Rébellion et Résistance – Eloge de la théorie du manque

Emmanuelle Chatelat fait écho à l’invitation à l’écriture parue dans le numéro de décembre, ainsi qu’à différents textes de La Lettre et d’ailleurs.
De plume en plume elle entrelace pour nous quelques références poético-chansonnières, puis philosophiques et psychanalytiques, pour essayer de saisir dans les tressages quelque chose de l’indicible du sujet et de l’humain.

De sous ma couette de plumes je lis cette invitation chaleureuse de Liliane à en prendre la plus belle.
Où trouver une belle plume ?
J’hésite à prendre la mienne mais après tout, le beau est subjectif …

« Oh-Oh-Oh Mon truc en plumes – Plumes des oiseaux, des animaux – Mon truc en plumes – c’est très malin – Rien dans les mains – Tout dans le coup de reins … C’est pas sorcier – Viens l’essayer – J’vais te faire danser… »
Bernard Dimey ; Jean Constantin, Mon truc en plumes

Où trouver du papier glacé ?
Le thermomètre affiche -12 degrés il suffirait de poser mon ramage sur le rebord de la fenêtre…
Laisser les mots prendre leur envol ?
Ouvrir la cage et les laisser prendre leur liberté…

« Ouvrez, ouvrez, la cage aux oiseaux – Regardez-les s’envoler c’est beau – Les enfants si vous voyez des petits oiseaux prisonniers ouvrez-leur la porte vers la liberté… Une fois dans votre vie vous qui êtes pas comme eux – Faites un truc qui vous rendra heureux… »
Pierre Perret, La cage aux oiseaux

Ne vont-ils pas me manquer ?
Contrer ce pessimisme ambiant dont parle Cyrielle. S’envoler…
Me mettre en chemin vers mon secrétaire ou prendre mon secrétaire sous la couette et y trouver une plume ?

« Au clair de la lune – Mon ami Pierrot – Prête-moi ta plume – Pour écrire un mot – Ma chandelle est morte – Je n’ai plus de feu… Au clair de la lune – On n’y voit qu’un peu – On cherche la plume – on cherche le feu – En cherchant d’la sorte – Je n’sais c’qu’on trouvera – Mais je sais qu’la porte – Sur eux se ferma »
Auteur inconnu, Au clair de la lune

Plum(m)es et papier glacé répondent présents.
Alors croisons nos mots ; jouons aux mots croisés. Tels des mousquetaires et laissons les mots être nos mousquets et mousquetons.
Au mot de rébellion me vient le mot de résistance dans l’exercice de ma pratique psychanalytique. Telle que j’essaie de la pratiquer.

Résistance à une certaine servitude volontaire pour commencer et pour reprendre La Boétie dont il est sans doute le premier à aventurer l’idée que les relations sociales ne doivent, en aucune façon, entraver l’indépendance des individus qui en sont les protagonistes.
Les admonestations qu’il adresse aux victimes d’une servitude volontaire adressée par lui à un état morbide, n’ont rien perdu de leurs pertinences, ni de leur modernité.
Or quelle est la cause des malheurs qui accablent une quantité considérable de personnes. Faut-il les imputer à la toute-puissance d’un impitoyable Maître ?

« Soyez résolus à ne plus vouloir servir et vous voilà libres ».
« Je ne veux que vous le poussiez ou vous l’ébranliez, mais, seulement ne le soutenez plus et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre et se rompre.
Supporter la férule ne sollicite rien que résignation et passivité.
Créer des conditions propices aux libertés implique conscience, détermination, effort. »
« Là où les bêtes capturées regimbent préférant parfois la mort à l’esclavage, les citoyens ont abdiqué leur droit de nature.
Une corruption générale du sens humain a soudé dans un accomplissement mortifère maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités. »

Pour La Boétie, la liberté n’est pas l’objet de la volonté, mais Désir et liberté sont confondus. Désirez et vous êtes libre car un désir qui n’est pas libre n’est pas concevable, n’est pas un désir.
La liberté c’est ce que nous sommes, et si vous n’êtes pas libre, c’est que vous avez renoncé à votre désir.
Sans le soutien actif du peuple, les tyrans n’auraient aucun pouvoir.

Lacan mettra en évidence avec les quatre discours, le discours du maître que nous retrouvons dans les différentes formes de la névrose. Ce qui produit un sujet, c’est-à-dire non pas en général un homme ou un individu mais un être dépendant du langage, c’est qu’un signifiant vienne le représenter auprès de tous les autres signifiants et, par là même, le déterminer. Mais à partir de là il y a un reste.
Le concept de signifiant en psychanalyse, pour le dire rapidement, c’est la manière qu’on a de définir le bain langagier dans lequel on se situe.
Bain langagier que Lacan appelle souvent le Grand Autre, le trésor des signifiants.
En effet, dès lors qu’il s’inscrit dans le langage, le sujet n’a plus d’accès direct à l’objet.

Pour entendre quelque chose de ces quatre discours, je vais tout d’abord faire un passage par la logique de l’inconscient, qui est de prendre acte du fait que quand nous parlons nous n’entendons pas nécessairement ce que nous disons.
La psychanalyse a une vertu puisqu’elle crée un espace où l’on peut s’entendre.
N’est-ce pas cela la pratique de la psychanalyse ?
La psychanalyse c’est approcher comment des mots opèrent.
Comprendre ce qui fait qu’on existe en parlant. Mais ce qui fait qu’il y a ce lien particulier entre ce réseau signifiant, ce monde symbolique, l’univers imaginaire, notre corps et ce réel auquel on accède par des expériences extrêmement violentes.
Le but est de produire une verbalisation qui va produire l’objet petit a comme reste et ce qui est visé, c’est tout notre travail qui est de produire du sujet.
Changement de discours comme production de la subjectivité. La psychanalyse nous enseigne que ce sujet, c’est quelque chose d’éphémère.

Au départ, notre petit être humain est la proie de jeux pulsionnels et la question de l’humanisation c’est la capacité que nous allons avoir à transformer le destin de ses pulsions.
Ce qui fait ce que nous sommes aujourd’hui, c’est la capacité qu’on a eue, de pouvoir faire passer les pulsions d’une satisfaction directe à d’autres destins. Parmi d’autres destins qui ont à voir avec la sublimation, avec le fait qu’on va utiliser cette force, cette poussée pour avoir une satisfaction directe, il y a là, la question de la verbalisation, de la parole et la question de la jouissance.
À partir du moment où on renonce à cette satisfaction directe, on va être confronté à une perte de cette jouissance.

Dans l’histoire des quatre discours, changement de discours comme production de subjectivité, l’objet petit a comme reste. Reliquat de ce qui n’est pas passé dans le signifiant et donc encore porteur d’une certaine jouissance.

Les mouvements qui vont produire du sujet c’est quand on passe d’un état à un autre, d’un discours à un autre, d’un signifiant à un autre.
On passe d’une position subjective à une autre à chaque fois. Ce mouvement va être accompagné d’une chute de l’objet petit a. C’est la représentation symbolique de la chose.
Toute production subjective est liée à une perte de jouissance. Nous existons à tous les endroits où nous supportons quelque chose de la perte.
Question de la théorie du manque. Ce n’est pas dans l’avoir qu’on s’en sort, c’est là où on est capable d’en supporter la perte.

En cela, la méthode psychanalytique, qui par sa découverte de l’inconscient s’emploie à étudier tout ce qui se trouve en deçà de la volonté rationnelle remettant en question le mythe de l’absolue maîtrise de la raison, prolonge le geste de La Boétie.

