De nouveaux mythes pour la psychanalyse actuelle – Place de NAGUÈRE et de la Guerre

Il est étonnant d’avoir envie de résumer les apports du champ analytique, alors que la culture s’évanouit dans des savoirs éclatés. Comment se fait-il que le monde accepte « l’immonde » ?

Mythologies

Ce qui peut nous secourir, c’est bien de penser l’écart entre les générations par l’existence d’une « mythologie » spécifique suivant lesdites générations. C’est l’avenir de nos enseignements, et de notre congrès. Ce fameux écart entre le générationnel, entre les mots, et les modes de théorisations. Par moments, on pourrait s’adonner à quelque hilarité : en lisant des théories, même d’il y a dix années : incompréhension souvent !
Connaissez-vous la force du « discours ambiant » et d’une époque ? On parle facilement comme des « veaux » (voir Charles de Gaulle) en se conformant au langage à la mode (de chez nous).
Certainement, il y a une affaire de langue, voire de « lalangue » (Lacan), à savoir quelles jouissances à se conformer au discours des autres ?
Alors comment passe-t-on du discours… des autres, au discours de l’Autre ?
Quel est cet Autre que Lacan a importé de la philosophie ? Un but de cette « invention pompée », c’est d’en faire un lieu constituant.

Tranchant

L’avantage de l’âge, c’est de pouvoir un peu repérer qu’à chaque époque, il y a un génie ou autre, qui vient à trancher avec sa propre génération. Le génie, c’est celui ou celle qui bouleverse l’ordre des époques. Regarder les postures de Philip Roth, par rapport à son époque : ça coule… de soi. Portnoy est le reflet de son époque et, en même temps, il fait rire du contexte historique.
Autre exemple : quelle solitude, pour le père Freud, quand il s’est opposé au corps médical !…
J’ai connu (un peu) Jacques Lacan, dans ses dernières années de vie, où chaque mot dans son séminaire était un vrai accouchement. Quelle misère l’être humain : dans le passage de la misère géniale à la misère ordinaire du mortel (voir Anna O et le malheur ordinaire).
Contrairement à la banalité des propos négatifs et suicidaires, je pense que la psychanalyse nous permet « plusieurs vies ». On pourrait s’en justifier et il est bien dommage que le monde des pulsions soit aussi bien psychique qu’organique (somatique).
Alors plusieurs vies ? Comme dans les jeux électroniques ?

Discours analytique

C’est là notre grande ambivalence par rapport à l’invention du désir inconscient dans le discours analytique.
L’analysant n’y plonge pas facilement, et en sort bizarrement ; passons sur les méandres des acting in et des acting out.
On peut résumer la spécificité du champ analytique : « maintenir l’écart entre le  »Je » et le Moi », entre l’inconscient et l’inconscience. Créer un culte de l’écart. Qu’est-ce à dire ?
Comment penser aujourd’hui le « savoir inconscient » (S2) qui n’a rien à voir avec les savoirs ou avec les connaissances.
Pour les savoirs de tous les jours, adressez-vous à Google ou à quelque autre réceptacle. N’est-on pas conditionné par le fait d’appuyer sur un bouton pour « jouer le sachant », mais pour combien de temps ?
Le monde actuel dénie le temps et la temporalité. Preuve en est que, à l’endroit des fins de vie, on va mettre un dispositif religieux.

Déni du temps

Je n’avancerais que… inquiet dans ce dispositif, en essayant de différencier : Religio et le Religieux. Quelle banalité de se référer à la faux de la Mort ! Souvent repoussée, mais bien présente. Je n’ose pas évoquer les lectures dont je me nourris, où l’on attend les descendants du Roi David… il y a des débats où l’on ne se risquerait pas dans le contexte actuel. Et pourtant les jeunes générations vont devoir s’affronter à ces questions ancestrales : par exemple la Guerre.
La psychanalyse différencie la Réalité personnelle du Réel de Lacan. Et cela n’est pas une petite affaire.
Jusqu’à quel point la cure analytique permet-elle d’envisager autrement la fin de sa vie ?
Où en es-tu, dans ta capacité de respecter l’autre et l’Autre ? De plus l’environnement réactualise pleinement le « pourquoi la guerre ? ».
Alors quelle est la place aujourd’hui du « NAGUÈRE » ?
Le problème c’est que du silence face aux Morts. On a renoué avec le génocide de toute une génération (voir aussi 1914-1918 et 1939-1945, et les autres guerres) et là, il faut cultiver l’intolérable, même si l’on passe par le Un à Un. Cultivons l’individualisation, même si le collectif est devenu FOU.
L’heure est à créer de nouveaux Mythes ou d’écouter les nouvelles générations pour tenter de structurer l’Impossible.

