Cela commence bien avec une remarque d’un père qui me dit à propos de sa fille de cinq mois :
« Le soir, je l’endors en la berçant.
Je lui demande pourquoi il fait ça.
– Parce qu’elle ne s’endort pas autrement.
– Avez-vous essayé ?
– Oui, et alors elle pleure. »
Il s’engage alors tout un échange sur le sommeil : le sommeil est-il à elle ou à lui ? Il n’avait jamais pensé la chose ainsi. Je lui fais remarquer qu’en effet, après cinq mois de ce traitement, sa fille avait sûrement du mal à comprendre qu’elle pouvait en faire son affaire toute seule. Il me parle de son désarroi devant ces pleurs. Sensible, il accepte tout à fait l’idée qu’il peut progressivement remplacer le bercement par des berceuses qu’il lui chante ; je lui explique l’intérêt de ce relais. En effet, s’il continue de la bercer, il aura toutes les chances de devoir continuer longtemps, voire de retrouver sa fille dans le lit conjugal pour enfin pouvoir dormir, lui et sa femme, collés de corps à corps avec leur enfant. Et encore… Je souligne que ça ne se termine pas toujours très bien.
Je lui parle de la distance qu’il introduit par la berceuse qui, par le rythme, reprend le bercement. La mélodie, transportée par sa voix lui fait cadeau de quelque chose qu’elle peut s’approprier et réévoquer quand elle est éveillée. Il y a donc proximité entre le contact corporel du bercement et le rythme, sans pour autant que cela reste un collage direct.
Les parents d’aujourd’hui sont perdus face aux pleurs des bébés. Le réflexe de serrer immédiatement l’enfant contre soi pour le rassurer, est universel. C’est logique, mais quand il
devient l’unique réponse, c’est problématique. Soumis à l’impératif de l’« éducation positive » d’être toujours des parents-modèles, à savoir d’avoir un enfant qui ne pleure jamais et qui, plus tard, à l’école, promet un retour sur investissement par des résultats excellents, ils sont littéralement paralysés quand ils découvrent l’enfant réel. Réel au sens lacanien, un enfant qui fait irruption dans l’imaginaire bisounours que véhicule cette idéologie lénifiante. Un bébé qui est « autre », insaisissable. Comme le sont tous les bébés !
C’est un véritable héritage, au sens que les enfants qui naissent maintenant, sont déjà la troisième génération à vivre les conséquences d’une transformation radicale du rapport à la transmission. Le recours au corps à corps, parfois pendant plusieurs années, est devenu monnaie courante et alimente pas mal mes consultations. En général, il s’agit alors d’enfants qui deviennent facilement tyranniques et qui veillent scrupuleusement à ce que leurs parents ne puissent pas fabriquer un autre bébé, rival malvenu. Cela marche assez bien, au demeurant, à entendre les commentaires, en général des maris ou compagnons, concernant la richesse de leur vie érotique. Ce qui, en revanche, est toujours réjouissant, c’est de voir combien les enfants eux-mêmes acceptent avec rapidité les conseils que je donne à tous, concernant le respect de la vie nocturne de chacun. Les parents, recouvrant le repos, sont généralement très fiers d’avoir résisté durant ces quelques nuits un peu rocambolesques aux cris impérieux de leur rejeton.
Tous les parents n’ont pas cette force et s’échappent autrement à cette bonne habitude. Si la nuit l’enfant dispose entièrement de leur champ sonore et du matelas, en journée, l’échappatoire est toute trouvée : le téléphone, la tablette, l’ordinateur.
On peut aussi inverser tout ce que je viens de vous dire, en prenant l’affaire du côté
« jour » : on constate aisément combien de bébés sont promenés dans des poussettes qui les tournent vers la rue, même dès tout-petits. Il n’est pas rare de voir le parent qui pousse l’engin en profiter pour passer des coups de fil, urgentissimes, bien entendu. Le bébé ne s’y trompe pas, la voix qu’il entend alors n’est pas la même, elle n’a pas la mélodie de la voix adressée à lui. Il se met alors sur pilote automatique, le regard dans le vague, réflexe favorisé par la tétine et le doudou qui ne le quitteront plus jusqu’à l’école maternelle… parfois même davantage.
Les parents ne font pas délibérément ce qui va produire des effets en chaîne. Ils ne savent simplement plus qu’on peut faire autrement. Les Gafa ont bien organisé leurs algorithmes, qui rendent les parents encore plus addicts à leur téléphone que leurs enfants.
Certains constructeurs de poussettes ont même inventé un dispositif double mains-libres qui permet aux parents et aux enfants d’améliorer l’ordinaire de la promenade si ennuyeuse comme tout le monde sait et le transformer en terrain d’aventure fabuleux.