Et d’ouvrir à la résistance, symbole de notre lutte contre la déshumanisation dont l’une des voies essentielles est la sublimation.

« L’humanité n’est même plus une légende, elle est un mythe »
Romain Gary

Commentaire de la leçon n°1 du 13 novembre 1973 –  Des Noms du Père au Nœud Borroméen

Des Noms du Père aux non-dupes qui errent

Jacques Lacan s’apprête à commencer son onzième séminaire le 20 novembre 1963 quand lui est notifiée, la veille, sa radiation de la liste des didacticiens de la SFP. Il ne tiendra donc qu’une seule séance[1] sur « Les Noms du Père ».

Dix ans plus tard, le 13 novembre 1973, il donne la première leçon d’un séminaire intitulé « Les non-dupes errent ». Il y a évidemment un rapport entre les deux, bien que Lacan eût déclaré qu’il ne livrerait pas ce qui avait été censuré en 1963.

Préhistoire

Les sociétés psychanalytiques ont vécu dans l’erre de Freud[2]. Elles ont arrêté Lacan-le-déviant à la première séance de son séminaire intitulé Les noms du père en novembre 1963, et interdit son enseignement original nourri par ses propres expériences et réflexions ; pour lui, la praxis aurait dû toujours conditionner la théorisation, le seul respect du setting freudien ne pouvait au mieux que maintenir la psychanalyse dans l’état où l’a laissée Freud, c’est-à-dire en faire une momie témoin d’une époque révolue et sans prise sur le présent. Pour maintenir ouverts les volets de l’inconscient, la psychanalyse doit au contraire baigner dans le langage contemporain et surtout former de nouveaux analystes qui sont « à jour », sous peine de glisser vers le charlatanisme.

« Depuis longtemps le nom de Freud [le nom du père de la psychanalyse] est devenu inopérant. Alors si ma marche est progressive, si elle est même prudente, n’est-ce pas parce que j’ai à vous promouvoir contre la pente où l’analyse risque toujours de glisser, c’est-à-dire la voie de l’imposture[3] ? »

Que les censeurs d’alors ne s’inquiètent pas : le titre du séminaire commencé en novembre 1973, Les non-dupes errent, consonne bien avec celui interrompu en 1963, Les noms du père, mais l’écriture révèle qu’il ne s’agit pas du même sens : la promesse de ne pas revenir aux noms du père sera tenue[4]. Dans l’unique séance de ce séminaire arrêté il avait commencé avec les pères de la religion, en s’appuyant sur la traduction de la Bible par les Septantes, et posé :

  • que le dieu qui annonce sa prochaine paternité à Abram[5] se présente à lui comme un Élohim[6] parmi d’autres[7], sous le nom de El Shaddaï ;
  • que c’est un autre dieu, l’Unique, Celui dont le Nom est le tétragramme imprononçable car Il unit tous les Elohim[8], qui fait arrêter le bras d’Abraham en passe de sacrifier son fils Isaac ;
  • que c’est à Moïse que ce dieu révèle son nom divin, Ehyeh Asher Ehyeh (Je suis Celui Qui est) ;
  • et que Freud, dans son ultime écrit, n’a pu dire qu’une partie de ce qu’il aurait pu livrer[9].

C’est que le monothéisme ordonne une rupture dans la tradition, une coupure qui marque la fin des lignées animales dont se soutenaient les hommes jusque-là par la fonction du totem, le dieu tribal et local. En sacrifiant le Bélier – l’ancêtre totémique de sa lignée – au lieu de son fils, Abraham acte la chute de l’origine biologique des humains[10].

« Ici se marque le tranchant du couteau entre la jouissance de Dieu et ce qui, dans cette tradition, se présentifie comme son désir. Ce dont il s’agit de provoquer la chute, c’est l’origine biologique[11]. »

C’est cette nouvelle alliance avec le désir du Dieu Unique au lieu de la jouissance des dieux antérieurs que dit la loi de la circoncision[12],

« qui donne comme signe de l’alliance du peuple avec le désir de celui qui l’a élu ce petit morceau de chair tranché. Je vous ai amenés l’année dernière [Séminaire L’angoisse], avec quelques hiéroglyphes témoignant des us du peuple égyptien, à l’énigme de ce petit a[13]. »

Et Lacan d’expliquer que ses censeurs se sont fourvoyés dans une impasse pour avoir refoulé ce qu’il allait leur révéler. Le séminaire de 1973 ne sera pas un séminaire de rattrapage !

« Cela aurait pu leur servir. Et c’est à quoi je ne tenais pas précisément. »

Pourquoi, maintenant qu’il est libre de reprendre le séminaire interdit, Lacan tient-il à garder le silence ? Quel tabou s’oppose à la mise en question du rôle du père dans le mythe freudien de l’œdipe ? De quoi Lacan se méfiait-il ? D’un second passage à l’acte de « ses analystes » ? C’est l’hypothèse avancée par Patrick Barillot :

« Évidemment nous ne pouvons que nous placer dans le registre de l’hypothèse, celle qui suggère qu’il pouvait redouter un nouveau passage à l’acte de ses collègues analystes qui l’avaient suivi dans la création de l’EFP. Nous sommes guidés dans cette voie par le lien implicite que Lacan fait du passage à l’acte des analystes à l’origine de son exclusion et le fait qu’il y voyait là le signe que le sceau ne saurait être encore levé pour la psychanalyse.

Qu’est-ce qui justifiait Lacan à interpréter comme passage à l’acte et non comme acte simple le fait de son exclusion ? C’est que la jouissance obtenue en retour par ceux qu’il nomme les ânes à liste, à liste d’attente à l’entrée de la société internationale, était la séparation d’avec lui, Lacan apparaissant alors comme le solde de cette opération de rejet. Àla différence de l’acte qui conserve le lien social à un autre.

Passage à l’acte, signe que si vous vous aventurez à lever le sceau du secret sur la place de Dieu-le-Père, vous provoquez des réactions de la part de ceux qui sont concernés directement par la question de cet intouchable, non pas un débat d’idées mais une attaque sur la personne même de celui qui ose remettre en question le dogme du père de l’œdipe freudien[14]. »

Là aussi il est préférable de faire entendre sans avoir à dire, de passer de l’œdipe du Père Freud au nœud borroméen de Lacan sans déboulonner de statues.

Le Witz de Lacan

C’est bien l’effet d’un mot d’esprit (Witz) que de créer la surprise avec ce titre, surprise d’accéder à un autre sens, par exemple celui que propose Christiane Lacôte :

« Ce jeu de mots indique avec humour qu’être psychanalyste ne consiste pas à jouer au plus malin avec soi comme avec d’autres, mais qu’il s’agit sans doute d’être dupe comme il convient. Ce faisant, il interroge aussi les institutions psychanalytiques qui se réclament de Freud, celle qui fut à l’origine de l’interruption du séminaire de 1963, comme toutes les autres y compris la sienne, l’École freudienne de Paris. Errer, c’est parfois être dans l’erreur certes, mais c’est aussi être – sur la lancée de[15]. »

Ne pas comprendre trop vite

L’équivoque du mot d’esprit Les non-dupes errent peut être levée par le passage à l’écrit car elle est due à l’homophonie ; dans l’Étourdit Lacan indique les trois niveaux –phonématique, grammatical et logique – où l’analyste peut démultiplier des sens différents dans un même énoncé sans réduire l’énigme.

