Clinique du télétravail en période de confinement

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Tout s’est arrêté et continue…

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Le confinement et après…

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Que faire du dire ?

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Mon chat est inquiet…

https://www.fedepsy.org/wp-content/uploads/2020/04/EPHEMERIDE-2-Marie-France-Schaefer.pdf

26 jours de confinement, quelques écrits…

13 avril 2020

Il peut y avoir fort à penser du fait de ces circonstances exceptionnelles de confinement ; on observe en premier lieu les effets sur la pensée quand nous sommes face à la maladie et la mort, et les effets sur la pensée de ces restrictions auxquelles nous sommes tenus de nous soumettre. Changement de cadre, cadre de vie, cadre de travail. Limitations à nos mouvements et à nos échanges habituels. Émergence de nouveaux rituels, à nos fenêtres… de nouvelles habitudes, pour notre quotidien… de nouvelles modalités, pour notre pratique.

Il en faut des jours pour se faire à l’idée que ce que nous vivons est bien « réel », pour en prendre la mesure, pour ne pas avoir à se refaire à l’idée, chaque matin au réveil, et pour adapter nos conduites… à ce qui surgit là, on se heurte et on s’y fait avoir ;

À ce qui surgit là, n’essaie-t-on pas aussi de s’en déprendre, pas vraiment seul, avec quelques-uns, avec les truchements des liens sociaux ?

Très vite, un nouveau rituel émerge, avec les applaudissements aux fenêtres à 20h. Les fenêtres s’ouvrent sur des familles que nous ne côtoyons pas ordinairement, sur des personnes discrètes, âgées parfois ; au fil des jours se joignent de nouvelles personnes à ce nouveau rituel, dont le sens, les sens, l’essence, se décline au pluriel au fil du temps et dépasse amplement le soutien aux soignants ;

Plus vite encore, facilités par les outils numériques dont nous disposons majoritairement, des messages humoristiques émergent et diffusent, des écrits, des croquis, nombreux, parfois d’un humour fort bien trouvé, l’humour comme témoin de l’élan vital face à l’angoisse de mort… l’écrit pour soutenir le mouvement d’humanisation. Un étudiant en médecine s’y prête aussi et sa lettre paraît sur le site de l’Obs1, il témoigne de sa place, de son vécu au cœur de l’hôpital, auprès des soignants, auprès de ceux qui l’enseignent, auprès des soignés, fenêtre ouverte sur l’hôpital, fenêtre ouverte sur l’humanité ; humanisation face aux chiffres égrenés quotidiennement ;

Le clinicien s’interroge. Dans le flot quotidien des nouvelles effrayantes et difficiles à intégrer, qu’en est-il du travail du rêve ? Le travail du rêve est-il préservé ou entravé ? … comment le sujet se débrouille-t-il avec ce contexte ? en fonction de sa structure, en fonction de ce qu’il a pu établir comme lien à l’autre, à l’Autre, en fonction de l’existence préalable d’un lien transférentiel ?… quel effet sur la subjectivité pour le petit enfant, selon le moment où son quotidien et le discours de ceux qui l’entourent sont modifiés, selon l’inventivité ou la détresse de son entourage ?… quels détours prendra le travail du deuil pour ceux qui n’auront pu accompagner leur proche dans les derniers instants, quand les veillées, les préparatifs, les rites funéraires sont escamotés et n’accompagnent plus la séparation du corps et de la mémoire du disparu, n’apprêtent plus l’abandon de la dépouille à l’inhumation… qu’en sera-t- il du lien social ? Les modalités du lien social connaîtront-elles de nouvelles mutations ?

Ces questions nous mettent au travail et des pistes de réflexion peuvent déjà s’esquisser mais…

On ne le répétera jamais assez, si l’inconscient est a-temporel, il faut laisser à chacun son temps psychique, tenir compte du temps psychique… et dès à présent être à l’écoute et manifester sa présence et les possibilités de la continuation du lien, téléphoniquement, en visio, épistolairement et parfois même encore, selon les nécessités, en présence « présentielle » toute précaution prise. Nos patients – nos analysants – il me semble, ne s’y trompent pas, lorsqu’ils nous disent la forme qu’ils choisissent, si tant est que nous les proposions et les acceptions, sans pour autant nous faire l’économie de la réflexion à mener des effets des modifications du cadre de la cure, réflexion que Marcel Ritter a déjà introduite2

.