Seulement, voilà le problème. L’enfant ne subit pas cette forme d’absence de conversation sans y réagir. Les plus fragiles se replient sur eux-mêmes et n’en demandent pas plus. On les trouvera plus tard parmi ceux qui occupent les cabinets d’orthophonistes parce qu’ils ne parlent pas ou mal, ou alors ils sont mis, de plus en plus tôt, du reste, sous Ritaline, parce qu’ils donnent le tournis à tous ceux censés s’occuper d’eux.
Je ne demande plus, en consultation, combien d’heures l’enfant regarde les tablettes ou si la télévision est éteinte quand l’enfant est dans les parages. Je demande maintenant aux parents où ils ont leur téléphone quand ils rentrent à la maison. J’ai systématiquement la même réponse : dans la poche ou à côté de soi, pour ne rater aucun message. Les enfants plus grands le disent : papa ou maman ne les écoutent pas parce qu’ils écoutent leur téléphone. Alors, quoi de plus normal que d’exiger son dû, la nuit, quand les parents s’arrêtent enfin de regarder cet objet pour se mettre au lit… et encore !
Ceci a bien évidemment d’autres raisons. Nous vivons dans une ère liquide, souligne Zygmunt Baumann1. Les frontières s’effacent, les générations se définissent difficilement, l’autorité est bannie et, chassée par la porte, elle revient par la fenêtre sous forme d’autoritarisme, parfois très violent, contre l’enfant qui ne se comporte pas comme on l’attend implicitement de lui, sans lui en avoir donné les bases du mode d’emploi du « vivre ensemble ». Il aurait donc dû comprendre tout seul. Les enfants élevés de la sorte se reconnaissent facilement : ils causent bien, peuvent être très bons élèves, mais trimballent leurs doudous toute la journée et mangent comme des cochons à table.
C’est là qu’intervient le malentendu. Un enfant prend énormément de temps. L’éducation prend énormément de temps. Aujourd’hui, tout est bousculé et l’enfant prend l’attention du parent quand il peut parce que c’est un besoin vital pour lui d’être en échange. C’est l’enjeu majeur de sa subjectivité. En quelques décennies, la transmission traditionnelle des berceuses et jeux de main s’est perdue et des échanges parfois très erratiques ont pris leur place. La mode est plutôt aux apprentissages précoces, efficacité oblige, langue des signes,
- Z. Baumann, La Vie Liquide, Fayard/Pluriel, 2013.
anglais, pourquoi pas, mais pas aux échanges spontanés qui commencent avec le « chant maternel », ces mélodies adressées à l’enfant qui viennent quand le regard du bébé est plongé dans le regard de la mère. L’enfant y répond et ses lallations s’entremêlent aux mélopées de la mère, faisant un tissu de plus en plus solide par leur répétition. Elles donnent le point de départ à l’espace partagé, « espace transitionnel » dirait Winnicott. L’espace rempli avec les berceuses mécaniques, fussent-elles de la meilleure qualité, ne crée pas un espace transitionnel, mais préfigure le conditionnement numérique. Pour le premier, l’espace s’ouvre à la création de l’objet (a) lacanien, cet objet désignant l’espace du manque et la trouvaille imaginaire que l’enfant élabore au fur et à mesure qu’il y a échange avec son entourage qui lui donne les bases du langage, s’articulant ainsi au registre symbolique. Le second crée l’espace contraint de l’objet d’addiction, un objet qu’il faut à tout prix, qui est de l’ordre d’un besoin et dont le manque suscite les fameuses crises qu’on connaît. On y reviendra. C’est la pulsion qui est aux manettes.
L’apprentissage de la parole est aujourd’hui préconisé comme un exercice d’une compétence bien plus que comme lien vital. Alors évidemment, un bébé qui ne parle pas encore, comment faire ? Bercer est une bonne idée, mais pas comme moyen unique. Lui mettre une série de berceuses sur téléphone marche très bien, mais ne remplace en rien ce qui lui permet de créer ce nouvel espace qui tisse les mots avec ce que l’enfant ressent, mais le laisse seul. Le père en question à qui j’ai expliqué la fonction de la berceuse, était reconnaissant. Finalement, avec lui, je n’ai pas fait de la psychanalyse, à proprement parler. J’ai simplement fait le constat d’un tissu déchiré ou inexistant, et apporté quelque matériel pour qu’il se mette à le réparer ou plutôt, le construire. Une façon de redonner le sentiment d’être capable de répondre à son bébé et de pouvoir lui donner le statut d’un sujet, et pas simplement d’un être « infans », sans parole qu’on calme comme on peut parce qu’on suppose qu’il est malheureux.