Car résoudre une énigme, n’est-ce pas en rester à une solution supposée unique en laissant dans les limbes de nombreuses autres interprétations possibles ?

  • N’est-ce pas ne saisir qu’une pincée du comble de sens offert dans l’énigme ?
  • N’est-ce pas finalement prendre quelque sens au hasard dans l’urgence de vouloir comprendre ?
  • Le malheur d’Œdipe ne vient-il pas d’avoir réduit l’énigme de la sphinge, de s’être imaginé avoir compris ?

Imaginer comprendre (imaginariser le symbolique) n’est pas s’imaginer comprendre : c’est condenser, produire et héberger un sens du dit dans la dimension (dit-mansion) imaginaire avec une vague jouissance. L’arrêt sur sens et la jouissance ont fonction de point de capiton car ils interrompent le déchiffrage du symbolique.

L’imaginaire est une dit-mansion ; c’est le sens qui arrête le déchiffrage

Si le parlant habite un espace à trois dimensions (Symbolique, Imaginaire et Réel), si tout événement du parlant (par exemple un dit) a une mansion (une maison, un manoir) dans chacune des dimensions, alors l’Imaginaire est celle qui peut arrêter (coincer) la série infinie des métonymies du déchiffrage permises par le libre jeu entre les deux autres : celles du Réel et du Symbolique.

« L’Imaginaire c’est toujours une intuition de ce qui est à symboliser… et pour tout dire, une vague jouissance. »

Lacan signifie par-là que le parlant a un corps (qu’il âme avec un corps), un corps qui marque l’arrêt sur un sens (par une vague joui-sens) et, éventuellement, en conserve une écriture, une impression qui pourra faire mémoire. N’ayant pas trouvé dans les géométries euclidienne et cartésienne ni dans les espaces vectoriels la flexibilité et l’équivoque nécessaires à son dire, Lacan a utilisé la souplesse des « ronds de ficelle », le nœud borroméen qui lui est venu comme une bague au doigt et qui ne le lâchera plus.

R, I et S sont strictement équivalents

Dans l’espace borroméen, rien n’advient que par un coincement entre les trois dit-mansions, qu’il s’agisse du coincement canonique par le nœud borroméen à trois ronds ou par un autre nœud, borroméen ou pas, à plus de trois ronds. En quittant la géométrie cartésienne où les points sont définis par les trois coordonnées x, y et z, Lacan veut nous intéresser à nouveau à la topologie, à l’existence d’un lieu particulier au sein du nœud borroméen, un lieu formé par le rapprochement jusqu’au coincement des trois dimensions SIR.

Ce point résulte de la résistance réelle[16] de chacune des trois consistances R, S et I à leur éparpillement :

– consistance du corps vivant pour l’Imaginaire ;

– consistance de la logique du signifiant pour le Symbolique ;

– consistance de l’immuable et de l’insaisissable pour le Réel.

Lacan logera l’objet a en ce lieu, ce qui rend possible deux lectures au moins :

– Le lieu du coincement forme l’abri pour l’objet (a) d’une maison construite avec les trois dit-mansions, ou

– L’objet a est la cheville ouvrière autour de laquelle peuvent jouer les trois ronds.

Les nouveautés que Lacan avance ici sont l’équivalence des trois dimensions R, I et S, (aucune d’entre elles ne noue plus que les autres) et leur interchangeabilité.

Elles sont équivalentes comme le sont les trois arrêtes (Largeur, Profondeur et Hauteur) d’une boîte d’allumettes posée sur une de ses faces : elles sont permutées par le roulement de la boîte sur une autre de ses faces[17].

Le Réel, l’invention de Lacan

La question du Réel dans l’inconscient, Freud l’aborde à la fin de la Traumdeutung[18]. Lacan relève que face à cette question il vacille et hésite à faire le pas[19].

En 1973, le passage au nœud est à la fois reconnaissance du réel dans la fonction nodale elle-même (le nouage, c’est du réel), et réhabilitation de l’Imaginaire par l’équivalence des trois dimensions.

« […] vous avez toujours cru, mais à tort ! –que le progrès, le pas en avant c’était d’avoir marqué l’importance écrasante du Symbolique au regard de ce malheureux Imaginaire par lequel j’ai commencé en tirant dessus à balles, sous prétexte du narcissisme[20]. »

La psychanalyse n’est pas et ne doit pas devenir une religion

Constatant que les six façons différentes de représenter à plat des nœuds borroméens à trois ronds ne déterminent que deux nœuds distincts, Lacan les a qualifiés lévogyres (RSI, IRS et SIR) et dextrogyres (ISR, RIS et SRI).

Il apparaît alors que la religion (c’est-à-dire ce qui Réalise le Symbolique de l’Imaginaire : RSI) et la psychanalyse (IRS : ce qui Imagine voire Imaginarise le Réel du Symbolique) sont supportées par le même nœud lévogyre[21].

Toutes deux – religion et psychanalyse – ont peut-être à voir avec la duperie, mais en ce qui concerne la psychanalyse, la duperie consiste à faire – le temps d’une analyse – comme s’il y avait un sujet au savoir inconscient, comme si la structure du savoir inconscient était accessible par le langage (duperie car nous savons qu’il n’y a pas de métalangage[22]). Notons que Lacan reprend là une idée déjà présente dans la séance de novembre 1963 :

« De cette praxis qui est l’analyse, j’ai essayé d’énoncer comment je la cherche, comment je l’attrape. Sa vérité est mouvante. N’êtes-vous pas en état de comprendre que c’est parce que la praxis de l’analyse doit s’avancer vers une conquête du vrai par une tromperie ? Car le transfert n’est point autre chose, le transfert dans ce qui n’a pas de Nom au lieu de l’Autre[23]. »

Par conséquent, si les analystes qui se croient non-dupes du langage errent, c’est qu’ils sont à la fois dans l’erreur et dans l’errance[24] et, précise Lacan, nier la duperie du langage, croire qu’il n’est qu’un outil de communication utilisé pour le temps et l’espace d’une vie dans le monde, c’est réduire une vie à un voyage et soi-même à un migrant, un étranger dans le monde. Or, être dans le monde comme à l’étranger, c’est entériner l’existence d’un Tiers qui n’est pas étranger dans ce monde, l’Autre du pèlerin : Dieu. Mais l’Autre lacanien n’est ni l’Un ni Dieu ; Aussi, l’erreur de l’analyste qui se croit ou se fait non-dupe du langage le mène à une duperie plus grande encore,

« à l’erreur complète, l’erreur radicale, quant à ce qu’il en est de ce que découvre l’inconscient[25]. »

Car assimiler sa vie à un voyage produit corrélativement l’idée d’une progression, d’un développement de l’être parlant. Or la fixité de l’inconscient rapportée par Freud[26] dès 1900 s’y oppose :

« C’est que, en quelque point qu’on soit de ce prétendu  »voyage », la structure de quelque façon que je la crayonne ici, peu importe, la structure c’est-à-dire le rapport à un certain savoir, la structure, elle, n’en démord pas. Et le désir – comme on traduit improprement – est strictement,– durant toute la vie, toujours le même[27]. »

Si nous suivons Lacan, un être parlant, en émergeant du bain de langage dans lequel il était déjà parlé, est parfaitement déterminé – quant à son désir – du début jusqu’à la mort[28]. Il n’y a pas, sur ce plan-là, de progressivité ni de développement selon une norme. N’est-ce pas ce que montre Socrate qui, en acceptant la mort, a suivi son désir de toujours, confirmé par l’Oracle, à savoir adresser la question impertinente qui dévoile l’incomplétude du langage au maître ?

