Quand l’Histoire rejoint « l’historial » personnel

1. Confidence

Autant la poussée pulsionnelle et le passé – somme toute récent – me poussent à rouvrir les vannes de l’inconscient hypnotique, je ne me vois pas encore dans la relecture, en particulier, de Frères humains[1]

À celui qui « comate » et a la chance de se réveiller, il (c’est moi) repère sans autre forme de procès la différenciation entre la fraternité si proche et les pulsions agressives qui ne disent pas les mots, mais les signifient.

Pour l’instant je suis au temps de la synchronie et de la redécouverte, et je ne me retourne pas.

À petits pas précaires, je traverse les avenues d’un lent mouvement et avec prise de temps. Que reste-t-il de mes velléités anciennes ? Ce sont elles qui me dictent l’imprévisible mais qui rendent l’acquis provocateur. Je n’ai pas arrêté et ce n’est pas fini. « Job » s’est réveillé d’une manière énigmatique, j’entends mon père le dire autrement : « Le temps ne fait rien à l’affaire… quand on est con, on est con » (Georges Brassens).

Peut-être ai-je perdu certaines couches de la séduction et je me retrouve confronté aux racines de la psychanalyse.

La conflictualité est totale.

Je repère la Durcharbeitung et ceux qui ont fréquenté la vie de l’inconscient. Je dois oser dire que je renais aujourd’hui, l’inconscient freudien à proximité. Et je constate à quel point Lacan en est le plus fidèle lecteur.

J’ai bien repéré que Freud n’a pas été le président de la Première Internationale de la Psychanalyse pour laquelle il avait repéré déjà « la rééducation fonctionnelle par laquelle il avait été frappé ».

2. L’actualité prend le dessus

Quel courage aujourd’hui de bouleverser les analystes en place avec l’Autre, le petit a, le phallus, les ébauches de sujet, l’objet a… Mais encore faut-il les connaître.

Freud a repéré dans un premier temps « les artefacts » de lecture qu’il a déclenchés.

Mais les lecteurs ne pourraient pas être aujourd’hui dans une lecture sans les malheurs de l’Ukraine. Faute de respecter la démocratie, il faut produire la lutte, à coups de mots, de communiqués, de guerre, de massacres. Le risque est de s’habituer à la vision de l’innommable. Comment allez-vous réagir face à ces massacres ? Et avec quels Ukrainiens allez-vous échanger et montrer votre vie pour l’instant apaisée ? Que nous reste-t-il comme temps pour vivre cette « Pax Europeana » ?

3. Osons lire les textes

et maintenir la différence entre contenu manifeste et latent. Alors on lit les textes et les informations sur la guerre. Mais la guerre risque d’être totale.

4. La différence entre générations reste obscure

Une nouvelle génération nous a rejoints dans ces états blessés et le post-traumatique.

Alors, par exemple, quelles sont les dérives de l’amour ?

  • Le laisser faire ;
  • L’amour déclaré ;
  • L’extinction des objets où ils se ressemblent tous.

On nous propose pour l’instant l’amour du drapeau, des drapeaux remplis de sang…

Exigeons le maintien de la démocratie, le refus du tiers exclu et la séparation des pouvoirs.

Alors quels que soient les « endormis de la clinique », les pratiques vont devoir changer. Il ne suffira plus, avec les réfugiés et les gens de passage, de leur donner quelques pilules, même si leur langue est étrangère.

Le « trauma » vient prendre un nouveau sens : celui d’un « mal commun » où les orphelins font légion. Il va falloir inventer de nouveaux abords où chaque praticien aura peut-être « horreur de son acte » et où il va falloir traverser le « principe de plaisir ». Quand celui que je reçois me ressemble comme deux gouttes d’eau, comment subjectivement vais-je le ou la recevoir. L’affaire de la « petite différence » de Freud devient insuffisante.

Il va falloir trouver les mots autour de « la violence », « du témoin », de « l’expulsé » et des phénomènes d’effroi qui manquent rarement.

C’est là que la psychanalyse est une « science du particulier » et un essai de réponse à l’horreur et à la « hainamoration ». Ce n’est pas seulement une affaire d’identité ou nationale, c’est l’humanité elle-même que l’on peut décomposer.

  1. J.-R. Freymann, « Frères humains qui … », Toulouse, Arcanes-érès, 2003.

La Lettre de la FEDEPSY – mai 2022

Voici le numéro 8 de la Lettre de la FEDEPSY (mai 2022)

Newsletter Fedepsy Mai 2022

Bonne lecture !