1 « Ce message est pour tous mes patients mourants ou seuls » www.nouvelobs.com, 6 avril 2020

2 Marcel Ritter, En ce temps de confinement, Éphéméride 1, Fedepsy, 5 avril 2020

Mais qu’est-ce qu’on voit au juste ?

Premiers commentaires du livre de Jean-Richard Freymann, Amour et Transfert :
Amour, bande de Möbius, et transfert

Comme j’avais déjà pu l’envisager à la première lecture sérieuse du livre de Jean- Richard Freymann 1 et dans l’élaboration qui en avait été à l’origine dans son séminaire « amour et transfert », la question transférentielle et amoureuse est plus que jamais une question mœbienne. Qu’est-ce à dire ? Il s’agirait d’un lien, dont on est ni intérieur ni extérieur et qui n’aurait que le bord de ce qu’il met en place, au-delà de ce que pourrait être le bord d’une subjectivité propre.

Ce n’est pas simple de présenter les choses comme cela, puisque se pose directement alors la question du devenir de la subjectivité si les bords, la limite avec l’autre, ne sont pas garantis dans le transfert ? Eh bien, c’est justement la question de l’amour. En topologie, branche des mathématiques qui étudie les propriétés invariantes dans la déformation géométrique des objets, la bande de Möbius est une surface compacte dont le bord est homéomorphe à un cercle. De là à dire une alliance, il n’y aurait qu’un pas à faire devant l’autel.

L’amour c’est le on, c’est sans clivage, l’amour serait le risque de ce que pourrait être le transfert sans analyste dans le lien. Les histoires d’amour ne parlent finalement presque que de ça, et les mélancolies viennent nous rappeler l’effondrement narcissique que représenterait de s’y reconstituer quand l’amour chute. Est-ce qu’une fin de cure ne flirte pas toujours avec un point de mélancolie ? Mais réduite à un point, cette fin n’est pas censée emmener toute la structure subjective avec elle.

Cette remarque pourrait tenir dans les états d’amour dits amoureux. À cet endroit on reconnaît quand même la trace de ce qui est à ce point mœbien, dans le sens d’une topologie du lien englobante (sans extérieur, sans intérieur et avec un seul bord encore une fois) dans les choix d’amour qui laissent au sujet la possibilité d’entrevoir qu’il passe finalement rarement d’un état à un autre. Comme Jean-Richard Freymann se plait souvent à nous le rappeler, il arrive que l’on puisse changer de compagne, de compagnon, de mari, de femme pensant révolutionner son rapport à l’autre et finalement, qu’un regard vous rappelle à quel point le même choix peut quand même se répéter.

C’est de ce constat clinique que s’organise la notion d’un amour narcissique, se déclinant d’ailleurs à sa mesure sous une forme masculine ou féminine, Jean-Richard Freymann y consacre un chapitre (« Amour transnarcissique » et amour du désir) dans son livre2. D’une bannière à l’autre, le sujet se positionne différemment mais aliéné, quand il s’agit d’amour, à la question de l’image, « suis-je la plus belle ? », « qu’est-ce que je suis beau » où se noue la question de l’amour (ou dirait-on ici, de la dépendance à l’autre) et la question désirante qui subsiste malgré tout par le biais de l’artifice de l’image et avec ce manque alors tout-à-fait organisé qui reconnaît que l’image ne sera quand même jamais la réalité. L’artifice intercalaire de l’image, voire de l’écran, suggère qu’il puisse y avoir quelque chose derrière, ou de passer le miroir comme Alice au pays des merveilles3.