Mais alors, outre l’accès (toujours partiel) au savoir inconscient d’un désir immuable, que peut-on espérer de sa psychanalyse ? Observons que dans les séminaires suivants[29], Lacan introduit un quatrième rond de ficelle pour corriger ou compenser un nœud à trois ronds qui ne serait pas borroméen. (Comme James Joyce, qui a compensé lui-même par son œuvre littéraire le défaut du nœud : le quatrième rond ainsi ajouté renforce le nouage en maintenant liés R, S et I, ce que n’avait pas opéré le Nom du Père dans son cas.)

Dans cette lecture, le mathème du nœud borroméen réunit en les distinguant :

– la structure fixe des liaisons entre R, S et I,

– et la contingence (les circonstances, la liberté du sujet…) portée par le rond supplémentaire, dynamique, et suppléant au défaut de structure.

L’effet du travail analytique (travail qui nécessite entre autres la liberté et la volonté de l’analysant) peut donc modifier le nouage des quatre ronds et permettre à l’analysant de « mieux faire avec » sa structure, voire de décider s’il veut (ou pas) ce qu’il désire.

Il faut coller à la structure

Pour clore la séance, Lacan met en garde contre la métaphore de la Voie que le pèlerin – le viator– est censé trouver en suivant une méthode. C’est que la Voie est celle de la vérité dont Lacan enseigne depuis quelques années qu’elle ne peut que se mi-dire. L’éthique qu’il propose, celle du refus d’être non-dupe est donc de se faire la dupe du savoir inconscient, de lui supposer un sujet pour les besoins du dispositif analytique freudien, sans oublier qu’il n’y en a pas, et que cela peut être considéré comme une escroquerie[30].

« Il faut être dupe, c’est-à-dire coller, coller à la structure. »

  1. Publiée en 2005, dans le fascicule « Des noms du père », Éditions du Seuil. ?
  2. Dans un premier sens du verbe errer, il s’agit de la continuation du mouvement psychanalytique sur sa lancée, sans que l’impulsion initiale donnée par la découverte de Freud soit relayée par d’autres innovations. Dans un deuxième sens, il s’agit d’une erreur, peut-être celle des amours de Freud pour la vérité qu’il pensait pouvoir atteindre. Nous savons maintenant que le langage, et l’inconscient qui en est l’effet, s’y opposent. ?
  3. J. Lacan, Le Séminaire, Les non-dupes errent, Leçon du 13 novembre 1973. ?
  4. « Je ne reprendrai jamais ce thème, y voyant le signe [dans son exclusion de l’IPA] que ce sceau ne saurait encore être levé pour la psychanalyse. » (J. Lacan, Conférence à Naples en décembre 1967, Autres Écrits, p.337). ?
  5. « Lorsqu’Abram eut atteint 99 ans, Yahvé lui apparut et lui dit :  »Je suis El Shaddaï, marche en ma présence et sois parfait. J’institue mon alliance entre moi et toi, et je t’accroîtrai extrêmement [..] Moi, voici mon alliance avec toi : tu deviendras père d’une multitude de nations. Et l’on ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham [père de multitude], car je te fais père d’une multitude de nations » » (Genèse 17 1-5, La Bible de Jérusalem, 1975). ?
  6. Un des noms les plus courants pour désigner le dieu d’Israël (alors conjugué au singulier), mais aussi des dieux païens (alors souvent conjugué au pluriel). ?
  7. « El Shaddaï n’est pas la toute-Puissance, elle tombe à la limite du territoire de son peuple. Quand un autre Élohim du côté de Moab donne à ses sujets le bon truc pour repousser les assaillants, ça marche, et El Shaddaï décampe avec les tribus qui l’ont amené à l’assaut. » (J. Lacan, Des Noms du Père, Seuil, 2005, p.97). ?
  8. « …ce n’est pas seulement celui dont le Nom est imprononçable qui était là, mais tous les Élohim. Le Bélier est traditionnellement reconnu comme l’ancêtre de la race de Sem, celui qui joint Abraham, à assez court terme d’ailleurs, aux origines. » (J. Lacan, Introduction aux Noms du Père, Seuil, p.100). ?
  9. « …C’est devant lui [le désir du Dieu de Moïse] qu’au dernier terme, la plume de Freud s’est arrêtée. Mais Freud est sûrement au-delà même de ce que nous transmet sa plume. » (J. Lacan, Introduction aux Noms du Père, Seuil, p.91). ?
  10. Lacan aurait pu s’interroger aussi sur l’identité entre le dieu qui demande à Abraham de sacrifier Isaac et celui qui fait empêcher ce même sacrifice. En effet, au chapitre 22 de la Genèse, il est désigné par « l’Élohim » aux versets 1,3 et 9 par le narrateur, par « Élohim » au verset 8 par Abraham puis, au dernier temps, c’est l’envoyé d’un dieu que le narrateur désigne par le Tétragramme qui annule la demande (verset 11). ?
  11. J. Lacan, Des Noms du Père, Seuil, 2005, p.101. ?
  12. « Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, c’est-à dire ta race après toi : que tous vos mâles soient circoncis. » Genèse 17 10, La Bible de Jérusalem, 1975. ?
  13. J. Lacan, Des Noms du Père, Seuil, 2005, p.101. ?
  14. Lacan au présent, Collectif, éditions Nouvelles du Champ Lacanien, 2021, p. 58. ?
  15. Sous la direction de Moustapha Safouan, Christiane Lacôte dans Lacaniana II, p.316. ?
  16. C’est le réel du nœud, le réel de la fonction de nouage. Lacan le distingue du Réel en tant que fonction, représenté par un des trois ronds du nœud borroméen. ?
  17. La boîte ne tient pas davantage sa consistance de la hauteur que des deux autres dimensions, elle la tient de la soudure entre les trois dimensions à un des sommets (coins) de la boîte. Plus tard Lacan précisera que le fait d’être noué EST le réel du nœud borroméen et que le rond du Réel ne fait que représenter la fonction du Réel dans le nœud. ?
  18. « Haben denn die unbewussten Regungen , die der Traum offenbart, nicht den Wert von realen Mächten im Seelenleben ? » (Les tendances inconscientes qui se révèlent de nos rêves n’ont-elles pas les caractéristiques de forces réelles dans notre vie psychique ? NT) ?
  19. « Ob den unbewussten Wünschen Realität zuzuerkennen ist, kann ich nicht sagen.[…] Hat man die unbewussten Wünsche, auf ihren letzten und wahrsten Ausdruck gebracht, vor sich, so muss man wohl sagen, dass die Psychische Realität eine besondere Existenz-form ist, welche mit der materiellen Realität nicht verwechselt werden soll. » (Une fois les désirs inconscients ramenés à leur expression dernière et la plus vraie, on peut dire que la réalité psychique est une forme d’existence particulière, qu’il ne faut pas confondre avec la réalité matérielle.) NT ?
  20. J. Lacan, Le séminaire, Les non-dupes errent, leçon du 13 novembre 1973. ?
  21. « La psychanalyse fait du réel son moyen pour relier l’inconscient au corps là où la religion se sert du symbolique pour, selon Lactance et Augustin, religare, relier les corps au Réel. » (Michel Bousseyroux, dans 2021 Lacan au présent, Collectif, éditions Nouvelles du Champ Lacanien, p. 49). Lacan suggère que nœud lévogyre est le « bon », au sens où il supporte le discours analytique, le dernier arrivé qui met en cause les précédents (dicours du maître, de l’universitaire et de l’hystérique) qui eux seraient supportés par le nœud dextrogyre. ?
  22. Une autre façon d’énoncer le théorème d’incomplétude de Kurt Gödel ? ?
  23. J. Lacan, Des Noms du Père, Seuil, 2005, p.103. ?
  24. Voir errant, erre, errer et erreur dans le Dictionnaire étymologique de Bloch et Von Wartburg. ?
  25. J. Lacan, Le séminaire, Les non-dupes errent, leçon du 13 novembre 1973. ?
  26. Sigmund Freud, Gesammelte Werke, Bd II/III, Die Traumdeutung, p.626. « Und der Wert des Traumes für die Kenntnis der Zukunft ? Daran ist natürlich nicht zu denken. Man möchte dafür einsetzen ; für die Kenntnis der Vergangenheit. Denn aus der Vergangenheit stammt der Traum in jedem Sinne.[…] Indem uns der Traum als einen Wunsch als erfüllt vorstellt, führt er uns allerdings in die Zukunft ; aber diese vom Träumer für gegenwärtig genommene Zukunft ist durch den unzerstörbaren Wunsch zum Ebenbild jener Vergangenheit gestaltet. Et le rêve vaut-il pour la connaissance de l’avenir ? Il ne peut en être question. On devrait ajouter : il vaut pour la connaissance du passé. Car le rêve surgit du passé, à tous les sens du terme. […] En nous figurant un vœu à l’état réalisé, le rêve nous conduit vers le futur ; mais ce futur, pris pour du présent par le rêveur, est façonné par le désir indestructible du retour à son passé. (NT) » ?
  27. J. Lacan, Le séminaire, Les non-dupes errent, leçon du 13 novembre 1973. ?
  28. Freud déjà parlait du désir indestructible. ?
  29. Séminaire 22 : RSI et séminaire 23 : Joyce Le sinthome. ?
  30. « Notre pratique est une escroquerie […] Que la psychanalyse ne soit pas une science, cela va de soi, c’est même exactement le contraire. Mes nœuds me servent comme ce que j’ai trouvé de plus près de la catégorie de structure. » (J. Lacan, Propos sur l’hystérie, Bruxelles, 26 février 1977). ?

