« Quoi ma Demande, qu’est-ce qu’elle a ma Demande ? »

Echos et prolongements au texte de Martin Roth, « propositions actuelles et inactuelles à l’orée de 2022 »
« Faire écho », donc et plutôt « faire court », aussi. Un « court écho » n’est pas une mince affaire…

Echos

Mais allons-y. Ne serait-ce que pour faire résonner d’emblée cette première formulation « la demande est la partie dicible de la métamorphose d’un désir empêché ». Pas mal, non ? La faire ressortir pour la prolonger et avec elle, ce trait d’un « bien dire », qui soutient le texte de Martin et cette contribution à la transmission de l’expérience analytique, son frayage dans un contexte actuel parfois hostile, souvent encombré, ou comme il le dit, annoncé bouché, fini, incertain. A ce titre, il témoigne là d’une forme de tranquillité sur le devenir de l’analyse en tous les cas, « tant qu’il y aura des analystes » et sans rien perdre de lâcher sur la parure classique de la névrose et de la demande : tant qu’il y aura des analystes en mouvement, capables peut-être de s’assurer à l’inaliénable et au propre de leur champ et de leur objet pour supporter le deuil d’un âge d’or révolu, la nouvelle donne de la transmission, pour se cogner aussi parfois, certains règlements de compte, dévoiements, certains désirs d’effacement ou d’éradication de la psychanalyse dans l’air et les miasmes du temps.

L’éthique du bien dire n’étant pas qu’une simple émanation du dandysme de Lacan et de son admiration pour Baltasar Gracian, mais bien un point de repérage pour la pratique psychanalytique, et notamment pour la transmission et la passe, dans le mouvement du Séminaire VII, Lacan ayant traversé et repris le leg de l’éthique antique arrimée au mirage d’un Souverain Bien, une fois repéré l’ancrage surmoïque de l’interdit ou sadique de l’impératif catégorique kantien, une fois traversée le réel de la division subjective, qui impose à l’être humain cette condition du langage, la loi du signifiant, qui le constitue comme parlêtre manquant à jamais de réponse et de complétude, l’éthique du bien dire est un effet de trouvaille d’une libération subjective, signale une disponibilité du sujet de l’énonciation, libre d’un dire qui recrée et déjoue le sens qui voulait le déterminer, la voix surmoïque ou « le désir empêché ».

Et tout cela, quelle que soit la gueule de la Demande, nous dit Martin, à sa manière. Où l’éthique psychanalytique croiserait l’éthique médicale, au lieu de la « clinique » ? « Au chevet de chaque patient », sans jugement ni discrimination. « Au chevet de chaque patient », ce n’est plus directement le discours aux sept voiles, labyrinthique, évitant de la « bonne vieille névrose » que l’on rencontre, mais tout de même, dit-il « l’inévitable névrose infantile » parfois directe, virulente, au pied de la lettre, à l’heure d’une tendance lourde à la confusion entre le Sujet et le Moi ? Moi, ma liberté, moi et mon droit individuel autoproclamé en groupe, comme si c’était un état de fait qui n’avait pas son histoire, ses libérations, ses luttes, son héritage. Réaction épide(r)mique à cette drôle d’actualité où l’affirmation de l’« il y a »- ou pas, a été tellement tordue dans tous les sens, prétexte à restrictions – « pas plus de lits, pas les moyens ». Qu’il y ait ou pas dépend-il d’un fait naturel ou d’un choix de société ? Jeu de dupe poussé à l’absurde au point que savoir et vérité se confondent au regard d’un Autre trompeur, là où le seul point d’appui devient de pure conviction, « moins je le sais, plus j’y tiens »

Pour en revenir à ce que fait résonner ici Martin : en effet, ce n’est pas comme s’il y avait eu un jour une demande idéale ou une demande type. Un analysant « tout indiqué » pour lequel on tolérerait que la psychanalyse continue à exister ?

L’occasion de rappeler à quel point c’est en se prenant lui-même et constamment à contre-pied qu’évolue Freud, à sans cesse repartir de ses manques et limites, il parvient à ne pas s’enfermer. A ne pas livrer la psychanalyse au cadre de la seule névrose bien délimitée, du seul complexe d’Œdipe, de la seule maladie, ni même de la seule guérison, de la seule technique, même si tout cela à la fois, toujours un peu à l’avant-garde d’elle-même, toujours point d’appui pour visiter ses effractions, la névrose traumatique, ses envers et bords, la névrose actuelle, et même la paranoïa, et par défaut la psychose, le fétichisme et ainsi la perversion, toujours à conquérir le champ du parlêtre au-delà de ses symptômes à hauteur de civilisation, mais aussi à l’extrême de ses penchants les plus absconds et les obscurs, là où l’on ne ressemble à rien.

Le problème n’est pas et n’a jamais été pour les psychanalystes me semble-t-il, qu’il y ait des mauvaises ou des contre-indications : une contre-indication à la cure type, bien évidemment, cela fait partie du savoir transmis et des questionnements constants de Freud[1]. Mais c’est que justement, cela n’est pas pour autant une fin de non-recevoir : pour faire analyste, il ne s’agit peut-être pas toujours de viser la cure type, selon l’expression de Lacan, mais d’opérer à partir de la reconnaissance et de ce savoir-faire avec le réel de l’inconscient, la part du sujet de l’inconscient dans ce qui l’encombre, l’entrave, l’anéantit, au travail des points et formes de la jouissance.

Et pour cela, il faut de l’analyste, nous dit Martin, c’est le nerf de la guerre. Il faut de l’analyste, mais tel qu’il le dit me semble-t-il aussi, de l’analyste praticien, en mouvement, à la rencontre de l’actuel sans avoir à ramener l’inconnu vers le connu, l’inédit vers le déjà vu, mais peut-être de l’y référer et par ce qui excède, en être délogé, à partir de ce que la psychanalyse permettra toujours d’aborder, du rapport au réel, quel que soit la parure, même à l’envers, aux limites, au dépourvu d’abord, de la névrose infantile ou du transfert. Vue mes lieux de pratique, c’est souvent de là qu’il faut commencer, d’où ces quelques prolongements à partir de la proposition de Martin. Me revient pour ouvrir ce battement la formule d’un autre Martin, Martin Buber : « je distingue dans l’histoire de l’esprit humain, entre des époques où l’homme possède sa demeure et des époques où il est sans demeure. Dans les unes il habite le monde comme on habite une maison, dans les autres il y est comme en plein champ, il ne possède même pas parfois les quatre piquets qu’il faut pour dresser une tente ».