L’invariant de ses relations amoureuses signe le trait, l’anecdote, la remarque de l’organisation imaginaire du sujet, et signe donc sa structure borroméenne. Cette opération fonctionne à deux, impossible ici de ne pas se rappeler de ce qui reste pour moi une des plus belles phrases de J. Lacan, hypnotisante à la façon de l’amour : « Cette main qui se tend vers le fruit, vers la rose, vers la bûche qui soudain flambe, son geste d’atteindre, d’attirer, d’attiser, est étroitement solidaire de la maturation du fruit, de la beauté de la fleur, du flamboiement de la bûche. Mais quand, dans ce moment d’atteindre, d’attirer, d’attiser, la main a été vers l’objet assez loin, si du fruit, de la fleur, de la bûche, une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et qu’à ce moment c’est votre main qui se fige dans la plénitude fermée du fruit, ouverte de la fleur, dans l’explosion d’une main qui flambe – alors, ce qui se produit là, c’est l’amour »4. Il s’agit bien d’une rencontre nouant, l’autre, l’image, le désir, et si nous restons sur notre proposition, nous arrivons bien à cette idée que l’amour dit narcissique, c’est le lien, mœbien qui fixe à l’autre une dépendance réciproque à la façon d’un nœud entre amour et désir au risque d’une subjectivité perdue dans le terme « se fige ».

Comme on le repère dans l’ouvrage de Jean-Richard Freymann, il y a d’autres formes de liens d’amour.

L’amour maternel si bien cerné dans Hamlet de Shakespeare5 serait certainement celui qui initie au lien amoureux dans le sens qu’il le rend possible, comme commencement et de manière mythique comme origine, même si cette question de l’origine ne serait qu’une construction qui noue à la réalité la question symbolique. L’origine reste un lieu inatteignable, existant logiquement, c’est-à-dire, un lieu qui n’existe que par le fait qu’on ne puisse faire autrement que de le penser pour construire commencer à pouvoir affirmer, poser un acte de parole. C’est purement logique, et les mathématiques, à leurs manières d’être la modélisation de notre pensée, en passent constamment par cette idée. Hamlet avait toutes les raisons, même les plus folles, de se tenter de se passer de cette origine, il n’a même pas pu le négocier. J’entends bien entendu par amour maternel, l’aliénation au discours de la fonction maternelle, ce discours qui dit « je t’aime mon chéri » quoi que l’on ait pu faire et produire, c’est bien ce que nous enseigne Gerthrude.

Il reste l’amour transnarcissique, objet introduit par Lucien Israël, pour lequel je vous renvoie au chapitre du livre de Jean-Richard Freymann, et qui serait la manière toute singulière dont Lucien Israël donc, laisse entrevoir ce qui serait de l’introduction de l’analyste dans la question de l’amour. Ce concept témoignerait alors de ce qui se passerait si l’on faisait du bord de la bande de Möbius, un bord perméable au signifiant garanti par la présence de l’analyste, selon une éthique du sujet et de son rapport au désir.

Ainsi, en continuant ce fil introductif à la question du transfert et de l’amour sur un mode mœbien, nous commencerons par une remarque, une remarque singulière pour le moment, une remarque qui augurerait du travail qu’il y aura à faire. Tout le monde en parle, le contexte viral actuel est omniprésent, nous en appelle à la fois à se cacher chez nous et à se sacrifier pour le bien de tous. Je ne vais pas en dire plus ici, nous aurons, le temps d’être dans l’après-coup de cette tourmente.

Sur le plan psychique, sur le même mode que le tiraillement entre vivre protégé et se sacrifier, s’organisent des raisonnements de défense qui interrogent quand même au plus près la question du jour, y aurait-il un lien qui garantisse sa survie et celle de l’autre ? Et particulièrement sa subjectivité.