Le père revient à la séance suivante en me disant que sa fille aime énormément les berceuses, et même, qu’elle se met à pleurer quand il arrête. Il est dérouté : il pensait que ça irait vite. Je l’encourage à continuer parce qu’il permet au bébé de se créer une mémoire des échanges et de pouvoir se les rappeler, puis imiter plus tard tous ces chants. Il comprend bien que le chant est « entre » cependant que ses bras à lui ne sont pas démontables et appartiennent donc autant à lui qu’au bébé. Il accepte que cela ne se fasse pas du jour au lendemain, mais qu’avec un bébé, il est engagé au moins pour 20 ans… et encore…
Ce « entre » est complexe. Le père accepte l’image des bras non démontables, la notion de temps nécessaire pour élaborer cette mémoire vivante dont il lui fait cadeau en chantant pour elle et me raconte qu’il a effectivement observé que quand il la met dans le jardin pendant que lui, il jardine, elle est fascinée par tout ce qui se passe autour d’elle, calme, observant tout. Il découvre avec elle la richesse des possibilités d’un bébé, si loin de cet enfant qu’il fallait à tout prix garder tranquille pour se sentir lui-même plus serein.
Pour beaucoup, la génération actuelle de jeunes parents n’a pratiquement plus le souvenir de chansons et berceuses, elle a perdu le réflexe de l’interaction spontanée tout au long d’une promenade. Le changement se situe exactement en 1967 : année d’invention de la poussette McLaren, œuvre astucieuse d’un grand-père voyant sa fille empêtrée dans les transports avec les engins volumineux pour enfants deuxième âge. J’insiste : deuxième âge ! C’est vite devenu une mode et sans discrimination. Après tout, les industriels ne sont pas des psychologues. Et ces derniers suivent également les courants de mode, du type cognitiviste : l’enfant doit être éveillé le plus tôt possible. Alors, même les porte-bébés « kangourou » tournent maintenant les tout-petits dans l’autre sens, les exposent au stroboscope des passants qui défilent. Parfois, quand je vois des parents avec des poussettes qui permettent la conversation, je réagis avec étonnement, tellement c’est devenu rare. Un jour je me suis même permis de me lever de la table d’un restaurant pour dire mon émotion à une maman qui chantait des chansons pour son petit sur la terrasse de ce lieu public que l’enfant de 2 ans avait envie de sonoriser avec ses braillements. Et qu’on ne s’y trompe pas, pour ces parents, c’est le fruit d’une réflexion, aujourd’hui, mais plus un réflexe spontané. Avec les poussettes- canne disparaissent alors les échanges au fil de la promenade et la possibilité du pointage par le bébé pour attirer l’attention du parent qui le voit et qui nomme l’objet que l’enfant découvre. Olivier Rey consacre à ce phénomène tout un ouvrage appelé « une folle solitude2 ». Il faut noter que cet ouvrage a déjà 14 ans d’âge. Il est pourtant de plus en plus d’actualité. Entretemps les écrans se sont de plus en plus spécialisés grâce à des algorithmes efficaces. Dès tout jeune, en effet, et surtout à partir de l’âge où il devient prescripteur efficace pour l’industrie agro-alimentaire, c’est-à-dire trois ans, l’enfant est un interlocuteur choyé par les médias. Certains « experts » peu scrupuleux, Serge Tisseron, pour ne pas le nommer, peuvent un jour proscrire et l’autre, promouvoir les écrans pour bébés3, selon les pressions des médias et le public concerné. Dans le débat sur l’interdiction des chaînes pour
- O.Rey, Une folle solitude, Seuil, 2006.
- M. Desmurget, ibid., p. 98.
les tout-petits, Christine Albanel, à ce moment-là Ministre de la Culture sous Sarkozy, maintenant travaillant pour un des géants du numérique français4, dit qu’« on est sûrs des dégâts que la suppression de la publicité produirait sur l’économie des chaînes de télé, sans être sûrs des bénéfices pour la santé des enfants ». Pas un mot sur la bêtise consternante des émissions. Ce genre de contorsions sémantiques et stylistiques ne manquent pas de sel, mais montrent en même temps le cynisme à l’œuvre. En tout cas, la profession des orthophonistes s’en trouve gâtée, depuis que le DSM a introduit les différents « dys ». Elle a littéralement explosé.