Prolongements

A partir d’une pratique répartie entre une clinique avec des adolescents en pédopsychiatrie, une consultation saturée ouverte aux victimes de violences intrafamiliales et une consultation beaucoup plus en pointillés, nouvelle, à temps très partiel, avec des femmes issues de la prostitution, de la traite prostitutionnelle particulièrement, sur laquelle je centrerai là ce propos. Un beau monde pétri de tendresse, donc et saisi de surcroît par l’engrenage pandémique entre angoisse de mort ou d’intrusion et dépression en cet ère de confinitude, comme j’aime à l’épingler, là où l’élan du « monde d’après », faute de soutien politique et social, laisse la place à « l’immonde d’après » qui monopolise les médias et vomit un révisionnisme haineux, au détriment de la pensée, cédant à l’économie du pire : encore un vote pour « éviter le pire » et encaisser le reste ?

Dans ce contexte « l’inévitable » de la névrose infantile et du désir de durer m’interrogent comme « impossible » ou « introuvable », prolongeant l’ouverture sur l’avenir de la psychanalyse, aux confins semble-t-il parfois, du psychotrauma.

Dans le cadre de cette consultation très particulière, avec des femmes issues de la traite prostitutionnelle, la question du traumatique est prépondérante, écrasante, elle fige au départ l’entretien dans ce rapport tendu et réticent, résistant à grand peine au théâtre qui a présidé à cet entretien, l’Ur-scène de l’horreur, théâtre de l’humiliation, de la déception vertigineuse, des exactions subies, de la violence depuis un départ du Nigéria, bien souvent : je rencontre là des femmes, plusieurs fois rescapées pour la plupart du périple migratoire Nigeria-Lybie-Italie-France, par le désert, les campements de Lybie, parfois déjà violées et prostituées là-bas, ou témoins de tortures et d’exactions arbitraires, traversées macabres de la mer, rapt en Italie, trottoirs pour rembourser leur « passeur », en état de survivance parfois très dissociées, qui ne parlent pas la langue, « objectalisées » déjà dans le cadre de la famille parfois, envoyées vers l’Eldorado européen, puis le réseau de proxénétisme, pour finir là, où, qu’on se le dise ou non, la situation ne vient que renforcer l’errance psychique, l’ « objectalisation » délétère, les effets de la pulsion de mort : sans papiers, elles ne peuvent travailler mais sont encouragées à faire du bénévolat.., apprendre le français, avoir inscrit les enfants à la crèche, sans accès à rien sans en passer par les associations qui compensent au compte-goutte de ce qu’on leur attribue, sans jamais les assurer de pérennisation ; l’attente infinie, le vide, la co-vide. Bien souvent ce sont les plus traumatisées qui seront les plus rejetées, pas « crédibles dans ses propos sur l’excision » … les victimes ont des comptes à rendre, puisque personne d’autre n’est accessible, et moins on a les moyens de les aider, plus le discours se retourne contre elles. Clinique de l’exil, de l’exclusion, du viol, de l’agression, de la précarité, d’une violence institutionnelle.

La question de la névrose infantile paraît bien introuvable alors, même celle de l’Hilflosigkeit : le ravage opère à partir de la déshumanisation et la dissociation, quand l’Hilflosigkeit, renvoie tout de même à la dépendance en un Autre omnipotent qui pourrait abandonner. Bien difficile de retrouver et d’opérer sur le plan du désir quand rien d’un accès ni matériel ni statutaire ou du vivre même n’est assuré et pourtant il y a une place pour cela, bien souvent quand celles du travailleur social, du juriste, de l’infirmier, fonctionnent aussi, une place ténue, fragile – le désir a bien rapport à la survie, de nombreux rescapés en témoignent et je voudrais en dégager deux aspects en association aux questions ouvertes par Martin autour de la névrose infantile et le désir de l’analyste.

Prolongement 1 : traumatisme infantile et psychotrauma : jouer des réels et de la logique du réel.

Névrose infantile : d’une logique de la causalité à une logique de la réponse ?

Parfois, il sera possible de renouer avec les investissements de l’enfance, quand il y a eu une « histoire » : quelque chose d’une intrigue qui l’a précipitée dans l’errance vers la prostitution, et ouvre parfois la piste d’une symptomatisation du fatum migratoire. Mais parfois ce fût juste le hasard d’un forçage, un rapt est venu dissocier le sujet de toute référence à l’enfance, qui apparaît comme un fantôme irréel, une vieille fable douloureuse et flétrie. Ci-gît mes rêves d’enfant, tu n’as pas honte de me rappeler cela ! C’est de là que la clinique psychanalytique du psychotrauma, souligne cette tangence, ce travail, qui convoque plutôt qu’une logique de causalité, une logique de réponse qui relève, révèle, réveille, l’existence d’un sujet, même au comble de l’horreur, qui a su se protéger, logique de réplique subjective à l’affront infligé par eux, par la vie.

Et pourtant, la nature même du rapport au réel sexuel, et à la névrose infantile qui en fût fait, permet une mise au travail du réel de la catastrophe rencontrée, sur de nombreux plans, j’en choisirai un :

La scène primitive. Ainsi, tout comme l’Hilflosigkeit…, la déshumanisation nous aide à penser ces zones post-traumatiques, zones de mort où la fonctionnalité d’un transfert est alors inaccessible. A cet endroit, l’idée n’est pas de faire du trauma un symptôme, quelquefois c’est trop, mais de trouer le réel social, par le réel sexuel, de faire de la scène traumatique une scène primitive : certes non pas de l’innommable origine du désir sexuel, mais l’innommable origine d’une renaissance ou d’une persistance, refondation d’un désir, néo-sujet, sujet d’un bien dire, sur ce qui pousse à préférer vivre.