Maître-élève

Rajout pour la nouvelle année :
Par exemple, il est un mythe qui en a pris un coup : c’est celui de la relation dialectique entre le « sujet » et le Maître.
Dans les institutions, quelle chute du sens de la hiérarchie des savoirs. On confond la prise de responsabilité avec l’envahissement du dictatorial.
Comme le disait Jean Clavreul : il faut retrouver du « courage ». Qu’est-ce à dire ?
« Wo es war… soll ich werden »

Un premier feuillet en pente douce

Le terme « cabinet » vient du mot cabine (1491), et désigne en premier lieu, une chambre retirée dépendant d’une plus grande.

Quelque chose comme une petite pièce à part, abri, refuge, lieu d’étude.

D’abord cela. Après quoi l’Histoire ira bon train, avec les cabinets de travail et d’études, le cabinet de lecture, le cabinet noir espion pour le gouvernement, mais au départ une pièce sans fenêtre et sans lumière, où l’on enfermait les enfants pour les punir, les cabinets d’aisances ou de toilettes, le cabinet médical, le cabinet de curiosités prélevant des objets incongrus et inclassables, produit par l’improbable fabrique de la nature et de la culture.

Cabinet particulier, réservé, intime, il y a là cette idée de retrait, préservé, de s’extraire du rythme, du regard public, des « lieux communs », aussi.

Nous ajouterons, cabinet de rire et de réjouissances, transdisciplinaire et transgénérationnel : force est de constater en effet, que le cabinet de lecture de la Fedepsy s’est tout de suite vu « transe », générationnel, disciplinaire, a tout de suite pris la tangente, pour une articulation libre entre travail et plaisir, entre des dits « actifs » et « retraités », entre spécialistes et amateurs de psychanalyse et autres. Que la subversion psychanalytique opére, donc, pour cette petite utopie, prompte à faire résonner la surprise poétique et la pensée littéraire, scientifique, théorique.

La question n’étant pas simplement de lire et d’écrire au sens fonctionnel, car on ne manque ni de lire, ni d’écrire, en ce moment, il suffit de grimper sur la toile, submergée par un débit de lire et d’écrire saturé…de vide.

Il ne s’agit pas du lire fonctionnel, hypnotique, automatique, sorte de processus primaire qui dit « ce qu’il y a » sans véritable sujet, fatras de l’Autre, où tout s’équivaut sans coupure si ce n’est des coups d’éclats, défilant dans les têtes.

Il s’agirait plutôt de relancer une pratique du lire, avec d’autres – là où lire est un déchiffrage, ou tout simplement une rencontre, une confrontation sensationnelle à une énonciation, une voix, à la lettre, à l’histoire, à l’ouverture d’un monde original et singulier.

Là où la lecture, la grande passeuse, dépasse la « petite affaire privée », qui se régurgite à haut débit sur la toile, pour produire l’expérience humaine, par-delà l’espace-temps, dialogue entre Freud et Œdipe, Freud et Shakespeare ou Aristote, et de poursuivre le dialogue avec Lacan, avec Safouan, désormais, avec celles et ceux qui nous quittent mais nous lèguent aussi.

La grande passeuse face à la grande Faucheuse.

Pour paraphraser Malraux, le lire et l’écrire sont peut-être l’avant-garde de « toutes ses forces qui résistent à la mort » et nous ouvre la profondeur de champ de l’histoire et l’ombilic vertigineux de la trace humaine.

