« L’amour comme sa-parure » ?

Comment mesure-t-on la trace de la cause analytique ?
Comment dire : As-tu « déraillé » par rapport à ton disque traumatique ?
As-tu senti cette amère coupure qui t’a clivé au sein de ton automatisme ?
Il y a peu de gens qui s’y frottent ; pourquoi ? Parce que – parfois – cela se rapproche trop du parfum du délire érotomaniaque.
Alors quel est ce courage qu’il faut pour aller y voir ?
Dans le lacanisme « premier épisode », il s’agit de se laisser aller… au SIGNIFIANT.
Mais qu’est-ce à dire ? Qu’un mot ne soit plus qu’un « maux » !

Signifiants croisés

Essayez donc de résumer votre analyse en quelques signifiants croisés. Des mots croisés ? Je m’y suis essayé dans une première tranche d’auto-analyse. Mais les signifiants transversaux manquaient de tiers.

Par contre,           PHIL LIPPE             P I G E R
I          I
GEAN C
E        H
O        A
N        R
D

Pour ceux qui cherchent du sens, PIGER renvoie à une phobie des pigeons (voir Le Pigeon[1]).
– Richard, c’est mon second prénom ;
– Philippe, mon troisième prénom ;
– GEAN = JEAN = 1er prénom, le signifiant n’en a cure de l’orthographe…

Durcharbeitung

PHILIPPE me renvoie à plusieurs personnes de mon entourage. Mais surtout à un trou de l’être qui renvoie à la question du sujet. J’ai perdu de vue ce Philippe que j’appellerais Philippe X, absent, et qui introduit la dimension du tiers-trouant. Nous ne sommes pas loin du film x et cela s’en rapproche.

  • Du point de vue des sons, PHIL LIPPE, c’est celui qui aime les lèvres.
  • Philippe, dans son absence actuelle, renvoie à une autre absence, celle de son père mort dans l’après-coup des camps d’extermination nazis. Mon enfance me renvoie au récit de son absence et surtout à une phrase assassine du grand Rabbin de cette époque. Non seulement il était mort mais de plus le grand Rabbin que j’avais rencontré à son décès tardif m’avait apostrophé dans la rue en insistant : « Tu te rends compte, en plus sa famille va le faire brûler » en parlant de son enterrement, lui qui a vécu les camps.

Après-coup

À l’époque je ne mesurais pas l’effroi de cette annonce. Un juif qui se fait brûler alors qu’il avait échappé de peu au four crématoire… Que voulait me dire le rabbin ? Que la loi est pour tous. Qu’il se sentait déserté d’une harangue. Le rabbin oubliait juste un détail. Il s’agissait de l’expression de la volonté du mourant.

Alors qu’est-ce qui est premier ? La loi des religions ou la loi du sujet ? Il y en a tellement à qui on n’a pas demandé leur avis !

Pourrait-on dire que les lois du sujet sont rarement conformes ? Même dans les rituels de sa tribu.

Élargissons

L’affirmation de l’énonciation (donc du désir) blesse couramment les lois du social, à l’endroit où le désir s’articule à la loi. À un premier niveau, la transgression d’une règle semble la voie royale de l’affirmation. À un second niveau, la transgression ne provoque qu’un « retournement » ou l’inverse, ou un message inversé.

Si nous prenons pour exemple le commandement : « Tu ne mentiras pas ». Suffit-il de mentir pour que le sujet s’affirme ? Suffit-il de dire la vérité sur un fait pour que le sujet dise la vérité ? Voici une équation à plusieurs inconnues. C’est la torture utilisée qui vient faire croire que la vérité peut être toute dite, c’est à ce titre que tricher, par exemple, se pose en d’autres termes que mentir. Là, les jeux signifiants de l’amour jonglent entre deux dimensions.

À la question « est-ce que tu m’aimes ? » on peut répondre oui ou non. Espoir cruel !

Autres questions

À l’heure qu’il est, je t’aime ? M’aimes-tu autant que je t’aime ? Je t’aime moi non plus ! L’amour c’est donner ce que l’on n’a pas… Hainamoration…

Ainsi l’AMOUR ou l’AMUR (voir Lacan) est un signifiant à tout faire.
AMOUR PATERNEL
AMOUR FRATERNEL
AMOUR MATERNEL
AMOUR PERDU
AMOUR INTERDIT…
J’en passe et des meilleures.