Prolongement 2 : le pontage « collectif » : les articulations moi-nous-Je

C’est un point qui m’apparaît à tous les endroits : dans le contexte actuel la société souffre de dépolitisation, c’est-à-dire de penser la société qui pourrait et devrait être, avec l’élan d’y parvenir, ou peut-être aussi, de penser le rapport à la lutte autrement que formulée comme autoconservation de soi : un point de rencontre entre l’adolescent, la femme victime de violences conjugales, la femme victime de prostitution.

Je me souviens d’un professeur d’aïkido qui nous disait : tout est inversé en aïkido, pour créer la dynamique vers le bas, il faut d’abord viser le haut et déséquilibrer l’autre dans sa hauteur. La scène d’une rencontre possible se trouverait-elle parfois sur le plan de la grande histoire, collective : un pont sur le cratère traumatique ou l’ancestrale oppression, pour produire une surprise, quel que soit l’effroi traumatique qui sépare. ‘Quelle est la part du patriarcat dans ma sidération ?’ ! Etre prêt à quitter son fauteuil et entendre toutes les parts, notamment de l’histoire collective et institutionnelle, d’un Moi victime au Je, en passant si ça se trouve par un « eux », un « nous » ?

Prolongement 3 : Un besoin de Désir ?

Une clinique de la non-demande, qui ne cesse pas de s’élaborer auprès des adolescents. Ici, le public, qui se trouve en grande précarité et dans un état traumatique – la pose de manière plus vitale et tragique. Que viendrait faire un « psy » de surcroît analyste auprès de quelqu’un qui serait d’abord dans le besoin et ne demande rien ?

Là je m’inspire d’une conférence lointaine, de Nicolas Velut psychiatre, psychanalyste auprès de grands précaires : Que donner à quelqu’un qui ne demande rien ? Dans cette intervention il disait : la question au psychanalyste, plutôt que « qu’est-ce que je peux faire pour vous ? », qui tombait dans le vide, ou le ricanement, justement un « qu’est-ce que vous ne pouvez pas faire pour moi ? » – sortir du trans-faire, produire du trou dans le vide, de la castration dans la privation – et la place laissée à un sujet qui n’est pas seulement une bouche « impossible à nourrir », un corps « impossible à loger ». Il y a cette place qui opère comme manque, vient trouer la privation : passer d’une mère symbolique qui comble tout et continue de faire de l’autre un objet-déchet suspendu à la charité, qui souvent s’y refuse et disparaît, à une mère réelle, limitée, avec peu de moyen, j’ajouterai, qui assume l’indigence politique et sociale de notre système, sans la prendre à son compte, mais sans la verser à défaut de responsable, au compte du patient.

Une chose reste tout de même, la bourse ou la vie : sans la vie, il n’y a plus la bourse, s’il maintient le désir de vivre qui tient la survie par-delà la machine fonctionnelle, sans elle plus de vie non plus. La tentation parfois de troquer cinq minutes la position de l’analyste pour celui du « frère humain », offrir toit et couvert. Mais tout de même il y a une brèche. Un artisanat. Avec le temps. Une manière d’y mettre du sien, au sens de l’offre – être là, trouer la non-demande, en maniant l’impossible, pas l’impuissance, creuser un espace libre qui sera rempli par le sujet lui-même. Parfois, s’intrigue alors les bribes d’une histoire : l’inscription par le témoignage, la mémoire des séances précédentes, l’inscription d’un trait, l’écriture de certains propos. Faire consister une parole advenue dans ce creux de présence qui petit à petit recouvrera le statut d’être la sienne, c’est-à-dire de la représenter et signifier l’existence aux oreilles de l’autre, de l’Autre.

  1. Freud (1913), Sur l’engagement du traitement, in La technique psychanalytique, PUF, Quadridge, Paris, 2013

Textes en dialogue : Propositions actuelles et inactuelles à l’orée de 2022…

Un auteur propose un texte à quelques amis, collègues, qui à leur tour écrivent leurs commentaires, questions, réactions.

Il revient à Martin Roth, inventeur de ce format, de l’inaugurer : il choisit une thématique cruciale : qu’en est-il de la psychanalyse aujourd’hui ? Il repère quelques unes des difficultés actuelles mais à ne pas s’arrêter à leurs formes manifestes, ouvre des pistes techniques et éthiques vers des pratiques actuelles ou « actualisées ».
Puis quelques autres lui donnent la réplique, et nous voici en pleine discussion !

Propositions actuelles et inactuelles à l’orée de 2022…

Martin Roth

La psychanalyse résiste au cafouillis social actuel! Dieu est mort, Marx est mort, et la croyance populaire en la science bat de l’aile. On ne sait plus à quel Saint se fier ! La psychanalyse, elle, est souvent décriée, elle est parfois bannie, elle gêne toujours. Et pourtant, elle a de l’avenir. Bon, vous me direz que la tendance indique plutôt tout le contraire. Certes, et c’est précisément ce qui fait de l’approche analytique une ressource ayant de l’avenir. L’atmosphère est saturée, les perspectives sont présentées comme soit bouchées, soit incertaines. Dans les deux cas, l’étau de l’angoisse oppresse le sujet. La perte de sens envahit les esprits, la dépression guette.

Mais le sujet persiste, et le psychanalyste lui tend la perche. Dans le cafouillis ambiant la psychanalyse permet d’exister. Encore faudrait-il que l’analyste sorte parfois de son fauteuil. La demande ne se jette pas toujours sur son divan. Il s’agit au préalable d’entendre les nouvelles formes empruntées. Ces présentations collent aux modes sociétales. Attente d’un diagnostic, d’un conseil, d’une relaxation, etc. Alors oui, la demande est moins séduisante qu’une demande « d’analyser ma névrose d’âme ». Seulement, elle concerne tout autant l’analyste. La demande est la partie dicible de la métamorphose d’un désir empêché.