Le Cabinet de lecture articule plusieurs modalités :

  • Le recueil des textes envoyés par ceux et celles qui voudront témoigner de l’effet d’une lecture, quelle qu’en soit la forme et la manière,
  • Le lieu de retrouver l’énonciation, en demandant aux auteurs-lecteurs, s’ils le souhaitent bien sûr, de choisir un ou quelques extraits qui pour eux pourraient être lus et initiant des soirées littéraires diverses, autour d’œuvres,
  • Une dimension de « livre associations » qui cheminera à partir d’un livre central, du moment, choisi à la croisée des thèmes qui traversent l’Ecole, le GEP, mais aussi l’actualité de la psychanalyse.

A partir de ces lignes préalables, et depuis, nous bifurquons assez joyeusement vers un cabinet qui se ré-invente à chaque séance, dans ses « démêlés »

Beaucoup de femmes et un dénivelé de générations, créent la pente glissante vers un désir associatif assez fort et plein d’humour, un franc – parler, s’étonner et se questionner, qui permet de s’emparer à plusieurs de l’effet d’un texte, un « retour au texte et à son énonciation » sur un mode sensible à ce qui se produit actuellement et dialectique.. Vu ce que l’on nous sert aujourd’hui comme pollution audiovisuelle à flux tendu et couvrant la pensée, on s’aperçoit que les bases de certaines pratiques « dialectiques », de la discussion et de la pensée, ne sont pas si évidentes qu’elles en avaient l’air non seulement à retrouver mais aussi à soutenir pour s’y tenir.

Les lectures de A. Pfauwadel – Lacan versus Foucault, la psychanalyse à l’envers des normes, Paris, Éditions du Cerf, 2022 – et de P. De Neuter – Les hommes, leurs amours et leur sexualité, Erès, Toulouse, 2021 – en ont été à l’honneur et en ont fait les frais aussi, sujet à débat pour ne pas perdre le cœur des problématiques entre conservatisme, dogmatisme, académisme, révisionnisme versus déconstruction, illusion de déconstruction à l’absurde et démagogie simpliste, comment ne pas céder sur l’ombilic réel et de fait constituant d’une pensée ou d’une orientation, d’une « lecture » des évènements.

Les fantasmes sont-ils masculins ou féminins si ce n’est comme constructions socio-culturelles ? Quelle est la part d’une écriture unique et singulière du fantasme, au contraire mythique, idéologique, là patriarcal ? Quelle est la part du « patriarcat » en distinguant dans tout ce qui se joue à partir de ce terme aujourd’hui, dans l’analyse des fantasmes ? Y a-t-il une part de fantasmes fondamentaux anhistoriques et atemporels ? Du fait d’un sexe mâle et d’un sexe femelle ? Quid de la bisexualité psychique en rapport à ce que le contemporain recherche avec le « flow » et le « fluide », le « trans » ou le « queer » ?

Quel « progrès » ? Puisque la notion elle-même a été déboutée de sa fonction de grand récit collectif – qui liait finalement – remarque au passage – de manière assez pratique mais sans doute confondante, science et religion, sous la forme d’une promesse.

Certes rendre à Lacan ce qui est à Lacan semble encore dépasser de si loin les actuelles apories et résister aux vagues de conneries racontées tous azimuts. Mais toute question actuelle ne peut être travaillée comme une re-légitimation de Lacan. Parfois il y a ce bord aussi à repérer. Ne pas céder sur Lacan, c’est aussi trouver les gestes à mettre en œuvre et devenirs de la référence lacanienne, là où il conditionne et éclaire l’actuel du lien social, de l’épistémologie, de la pratique psychanalytique mais dans un nouveau rapport historique et générationnel, génération qui produit et doit pouvoir reconnaître et légitimer le savoir faire avec le réel qu’elle se donne, découvre et invente pour opérer aujourd’hui.