Une psychanalyse émancipée

Marie-France Schaefer poursuit les réflexions de son article paru dans La lettre de la FEDEPSY n°10, autour de la thématique du « genre ». Elle mêle références « théoriques » et échos directs de la pratique, une forme d’association libre côté fauteuil, qui lui permet d’aborder de près les arêtes de la clinique.

Le titre du livre de Laurie Laufer Une psychanalyse émancipée me plaisait beaucoup dans ma recherche clinique qui consisterait à écouter sans être embarrassée de mes connaissances, de mes opinions, de ma culture, mon éducation et de ma formation. Le signifiant « émancipé » sonne très bien.

Et toujours cette question :

Comment écouter des histoires invraisemblables, des raisonnements étranges ?

Le meilleur chemin est de se documenter sur les thèmes actuels pour déjouer les influences actuelles.
S’émanciper à la fois de la théorie provenant de ma formation et du bombardement médiatique.
Le sujet devant moi, qui me parle est un sujet en souffrance. Sa souffrance s’exprime dans le corps. Ce sont les signifiants et non les récits que je dois écouter pour travailler. Au-delà du signifié, je dois entendre le signifiant, l’équivoque de la langue, il n’y a pas d’injonction à guérir. Tout s’inscrit dans l’histoire singulière. Permettre au sujet d’advenir quel que soit ma position intellectuelle, c’est une recherche.
Déjouer chez moi la tendance à relier ce que j’entends à ce qui court dans la culture passe par la confrontation à ce qui se dit et qui embarrasse.
D’où vient ce que je pense ? Et qu’est-ce que je fais des influences et des nouveaux discours ?

Le genre

Le thème qui revient est celui de la différence : dans la théorie du genre, il s’agit de « repenser les catégories qui apparaissent immuables. Il permet de remettre du conflit, de l’instable, de l’hésitation, de l’intranquillité dans les façons d’appréhender les différences quelles qu’elles soient » (L. Laufer p.24)
Cette remise en question de la différence serait une ouverture, serait plus créative.
Laurie Laufer (p. 30) cite Freud qui constate la mobilité de la libido qui est capable de passer d’un objet à l’autre, le corps tout entier étant érogène et Lacan prolongeant cette idée : « Dans le psychisme, il n’y a rien par quoi le sujet puisse se situer comme être de mâle ni être de femelle ».
Plus loin, elle cite Foucault, qui reprend Freud restituant dans la pensée médicale la possibilité d’un dialogue avec la déraison. Les hystériques n’étaient pas des malades mais inventaient la possibilité de faire des symptômes corporels un langage.
Il s’agit d’écouter la déraison.
Pour moi, il y a une confusion dans les discours. Cette mère me soutenait que le problème de sa fille venait d’un fonctionnement spécial du cerveau. Pour elle, c’était scientifiquement prouvé. Les médicaments et la chirurgie résoudraient les problèmes. On revient à une médicalisation et une impasse sur la problématique personnelle qui est avant tout le regard de l’autre (et de l’Autre) sur son corps. « Nous savons tous qu’un enfant ne peut d’abord qu’acquiescer à ce que ses premiers autres veulent de lui et pour lui » (Jean-Pierre Lebrun p.70). On laisse maintenant croire que le choix du sexe serait inné chez l’enfant.
De quoi parle-t-elle ? Du cerveau, partie nommable du corps qui pourrait annuler la partie visible et incontestable chez la plupart des êtres humains. La déraison est légitimée.
Quelle raison faut-il garder ? Et finalement, pour le psy, il ne s’agit pas d’écouter la déraison. Il faut s’éloigner du discours fascinant par cette folie du raisonnement.
« Le Graal serait de ne plus avoir de doute sur le fait d’être identifié comme une femme » (article du Monde. Chirurgie esthétique). Le Graal étant ce qui ne peut être atteint par définition. Et le fantasme est d’être libéré du doute.

La théorie Queer

Les éléments essentiels de la théorie Queer sont le brouillage des frontières et l’extrême importance accordée au langage. (Judith Butler)
Elle considère que le genre est construit socialement. Ce serait un ensemble de choses que la personne fait et non quelque chose à voir avec ce qu’elle est. La pression sociale pousse à la normativité. L’objectif est de se libérer des catégories et des attentes.
Dans cette théorie, l’utilisation du langage prend une grande importance. Il faudrait transformer les manières de parler pour respecter une fluidité. On assiste à une prolifération de termes visant à définir les moindres différences d’identité de genre et de sexualité. Une sorte de chasse aux expressions qui seraient non respectueuses se met en place.
C’est bien ce que j’ai vécu face aux personnes se nommant non binaires ou trans. La pression était forte sur moi, réfléchissant à ne pas bloquer l’échange. Le meilleur chemin étant, bien entendu, de se taire.
Comment entendre le signifiant dans cette torture du langage ?
Une autre question se pose au niveau éducatif : comment l’enfant pourrait-il s’opposer aux normes pour se construire en tant que sujet s’il n’y a pas eu une éducation des normes ?