Une chose est tabou : dire le rapport entre la pauvreté du langage et l’exposition aux écrans. Même le Ministère de l’Éducation Nationale se met plutôt en concurrence en apportant force tablettes à l’école pour utiliser le potentiel des enfants stimulés par les jeux vidéo. On aura tout vu, puisque les jeux en question ne développent pas la mémoire nécessaire à l’apprentissage mais exponentialisent l’attention dispersée. Cela fait le bonheur de la Ritaline. Parce qu’un moment donné, il faut bien que ces enfants bougent. Comme les écrans les rendent immobiles, dès qu’ils ne sont plus en train de les regarder, ils explosent. Certains malins ont mis des pupitres à pédales dans les classes.
Cette petite excursion un peu polémique, je l’ai faite juste pour souligner qu’en effet, le parent à poussette-canne dirigée vers lui, est bien seul et fait figure de dinosaure en pays numérique.
Ces phénomènes concomitants du collage cododo à la mode et l’absence d’échange de paroles permanent avec le nourrisson, démultiplient ce qui s’avère être un profond malentendu. Si le nouveau-né a un besoin absolu de peau-à peau, très vite le bébé a autant besoin de face à face, yeux dans les yeux, donc d’être décollé.
Avec l’avènement du téléphone et du télégraphe, ce qui était loin, devenait proche. C’était évidemment prodigieux, mais de manière concomitante, ce qui était proche était moins investi, devenait lointain, histoire d’équilibre. Avec le net, ce phénomène s’est accentué et sur le plan quantitatif, personne ne peut plus contester le fait que les contenus apportés par le dernier Smartphone ont pris bien plus d’importance pour beaucoup de gens que ce qui se passe dans leur entourage immédiat. Or, les besoins fondamentaux restent les mêmes pour l’homme. Il n’est pas exclu que le collage familial ait à faire avec ce phénomène
- C.Albanel, dans « Publicité : la pression monte sur le ministère de la Santé », lefigaro.fr 2008, citée dans M.Desmurget, ibid., p.156.
d’absence de lien immédiat et ne soit pas seulement une forme de défense contre le monde vécu comme inquiétant et frustrant.
L’époque actuelle se prête tout particulièrement à ce genre de réflexion, puisque le confinement a enfermé tout le monde avec ce qui les relie exclusivement avec le monde extérieur, moyennant quoi, ils découvrent la limite de l’outil. Un petit extrait d’un échange sur une plate-forme Covid-19 à laquelle j’ai participé en temps de confinement, illustre ce phénomène, sous forme de journal :
« Aujourd’hui, une femme me parle de l’angoisse de sortir. Français rudimentaire style texto. Mais longue description des symptômes. Elle tourne autour du thème de la peur de la contamination, dit se laver les mains 20 fois par jour, alors qu’elle ne sort pas. Je lui demande de m’en dire un peu plus. Elle revient à la peur de sortir. J’insiste, lui donne des pistes : appartement, ville, couple ?
Je suis en appartement je suis marié avec ma fille
mariée avec votre fille ?
Je suis en couple e g une fille de 4 ans
Elle n’entend pas le lapsus. Je lui demande de préciser. Je finis par comprendre qu’elle vit près de Paris. Je lui fais remarquer qu’à 4 ans, sa fille pourrait aller à l’école.
Moi je veux pas kelle retourne a l’ecole
Je lui demande ce qu’elle fait toute la journée
Des jeux éducatifs les feuilles ke la maîtresse ns envoie par mail
précisez, racontez !
Après 5 minutes, elle m’envoie la photo d’une planche de phonologie avec des objets à nommer.
c’est long une journée à travailler pour un enfant !
non, elle aime sa
vous faites ça pendant combien d’heures ?
La description sommaire de la peur de sortir est plus longue que tout ce qu’elle me dit sur leur vie. Raconter, décrire son quotidien n’est pas possible. Une autre forme de vide se dessine dans ce collage en couple avec sa fille. La narrativité lui fait défaut, narrativité si nécessaire pour se décaler un peu de la préoccupation exclusive de l’hygiène protectrice.
Après 21 minutes :
1h
et le restant du temps, vous faites quoi?
….
Après 10 minutes de nouvelle attente je lui dis qu’elle semble être occupée à autre chose et lui propose de terminer l’échange.
Après dix nouvelles minutes de silence :
Je vais quitter la plate-forme. Je vous laisse les références d’un site qui pourrait vous intéresser:
enfants-4.ch
C’est un site qui montre avec de petits films comment on peut s’occuper d’un enfant à la maison… ou dehors. N’oubliez pas que votre fille a besoin de bouger, besoin de voir des camarades.