Quelques questions qui ont traversé nos échanges. Où l’on retrouve le plaisir et l’efficace de réintroduire la dimension dialectique et dialogique, à plusieurs voix et plusieurs textes, pour constituer des références, des positionnements, des repérages. Où l’on a vu aussi combien la clinique psychanalytique, faisait point d’ancrage pour rester ouverts et ne pas se leurrer de « trop comprendre » ni opiner du chef, de la norme, ou s’effondrer d’épuisement et d’abrutissement sous le poids des énoncés au nom desquels tout semble possible, permis, inquestionnable.

Textes en dialogues : « Le pas à dire phobique ? »

Nicolas Janel a proposé son article « Le pas à dire phobique ? » aux commentaires de Liliane Goldsztaub et Martin Roth.

Vous souhaitez suivre leur discussion ? La voici qui commence :

Le pas à dire phobique ?

Nicolas Janel

Je vais introduire notre journée sur « les phobies et les prises de parole » en élaborant à ma manière la question phobique à partir d’un texte assez difficile de Gérard Pommier intitulé « Du monstre phobique au totem, et du totem au Nom-du-père[1] » et à partir d’éléments piochés chez Charles Melman[2].
Gérard Pommier nous propose de passer par différents niveaux inhérents à l’architecture de la structure psychique. Différents niveaux qui vont intervenir au cours de la rotation de cette « plaque tournante[3] » qu’est la phobie. C’est en effet en ces termes que Lacan a pu qualifier la phobie : une « plaque tournante » entre le refoulement primordial et le refoulement secondaire nous précise Pommier.
On retrouverait pour cette raison les phénomènes phobiques, qualifiés alors de « normalités évolutives » au cours du développement de l’enfant. On considère alors que l’enfant exprime au cours de son évolution, entre 2 et 6 ans, des phobies ou terreurs nocturnes dites normales en regard de sa « maturation » psychique, maturation passant donc par différents niveaux dont je vais vous parler.
D’un point de vue structural, il s’agit d’étapes logiques dont les problématiques pourront se faire entendre chez l’adulte, en fonction de leurs achoppements et contradictions dans l’organisation de la structure.
Et on verra que l’atteinte d’un niveau pourra avoir comme effet de faire résonner les autres niveaux sous-jacents de la structure. Comme si l’atteinte d’un niveau réveillait par régression les niveaux sous-jacents par effet de cascade. D’où la complexité du symptôme phobique, pouvant être constitué à partir d’éléments renvoyant à différents niveaux problématiques de la structure.

Premier niveau : entre la jouissance maternelle (jouissance de l’Autre) et la castration maternelle