L’expérience analytique permet d’observer en ce moment deux mouvements différents. D’un côté, la sidération, prise dans l’effroi, avec une difficulté certaine à faire émerger un discours singulier et subjectivé, on y repère l’organisation du discours ambiant, le rationnement s’articulant au manque d’objet, la survie, les traitements, le sortir de la crise, la confiance en l’autre et sa défiance, l’émergence subjective n’est pas simple tant les formations de l’inconscient y sont enfuies, elles n’en sont pourtant pas absentes. De l’autre côté, il y a les sujets au travail qui continuent, dans le lien transférentiel, comme si de rien n’était autour, augurant la possibilité que le lien transférentiel, même s’il est construit sur le mode d’un lien amoureux, permettrait, de la même manière que l’on suppose à l’analyste un savoir, d’une chute narcissique suffisante pour que le nœud entre l’amour et le désir, ne soit pas un nœud univoque, mais troué de l’équivoque.

Le transfert, à la différence de l’amour, serait ce lien, à la façon mœbienne, qui rendrait donc l’homéomorphisme au cercle comme perméable. Il y aurait donc, supposé, un espace maintenu entre désir et amour sur ce bord, le même espace virtuel qui garantirait l’épaisseur du discours entre ce qu’il peut avoir de manifeste et de latent, un espace qui serait donc, une autre définition encore de l’inconscient.

Cette ébauche théorique reste encore à préciser au fil des textes à venir…

1 J.-R. Freymann, Amour et transfert, Arcanes-éres, 2020.

2 Ibid.

3 L. Carroll, Alice au pays des merveilles

4 J. Lacan, Le transfert, séminaire VIII

5 W. Shakespeare, Hamlet.

En ce temps de confinement

Quelques remarques, en vrac, à propos de la pratique de l’analyse en ce temps de confinement.

Les prises de position sont variables. Certains ont fermé leur cabinet jusqu’à nouvel ordre. D’autres continuent de recevoir des analysants, mais dans le strict respect des recommandations concernant « les barrières ». D’autres encore ont opté pour la pratique des séances par le moyen de la vidéo ou par le téléphone.

Notons que lors des séances par vidéo, l’image du corps de l’autre est présente, autant celle de l’analysant que celle de l’analyste, alors que le corps réel est absent. Et lors des séances par téléphone, le corps de l’autre est absent en permanence, autant sur le plan de l’image que sur celui du réel.

La question se pose de savoir quelles peuvent être les conséquences de ces changements, certes temporaires, au niveau du transfert, mais aussi au niveau de l’écoute de l’analyste.

Est-il obligé d’être, consciemment, « plus concentré » sur le discours tenu, au risque d’être en contradiction avec la recommandation de l’attention dite « flottante » ?

Par ailleurs, la voix, l’objet voix, prend une importance primordiale pour l’un et pour l’autre avec l’absence du regard au moment de l’entrée et de la sortie du cabinet – moments qui pouvaient donner lieu à des interprétations transférentielles de la part de l’analysant, par exemple « j’ai vu à votre mine que vous n’étiez pas content de ce que j’ai dit ».

Il est tout autant soutenable que la situation actuelle favorise la seule relation de parole, la relation symbolique, par rapport à ce que Lacan a appelé « l’intersubjectivité imaginaire » (Séminaires 1).

Mais quand la voix disparaît, c’est l’angoisse qui apparaît, comme c’est le cas dans le rêve lorsque je ne suis plus en mesure de prononcer une parole, et que je me réveille dans un état de panique.

Sommes-nous alors en proie à un vécu de détresse, à une « Hilflosigkeit », à l’immanence du surgissement de la Chose, laquelle n’est plus recouverte par l’objet a ?

La Chose est-elle présentifiée par la menace invisible, et pourtant réelle et consciente de la mort, identifiée au coronavirus ? La mort, dont l’homme ne veut rien savoir dans son inconscient, puisqu’il s’y croit immortel – référence à Freud, et au désir indestructible dans l’inconscient.

La psychanalyse au temps du « corona »

Le titre est trop tentant, je ne résiste pas.
Depuis quelques semaines déjà tourne dans ma tête l’expression « la peste au temps du choléra » : je me rappelle, crois me rappeler, viens de vérifier que c’est complètement erroné, décalé, mais je vais vous dire d’abord ce que je croyais me rappeler. Crois me rappeler donc que cela doit être le titre d’un livre de Gabriel Garcia Marquez (j’ai tant aimé lire, à vingt ans, Cent ans de solitude1 !) ; je suppose qu’il y a une certaine ironie, « la peste au temps du choléra », le pire lorsqu’il y a déjà le « mal » ?
Alors ces mots tournent dans ma tête, et l’envie d’écrire quelque chose sur la pratique de la psychanalyse, la tentative de poursuite de la pratique de la psychanalyse, en ces temps perturbés (nous sommes aujourd’hui le 18 mars 2020).