Vide désespérant. Les échanges se déroulent sur plus d’une heure et demie. Probablement elle vaque à autre chose, espérant trouver la réponse magique qui la délivrerait de l’angoisse. Finalement, c’est l’angoisse qui permet de remplir les interstices, alors pourquoi s’en séparer ? Le temps est distendu, l’échange ne semble pas être continu, mais plutôt remplir des trous, rappelant X qui finit par me faire savoir qu’en même temps qu’elle chatte, elle téléphone avec quelqu’un. Ce n’est pas une recherche d’« autre chose », mais une nouvelle quête de remplissage. L’empilage ou la mise en abyme. »
Je suis marié avec fille de 4 ans. L’interlocutrice n’entend/ ne lit pas son lapsus. Est- elle capable de « lire autrement » qu’en raccourci texto ? Pas sûr. Évidemment, par rapport au titre de mon exposé, cet exemple paraît un peu déplacé. C’est intentionnellement que je l’ai fait. En effet, ce que cette jeune femme amène, est toute la question de la construction de l’altérité et de l’objet. Qui suis-je pour elle ? Elle appelle une plate-forme sur WhatsApp et reçoit en réponse un texto sur lequel je lui donne mon nom et ma profession, lui demandant de me dire la question qui l’amène : la peur de sortir répétée revient comme réponse de chat. Input-output. C’est ça qu’elle veut savoir, rien d’autre, ça ou plutôt, l’échanger contre un élément plus rassurant. Comme pour beaucoup de mes interlocuteurs, le contenu de l’échange montre que je suis interchangeable, juste un peu différent qu’un renseignement qu’on obtient en tapant un mot sur Google. L’attente d’une réponse « adéquate » fait qu’elle ne peut pas se saisir de la proposition d’en dire un peu plus. D’où cette quasi-holophrase « je-suis-en- appartement-marié-avec-ma-fille ». En réponse à la question concernant le contenu de la journée avec elle, je reçois une image. Mon insistance d’en dire plus la fait taire complètement. Sûrement pas seulement déroutée, mais probablement incapable de narration. Un temps éternellement long et extrêmement court, 1h, semble correspondre à cet enfermement, collées à deux. L’angoisse, dit Lacan, c’est l’approche de l’objet. En effet, ma question le désigne, la nécessité de sortir le désigne, l’ennui qui caractérise le confinement, le désigne. Mais cela ne peut se raconter. Un récit suppose des supports et une grammaire. Un récit a du sens quand on s’adresse à quelqu’un. Un récit suppose l’expérience de la séparation et l’enjeu de la médiation par l’objet et le langage.
Ici, elle fait UN avec sa fille et son téléphone. Les longs moments d’attente sont remplis par ce à quoi elle vaque. Certaines interlocutrices, quand j’exprime mon étonnement quant à la longueur des pauses entre les petits messages, me font savoir qu’elles s’ennuient tellement qu’en même temps qu’elles chattent avec moi, elles sont au téléphone avec une copine et que, comme elles s’ennuient encore, elles chattent en même temps. Ça tourne en boucle avec un remplissage désespéré du vide qui se manifeste au même moment qu’elles le remplissent. Et l’angoisse reste, parce que cet objet (a), ce n’est pas ça.
Ces échanges sur la plate-forme m’ont fait toucher du doigt à quel point cette jeune génération de parents 2.0, est dépourvue de supports pour habiter cet espace-temps particulier du confinement. Il a été révélateur de l’essence de chacun. L’écart s’est creusé entre les
adultes qui se sont immédiatement mis à inventer des moyens de traverser ce temps si étrange avec leurs enfants et les autres. Le plus frappant est la résurgence des travaux manuels, la redécouverte des jeux de société, l’invention des musiques à distance avec la formidable capacité qu’a internet de connecter le jeu de participants séparés en un orchestre complet jouant en même temps. Oui, le net n’est pas démoniaque en soi. Il est un instrument comme un autre, mais aussi dangereux dans sa manipulation que l’énergie nucléaire. Les récents accrochages entre le président Trump et Twitter montrent à quel point, en effet, cet outil peut être utilisé à des fins malveillantes ; on le savait déjà avec le terrorisme et l’apologie du racisme et de la violence, mais on s’y était habitué et on accepte de sacrifier des milliers de cliqueurs payés une misère et sans protection sociale, à nettoyer les poubelles numériques et alimenter les algorithmes.