Il y aurait d’abord ce premier niveau, qui renverrait aux phobies primaires. Cela concernerait particulièrement les phobies de situation comme l’agoraphobie, la phobie de l’obscurité ou des grands espaces. Ce premier niveau serait le niveau situé entre la jouissance maternelle (jouissance de l’Autre) et la castration maternelle. Je m’explique. Se différenciant de la mère, le sujet serait face à un Autre tout-puissant, non barré. Il serait en proie à satisfaire cet Autre en devenant objet, l’objet phallique équivalent au phallus de la mère. Le phallus maternel serait à comprendre comme l’objet venant combler la mère de son manque. Cette étape serait nécessaire à l’humain, son absence pouvant être cause d’autisme nous dit Charles Melman, ceci dans les cas où la mère n’aurait pas érotisé son enfant. Mais s’arrêter à cette étape, rester dans l’identification au phallus maternel équivaudrait à une impossibilité d’existence en tant que sujet pour l’enfant.
Chez l’adulte, cette identification au phallus de la mère pourrait très bien ronronner fantasmatiquement sur le plan imaginaire. L’adulte pourrait très bien en être tout à fait satisfait sur le plan imaginaire jusqu’au moment où il en viendrait à être placé justement à cet endroit, au sein de son champ spéculaire. Ceci quand une scène de son quotidien en vient à réaliser spéculairement son fantasme phallique. L’angoisse ferait signal à ce moment-là, comme pour alerter d’un risque. Pour ceux qui connaissent, cela renvoie au comblement de la place du (-?) au niveau de l’image spéculaire du schéma optique. Cela comme si le trou nécessaire à la structure n’avait été ni inscrit ni fixé, dans le registre spéculaire. On retrouve tout cela dans le séminaire X de Lacan sur l’angoisse. La question du regard, en tant qu’objet regard, une des formes de l’objet a chez Lacan semble avoir particulièrement son importance dans ces moments-là. Comme si on s’y voyait vraiment être vu… à cet endroit du phallus de la mère. Le registre spéculaire, n’ayant plus d’assise, dégringole alors. Comme si la clé de voûte qui faisait tenir l’ensemble spéculaire s’enlevait, faisant s’effondrer le moi qui n’assure plus l’identité. Sentiment de dépersonnalisation. Sentiment de déréalisation et de vacillement aussi, le repérage dans l’espace n’étant plus assuré par le registre spéculaire. La disparition du sujet dans la jouissance de l’Autre menace. Le problème part ici de l’imaginaire qui risque de se défaire, de ne plus assurer le nouage avec le Réel. Idéalement, l’adulte aurait dû pouvoir compter sur le registre symbolique. Celui-ci aurait dû louablement rencontrer la castration. Cela aurait dû garantir une réorganisation de l’imaginaire avec amputation irrévocable de l’image phallique. L’image de la mère aurait dû perdre son pénis pour le dire facilement, l’enfant aurait dû ne plus pouvoir vraiment s’y identifier. La clé de voûte de l’imaginaire aurait dû être scellée pour de bon de cette manière. Ce qui ne semblerait en fait jamais parfait.
Cela ne serait justement pas le cas avec le premier niveau de notre plaque tournante, c’est-à-dire le niveau situé entre la jouissance de la mère et la castration maternelle. On est bel et bien ici dans le niveau de la menace de la jouissance de l’Autre.
Il se peut également que l’identification imaginaire au phallus maternel qui ronronnait jusque-là vienne à être contredite par un élément de la réalité. Charles Melman donne l’exemple du petit Hans : quand le petit Hans prend conscience de l’érectilité de son pénis, il se rendrait compte de l’insuffisance de son pénis de la réalité par rapport à l’identification imaginaire au phallus maternel. Une bascule s’opérerait en réaction, de l’identification au phallus à l’identification au vide (de phallus). Si le petit Hans n’est pas tout, alors il en déduirait qu’il n’est rien, s’équivalant au néant. Le vide s’ouvrirait alors sous ses pieds car il lui manquerait ici la possibilité d’être un sujet affranchi de cet enjeu d’identification au phallus maternel.
Le premier niveau de notre plaque tournante ne propose ainsi pas d’alternative tenable pour le sujet qui n’y a pas sa place. Voilà pourquoi un mécanisme phobique viendrait à son secours. Dans les phobies de l’obscurité ou des grands espaces par exemple. Comme si le noir de la pièce venait représenter ce « tout » de la mère qui menacerait de nous éteindre. De même avec ce « tout » des grands espaces, de la scène devant la foule, des grands boulevards ou des autoroutes… une forme d’infini sans limite menacerait de nous effacer. Une manière de remettre de la limite, d’assurer une forme de séparation nécessaire à l’existence serait alors l’évitement phobique : on laisse une lumière pendant la nuit, on ne va pas sur scène prendre la parole, on évite la grand-place ou le terrain de foot, on ne prend pas l’autoroute… La solution phobique consiste ici au « pas » de la négation, c’est-à-dire au « ne pas ». Comme si cela tentait de réinscrire les bornes qui manquaient à la structure directement dans la réalité. Il ne s’agirait donc pas ici du refoulement d’un élément symbolique, mais d’une réorganisation de l’espace comme si c’était un élément purement imaginaire qui se trouvait refoulé. Il s’agirait d’un mode de guérison du phobique permettant de retrouver à sa disposition aussi bien l’espace que l’image de soi, mais au prix d’une limitation, dans l’espace, au prix d’un interdit dans l’espace et au prix d’une approche vécue comme menaçante, angoissante.
Ce monde serait aussi celui de la nécessité du partenaire. L’individu pouvant difficilement se soutenir de lui-même dans sa relation au grand Autre, la relation à un petit autre, au semblable serait constamment indispensable dans un dispositif en miroir. La relation au semblable serait nécessaire pour venir suppléer la carence de la relation au grand Autre, à ce qui fait défaut d’identité.
Ceci dit, le niveau suivant de notre plaque tournante viendrait pallier ces problèmes. Il s’agit du niveau de la castration paternelle.