« La peste au temps du choléra », « la psychanalyse au temps du corona », c’est bien la question que je me pose, à ceci près, je l’espère, que la psychanalyse ne serait pas le pire par rapport au mal ! Pourtant certains la présentent ainsi, comme le mal, le diable incarné (cf. la tribune visant à exclure les psychanalystes des tribunaux, en octobre 2019, dont les auteurs semblent souhaiter exclure les psychanalystes de partout, d’ailleurs, cela fait froid dans le dos). Ainsi il n’y a pas que le coronavirus à faire planer une ombre sombre sur notre époque…

Me revient de plus la phrase célèbre de Freud : « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste », où l’on entend l’humour (salvateur, aujourd’hui plus que jamais) de Freud. Il dit ces mots en 1909 à Jung et Ferenczi alors qu’ils l’accompagnent aux États-Unis d’Amérique tenir une série de conférences d’introduction à la psychanalyse. La peste, je le précise à l’adresse de ceux qui liraient ces lignes sans être familiers du discours ou de la pratique analytique, la peste parce que dans l’Amérique puritaine du début du XX ème siècle, les théories qu’amène Freud, si elles se disséminent dans la société, vont avoir des effets de libération individuelle, subjective, et sociétale, des effets de remise en cause des carcans patriarcaux, racistes et intolérants. Et en effet elles ont eu des effets, elles ont participé aux changements des pensées au cours des XXème et XXIème siècles. Elles continuent à y participer.

Alors la psychanalyse au temps du « corona » ? des effets de libération possible ? s’extraire des carcans de l’angoisse irraisonnée et inefficace ? (je ne parle pas des mesures de précautions raisonnées et vitalement nécessaires aujourd’hui).

Je vais donc chercher sur internet l’expression « la peste au temps du choléra », pour pouvoir en donner les références précises, et… surprise ! C’est bien le titre d’un livre de Gabriel Garcia Marquez, mais un rien différent : « L’amour au temps du choléra »2 ! L’amour ?!… Comment ai-je fait pour transformer ainsi le titre ?… J’en parlerai à mon analyste plus tard, pas d’épanchement déplacé ici (ni d’interprétation sauvage, s’il vous plaît !).
D’ailleurs, tout de même il existe l’expression « avoir à choisir entre la peste et le choléra » : mes associations inconscientes ont mêlé l’expression et le titre du roman.

L’amour au temps du choléra ?…
Et… la psychanalyse au temps du « corona » ?…

J’en étais à ce point de mon texte le mercredi 18 mars 2020, à « J je ne sais combien » de l’ère COVID19. (Il y a avant et après JC, y aura-t-il avant et après COVID19 ?). J’en étais à ce point du texte et pensais poursuivre sur la question de l’écoute de l’analyste et ses effets, question qui elle aussi tourne dans ma pensée depuis quelque temps, et prend une coloration nouvelle en l’ère du COVID19. Comment « seulement » écouter, « seulement » entendre, comment cela peut-il avoir des effets sur les mécanismes psychiques de celui qui parle ? Quelle importance cela a-t-il encore, alors que la société entière est « en guerre contre le virus » ?

« Seulement » écouter, mais d’une manière particulière, différente de toutes les autres : écouter sans chercher à comprendre ni à partir d’un savoir, ni à travers la « complicité relationnelle habituelle » : à partir du savoir, on n’entend que le savoir ; à travers la complicité relationnelle, on n’entend que ce qu’on projette de soi-même. « Seulement » entendre, mais entendre autrement, entendre « l’autre », entendre quelque chose de la subjectivité de l’autre dans son altérité.