Une histoire pour ne plus se contenter de survivre

À ne pas être sourd s’entend l’angoisse qui chauffe notre monde. Cette angoisse est le signe palpable de ce qui traverse chacun et tout le monde à la fois. S’y mélangent l’incertitude, l’insécurité sociale, l’insécurité médicale, la pandémie, la guerre, les élections et ses non-choix. Quelque chose s’impose à nous, nous étouffe, et le parlêtre quand il est livré à lui-même affleure au discours à la limite de lui-même.

Pour s’y retrouver il est possible de considérer le triptyque qui nous organise, chacun de nous : Corps-Moi-Sujet, c’est-à-dire, notre chair et la conscience qu’elle constitue une unité, le corps, notre histoire comme mythe individuel, le moi, et enfin le sujet de notre discours comme parlêtre, le sujet donc, et il apparaît que le parlêtre serait en quête de la limite de lui-même, de son corps, de son histoire.

Ainsi, dans ce triptyque nous pouvons envisager que le sujet était organisé, coincé, entre les signifiants « crise » et « rationnement », « le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant », depuis plusieurs années. Ainsi, c’est autour des signifiants de crise, économique, migratoire, voire déjà écologique qu’il devait se constituer. Pourtant jusqu’à peu cette crise constituait un ailleurs, dans le temps, dans l’espace, dans l’existence même de ces menaces, puis l’effraction de la réalité et avec elle, du risque d’en mourir ou de tout perdre : attentats, virose incontrôlable, guerre, mais également surdité gouvernante aux revendications sous le désir affiché de faire profiter les plus profiteurs sans même la sécurité d’une redistribution des richesses. Le sujet se retrouve en tension extrême, la peur pour le corps, une histoire qui semble ne plus avoir de sens, ne lui offre que le présent pour s’organiser grammaticalement. Comment se référer au passé, bousculé, ignoré, remis en cause, sous la forme de ses acquis et de la sécurité sociale qu’il constituait encore, et l’extrême difficulté de se projeter dans un avenir sous-tendu de guerre, de survivance de l’espèce aux attaques virales ou atomiques, dans un monde surchauffé, pollué, agonisant.

À n’avoir que le présent pour se constituer comme sujet de son discours, le parlêtre affleure donc au son des signifiants du discours courant : peur, insécurité, fin-du-monde, fin-de-l’humanité, variants, insuffisance respiratoire, réanimation et d’autres… Dans ce moment, le recours complotiste apparaît comme des branches de salut pour édifier coûte que coûte du sens.

Ainsi notre parlêtre se présente aux thérapeutes de tout poil avec les maux de souffrance, fatigue, épuisement. À les prendre trop au sérieux, on conclut vite à l’absence de lésion somatique, et pourtant le corps est poussé à la limite de ce qu’il peut supporter et parle par ses insomnies, ses acidités, ses palpitations, en d’autres mots, par l’hyper activation de son système neurovégétatif, c’est-à-dire au travers de ses mécanismes sous-corticaux hérités de notre évolution et gérant notre survie. À les prendre trop au sérieux, le corps est alors forclos laissant apparaître les signes cliniques des failles narcissiques primaires, c’est-à-dire, l’angoisse de morcellement et l’organisation du monde autour de l’enclos préservé du moi, devenu égo, « tu es avec moi ou contre moi ».

La question de maintenir l’écart, ni ignoré, ni pris trop au sérieux est d’autant plus prégnant que le parlêtre a fait l’expérience, internationale, du confinement-déconfinement, ce drôle de signifiant qui vient témoigner de la réalité de la fonction maternelle rassurante entre toutes qui nous a isolé chez nous à l’abri pour nous abandonner à notre survie sous couvert d’une économie à préserver.

Le parlêtre, ayant goûté à l’intensité d’une fonction maternelle collective, s’y croit conditionné à sa survie et l’appelle au point de morceler le moi et le corps.

L’analyste y a une voie, celle de ne pas satisfaire la demande, peu de lieux la garantiront. Cette voie permettra la possibilité de faire d’une angoisse de morcellement une angoisse désirante, cette démarche se jouant dans la grande majorité des entretiens préliminaires où le début de l’affaire consiste déjà à ne pas répondre au présent, seulement, mais de proposer au sujet de se raconter, une histoire.

Ce qui permet de le penser, réside dans l’épreuve de la clinique, où finalement les analysants ont pu, eux, sous couvert d’un transfert analytique se soustraire suffisamment au discours ambiant pour en être globalement préservés et en mouvement.

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