[…]

***

Les commentaires de Liliane Goldsztaub et Martin Roth partent principalement de ce début de l’article. La suite du texte est disponible en suivant ce lien :
https://fedepsy.org/wp-content/uploads/2021/11/7.-Bdl-2021-2022-N.-Janel.pdf

Liliane Goldsztaub :

Un écho (écot) au texte de Nicolas Janel « Le pas à dire »

C’est notamment le paragraphe entre jouissance maternelle (jouissance de l’Autre) et la castration maternelle qui m’a fait cogiter.
Quid des jouissances de la personne phobique ? L’objet phobique est-il la représentation d’une opposition entre deux jouissances, celle de l’autre et la jouissance de l’Autre ?
L’objet phobique serait une représentation de la jouissance de l’autre en opposition à une jouissance propre et en même temps l’opposition de la jouissance propre confrontée aux limites de la réalité « castrante ». Le premier mouvement se jouant totalement dans l’inconscient « pulsionnel », le second mouvement étant le compromis entre l’inconscient et le conscient.
Est-elle aux prises des processus primaires, où la pulsion cherche sa satisfaction et son abaissement d’énergie… mais aussi où l’objet cause de désir cherche sa jouissance et augmente la tension affective ?
Est-elle aux prises des processus secondaires, où la réalité est liée au spéculaire et à l’imaginaire ?
Ces deux processus étant pris dans le langage et donc dans les signifiants et les signifiés qui ouvrent ou pas à des significations.
Quelle est alors la fonction de l’objet phobique ? Objet externalisé et gélifié provoquant la fuite, ou objet internalisé et jouissance de l’Autre qui provoqueraient à la fois l’évitement et une certaine attraction voire fascination.
Dans les deux cas les signifiants et les signifiés « colleraient bien ensemble » afin d’éviter le déroulement d’une chaîne signifiante et l’émergence d’un signifiant primordial.
Nicolas Janel évoque la plaque tournante qu’est la phobie. J’y associe également comment la phobie pourrait être une défense contre la perversion. En effet l’objet phobique maintient les liens des signifiants avec les signifiés, ce qui n’est pas le cas dans l’objet fétiche. S’agit-il alors d’un fantasme « jouissant » proche d’un scénario pervers où, a contrario de la perversion, l’objet n’est pas attractif mais répulsif ?

Nicolas Janel :