Mais pour bricoler avec les enfants, il faut en avoir envie. À plusieurs reprises, quand les interlocuteurs me parlaient de leur ennui, je leur demandais ce qu’ils faisaient d’habitude de leur temps libre : cela se limitait aux occupations quotidiennes et les écrans. Dans ce temps confiné, le travail quotidien venant à manquer, certains téméraires se sont lancés dans le grand nettoyage. Mais comme le temps était plus long que ce que permettait leur logement, le vide revenait une fois que tout était parfaitement propre. J’osais de timides suggestions : par exemple se confectionner des masques ; je récoltais à chaque fois des protestations vives :
« pas envie, je me connais. » Des lectures me sont revenues de mon pays natal, la Suisse. Ch.-F. Ramuz a écrit énormément de romans racontant la vie confinée des paysans vaudois durant les hivers qui étaient longs et rudes à son époque. Tout le monde était enfermé et une fois le bétail soigné et nourri, les paysans se mettaient à réparer tout ce qui était abîmée depuis la saison estivale et attendait qu’on s’en occupe. Restait-il du temps, ils taillaient le bois et sculptaient des jouets, des petites statuettes, triaient les poires sèches et faisaient du pain aux poires, filaient, tissaient, cousaient. Il n’y avait pas de creux. Le soir, on se racontait des histoires autour du feu. L’espace était habité.
L’espace. « Je-suis-marié-avec-ma-fille ». Impossible de la faire parler d’un espace autre que ce qu’elle me dit : cette maigre heure de devoirs scolaires avec des images données par la maîtresse. La seule chose qu’il était possible d’énoncer n’était même plus exprimée avec des mots, mais avec une photo de planche. Pas étonnant que le temps confiné, se défaisant, fasse surgir ce qu’elle avait réussi à compresser dans l’holophrase et le temps
infime, une-heure. Son espace antérieur avait été inhabité et ne lui avait pas donné les outils pour confronter l’inconnu.
C’est la troisième génération depuis les grands bouleversements sociétaux de la deuxième moitié du XXe siècle, qui fait l’expérience de l’absence de cet espace de création. L’intelligence, disent les phénoménologues, dit Piaget, se construit par le truchement du regard, de l’oreille, de la bouche et des mains ; l’enfant se construit son monde en « homo faber », le manipule. Le bébé naissant dépend tout entier de la main secourable de l’autre, une main qui, si elle doit continuer d’être secourable, doit transmettre les gestes nécessaires, doit les commenter, guider la main et la parole de l’enfant, mais pas s’y substituer. Une main qui doit lâcher un jour la main de l’enfant. Dans ce nécessaire écart qui se creuse entre mère et enfant, vient la narration, vient la prise en charge par chacun de son propre destin, son propre « maniement », la construction possible du fantasme articulé au manque.
Ce processus est devenu beaucoup plus difficile à soutenir lorsque les parents sont eux-mêmes démunis comme ce jeune père de famille de mon exemple. Croyant bien faire, il se recolle à son enfant. Croyant bien faire, d’autres parents déposent l’enfant dans le berceau et lui mettent leur téléphone avec la musique à laquelle depuis le départ, leur bébé est habitué. Sauf que cette musique n’a pas l’irrésistible attrait de la petite nuance de la voix parentale, l’imprévu de l’oubli d’une strophe que l’enfant attend, comme le mélomane attend la note bleue. Ce petit indice du manque de l’autre, si précieux dans la construction d’autre chose que de la demande : la construction du désir.
Cette jeune mère de la plate-forme disait son incapacité à parler du désir. Son appel était réduit au besoin, à la demande, et la proximité de l’objet du désir déclenchait de la panique pour elle.
Qu’est-ce à dire ? Il y a deux objets totalement distincts. L’un libère l’imaginaire et permet, en temps de confinement d’inventer ce qui nous soutient contre l’angoisse parce qu’il est arrimé au symbolique. L’autre remplit un vide parce qu’il se confond avec le réel, mais le recrée aussitôt qu’il est rempli, même, à vrai dire, en le remplissant. Les algorithmes sont fabriqués sur ce principe : censés déclencher la décharge de dopamine qui chatouille agréablement le cerveau, ils créent en même temps un nouveau manque et appel à une autre dose de cette substance magique. Toujours un peu plus. Ce n’est pas la substance de la joie, c’est la substance du plaisir immédiat qui a la fâcheuse tendance à s’éteindre comme un feu d’artifice. C’est sur ce phénomène que s’appuie le marché juteux du net. Sauf qu’il n’a pas
été prévu qu’un confinement vienne en montrer les limites. À moins d’être pris dans le circuit quasi autistique des Hikikimori, un moment donné du confinement, frotter l’écran ou tapoter le clavier ne satisfont plus du tout mais donnent la nausée ou le tournis. L’insomnie est reconnue, le malaise aussi. Et on retapote, refrotte, pour aller sur les plate-formes apporter sa plainte à une bulle qui répond. Mais on n’y reconnaît pas le contenu comme réponse possible, puisqu’il n’y en a qu’une : celle qu’on attend sans savoir ce qu’elle est. C’est la rencontre avec l’objet (a), par-delà ou en deçà de l’objet addictif.