J’en étais donc à ce point, puis me suis retrouvée arrêtée, comme bien d’autres il me semble, arrêtée dans mes réflexions parce qu’au tourbillon des activités qui nous emporte habituellement jour après jour, s’ajoute la sidération produite par la situation actuelle : sidération face à la gravité de la situation dans les services hospitaliers, sidération face au risque de la mort – s’il plane à chaque instant, avant COVID comme après, nous l’oublions à chaque instant, et aujourd’hui chaque instant nous le rappelle.

Nous sommes le samedi 4 avril 2020 : Jean-Richard Freymann nous propose d’écrire et de partager des textes, en lieu et place des échanges de réflexions et dialogues dans les séminaires – les séminaires et formations, lieux si concrets de nos partages, se sont évanouis, ont disparu, explosés, pulvérisés par l’impact de l’épidémie. Reconstruire des lieux, sous d’autres formes. Il propose un premier thème, « Amour et transfert » : cela me fait sourire, « la peste au temps du choléra », « L’amour au temps du choléra », « le transfert au temps du corona » ?…

Allons-y, essayons de reconstruire…
Amour et transfert : mon mouvement spontané était du côté de peste-amour et écoute.
Alors, amour, écoute et transfert ?
J’ai les pensées trop secouées et mélangées pour partir dans de grandes théories – toute cette affaire a un impact ou des impacts multiples sur la société, et si je ne les ressens pas de front pour lors (encore que, toute la réorganisation de la pratique au cabinet et de la vie quotidienne, c’est assez concret, plus rien n’est « habituel »), j’en ressens les secousses retransmises. Des coups sont portés, des bombes explosent, je ne suis pas au lieu de l’explosion, nous sommes nombreux à ne pas y être, mais à être traversés par les ondes de choc.
Je ne partirai pas dans de grandes théories, quelques remarques seulement.
Écoute et transfert sont-ils articulés, et toujours articulés, indissociables ?
L’écoute semble se jouer du côté de l’analyste : entendre sans les filtres des savoirs, sans les projections et identifications de la complicité relationnelle, se mettre au diapason du contenu latent plutôt que du contenu manifeste, c’est-à-dire avoir entendu quelque chose de sa propre subjectivité et écouter à partir de cela pour entendre quelque chose de la subjectivité de l’autre… Mais l’écoute aurait-elle un effet quelconque si l’analysant n’était pas pris dans un transfert envers l’analyste ? Pourrait-il seulement parler de cette façon-ci, l’analysant, y aurait-il quoi que ce soit à écouter et entendre s’il n’y avait pas transfert ?

Quelques fragments de pratique, plutôt que de longs discours que je n’arrive pas à tenir aujourd’hui, en ces temps étranges.
La question que je me posais au départ, avant tout cela, était assez simple, trop simple : mais au fond qu’est-ce que je fais dans ma pratique ? Qu’est-ce que je fais à écouter des personnes, que s’y passe-t-il ? Je vais regrouper très artificiellement deux ensembles de « cas » :