Merci Liliane pour ton retour. Ce texte était déjà une élaboration réalisée en écho au texte de Gérard Pommier et à quelques éléments de réflexion de Charles Melman. Je trouve ces échanges de « ping-pong » dynamisants et fructifiants !
Suivant Pommier qui ne le précise pas, j’ai repris l’hypothèse peut-être trop psychologisante d’une genèse de la structure. Une structure qui serait comme en maturation au cours du temps chez l’enfant, en évolution selon les interactions qu’il aurait avec les autres auprès desquels il se constitue au cours de son histoire. Petit à petit, quelque chose de la réalité de l’enfant se métaboliserait psychiquement suivant un continuum qui renverrait à un continuum entre théorie traumatique (la fameuse « neurotica » de Freud) et théorie fantasmatique (étape théorique ultérieure développée par Freud). On constate en effet tout au long de mon texte des allers-retours entre la réalité traumatique de l’enfant (son histoire) et sa structuration psychique. Si bien qu’il est difficile de faire la part entre ce qui revient à l’enfant (ce qui est dans sa tête pour le dire grossièrement) et ce qui revient aux personnes de la réalité – d’ailleurs, la clinique de l’enfant ne pose-t-elle pas la même difficulté ?
Tu évoques mon paragraphe « entre jouissance maternelle (jouissance de l’Autre) et la castration maternelle ». Cela concerne le niveau de la menace de la jouissance de l’Autre. Et tu questionnes « les jouissances de la personnes phobique ».
Si je continue la logique du texte, on pourrait proposer ici l’idée d’un passage, d’un glissement qui serait en train de se faire entre la mère de la réalité et la constitution de l’instance maternelle dans la tête de l’enfant. Il pourrait d’ailleurs s’agir non pas de la mère mais d’une autre personne qui prend fonction maternelle. Serait-ce nécessaire que cette personne prenne fonction de facto dans la réalité de l’enfant ? Tout fantasme aurait-il un support concordant dans la réalité ? Freud nous a signalé que cela n’est pas du tout sûr, ou que cela ne se fait pas de manière directe (voir « Un enfant est battu » par exemple). Dans mon texte, les questions de la jouissance de la mère et de la castration maternelle que je pioche chez Pommier concernent-t-elles donc la personne de la mère de la réalité de l’enfant ou déjà une dimension psychique intégrée ou plutôt construite par l’enfant ? Autrement dit, s’agit-il de la jouissance de la mère de la réalité concernant l’enfant, ou la jouissance que l’enfant suppose à sa mère le concernant ? Dans ce dernier cas, la jouissance serait celle de l’enfant lui-même, bien qu’il la suppose fantasmatiquement à la mère. Pour reprendre tes termes, il s’agirait donc d’une des « jouissances de la personne phobique » qu’on appellerait ici « jouissance de l’Autre ».
Ensuite, chose que je n’avais pas pensée, en questionnant la nature de l’objet phobique comme représentation, tu mets en opposition la « jouissance de l’autre » à une « jouissance propre ». Puis-je traduire la « jouissance de l’autre » par la « jouissance de la mère de la réalité » (ou autre personne de la réalité ? Et puis-je traduire « jouissance propre » par « jouissance de l’Autre » précédemment définie ?… Et un autre niveau s’ouvrirait, les deux jouissances se retrouveraient en opposition inconsciente, pulsionnellement dis-tu, ce qui serait représenté par l’objet phobique (avec en même temps l’opposition de « la jouissance propre » aux « limites de la réalité castrante », compromis entre inconscient et conscient dis-tu).
Merci pour ton « écot » au transfert de travail qui relance mes interrogations.

Martin Roth :