Le meilleur aujourd’hui vient de Lacan : « L’insuccès de l’une Bévue vient de l’Amour. » Je dirais que dès que l’on rate une formation de l’inconscient, on parle d’amour.
Poussons le bouchon : l’amour, voilà l’exercice de l’inconscient ou de l’inconscience. En plus l’amour du transfert n’est pas synonyme d’amour « vers quelqu’un ». Et voici un signifiant à tout faire en couverture. Il va alors se faire des « mamours », au choix…
Ainsi, je suis passé d’une purification amoureuse L’Amer amour[2], Amour et Transfert[3] à une prothèse amoureuse multiforme. Désolé, l’un ne contredit pas l’autre. Mais gare ! Il y a des moments où l’on ne peut pas faire appel à l’amour. C’est ce moment qui interroge l’analyste. Quel est ce moment ? Le vide, la haine, la passion, le manque, le désir, la pulsion ?

Comment penser le sans-amour ?

Il s’agit surtout d’une plainte, d’une demande, les raisons pour lesquelles les gens viennent en analyse, moins en thérapie, puisque thérapeutiquement dans cette demande le creux est rempli.

Le moment sans-amour est-il de même nature que le desêtre analytique ? Autrement dit renvoie-t-il à la perception de la solitude, de l’absence de l’autre ou de l’Autre ?

Dans les textes de Lacan sur « la passe », on trouve deux notions qui ne sont pas équivalentes : le « désêtre » et la « destitution subjective », visiblement à ne pas confondre.

Le désêtre est une trouée que l’analysant en perte de narcissisme éprouve lorsqu’il a « traversé » le « fantasme inconscient », quand il se retrouve confronté à l’édifice pulsionnel, quand la schize lui paraît perçue. C’est peut-être ce désêtre que l’on retrouve dans la perte amoureuse ou dans un moment de vide psychotique, notions, dans mon idée, non confondues voire de la « psychanalyse courante ».

Quant à la destitution subjective, d’après Lacan, il s’agit d’un autre cas. Là, il s’agit du « cas » du psychanalyste dans une cure. C’est le psychanalyste du psychanalysant qui achève sa cure qui en est atteint. Disons : quand l’attente se résout. C’est peut-être le moment où le psychanalyste se fait pur manque dans la situation analytique. Quand il se heurte à la division du sujet de l’analysant. Étrange ! Quand la situation analytique s’épure en un pur schéma L. Quand choient tous les éléments de l’intersubjectivité.

cf Schéma L

Mon voisin de Réa me disait, face à sa phase de comateux, qu’après cette expérience on ne peut pas se retrouver pareil qu’avant.
Il y a donc une forme discursive qui n’est pas « intersubjective ». Qu’est-ce ? Un moment de convergence intrasubjective. Mais encore… De la confrontation entre deux sujets qui font que s’articule deux fois le manque. Et il s’agit donc de la mise en acte de la séparation lacanienne.
Au manque troué chez l’Autre, l’analyste a donné son propre manque (voir le Séminaire XI[4]).

Il nous faudra reprendre les méandres de la séparation.

  1. P. Süskind (1988), Le pigeon, livre de poche.
  2. J.-R. Freymann, L’Amer amour, Toulouse, Arcanes-érès, 2002.
  3. J.-R. Freymann, Amour et Transfert, Toulouse, Arcanes-érès, 2020.
  4. J. Lacan, Le Séminaire Livre XI (1964), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973.

Sous influence ?

J’ai entendu par hasard un passage d’une émission de radio évoquant « les risques de dérives sectaires ». Un spécialiste (des dérives sectaires) rappelait qu’un changement repéré chez une personne s’inscrivant dans un nouveau groupe (religieux, associatif, sportif, arts martiaux, etc…) constitue un signal d’alerte, un signe d’influence.
S’entendait une inquiétude face à une menace grave, diffuse : changement (sous-entendu de comportement) = influence = danger.
Quid de la cure psychanalytique, alors, qui n’en est pas une si elle ne produit pas de changement : serait-elle une secte à deux ?!!!
S’entendait en creux l’idée que l’individu pourrait vivre sans influence, devrait vivre sans influence aucune. Lacan la repérait sous le nom de « délire d’autonomie » : le délire de penser qu’un être humain pourrait n’être déterminé que par lui-même, sans influence extérieure de quiconque ni de quoi que ce soit.