  • Il y a des situations, des patients ou analysants, avec lesquels le « travail » est « clairement mis en route » (qu’est-ce que ça veut dire, au fond ?…) : lors des entretiens préliminaires, l’analyste a entendu un ou quelques points importants, a souligné, interrogé, ou « interprété », et l’analysant a entendu qu’il y a là quelque chose à entendre. À partir de cela la cure se déroule.
    Par exemple, une femme est en difficulté avec une relation extraconjugale qu’elle aimerait rompre et ne parvient pas à rompre. Elle parle longuement de l’amant, puis au fil de l’exploration de son enfance un trait qu’elle attribue à sa mère est le même qu’un trait de l’amant. Il suffit parfois de répéter le mot sous forme d’interrogation, et la personne entend qu’elle l’a utilisé pour l’amant. Elle comprend qu’il y a là quelque chose à entendre, ne sait pas tout à fait quoi – l’analyste ne sait pas vraiment non plus, d’ailleurs – mais cela permet une première accroche, une amorce du travail, un tissage du fil d’associations. Jean-Richard Freymann, alors que je lui parlais de cela récemment, a choisi les mots d’ « entrelacement transférentiel ». L’amour de transfert commence par un entrelacement transférentiel, quelque chose qui peut ressembler à un baiser, ou une morsure, et tous les intermédiaires et extrêmes s’inventent…
    À partir de cette accroche première, les associations se poursuivent, dans les mouvements et articulations diverses des répétitions se font entendre, les rouages et nouages singuliers du sujet se font entendre, et à être entendus de part et d’autre du divan ils s’assouplissent, se transforment. Possibilités d’assouplissement, de respiration, de mouvement désirant. Ce n’est pas rien : pour l’avoir expérimenté côté divan, ce n’est pas rien : pouvoir vivre, un peu. Être vivant, exister, un peu.
  • Mais il existe d’autres situations, dans lesquelles je me demande ce que je fais : je n’entends pas grand chose, ne sais pas quoi souligner, avec des variantes très diverses, bien sûr. « Exemples ». Pour l’un il y a eu au départ situation de crise, « travail actif » et « repérable » pendant un temps (enfance difficile, violences entre les parents, repérage de points de similitude entre son vécu actuel et les scènes de l’enfance), puis apaisement assez rapide, puis discours d’apparence « plat ». Chaque semaine les nouvelles de la semaine, tel problème avec le chef, telle difficulté de son fils à l’école. Au sens « strict », je n’interprète pas grand chose. Le jeune homme décroche, ne vient pas à son rendez-vous, ne rappelle pas. Dossier classé ? Il rappelle six mois plus tard, dans une nouvelle situation de crise (agressivité sous alcool), reprend les séances : dès la deuxième le même rythme est retrouvé, le fil du discours se poursuit comme s’il n’y avait pas eu de pause. Mais, dit-il, « je sais que si j’avais continué à venir, je n’aurais pas craqué à nouveau ».
    Une autre, très peu de paroles, séances courtes qu’elle scande elle-même : « voilà, j’ai terminé pour aujourd’hui ». J’ai tenté un jour de poursuivre quelque peu au-delà de sa scansion, sentiment de quasi-déréalisation, n’ai pas réitéré l’expérience. Très peu de paroles donc, peu de « contenu », un résumé rapide des « événements » récents. Pas d’ « interprétation » (?). Après deux années de séances de ce type, elle m’annonce que pour la première fois de sa vie elle a rencontré un homme, file le grand amour depuis quelques semaines : « c’est grâce aux séances avec vous que j’ai été prête à cela, je tiens à vous remercier de m’écouter depuis si longtemps ! ».

L’analyste ne sait pas toujours, ou rarement, quelle fonction tiennent les séances pour tel patient ou analysant. Alors au moment du confinement, quels effets d’une suspension des séances ? Comment réagir, poursuivre les consultations (je suis psychiatre aussi, « consultations médicales », cela facilite une justification de la « nécessité »), en limiter le nombre pour limiter les croisements en salle d’attente, quelles mesures de précaution, proposer des téléconsultations, des « téléséances » ? Durcissement du confinement, les déplacements ne sont plus autorisés que pour les consultations « urgentes », transformées ensuite en « soins ne pouvant être différés » : pour quels patients ou analysants les séances sont-elles urgentes, ne peuvent-elles être différées ? Est-il plus important de poursuivre ma pratique, ou de participer à l’effort de confinement maximal ?

À vrai dire je n’ai pas eu vraiment à répondre aux questions : les patients y ont répondu pour moi. Il y a ceux pour qui il est hors de question de suspendre les séances. Puis, possibilité de téléconsultation aidant, rares sont ceux qui ne veulent pas poursuivre, d’une façon ou d’une autre. Alors même que pour certains voire beaucoup, lors de l’annonce du confinement, la priorité et l’urgence étaient ailleurs (« pas la peine de prendre le temps de parler alors que des personnes sont en train de mourir »), rares sont ceux, après trois semaines de confinement, qui n’ont pas repris rendez-vous. Si malheureusement des êtres humains sont en train de mourir, il n’en est pas moins essentiel de continuer à œuvrer à être en train de vivre, œuvrer à être en vie. Cela ne se fait pas tout seul, il y a à œuvrer à cela. En l’ère du COVID comme en toute ère.