Je perçois une certaine « maturation » entre ton premier texte et la réponse que tu fais à Liliane. En effet, à la première lecture, j’ai été déjà intéressé par le fait que tu oses revenir aux « stades » de développement chez l’enfant trop souvent bannis et honnis chez certains « lacaniens ». Nombreux sont les textes où il est admis, sans questionnement, qu’évoquer les stades de développement, la construction psychique progressive de l’enfant serait une hérésie. Or tu poses bien la problématique dans ta réponse faite à Liliane : « On constate en effet tout au long de mon texte des allers-retours entre la réalité traumatique de l’enfant (son histoire) et sa structuration psychique. Si bien qu’il est difficile de faire la part entre ce qui revient à l’enfant (ce qui est dans sa tête pour le dire grossièrement) et ce qui revient aux personnes de la réalité – d’ailleurs, la clinique de l’enfant ne pose-t-elle pas la même difficulté ? » La clinique avec l’enfant m’enseigne que ces allers-retours sont bien repérables. Allers-retours (« allant-devenant » disait joliment « la mère » Dolto) entre un environnement et un développement psycho-organique de l’enfant. La question n’est pas tant de distinguer ce qui relève de sa « réalité extérieure » de ce qui relève de sa « réalité psychique » que d’entendre comment le sujet en construction se débrouille avec ces deux lieux d’héritage. Certains enfants rencontrent un empêchement dans une dimension particulière de leur développement (langage, jeu, imagination, relation, etc.). L’analyste accueille cet empêchement comme un symptôme. L’acte analytique serait une libération-élaboration du sujet qui peut dès lors en retour se repositionner vis-à-vis de ce qui l’habite (c’est-à-dire ces allers-retours entre « son » psychisme et son environnement). Nous retrouvons chez l’adulte la question de l’environnement dans l’adresse du symptôme. D’ailleurs, le transfert dans une cure d’adulte ne serait-il pas une remise en acte de ce jeu entre ce qui vient de l’autre et ce qui vient du moi ? Et la traversée du transfert apparaît alors comme permettant au sujet de poser un acte se libérant de cette question…
Par ailleurs, dans ta réponse tu réintroduis plus explicitement la notion de traumatisme. Elle me semble éclairante pour une certaine clinique de la phobie. Je considère ici le traumatisme dans sa dimension réelle, c’est-à-dire le point non dicible, non saisissable par la représentation. Peut-être ce que Liliane repère comme pulsion ? L’approche par la pulsion est intéressante car ce point traumatique revient sans cesse, toujours à la même place. Il est insensé, incompréhensible. Il est lieu de jouissance. Ah comment dès lors se séparer de cette jouissance « qui va de la chatouille à la grillade » pour le dire à la Lacan ? Nous voilà proche de la notion de pulsion de mort. La panique phobique rejoue sans cesse cette rencontre insupportable avec cette Chose traumatisante. La conduite phobique tente de s’en protéger, de prévenir l’effondrement… qui a déjà eu lieu. Ainsi, un moi qui apparaît sans entrave majeure dans sa construction, peut porter également ce point inassimilable, venu de l’extérieur, laissant une marque qui n’a pas pu être symbolisée, c’est-à-dire insérée dans le réseau signifiant de l’individu. L’objet phobique le matérialise et tente de l’extérioriser, de l’exorciser. Il me semble que tu abordes cela dans le premier étage phobique, celui de la jouissance maternelle, d’un Autre non barré envahissant. Je ne m’empresserais pas de placer ici la jouissance maternelle. L’approche traumatique reste plus imprécise quant à la nature de l’envahisseur.
La clinique nous enseigne que la solution phobique face au traumatisme – et en effet, Liliane, dans d’autres situations le devenir du traumatisme se concentre dans une perversion – est un point qui, à mon sens, ne s’aborde pas de front. La compulsion de répétition qui excède le sujet ne rencontre pas de guérison. Mais une adresse au sujet, pour ne pas dire un désir s’adressant au sujet désirant, permet souvent à ce sujet un repositionnement où la jouissance est moins requise. À moins qu’on souffre d’une phobie du désir ?

Liliane Goldsztaub :

Nicolas, à ta question sur la jouissance de l’autre, il s’agit pour moi de tout autre de la réalité qui aurait objectalisé la personne phobique ou qui l’aurait érigé en phallus. Quant à la jouissance propre, oui je souscris à cette jouissance Autre mais chez une personne qui est aussi régulée par une jouissance phallique limitée. Ce qui me fait me demander s’il n’y a pas une possibilité de saisissement entre ces deux jouissances que pourrait cristalliser l’objet phobique.
La piste de la pulsion de mort qu’évoque Martin, me fait aussi associer que l’objet phobique pourrait être à la croisée des chemins entre pulsion de mort et pulsion de vie qui s’affronteraient dans un équilibre énergétique qui induit un « arrêt sur l’objet » non envisageable et une fuite de l’objet là où le refoulement ne pourrait être tout à fait opérant.

  1. G. Pommier, « Du monstre phobique au totem, et du totem au Nom-du-père », La clinique lacanienne, 2005/1 n°9, érès, pp. 21 à 46. ?
  2. C. Melman, La phobie, Publié sur EPHEP (https://ephep.com). C. Melman, « Les conditions déclenchantes de la phobie », Les phobies chez l’enfant : impasse ou passage ? 2013, pp. 45 à 51. ?
  3. Dans le séminaire du 7 mai 1969, Lacan affirmait que « la phobie n’est pas un phénomène clinique isolé », en précisant que, plutôt qu’une entité clinique, c’est « une plaque-tournante » (D’un autre a? l’Autre, séminaire 16). ?

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