Woke

« Le triomphe des impostures intellectuelles »
Le pouvoir est injuste, il est partout, il se manifeste par des biais invisibles par le fait d’avoir été perçus comme « normaux ». Toutes les prises de paroles doivent être examinées de près afin de découvrir quels discours ils reprennent avec l’idée que le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie ou d’autres préjugés latents sont présents dans ces discours et qu’ils sont endémiques à la société qui les produit.
Le terme « Woke » renvoie au fait d’avoir pris conscience de ces problématiques et d’être plus à même de les percevoir. L’intérêt porté à la langue est très important.
Le grand public, on le constate en particulier dans les théories complotistes, n’a plus confiance dans la parole du monde scientifique et universitaire, ils ne sont plus les garants de ce qu’il faut penser et croire.

Le mot à dire de la psychanalyse

Caroline Eliacheff devait tenir une conférence à Lille et en a été empêchée par des activistes LGBT, sa conférence prévue à Paris le 20 novembre a été annulée.
On assiste à une interdiction à débattre, ce qui est contradictoire avec une demande d’ouverture et de créativité, une recherche d’idées nouvelles.
À la fin de leur essai, Le triomphe des impostures intellectuelles, les auteurs posent des « oppositions de principe ». L’une d’elle est : « Nous nions la valeur de toute approche théorique qui refuserait de se soumettre à la critique ou à la réfutation et nous soutenons que cela relève du sophisme et non de la véritable recherche universitaire » (p.403).
Jean-Pierre Lebrun (La dysphorie de genre) se réfère au film Petite fille et se place sur le plan à la fois de la clinique et du discours des psychanalystes. Il pose la question fondamentale de la réponse à la demande. Ce qu’on entend quand on met en question la légitimité de répondre à la demande d’un enfant est : « Qui êtes-vous pour refuser à un enfant une satisfaction aussi fondamentale ? Pour punir cet enfant et l’empêcher de vivre la vie qu’il estime devoir être la sienne ? » (p.86)
Est-ce vraiment le souhait de l’enfant ? Les enfants se séparent progressivement, psychiquement de ce que veulent les parents pour lui.
Pour le psychanalyste Charles Melman : « Vous n’avez plus socialement aucune instance qui vous autorise à soulever la moindre objection (…) La parole n’est plus soutenue que par votre caractère réactionnaire et le fait que vous êtes un vieux jeton attaché à des valeurs réactionnaires (…) Vous refusez le progrès. ». (p.87)
Ce que les psychanalystes doivent rappeler, c’est qu’il faut résister à la sacralisation de la demande et reconsidérer le désir. Ce désir qui ne sera pas satisfait et qui fait souffrir. Oui, l’enfant souffre devant la frustration, devant la réalité et cela l’aide à se construire en tant que sujet. L’autodétermination est un leurre.

En thérapie

Écouter et travailler l’écoute. Tout ce que j’entends s’inscrit dans une histoire singulière particulière. Écouter l’humain, les mythes anciens et actuels et faire en sorte que le discours soit celui du sujet.

Bibliographie

Laurie Laufer, Vers une psychanalyse émancipée. Renouer avec la subversion, éd. La Découverte, 2022.

Helen Pluckrose ; James Lindsay, Le triomphe des impostures intellectuelles. Comment les théories sur l’identité, le genre, la race gangrènent l’université et nuisent à la société, éd. H&O, 2021.

Charles Melman ; Jean-Pierre Lebrun, La dysphorie de genre. À quoi se tenir pour ne pas glisser, érès, 2022.

Films

Petite fille, Sébastien Lifshitz.

Girl, Lukas Dhont.

De très nombreux titres depuis 2000 sur le thème des transgenres

Série ARTE

C’est pas ton genre

Articles

Marianne 17/11/2022

Caroline Eliacheff censurée par les activistes LGBT à Lille

The Gardian interview16/09/2017, When Elan Anthony transitioned 20 years ago, it was hard but equally difficult and isolating to day has been the process of detransitioning »

Le Monde 15/09/2021, Chirurgie : Ces femmes qui chassent le fantôme de la masculinité de leur visage.

Philosophie Magazine Décembre 2022-Janvier 2023, La question Woke : Peut-on parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ?

Mort de la psychiatrie

Le Quotidien du Médecin en date du 1er juillet[1] affiche un dossier à sa une, intitulé : « Entre neurologie et psychiatrie ces TNF qui dérangent ».
Il semble qu’il y ait encore des psychiatres qui ignorent ce qu’est un TNF : honte à eux. Ce qui est plus grave encore c’est que, selon le journal : 75% d’entre eux n’ont jamais été formés aux TNF ces Troubles Neurologiques Fonctionnels, et parmi eux, aux « crises non épileptiques fonctionnelles », le TNF le plus fréquent.
Nous apprenons ainsi que les TNF concernent 5 à 10% des consultations en neurologie, qu’ils touchent surtout des femmes dans trois quarts des cas, et qu’ils ont été repérés depuis longtemps « sous le terme d’hystérie puis de troubles de conversion ». Nous y apprenons aussi que ce sont « des symptômes neurologiques (mouvements anormaux, déficit moteur, troubles sensitifs) qui surviennent en l’absence de lésion du système nerveux ou de cause neurologique identifiée ».
L’auteur de l’article nous informe que la plupart des patients concernés connaissent des années d’errance de diagnostic avant d’être adressés là où ils auraient dû aller de prime abord : chez le neurologue. Il semble également que le pronostic de ces TNF soit mauvais (20% seulement des patients guériraient) et qu’enfin la mortalité serait aussi mauvaise que celles des autres affections neurologiques.
Le diagnostic des TNF apparaît cependant délicat « en l’absence de « consensus international et national », mais il existe heureusement « des signes très évocateurs et spécifiques » reposant « sur la normalisation, voire la disparition des symptômes lorsqu’on détourne l’attention… » le trouble serait alors la conséquence « d’un excès d’attention sur le membre symptomatique » …
Devant de tels troubles, nous sommes invités, selon un autre article du dossier consacré au Dr Hingray spécialisée à Nancy dans cette pathologie, à faire la « cartographie des facteurs 3P ». Les 3P, pour les ignorants que nous sommes, étant les facteurs « prédisposant, précipitants et perpétuant les symptômes ».
En parcourant les articles de ce dossier nous apprenons, oh surprise ! qu’on retrouve dans les antécédents des patientes concernées, des traumatismes psychiques et parfois même des viols. Voilà qui est en effet nouveau et troublant : tout ça pour ça, aurions-nous envie de dire.
Pour autant le doute est ménagé. Le Dr Hingray s’interroge : « quels facteurs, situations, émotions, précipitent les troubles ? Qu’est-ce qui les maintient ?… On se le demande en effet. Heureusement nous sommes vite rassurés : le Dr Hingray a soin de préciser que devant toute cette symptomatologie « l’association classique freudienne conversion, histrionisme et belle indifférence (…) apparaît complètement erronée, le concept d’hystérie vole en éclat ». Ouf ! on a évité de parler de la psychanalyse ! On l’a échappé belle !
On terminera cette revue de dossier en remarquant que selon les auteurs des articles, les traitements pharmacologiques se révèlent décevant, qu’une thérapie cognitive s’impose de prime abord, ainsi qu’une bonne information sur le diagnostic accompagnée de thérapies adjuvantes (un des articles est consacré à l’initiation au tir à l’arc comme moyen de détourner l’attention des malades de leurs symptômes).