Ne pas nous laisser sidérer, figer, pétrifier, ballotter par les vagues jusqu’à nous briser, statues pétrifiées, contre le premier écueil. Être en vie est un mouvement.

« Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! » Paul Valéry, Le cimetière marin.

Post-scriptum :

Téléconsultations : téléphone ou « visio ». Parfois les yeux fermés assise sur mon fauteuil, la voix de l’analysant diffusée par le téléphone en mode « mains libres », j’en oublierais un instant l’absence du corps de l’autre sur le divan. Parfois perturbée, ou le patient, par l’image en mode visio, le décalage entre les yeux de l’autre et l’œil de l’appareil, la webcam. Pour certains le changement de modalité induit un effet, relance de l’introspection, changement de mode de discours, effet similaire ou presque à celui du passage sur le divan. Cela restera à penser, à parler, à discuter… à suivre !

1 Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, Ed. du Seuil, 1968.

2 Gabriel Garcia Marquez, L’amour au temps du choléra, Grasset, 1987.

Amours et transferts pour survivants

Ceux qui essaient de parler ne sont pas encore des rescapés, puisque plane autour de chacun d’entre-nous la menace de la mort, le risque de sortir, le danger de tuer l’autre… et l’attente d’un réveil qui ne cesse pas de ne pas advenir.

Peut-être comprendra-t-on un peu mieux la phrase de Lacan à propos de Freud « quand la plume lui est tombée des mains », « Nur der Tod ist umsonst »… seule la mort est pour rien. Quel poisson d’avril nous a forgé le réel ?

L’épreuve actuelle me renvoie à des événements qui ont changé mon monde, la disparition de mes parents, le fracas d’un infarctus, plusieurs souvenirs qui renvoient à la mortalité tant déniée. Mais aussi, à un autre vécu, autrement traumatique, celui où le monde de 68 s’est effondré, à l’âge de 18 ans, ce qui semblait tenir de notre société, un écroulement politique s’est fait : quelques temps plus rien ne tenait, les leaders avaient perdu la main, il risquait de se créer une révolution alors que le monde des répétitions ne tournait plus sur ses certitudes.

« Mais que diable, cela a-t-il à voir avec « Amour et Transfert » ?

Il y en a au moins un : notre mission face au confinement est de pousser à un « plus de transférisation », qu’est-ce à dire ? Trouver les moyens de solliciter l’axe métaphoro-métonymique de convoquer le sujet-supposé-savoir, de faire appel à l’amour de transfert, comme le souligne aussi Marcel Ritter.

En effet cette situation de confinement met les individus en « arrêt sur image », dans le même état onirique que celui des rêves d’angoisse : il y a du « Schreck » (de l’effroi) dans l’air. Il faut beaucoup d’amour pour supporter cette présence imposée des autres, d’être figé dans un refus de l’ailleurs.

Après trois semaines de confinement j’en dirai que les rapports singuliers à l’angoisse et à la thymie poursuivent leurs évolutions. Et c’est parfois ceux-la même qui sont des confinés psychiques qui pour l’instant supportent le confinement. Et pour certains, le « présentiel » est nécessaire, la

présence réelle s’avère indispensable. Et c’est là où repose la question actuelle des rapports entre la présence affirmée, les amours et les différents transferts.

Je disais dans mon livre (non présenté) Amour et Transfert que « dans le monde contemporain la dialectique Amour et Transfert prend de nouvelles formes singulières ». À présent, il faudrait développer leurs liens avec les pulsions de mort et les pulsions d’auto-conservation, ainsi que les modifications redoutables de la psychologie de groupe, de masse et la manière dont l’Internationalisme fait retour au réel, dans de nouvelles équations mortifaires.

Je propose que par période, nous mettions en place des thèmes d’échanges, de débats où chacun pourra se risquer.

Gardez le courage de l’attente…

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