Analystes, entendez les nouvelles formes de demandes plutôt que de déplorer la disparition des anciennes ! Et si la bonne vieille névrose est moins fréquente, qu’importe, adaptons-nous au contexte dans lequel nous vivons. Il s’agit d’évaluer l’aide à apporter à un sujet “allant-devenant” pour reprendre une expression de F. Dolto. Et la manière de répondre à cette personne prend en compte le réel qui l’anime, les méandres de sa parole mais aussi les représentations qu’elle se fait d’elle-même ainsi que les croyances qui la portent. Non, elles n’ont pas disparu…

Revenons à l’avenir de la psychanalyse. Tous les chemins peuvent mener à l’analyse. À condition qu’il y ait des analystes à l’écoute des inconscients ! Il n’y pas d’âge pour débuter. Cela peut être même trans-générationnel : une interpellation peut résonner aux générations suivantes qui s’en empareront et conduiront vers l’analyse.

Je propose ici deux facteurs qui font de l’analyse une thérapeutique d’avenir : l’inévitable névrose infantile côté patient et la capacité de durer côté analyste.

Une fois le sujet autorisé à parler, c’est toujours son enfance qui revient. Ou plus justement la névrose infantile. La psychanalyse est la seule « thérapie » à proposer une méthode qui touche réellement ce point nodal de tout sujet. La névrose infantile est le drame de l’enfant qui hante l’adulte et qui revient sans cesse dans le couple, la vie familiale, professionnelle, extra-conjugale, etc. La névrose infantile assure le passé, le présent et l’avenir de la psychanalyse. En effet, l’oppression de l’enfance ne cesse pas. Qu’elle soit écrasante interdiction ou permissivité sans limite. Les symptômes prennent effectivement d’autres formes dans ces deux situations différentes. Ce qui ne change pas, c’est qu’avant de devenir un adulte, l’individu a été enfant. La névrose infantile peut être résumée ainsi : persistance d’un incompréhensible et insaisissable dont les associations renvoient à l’enfance. Alors voilà : la névrose infantile tente inépuisablement de se faire entendre. Et ce qu’offre l’analyse, et qu’elle est seule à proposer, c’est un temps d’élaboration de ce réel du passé qui ne passe pas. Nous ne disons pas que la cure efface ou réduit cette névrose, mais elle n’est pas sans effets sur elle. Quels sont ces effets ?

Abordons maintenant le deuxième argument (ou le même côté analyste) en faveur d’un certain futur pour la psychanalyse : la persévérance de l’analyste ! Il tient un cadre. Il propose un dispositif que le patient accepte. L’analyste est garant de ce dispositif. Celui-ci est le rythme des séances, leur durée, leur lieu, etc. : cadre qui assure un espace-temps qui autorise un sujet à s’exposer, s’explorer et se transformer. Autre point essentiel : le cadre est une invitation forte au transfert. Avec les cliniques actuelles et leurs dispositions à la thérapie, ce cadre peut prendre des formes variées et surtout connaître un chemin fluctuant avant de trouver une certaine assiduité. Ceci montre que ce cadre analytique n’est pas seulement un dispositif organisationnel mais également un positionnement éthique.

Voilà une spécificité analytique! Tenir le cap de l’inconscient! Ne pas lâcher le sujet sur ce qui ne le lâche pas! La liberté du sujet n’est possible qu’à condition de donner la juste mesure au poids des contraintes qui l’assiègent. La rigueur de l’analyste a pour modèle et guide la ténacité du symptôme. L’analyste tente de se tenir entre la surestimation des déterminants psychiques et leur sous-estimation. Pour cela, ou plutôt pour ne pas trop « estimer » les déterminants, il laisse place à la répétition ce qui permettra la répétition dans le transfert. Avant toute interprétation, il s’agit de permettre à cette répétition d’être ressentie, de devenir sensible: le sujet en est affecté! De nombreuses consultations (en psychiatrie, en pédopsychiatrie, donc pas seulement adressés à l’analyste, mais il faut de l’analyste pour le prendre en compte) laissent place à ce ressenti transférentiel. C’est ce même ressenti qui, lorsqu’il n’est pas pris en compte, met fin au suivi en laissant un goût amer. Ce ressenti n’est pas toujours amour de transfert. Il est bien souvent, dans les consultations les plus éprouvantes, ressentiment de transfert. Charge à l’analyste d’en permettre une élaboration.

Donc, le cadre tenu rend concrète la théorie de l’analyste. Il n’y a pas d’analyste sans théorie, pas plus qu’il n’y a d’analyste sans pratique. La ténacité à laisser revenir, dans le transfert, les manifestations de la névrose infantile, font de l’analyste un représentant de la contrainte. Il ne vous contraint pas, il tient la place depuis laquelle ce qui vous contraint se manifeste à vous.

Le ressenti de cette contrainte est mal toléré de nos jours. En effet, les promotions de la liberté individuelle, de l’autonomie, de l’indépendance, de l’auto détermination, de la consommation, de la priorité à la jouissance personnelle sur la vie collective, de l’accent mis sur les potentialités de l’enfant et moins sur l’obéissance, etc., entraînent une plus grande difficulté à faire avec une parole d’autorité. Cette parole est alors reçue comme injuste, car limitant la « liberté » individuelle, la jouissance individualiste et consommatrice, etc. Cela en oubliant qu’il n’y a de liberté que s’il y a une loi qui évite le chaos. La parole d’autorité, celle qui dit non, sera alors entendue comme autoritarisme.

La parole de l’analyste sera souvent attendue –ou fuie !- à cette place… Si nous introduisons ici le terme de « surmoi » nous percevons alors mieux les liens avec la névrose infantile. L’analyste est attendu/entendu depuis cette place d’autorité –qui autoriserait !- ne signifie aucunement qu’il y siège. L’acte analytique dépendra de l’adresse avec laquelle il « joue » entre ses deux places.

