez mal ? Très bien, racontez-moi cela, développez, dites m’en plus ! »
Et c’est précisément par cette invitation, par cette curiosité, que peut se faire le point de bascule. Curiosité, non pour la souffrance elle-même – et surtout pas « goût pour la souffrance », ne pas s’y méprendre ! – mais curiosité parce que le psychanalyste sait, d’expérience, que c’est à travers la parole sur les arcanes tortueuses de ses souffrances que celui qui déjà devient analysant va pouvoir commencer à parler de « lui ». C’est en parlant de « comment il va mal » que l’analysant en devenir commence à parler de lui, de lui en tant que sujet.

Le point-pivot fait basculer d’un « ça va mal » qui appelle une solution, à un « ça va mal c’est-à-dire je ressens cela, et il se passe ceci, etc. » dans lequel l’analysant commence à expérimenter qu’il y a quelque chose à entendre dans ses symptômes. Et que ce quelque chose, d’ailleurs, n’est pas un simple hasard ou accident, mais en quelque sorte « l’essentiel » de lui-même, la trame vive de son existence subjective.

Cela semblerait simple, alors, de permettre à l’analysant/patient de démarrer une psychanalyse ou une psychothérapie ? Nous aurions presque le truc, la formule magique ? : « ah oui, vous allez mal ? Très bien, racontez-moi cela, développez, dites m’en plus ! » Que nenni !
Il existe bien des freins à la possibilité de la bascule, des freins qui tiennent au patient, des freins qui tiennent à l’analyste, des freins qui peuvent tenir aussi au couplage/ non- couplage transférentiel entre les deux.

Je n’aborderai que l’un de ces freins, du côté de l’analyste.
Ce n’est pas si simple, de supporter d’entendre que « ça va mal ». L’effort reste permanent, de refuser de recouvrir les brèches – douloureuses – par des voiles ou baumes quelconques. Parce que faire ceci, supporter d’entendre que ça va mal, c’est se confronter constamment, jour après jour, séance après séance, à la dimension de la mort et de la perte, de la non-complétude (« non-rapport sexuel », dirait « l’autre », l’illustre autre), à la dimension de chaos du monde.

Il y a paradoxes et ambivalences à cet endroit-là : bien sûr nous savons que nous allons mourir, bien sûr nous oublions absolument que nous allons mourir, bien sûr nous savons le vaste chaos qu’est le monde, bien sûr tout de même nous croyons ou espérons en un monde plus juste et équitable, « ordonné », etc.
Dès lors que l’analyste ne se tient pas sur la crête de la brèche, en surplomb de l’abîme, le guettent les leurres et illusions, les chants séduisants des sirènes (du SAMU) – tout de même elle ne va pas bien, tout de même il faudrait qu’elle puisse aller mieux, que puis-je faire pour lui permettre d’aller mieux ?…

Et ce frein-là est peut-être l’un des plus puissants : si l’analyste n’a pas lâché son souhait-besoin de guérir ou au moins soigner un peu l’analysant, si l’analyste ne supporte pas que la brèche du mal à être ne sera pas comblée, la bascule vers l’autre façon de parler- écouter ne peut se faire.
La bascule ne peut se faire que si l’analyste se tient sur la crête de la brèche. Équilibre précaire.

Paradoxe supplémentaire : c’est en supportant que la brèche du mal à être ne sera pas comblée, que quelque chose peut y être modifié tout de même. La brèche ne sera toujours pas comblée, bien sûr, mais le rapport à elle peut se transformer.
Et de l’autre côté du point de bascule, le « ça va mal » devient « comment vas-tu mal ? Quelle est ta façon, à toi singulière, de boitiller à travers la vie (car « boîter n’est pas pécher », rappelle Lucien Israël) ? Qu’est-ce que cela vient dire de toi, et de ta façon de ne pas savoir faire, défaire, refaire, avec la brèche ? Quel peut devenir ton savoir faire avec la brèche ? Quelles sont tes entraves que la parole dénouera ; long travail de dénouage pour te permettre de boitiller un rien plus allègrement ? »
Un allègre boitillement, cela s’appellerait-il une danse ?

Pas facile, donc, de se tenir à la crête de la brèche. Ce qui le permet peut-être, savoir la possibilité de la danse. Seul (-e), ou avec l’autre, un (-e) autre.
Malgré les « indissipables » malentendus, malgré la solitude radicale, malgré l’incommunicabilité… danser avec un (-e) autre !

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