C’est bien pour cela que j’ai choisi ce titre « mon bébé est au téléphone », exactement comme la sardine est à l’huile.
Sans la médiation de la parole de l’autre, l’imaginaire préspéculaire reste rivé au corps, ne se dégage pas du corps de l’autre et incorpore tout objet extérieur comme faisant partie du corps propre. Nous le voyons chez les tout-petits privés d’écran : ils s’effondrent et leur crise est celle du désespoir de la privation ; ils sont mutilés d’une partie d’eux-mêmes. Le seul moyen de les en sortir, c’est de les priver totalement d’écran et de ne présenter ces derniers que des années plus tard et avec un accompagnement qui limite son usage. Les algorithmes veillent à ce qu’ils ne puissent pas s’en défaire tout seuls.
Cela n’évite en rien les crises habituelles d’un enfant frustré. Qui n’a pas connu les hurlements lorsque l’enfant voit que l’autre a, ce qu’il n’a pas, les gestes prédateurs pour s’emparer de l’objet convoité. Chez les petits, ce n’est pas du vol, c’est une appropriation logique. Ce jeu que l’autre anime si bien devient objet d’un désir irrésistible, donc l’enfant y va. Ce n’est que petit à petit qu’il se résoudra à ne pas avoir tout, tout de suite, à condition que l’adulte l’y accompagne. Sauf que l’adulte lui-même a du mal à faire la différence entre l’objet d’addiction et l’objet du fantasme. Or enlever l’écran à l’enfant, cela marche très bien quand le parent est présent dans la vie de l’enfant. Ils recouvrent vite leur richesse imaginaire. C’est pour cela que j’ose volontiers une affirmation : c’est l’objet de la frustration qui libère l’enfant de l’objet d’addiction.
Le chemin est long dans la mesure où les parents ont de plus en plus de mal à le précéder dans cette opération pourtant nécessaire pour aller vers « autre chose ». Et c’est tellement plus simple de céder à l’enfant pour avoir la paix.
Un autre épisode du confinement vient l’illustrer. Une mère se dit angoissée et surtout dépassée par son fils de 7 ans. Elle se plaint de devoir tout le temps s’en occuper ; invitée à préciser, elle me raconte qu’il est très opposant. Exemple : elle vient de lui demander de sortir
avec elle en promenade. Il ne veut pas et « se met à hurler comme un bébé », m’écrit-elle. Elle lui a d’ailleurs dit que ce n’est pas de son âge et admet même qu’elle l’a humilié. J’insiste : lui-même était en train de faire quoi ? Il voulait jouer avec son copain, voisin de leur maison. Ah ? Oui : leur maison est au bord d’un ruisseau qui la sépare de celle de leurs voisins. Les deux garçons étaient dans leurs jardins respectifs et construisaient chacun une maison pour les écureuils. Je réponds, toujours par chat, que le comportement de son fils me paraissait approprié et pas bébé du tout. Ce sont donc plutôt des pleurs de désespoir puisqu’il a inventé de quoi entretenir à la fois la relation avec son copain et son imaginaire et qu’elle l’arrachait à une activité des plus créatives. J’ajoute qu’il lui donne plutôt un signe d’indépendance et de désir de ne pas être toujours avec sa maman. En somme un garçon drôlement chouette. Pourrait-elle aller seule en promenade ?
Je n’ai pas de réponse à cette remarque. Le chat s’arrête là. Cette maman n’est pas de mauvaise foi. Elle ne sait juste pas déchiffrer le langage de son enfant. Pour elle, son fils doit rester bébé, collé à elle. Ce n’est pas elle qui s’occupe de son fils, mais son fils doit s’occuper d’elle. Chacun est confronté au manque, mais celui de la mère est une castration et celui du fils, une frustration. Elle est privée de l’objet auquel elle est collée, manque réel d’un objet symbolique, petit phallus ambulant, prothèse de son vide d’être, et lui, privée de la liberté de créer un jeu par-delà le confinement avec son ami, manque réel d’un objet symbolique, privé de sublimation.