On reste confondu devant tant de naïveté (comment faire du neuf avec de l’ancien) ou tant d’ignorance (concernant l’histoire de la médecine et de la psychiatrie). Il me semblait pourtant, en raison d’une longue tradition clinique, qu’à Nancy comme à la Salpêtrière, on devrait être parfaitement au fait de l’histoire de l’hystérie.
Car malgré toutes les réfutations du dossier, c’est bien d’elle dont il s’agit, elle y est ici parfaitement et minutieusement décrite, surtout si on s’est donné la peine d’en lire l’histoire (y compris pré-freudienne). La seule nouveauté de l’article consiste à l’affubler d’un jargon qui se veut celui de la science, la vraie, la dure, la pure. Là aussi rien de bien neuf : voir Babinski et son pithiatisme. Car l’hystérie, comme à peu près tout le vocabulaire technique de la psychiatrie, est devenue un gros mot, depuis bien longtemps détourné de son sens initial, et qu’il faut se retenir de prononcer, sauf devant un tout petit cénacle de praticiens presque honteux de considérer que cette entité a encore de beaux jours devant elle à condition que le grand public n’en sache rien, car elle a été, et reste, une maladie infamante bien pire que la syphilis d’antan.

Pour autant ce tour de passe-passe pour attrape-nigaud a des effets et des conséquences :
– Un clou supplémentaire dans le cercueil déjà bien plombé de la psychiatrie d’abord. Outre son manque d’intérêt récurent de la part des pouvoirs publics au sein d’une médecine elle-même en piteux état, la psychiatrie, grâce à l’invention des TNF se voit déporter un peu plus vers la neurologie (au même titre que la fibromyalgie la déportait vers la rhumatologie) dans le but plus ou moins assumé de la faire disparaître : elle a toujours été trop peu scientifique, emplie de facteurs humains peu contrôlables et évaluables au sein de la médecine 2.0. Les symptômes dont elle s’était auparavant emparée trouvent désormais des terres d’accueil où ils seront assurés d’une existence plus convenable et surtout plus sérieuse. Certes Charcot faisait déjà de l’hystérie une lésion neurologique fonctionnelle (soit un TNF avant la lettre), mais le concept de lésion fonctionnelle reste et restera toujours insatisfaisant pour le médecin, le vrai, le somaticien. Heureusement l’imagerie, elle aussi dite « fonctionnelle », ramènera in fine tout trouble de ce type vers la neurologie, de la schizophrénie à la bipolarité en passant par les différents délires. L’important étant que ces symptômes trouvent enfin leur respectabilité, et que toute folie disparaisse définitivement derrière une raison raisonnable.
– Le désintérêt et la désaffection pour l’histoire de la médecine et de la psychiatrie, peu, plus, ou mal enseignée à la faculté de médecine. Que des symptômes soient en lien parfois étroit avec l’histoire du sujet, voilà qui devient quasi obscène dans le monde de l’immédiateté, du « tout, tout de suite » et de l’hyper technicité. Qu’un individu comme Freud ait pu trouver intéressant et thérapeutique de détourner l’attention moins du malade que de ses médecins sur la vision du symptôme, pour faire entrer celui-ci dans une histoire, voilà qui est avant tout une affaire ancienne pour ne pas dire démodée. Comme me l’a dit une fois une de mes patientes « la psychanalyse c’est pour les vieux » ! Il est vrai que quand la consultation de base du médecin généraliste est à 25 euros, on n’a pas le temps de laisser les patients raconter leur vie.
– Mais derrière cet abandon de l’histoire des récits du malade sur sa maladie, se glisse subrepticement l’abandon de la relation du médecin au malade, elle aussi piteusement enseignée à la faculté. Comme beaucoup, je suis frappé par cette épidémie de burn out, comme l’on dit maintenant, parmi nos collègues médecins. Bien sûr, la difficulté de travailler dans des zones de désert médical et la pression que l’administration hospitalière fait subir de façon quotidienne à certains confrères ne doivent pas être oubliées, mais en écoutant justement les récits de certains, il apparaît que de nombreux collègues sont très mal à l’aise dans la relation avec leurs patients. Des sites internet sont même quasi spécialisés dans les plaintes et les témoignages de la lassitude éprouvée par des médecins dans leur exercice quotidien, face à la demande de leurs patients et leurs exigences. Comme si jamais on leur avait donné la possibilité de travailler et d’éprouver leur attitude face à ce type de patients et, plus largement, face à la difficulté d’un métier psychiquement éprouvant. Inutile de dire que la notion de transfert et de contre-transfert, qui restent des outils et des repères extrêmement précieux dans le travail au quotidien avec les malades, a quasi disparu, pour finir au grenier des accessoires d’un autre âge. Et pourtant : les groupes Balint et dérivés, en ont aidé plus d’un à faire face à des situations difficiles où l’aide des pairs, le recul et l’analyse, permettaient de dénouer des situations semblant au départ inextricables.

J’ai lu dans le même numéro du Quotidien un petit article selon lequel les patients interrogés sont globalement convaincus par le rôle des IPA (infirmiers et infirmière en pratique avancée), ces soignants à qui les médecins délèguent un certain nombre de tâches. Et pourquoi sont-ils convaincus, ces patients ? parce qu’on les écoute ! Tiens donc, comme c’est bizarre !

  1. Le Quotidien du Médecin n°9949. Vendredi 1er juillet 2022. ?

Les temps et leurs complexes

Melancolia

« Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard »
Je crois y reconnaître Georges Brassens chantant Louis Aragon.
Des héritages générationnels sont peut-être des petits restes, des « Kleinigkeiten[1] » qui ont traversé notre périple particulier. Étonnant pourtant que la cure psychanalytique lève certains oublis et à la fois en produise.
Quel beau sujet que l’oubli ! À la fois le souvenir de certains grands amours, l’expulsion psychique de scènes si attrayantes, et cette lourdeur considérable de traumas qui nous hantent la vie durant, et que souvent vous ne savez plus dater.
Dans une note plus romantique, on pourrait rajouter : « Que reste-t-il de nos amours ? » Et voici un terrain, peu scientifique, où l’on se disperse poétiquement. Alors quelle topologie pour l’amour ?
On s’y repère un peu mieux par la poésie (« poesis ») parce que l’usage de la métaphore poétique redistribue les temps et introduit une musicalité qui englobe un peu la douleur d’écrire. La vraie question serait de s’arrêter un moment, de crier un désespoir, en le rendant éternel.
La théorie traumatique de Freud (avec Breuer et Fliess) permet de cristalliser un concours d’événements, à donner un contour, au moins biphasique, des échos.
Pointer un trauma, c’est comme lancer un cochonnet dans une partie de pétanque, mais une fois la partie de boules terminée.

Encore faut-il un étrange mécanisme : celui de se pencher sur une « surjection originelle » ? (voir la théorie des ensembles). Mais cela ne dit pas pourquoi chaque être parlant présente sa propre cartographie d’événements singuliers, où souvent le sujet de l’inconscient se retrouve impliqué, mais on ne sait pas comment.

Quels artistes !

J’ai de tous temps été fasciné par la découverte de Freud, du « Roman familial[2] », quel miracle d’observation ! Ainsi pour survivre psychiquement, l’enfant va inventer un « complexe familial[3] » qui n’est pas le sien. Diantre ! L’infans ne serait donc pas autant aliéné à son environnement. Quoi ? Sa mère est pensée comme la reine d’Angleterre, et le père pourrait être un ecclésiastique connu (Benoît XVI). Ainsi, le monde de l’enfance décrit par Freud ne serait pas le monde engoncé de Portnoy.