S’entendait encore l’absence de nuances entres différentes formes d’influences : l’influence peut prendre la forme des stratagèmes manipulateurs d’un arnaqueur cupide et/ou pervers, mais aussi celle des effets d’une rencontre, d’une relation amicale ou amoureuse, d’un transfert de travail, d’un compagnonnage, ou même d’une relation « maître-élève » – attention, le « maître » n’est pas à la mode…
À faire passer à la trappe la relation maître-élève, passe aussi à la trappe une (grande?) partie des effets de transmission. À diaboliser la question du « maître », on forclot les apports des penseurs, qui repèrent que la transmission n’est pas une « pure et simple influence » (sous-entendue de plus maligne, malveillante).

« Ce que tu as hérité de tes pères,
acquiers-le, pour le posséder. »
Goethe, dans Faust, cité par Freud dans Totem et Tabou

Acquiers-le, que l’on peut entendre « fais-le tien », réécris-le dans ton propre style.

À propos d’arts martiaux japonais, cités comme groupes à risque de dérives sectaires, à juste titre probablement : il est considéré que le rapport entre le maître et l’élève passe par trois grands stades : le premier est l’imitation, dans les gestes techniques et les gestes de la vie, l’art de vivre (“shu”). Le second est une remise en cause, une destruction de l’édifice pourtant lentement et patiemment constitué (“ha”). Le troisième correspond au moment où l’élève, qui ne l’est plus tout à fait, commence à tracer sa propre voie (“ri”), stade auquel tous ne parviennent pas.
Une version japonisante d’aliénation-séparation ?..

La transmission donc n’est pas « pure et simple influence », aux effets sectaires : elle n’est transmission que si elle permet à celui qui est enseigné de s’émanciper du lien à celui qui enseigne.
Notre époque effrayée par les « maîtres » oublie ce point essentiel, comme elle méconnaît une forme actuelle d’influence très répandue, ni « pure » ni « simple », mais radicale : celle du discours courant, médiatico-politico-markettinguisé, véhiculé entre multiples autres médias par les « influenceurs » !!!! (ces personnes dont les comptes Twitter, Instagram, Facebook etc sont suivis par des centaines de milliers ou millions de personnes et qui, contre rémunération, sont prêtes à vanter les mérites de n’importe quel produit ou concept monnayable…).
Influence radicale, au pied de la lettre, collée à la fascination de l’image : aliénation qui n’appelle ni ne permet le moindre balbutiement de séparation.

Une dernière remarque, à propos d’une forme d’influence qui intéresse tout particulièrement le-la psychanalyste.
L’individu qui aimerait tant se croire maître de lui-même, autonome, fruit de sa seule volonté, est déterminé par ses mécanismes psychiques (en grande partie inconscients). Nous sommes sous l’influence de nos fantasmes, de notre modalité de lien aux autres, de nos identifications qui construisent le personnage pour lequel nous nous prenons, le discours que nous tenons, sous l’influence de notre rapport à la perte, à l’angoisse, au monde, nous sommes pris dans le cycle de nos répétitions – tout ce à quoi une cure, précisément, vient à changer quelque chose.
Tout ce qui, d’ailleurs, nous aliène le plus profondément, nous détermine de manière plus contrainte que toutes les contraintes du monde extérieur : avez-vous connu déjà, ces moments où le monde extérieur vous permet une vie à vrai dire assez vivable, et pourtant vos mécanismes psychiques vous plongent dans une angoisse ou un désespoir noirs ? Avez-vous expérimenté ces moments où quelque chose peut bouger dans les mécanismes (effets de la cure, effets de rencontres), l’angoisse ou le désespoir se lèvent, le décor extérieur apparaît soudain chaleureux, agréable, alors que rien en-dehors de vous n’a changé ?
Ainsi une cure – si c’en est une – n’est pas le risque d’une influence de l’analyste sur l’analysant, mais le moyen – et le risque ! – de lever un peu les influences les plus cruelles que le sujet subit, celles de ses propres mécanismes…

Activités Strasbourg

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