La réactualisation de la névrose infantile prend plus ou moins de temps pour apparaître dans le transfert. Je rencontre cependant de nombreuses situations où cette dimension est d’emblée présente, ce qui ne facilite pas la tâche. Il semblerait que l’inhibition névrotique réponde mieux au modèle « classique » de la cure analytique. Or, la mise à l’épreuve du praticien avec rapidement des revendications, des exigences, de la colère, du ressentiment, oblige le thérapeute à se positionner autrement que l’habituel retrait de la cure type avec de rares interventions. En tout cas ceci nécessite du temps et un usage révisé de nos paroles et silences. Cela tout en gardant le cap sur une direction analytique, celle orientée par la névrose infantile. Combien de répétition et de perlaboration pour supporter les limites qui nous contraignent. Et souvent ce temps est requis simplement pour ce qui s’appelait les entretiens préliminaires mais qui constituent aujourd’hui un travail analytique en soi.

Cette notion de temps, de durée mais surtout de durer – « dur désir de durer » disait l’autre – est un concept pratique fondamental. Car c’est cette lente élaboration qui permet de grignoter la névrose infantile et de la rendre moins envahissante.

Tant que l’enfant a de l’avenir, le psychanalyste aura du travail!

Commentaires et échos

Valérie Ritzenthaler :

C’est très juste de souligner qu’il y a eu un temps, dont certains sont sans doute nostalgiques, et je me compte parmi eux, parfois, un temps confortable, où les demandes étaient bien ficelées, une sorte de prêt-à-porter pour les psychanalystes en vogue. Mais c’est tout de même, comme nous le rappelle souvent Jean-Richard Freymann, la situation plus habituelle de l’analyse, que celle de ne pas être dans l’air du temps, d’être à contre-courant.

Finalement tu invites les psychanalystes à se déloger eux-mêmes d’une position de plainte et de nostalgie.

Le fauteuil est moins confortable, surtout en institution, les demandes cachées derrière l’armure de la quête du diagnostic, offert comme un leurre de vérité, et les demandes de gouttes, qui apaisent un temps la culpabilité et la souffrance.

Ton écrit n’est pas sans me rappeler ce que Charlotte Herfray soutenait, et qui tient dans le titre d’un de ses tout dernier texte, qu’elle n’avait plus eu la force de venir dire, « Et toujours le désir nous rendait soucieux ».

Soutenir une position désirante, tendre la perche au sujet, prêter l’oreille au contenu latent, n’est pas une position confortable.

Martin Roth :

Merci Valérie pour ton retour qui relance mon souci de précision!

Oui, ne pas être dans l’air du temps c’est ne pas adhérer, pour ne pas dire coller, aux modes de l’époque. Et toi, comment l’entends-tu? Pourquoi ne pas adhérer? N’est-ce pas avant tout car ces modes participent à la constitution du symptôme? Nous retrouvons ici « les non dupes »… air du temps! L’idée du contre-courant me parle bien, mais pour qu’il y ait contre-courant, il faut être dans le bain ambiant. Sinon le contre-courant court contre rien ! Ce que je veux dire, c’est que le contre-courant est intéressant en tant qu’il crée un remous et ainsi un point de friction qui met en lumière la non-évidence. Nous naviguons dans la Non-evidence Based Medicine. Ainsi, comment prendre suffisamment en compte les rets sociaux de notre époque, pour ne pas être sans patients, sans y être totalement aliéné?

La nostalgie ne me pose pas de problème, d’autant moins que je me surprends à être nostalgique d’une période que je n’ai pas connue…

Quant à la plainte, oui, en effet! Mais, distinguerais-tu différentes formes de plaintes? Par exemple la plainte « constructive », préalable à une élaboration, et la plainte passion, symptôme s’auto-entretenant?

Oui, soucions-nous du désir : quel désir dans la plainte?

Vincent Stutz :

Martin, tu nous invites à de l’optimisme concernant la place de la psychanalyse dans les différentes « offres » de soin, un optimisme pour plus tard, mais aussi pour maintenant puisque des demandes il y en a, c’est simplement qu’elles butent sur les attentes de réponses déjà élaborées par nos patients, avant même de venir nous consulter. Elles butent également, ces demandes, sur la « liberté individuelle », sur la « jouissance de consommation »…

Je ne peux que te rejoindre sur ces différents points, ayant été, avant d’être praticien de la chose psychique (psychanalyste?), analysant (je le suis encore d’une certaine manière), et il est vrai que la frustration qui est un des éléments de la rencontre avec un psychanalyste insiste, même si elle s’associe à cette liberté de dire et d’être écouté (entendu parfois) qui permet l’ouverture vers un autre horizon, sans forme particulière, si ce n’est quelque chose qui, si je prends au sérieux ce que me disent certains de mes patients, « leur fait du bien », tout simplement.

Oui, la cacophonie des discours rend paradoxalement un certain discours singulier (discours subjectif) parfois inaudible, et il suffit alors de lui donner toute sa place pour que des effets de rencontre se mettent en place, des effets transférentiels… Alors oui, peut-être qu’au lieu de s’accrocher au savoir, ce transfert s’agrippe plus radicalement à l’oreille de celui qui écoute, laissant pour un temps de côté le nécessaire grignotage sur une (pseudo) liberté, ce cocon dans lequel le monde contemporain tente de nous assoupir, en vain je l’espère.

J’espère donc. J’espère que tu dis vrai et que ton optimisme se confirmera ou se confirme déjà. Je devrais dire j’espère que nous disons vrai tant je partage cette foi dans le fait de parler, et dans cette élaboration de nos méandres infantiles sur lesquels nous butons dans une répétition parfois sublimée.

Et puis, par rapport à ce que tu dis sur ce réajustement du positionnement du psychanalyste, je ne peux qu’aller dans ton sens. Ma pratique avec des adolescents m’a depuis quelque temps déjà convaincu qu’il était crucial d’aller à la rencontre, voire de chercher la rencontre avec ces jeunes qui se trouvent face à nous, qu’ils aient choisi de venir en consultation ou que certains dans leur entourage aient pensé cela nécessaire. Aller à la rencontre n’est-ce pas alors aller au plus près de l’endroit d’où ils parlent ? Dans cette pratique, le silence n’est pas cette absence de parole mais plutôt quelque chose qui vise à faire taire le commentaire, pour laisser la parole de l’autre se dérouler, laisser le sujet se surprendre de ce qu’il ne s’attendait pas à dire, à pouvoir dire, de ce qu’il ne s’attendait pas à pouvoir être entendu. Pour ma part je parle ici de relation transférentielle, en mettant l’accent sur « relation », c’est peut-être là que la pratique analytique demeure subversive, dans le maintien, envers et contre tout, d’une relation dans laquelle le sujet peut se construire, s’élaborer, et plus encore, peut-être, se libérer de son injonction à la liberté.