« Comment en suis-je arrivé à devenir un tel ennemi, un tel viseur de moi-même ? Et si seul ! Oh ! Si seul ! Rien que moi-même ! Prisonnier de moi-même ![4] »

Mais ici ce « moi-même » est compliqué, il est fait d’une « identification désidentificatoire » sur le modèle des rencontres faites autour de lui. La difficulté de devenir du parlêtre est de pouvoir soutenir une opération constituante et non un portrait tout constitué.
Étrange ces mutations de transformation du corps. Rien que le titre de Joyce, Portrait de l’artiste en jeune homme. Chacun de ces mots questionne des temporalités différentes :
portrait : voici un aspect figé ;
artiste : voilà un jugement ;
en jeune homme : et un temps de la vie.
Avec les mots, il est un moment où l’on peut se lancer, et les surprises peuvent être décourageantes. Quant à Portnoy et son complexe : pourquoi 33 ans d’âge, avez-vous quelques souvenirs… du Nouveau Testament.

« Trente-trois ans et toujours mater et à se monter le bourrichon sur chaque fille qui croise les jambes en face de lui dans le métro[5]. »
J’aime la « lippe » de Philip Roth parce que, à l’endroit du drame humain, il corse d’humour, de description grotesque et du sexe dans tous ses états.
Philip Roth touche à la racine des mots, il va jusqu’à l’injure, l’argot, l’introduction du yiddish pour colorer son propos de surprises, et de « deus ex machina ». Flirtons avec les répétitions du discours familial et retournons les cartes de la sociologie de la ville « Network ».
La question métaphorique jaillit à sa manière. À force de répéter un contexte, un texte souvent « con », ne dessinons pas de nouvelles lignes rhétoriques de force. Une sorte de portrait-robot qui peut parler à la mode.

À chaque génération sa mythologie

Et à chaque guerre, le sacrifice de ses générations. À chaque guerre, ses traumatismes, ses horreurs, et ses génocides. Là où c’est toujours la première fois.
Oser disposer de la vie de chacun alors que rien ne garantit un au-delà de la mortalité.
Freud a beaucoup travaillé les raisons des bonnes causes. L’être humain est en instable équilibre entre Éros et Thanatos et leur nouage reste énigmatique. Sans compter avec le fait que la moindre étincelle peut déstabiliser les systèmes.
Il est pourtant étonnant de constater qu’en France en tout cas, on parle peu de la guerre, même s’il existe une ambiance bien particulière… À force de ne pas participer directement aux combats, cela crée une ambiance bien particulière. Au moins, une retenue angoissée avec somme toute une culture rétroactive de la guerre peut s’appuyer sur une culture historique.
Et une constante : à un moment donné, on perd l’importance de la vie humaine, sous couvert d’idéologie, de religion, de territoires, on massacre la vie elle-même. Alors quelques survivants peuvent parler de la petite Tuke, qui leur a permis de survivre.
Rappelez-vous, les questions qu’Einstein posait (entre autres à Freud) sur Pourquoi la guerre[6] ? Et la réponse de Freud, en débotté, à côté : ce sont les pulsions de mort qui sont premières ! – punkt !
Alors la question du psychanalyste pourrait être : jusqu’à quel point la guerre est-elle l’explication monstrueuse des pulsions de mort en « forclosant » l’Éros ? Et la porte est ouverte à tous les courants sadomasochistes et aux idéologies exclusives et barbares.

Les temps morts

Je reprends à présent la question des temporalités qui me semble cruciale dans les clivages entre les temps de la cure et de l’inconscient et les temps d’un vécu subjectif. (du genre « le temps d’apprendre à vivre, c’est déjà trop tard », Brassens/Aragon).
Est-ce que « avec le temps va, tout s’en va » ?… Léo Ferré.
Je pense que le temps est fondamentalement lié à la question du refoulement des « Vorstellungsrepräsentanz », autrement dit en termes lacaniens : du signifiant.
Pour être rapide, dans le discours analysant, cette temporalité est liée à la dynamique métaphorico-métonymique. Autrement dit, en passant d’un signifiant à l’autre, l’éclipse est au rendez-vous, avec « l’éclipse » de la question du sujet. « La naissance du JE se fait dans l’Autre », dans une rythmologie propre à chaque structure.
– L’hystérie fonctionne dans les échappées du désir… ;
– La névrose obsessionnelle temporalise, par ses obsessions, un « désir impossible » ;
– Le phobique s’angoisse brutalement et répétitivement face à l’un ou l’autre objet « connu ».
Mais cette version temporelle par la structure n’est pas exclusive, une autre approche proposée est celle de Lacan dans « le temps logique[7] » : ce n’est certainement pas un hasard si je confonds ledit texte avec l’article « L’intervention sur le transfert[8] ». Parce que le triptyque proposé renvoie aux différents retournements dialectiques opérés par Freud, par rapport au cas Dora.

Le temps du regard : c’est si l’on peut dire le temps hypnotique, celui qui de nos jours a pris des formes bien visuelles. Il n’est pas sûr que l’on retrouve dans les entretiens préliminaires d’aujourd’hui, ou dans le rapport aux SMS, et à Internet et aux jeux vidéo, le schéma de la psychologie collective de Freud[9]. Et en particulier, il n’est pas sûr que la place de l’Idéal du Moi ou du Moi-Idéal soit aussi bien définie. Par exemple, pour le « regard », l’objet a-regard est suffisant et donc l’on se situe plus du côté de l’imaginaire non spéculaire que du côté de la spécularité de l’image… (Philippe Julien[10])

Quant au temps pour comprendre : il représente tous les atermoiements de la cure elle-même. Ce temps d’infusion qui souvent n’est pas « respecté ». Il est le temps analysant, là où le participe présent du verbe est nécessaire. C’est ce temps qui permet la Durcharbeitung, la perlaboration, les formes possibles du discours analysant, les formes hystérisantes comme dirait Lucien Israël.

Quant au moment de conclure : c’est celui du point d’une phrase, de l’arrêt à la ligne.

Là où fonctionne le silence et la castration symbolique. De la mise en suspens.

Alors, avec le temps de la cure, tout s’en va ?
Dans le « pas-tout », ce sont des retours et des restes qui ne demandent qu’à réémerger.

  1. S. Freud (1910), Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Paris, coll. « Points essais », 2017. ?
  2. . S. Freud (1933), « Le roman familial des névrosés », dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1997. ?
  3. . J. Lacan (1938), « Les complexes familiaux », dans Autres Écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 23-84. ?
  4. . Ph. Roth, Portnoy et son complexe, p. 338. ?
  5. . Ph. Roth, Portnoy et son complexe, 4e de couverture. ?
  6. . S. Freud, « Pourquoi la guerre ? », dans Résultats, Idées, Problèmes I, Paris, Puf, 1984. ?
  7. . J. Lacan (1945), « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée », dans Écrits I, Paris, Le Seuil, coll. « Points essais », 1999. ?
  8. . J. Lacan (1951), « Intervention sur le transfert », dans Écrits, ibid. ?
  9. . S. Freud (1921), « Psychologie des foules et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993. ?
  10. . Ph. Julien, Pour lire Jacques Lacan. Le retour à Freud, Points essais, 1995. ?

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