Martin Roth :

Merci Vincent pour cette réponse qui prolonge et ouvre de nouveaux points de recherche.

Y a-t-il, selon ton analyse, dans cette « relation » particulière une quête? Peut-être faut-il accepter un temps préalable de requête, non? Nos patients ont souvent une requête à nous faire, qu’il s’agit de faire advenir à la parole. C’est seulement à partir de là que la quête commence. Quelles sont, selon toi, les spécificités de la quête analytique? Il me semble que tu amènes un début de réponse très intéressante : « aller vers ». Cette expression est à la mode (terme clef dans les projets de l’ARS) mais tu lui donnes un sens moins académique et bien plus analytique : aller vers l’Autre. « Aller au plus près de l’endroit d’où ils parlent », dis-tu. Cela me rappelle la belle expression de Jean Oury : « être au plus proche du lointain de l’autre ». L’Autre en soi également ou le « va vers toi » biblique. Tu rappelles combien la parole de l’Autre limite mais/et conditionne la liberté.

Éveiller, par la présence, une libération chez l’autre, voilà ce dont nous pourrions rediscuter!

Cyrielle Weisgerber

Dans ton article, Martin, tu fais entendre plusieurs points qui me semblent essentiels :

  • qu’apporte la psychanalyse ?
    Comme tu le dis, elle tend la perche au sujet : elle lui permet d’exister dans le cafouillis ambiant, malgré le cafouillis ambiant !
    Je proposerais d’ailleurs qu’il y a deux temporalités différentes : du côté des effets de désaliénation subjective, des effets de la cure en tant que tels, cela prend du temps, ce n’est pas gagné d’emblée, rien n’est assuré. Mais le simple fait de tendre la perche au sujet permet aussi des effets de subjectivation assez « immédiats ».
    « Parle-moi, je t’écoute, j’essaie d’entendre ce qui parle en toi, au-delà de ton Moi très actuel qui se veut la meilleure version de lui-même, j’essaie d’entendre ce qui parle en toi, cette parole à travers laquelle tu peux exister… », propose l’analyste.
  • les demandes adressées à l’analyste peuvent prendre des formes en écho avec le discours courant, apparemment non analytiques ou contre-analytiques : tu rappelles que toute demande peut n’être pas prise au premier degré, que ces demandes elles aussi peuvent être entendues comme demandes en tant que telles, c’est-à-dire point d’accroche d’un début de transfert. Si l’analyste peut « reconnaître » qu’il y a une demande, quelle que soit sa forme, sans la combler par une pseudo-réponse, toute la dynamique – et dynamite ! – de la parole peut se mettre en mouvement.
  • tu rappelles la place essentielle de quelque chose que tu épingles sous le nom de névrose infantile. Est-ce que tu serais d’accord de dire que cela correspond aussi aux fantasmes inconscients du sujet, à tout ce complexe ou cette matrice des mécanismes psychiques ?
    Les apports de Lacan à propos du fantasme ont l’intérêt d’éclairer que tout l’édifice psychique d’une personne (son identité, sa vision du monde, ses désirs, ses choix amoureux, sa façon d’agir et de réagir dans la vie…) est déterminé par quelques éléments : son rapport à l’objet cause de son désir, qui s’articule avec la construction qu’il se fait de l’Autre et son rapport à l’Autre à travers l’objet cause du désir (l’Autre me donne-t-il l’objet, et lequel, suis-je l’objet de son désir, et lequel, qu’est-ce que je lui veux, qu’est-ce qu’il me veut ?..), et s’articule encore avec toutes les questions de reconnaissance dans le regard de l’Autre et dans le miroir de l’autre (Idéal du Moi, Moi idéal, etc). En effet, tous ces éléments se construisent dans l’enfance, mais peuvent aussi se modifier un peu, de se colorer autrement, sous l’effet des événements ultérieurs de la vie.
    Tu le soulignes, Martin, et le formules ainsi : « La névrose infantile est le drame de l’enfant qui hante l’adulte et qui revient sans cesse dans le couple, la vie familiale, professionnelle, extra-conjugale, etc. »
    La matrice du fantasme inconscient trame toute l’existence de la personne : et il est parfois surprenant de voir la personne contrainte par cette matrice bien davantage qu’elle ne l’est par les éléments de la réalité extérieure de sa vie.
    À première vue, on pourrait penser que la psychanalyse ne s’occupe que des « petits problèmes nombrilistes de névrose », et néglige les « vrais problèmes du monde » : au contraire une cure permet à l’analysant de se défaire quelque peu de ses préoccupations et déterminants nombrilistes, et de faire face de façon plus subjective et plus libre aux problèmes et chaos du monde.
  • La cure permet une certaine désaliénation de la matrice du fantasme inconscient, ou du moins son assouplissement. Mais elle fait passer l’analysant par tout un périple de répétitions dans le transfert, périple qui se révèle souvent mouvementé et pénible.
    Tu le formules ainsi, Martin : « La ténacité à laisser revenir, dans le transfert, les manifestations de la névrose infantile, font de l’analyste un représentant de la contrainte. Il ne vous contraint pas, il tient la place depuis laquelle ce qui vous contraint se manifeste à vous. »
    Peut-être y a-t-il un intérêt à rappeler que la démarche n’est pas masochiste : si une cure n’était pas engagée, la répétition qui a lieu dans le transfert aurait lieu dans la vie, avec des conséquences probablement plus lourdes d’ailleurs. Et précisément la cure vise à lever quelque peu la contrainte de répétition, dans la vie !…
    Je m’arrête dans les commentaires, qui, à les vouloir assez précis, prennent une certaine lourdeur théorisante, pour faire écho plutôt à la note d’optimisme, d’espoir et de « foi » (?) que Vincent a prolongée dans sa réponse.

Les points que tu éclaires, Martin, permettent de soutenir (pour ceux qui en douteraient) que la psychanalyse a sa place et a des effets, même face aux demandes prises dans le discours courant actuel, même dans les institutions, elles aussi confites dans le discours courant actuel. Tu vas jusqu’à ouvrir des pistes précises vers des pratiques actuelles de la psychanalyse.

Je me pose une question : y a-t-il de la foi quelque part en l’affaire ? S’agit-il de croire en la parole, en ses effets possibles dans le dispositif analytique ?

Un élément de réponse me vient à repenser à la note d’optimisme et d’espoir de ton texte, qui filtre entre les lignes. On entend que tu écris à partir d’un mouvement désirant, porté par un désir de désir de l’autre, un désir de la possibilité du désir subjectivé de l’autre : ton texte lui-même comme une perche tendue au sujet, pourrait-on dire. Je ne pense pas qu’il s’agisse de « foi », cela : je pense qu’il s’agit de l’expérience personnelle des effets de la cure (un peu de désaliénation, d’espace de liberté, mouvement désirant quelque peu dégagé de la prise dans les objets, possibilité de prise de position subjective, possibilité de se sentir exister !…), expérience d’une telle force et d’une portée si cruciale, vitale (exister !…), qu’elle appelle à être renouvelée, réanimée, soutenue, encore et encore, pour soi-même, pour pouvoir tendre la perche, et pour l’autre, s’il saisit la perche ?

Martin Roth

Passionnante question que celle du rapport entre fantasme et névrose infantile ! Cela justifierait un séminaire entier ! Mais ici lançons peut-être des hypothèses.

Tout d’abord, non, je ne les confondrais pas. Ce sont deux concepts qui renvoient pour moi à des phénomènes différents. Mais, oui, ta proposition d’apposer le fantasme en regard de la névrose infantile est fructueuse car en effet ils paraissent indissociables. En tous cas, il semblerait qu’il y ait à distinguer cliniquement deux phénomènes qui s’imbriquent mais se distinguent. Disons ici la névrose infantile et le fantasme. Mais il pourrait s’agir d’une distinction qu’on pourrait opérer au sein de la névrose infantile ou au sein du fantasme.

La névrose infantile – concept freudien – renvoie à l’inassimilé et l’inassimilable d’un vécu de l’enfant qui fait retour chez l’adulte. Le vécu de l’enfant restant en tant que tel inaccessible car passé, et donc toujours reconstruit. Mais un quelque chose insiste. Le fantasme – concept lacanien – serait alors la séquence, le schématisme récurrent qui met en scène ce réel de la névrose infantile. La névrose infantile fait retour dans le transfert : retour d’un affect. Le fantasme serait alors l’interprétation qu’en fait le sujet, la petite histoire qu’il se raconte pour justifier cet affect. Cette petite historiette peut donc être dans son contenu une nouvelle histoire, mais dans sa structure, elle se répète et elle permet à la névrose infantile de s’exprimer.

Et toi, Cyrielle, comment vois-tu ce recouvrement de la névrose infantile et du fantasme? Comment définirais-tu l’un et l’autre? Évidemment, il faudrait revenir aux textes…

Deuxième remarque:

Je ne dirais pas que la matrice du fantasme trame TOUTE l’existence de la personne. Je me méfie « du tout ». Cette trame pèse lourd en effet, et ainsi elle oriente de manière intransigeante l’individu vers la répétition. Elle donne une orientation prépondérante. Mais cette trame n’est pas unique, seule, indépendante. Elle est associée à tout un réseau d’autres éléments signifiants pour le sujet, certes qui pèsent moins lourds, mais qui peuvent influer la tendance de la trame principale. Donc la parole en analyse, tout en révélant par le transfert cette trame principale du fantasme, laisse apparaître par association d’autres potentialités qui permettent la survenue d’indéterminé, de nouveauté, de liberté. Les contingences, et notamment les rencontres en font partie.

Enfin, j’accueille avec intérêt tes remarques sur la foi et la croyance, où tu introduis l’expérience !

En quoi croit le psychanalyste ? La pratique analytique est-elle dénuée de croyance ? Quel rapport entre la croyance et l’expérience ? Il faudrait au préalable redéfinir la croyance…

Billet d’où ?

D’accord, d’accord, je ne le nierai pas : dans mon titre s’entend l’envie de vous écrire un billet doux. Eh oui, un peu de douceur, que diable, dans ce monde de brutes !
Ou plutôt, à vrai dire, un peu de parole subjective, par pitié, dans ce monde de perroquets hypnotisés…

D’où ça parle ? d’où ça parle, pour faire entendre un peu le sujet ?
Ça parle, aujourd’hui ça parle trop, tout parle, à tort et à travers et sans sujet. Vos applications vous parlent : elles vous racontent votre vie, elles vous racontent qui vous êtes. L’application GPS retrace vos trajets et les présente sous forme de roman photo agrémenté des images de quelques « lieux phares » – où, Covid oblige, vous retrouvez davantage vos lieux de travail que vos lieux de vacances, sur la carte trois points entre lesquels vous tournez en rond, triangle des Bermudes ? Fin d’année, l’application musique vous rappelle vos découvertes de l’année, vos coups de coeur, les chansons que vous avez écoutées en boucle ; elle en fait une espèce de clip qui vous raconterait, avec extraits musicaux qui vous replongent dans l’atmosphère des moments les plus lumineux ou les plus sombres de votre année.
L’intelligence artificielle parle, « raconte » : une farce de fiction sans narrateur, sans histoire, construite à partir des répétitions repérées.
L’être humain parle, essaie de parler : mais ça parle, de manière robotisée, de manière téléguidée de l’extérieur – le discours courant parle à travers nos voix -, et de l’intérieur – ça parle, nos mécanismes psychiques déterminent le texte et nous l’imposent.
Où entendre un peu le sujet ? Où se fait-il entendre ?

Et encore : d’où ça écrit ? J’écris, donc je suis ?
Dans ses éditoriaux récents, Jean-Richard accoste au continent de l’écriture par différents rivages. Ce mois-ci, il évoque l’écriture « proche du cri, de l’énonciation pure, ni symptôme, ni sinthome » ; « une certaine musicalité du désir, une approche ultime dans l’adresse ».
Les formes d’écriture, publiques ou non, sont très diverses : les journaux intimes et leurs rêveries diurnes ou récit de symptômes, l’écriture comme parure narcissique, les textes littéraires qui vont du voile occultant l’humain, aux fresques magnifiques à travers lesquelles filtre l’humain, aux tableaux peignant l’humain, jusqu’à des philtres concentrés d’humain et de subjectivité. Amers, parfois, ces philtres, ou épicés, intenses, brûlants, insupportables presque. Clarice Lispector, Marguerite Duras, Virginia Woolf, Pascal Quignard…

Il est des écritures où ça parle, et ça n’est pas un robot. Ça parle, et s’entend le sujet. S’entend l’humain, sa complexité, le vivant, son incandescence.
Je propose l’idée que ce type d’écriture et ce qui vient à s’entendre dans une cure sont très proches. Il y a quelque chose d’un vif, d’un cru de la parole, qui dit quelque chose de l’indicible – le vif, le cru, l’incandescent du vivant humain.
Certaines écritures y touchent – on y touche dans la cure, à travers l’intensément singulier : ces moments où se dit – se mi-dit la forme singulière que prend l’incandescence du vivant pour un analysant ; forme qui structure et aliène, et qui à se dire un peu s’assouplit un peu, ouvre des brèches… Alors se sentir exister – un peu ! – et supporter d’exister, supporter le cri de l’incandescence qui se lève en nous…
… à travers les brèches il se module en chant.

Pardonnez-moi les amis… j’hésite et je rêve de ne pas comprendre.

Est-ce que cela vaut vraiment la peine que je me mette à écrire des éditoriaux ou quelques livres destinés à des salons du livre ou à des amis collègues qui souvent ne sont en rien objectifs ?
Je suis obsédé à ce sujet par Morvan Lebesque[1] où, chaque semaine, j’attendais la nouvelle édition du journal satirique « Le canard enchaîné ». Il va falloir que je m’y remette.
J’étais en vacances dans le sud avec mes parents… 15 ans à l’époque… et mon paternel avait reconnu Robert Treno[2], le directeur de la publication du Canard enchaîné. Je lisais « Les chroniques du Canard Enchaîné »[3] de Morvan Lebesque et dans ma candeur (de l’époque) je voulais obtenir un autographe dudit Treno, sur le livre de Lebesque. Treno repousse cette proposition en me disant : « j’aurais bien aimé, mais c’est impossible »… Pas de falsification… Eh oui on ne mélange pas « les torchons et les serviettes » ou « je ne le mérite pas » ou « comment confondre « une énonciation avec l’autre ».

Pour moi ce serait plutôt comment parvenir à un Panthéon des Écrivains ? J’en ai tout autant pour Arthur Rimbaud, Franz Kafka, Serge Leclaire et à certaines tranches de Jacques Lacan et de Lucien Israël. Je m’arrête là pour aujourd’hui. Et je vois que Cyrielle, Martin, Guillaume s’en approchent. Comment rêver d’une écriture qui persiste ? Mais de quoi s’agit-il ? Et quel rapport avec le champ analytique ?

Je me rappelle des injonctions de Lucien Israël, pourtant un grand spécialiste de l’oralité, s’écriant à propos d’un texte sur la conversion psychosomatique : « Remets-toi mille fois sur le chantier ». Lucien Israël ne voulait pas que l’on confonde rsi (en minuscules) avec RSI (en majuscules) : les signifiants quoi !
Pour écrire il faut à la fois respecter les maîtres et à la fois leur avoir échappé.
Alors, « l’écriture du rêve Schibboleth de la cure analytique » ? Voici un condensé dont il va falloir que je me justifie.
L’écriture est à la fois un Einfall et une élaboration synthétique. Pourtant l’écriture dont je parle est la production de la corne de Roland de Roncevaux. Proche du cri, d’une énonciation pure, ni symptôme, ni sinthome. Une certaine musicalité du désir, une approche ultime dans l’adresse.

Alors cette écriture touche plus l’analysé que l’analysant. Le participe présent secoue le participe passé. Qu’y a-t-il entre le présent et le passé ? Un temps rétroactif.
« Je lui arracherai les yeux »[4]
« Yeux vidés auxquels il manque le regard »[5]
« Un couteau sans manche auquel il manque la lame »
«  Frères humains qui après nous vivez… »[6]

Un écrit peut-il être testamentaire dans le sens de la transmission et non notarié ? En se rapprochant du testamentaire on quitte la dimension analytique qui doit flotter sans objet. Tenter d’un parler vrai, sans que pourtant l’on soit garanti de la compréhensibilité de sa parole.

« Ce que tu as hérité de ton père, habite le »
Ces approches manquent de simplification, nous devrions tomber sur une écriture de type « famillionnaire ».
« Motus et bouche cousue »

Où l’inconscient retrouve ses droits.
« L’inconscient est la trace de ce qui opère pour la constitution du sujet » (cf. texte de la déclaration).

Question : En fétichisant le CON-TEXTE n’a-t-on pas perdu le TEXTE HIEROGLYPHIQUE ?
« Ça rêve de ne pas se comprendre ».

NB : Vous n’avez pas fini de supporter mes éditoriaux qui gardent une couleur onirique.

  1. Morvan Lebesque, 1911-1970, journaliste et essayiste.
  2. Robert Treno, 1902-1969, journaliste, rédacteur en chef du Canard Enchaîné de 1953 à 1969.
  3. M. Lebesque, Les Chroniques du Canard Enchaîné, Paris, Diffusion A. Colin, 1983.
  4. J. Lacan, « Motifs du crime paranoïaque : Le crime des sœurs Papin », in De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité suivi de Premiers écrits sur la paranoïa, Paris, Seuil, 1975.
  5. P. Süskind, Le pigeon, Paris, Fayard, 18 mars 1987,
  6. F. Villon, La ballade des pendus, 1462.

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