L’indépendance n’a rien à voir avec l’autonomie de l’individu, telle qu’elle est prônée à l’heure actuelle. C’est même l’inverse. L’individu autonome, tel qu’il est mis en avant comme l’idéal sociétal actuel, c’est l’individu centré sur lui-même, « développé personnellement » comme le veut la mode, sans nécessairement tenir compte de l’autre, si ce n’est comme potentiellement problématique. Il fait sphère avec lui-même et l’objet qu’il incorpore pour se mettre au complet. L’image la plus saisissante de cet « individu au complet » est l’enfant dans la poussette bouchonné avec la tétine et agrippant le doudou. Parallèlement un autre individu au complet pousse la poussette, lui aussi pendu à son objet, le téléphone. D’où la dimension tragique de cette saynète qui est l’illustration de ce qui advient de la relation quand est oublié le fait qu’un enfant a des besoins spécifiques qui n’ont rien à voir avec ceux de l’adulte. Pouvoir s’imaginer ce qu’un enfant fabrique au bord du ruisseau avec un gamin séparé de lui par la clôture, suppose que la mère se décale de son propre besoin qui a trouvé à s’exacerber dans le confinement, collant les parents à leur progéniture. Cette façon de « sortir » comme cette maman, ou bien d’empêcher les enfants après le
déconfinement d’aller de nouveau à l’école, montre bien que la question de l’objet fonctionne sur le mode du collage et pas de l’altérité qui tient compte du désir de l’autre. C’est en résistant à la mère que l’enfant lui a rappelé qu’il est séparé d’elle, et c’est en sortant avec elle en renonçant à son jeu, qu’il renonce à l’altérité et à sa place de sujet, et qu’il rencontre paradoxalement la solitude. Comme pour le bébé dans la poussette, l’enfant est seul, accompagné, certes, mais comment ? Être au téléphone, c’est à la fois un complément circonstanciel désignant une utilisation et l’expression d’une appartenance subie passivement. Le petit Hans dans l’exemple de Freud, ne s’y est pas trompé, puisqu’il a essayé de faire réfléchir son père à la différence qu’il y a entre aimer et appartenir. Quand il parle du bébé et de la mère, ou de la filiation par rapport à la mère il dit : « Je lui appartiens, mais tout de même, je t’appartiens aussi à toi, papa, ma sœur m’appartient aussi à moi. » Donc une sorte de ronde d’appariages multiples. Mais quand il parle de la relation avec son père, il utilise un autre mot : « pourquoi tu dis que j’aime maman et que de ce fait, j’ai peur, quand c’est toi que j’aime ? » « Aimer » suppose la séparation et l’hétérogénéité, « appartenir à » suppose l’incorporation. Freud souligne dans la conclusion du cas que c’est bien là-dessus que le petit Hans bute, ce reste qui lui est encore irreprésentable. Or aujourd’hui, ce fonctionnement de l’appartenance et du « tout pareil », comme le fait croire la maman à Hans, en se dérobant à la question sur la différence sexuelle que l’enfant lui pose, fait fi de la différence entre besoin et désir. Le phallus, c’est vieux, actuellement, ringard, et pas pris en compte comme différence radicale et possibilité de la représenter. Aujourd’hui, on navigue à vue entre plusieurs genres. La maman de la petite vignette ignore que c’est elle qui est dans le besoin, pas son fils et que son fils a compris quelque chose à la question du désir. Le fils est tout à son affaire, il ne peut pas être à elle. Lui, il cherche du côté de la représentation : fabriquer une maison pour protéger les écureuils, et avec son copain. Elle, de son côté, cherche à le réintégrer et l’humilie du fait de ses protestations.
Le confinement a fortement alimenté le fantasme archaïque de la représentation maternelle, et ceci vaut autant par les hommes que par les femmes. Le mode d’appartenance est maternel, mais homme et femme peuvent fonctionner selon lui. Il est préspéculaire puisqu’il se nourrit de l’image de la sphère. Le mode de l’amour que le petit Hans développe est du côté paternel : il a compris que même s’il retourne dans le lit du père quand il a peur la nuit, il ne peut le faire que dans un temps limité qui est appelé à se terminer, tandis que le mode de l’appartenance est féminin. « Je t’appartiens à toi, j’appartiens à maman, etc. » Avec la différenciation qu’il cherche à faire, le petit Hans est dans le comptage. Par les
formulations du discours, Freud montre qu’avec l’œdipe, l’enfant entre dans le comptage. Hans dit qu’il ne veut pas éliminer le père, comme celui-ci lui a expliqué, fier de faire l’intelligent devant son fils. Non, mais Hans lui dit quand même qu’il ne peut pas seulement compter sur lui pour ses angoisses, mais qu’il doit aussi compter avec lui. Un lapsus du père, puisque c’est lui qui relate les échanges avec son fils, est éloquent : Hans lui dit « jusqu’à ce que je n’aie plus peur, je ne viens plus dans ton lit. » « Bis ich mich nicht mehr fürchten werde, komme ich nicht mehr. » Donc après, oui ? Ben oui, le père aussi semble aimer rester collé. D’où l’angoisse de l’enfant de le perdre. C’est le même champ sémantique : le tout- collé, le tout-décollé.
Achille Mbembe, un historien, souligne dans Brutalisme5 que le nouvel animisme s’appuie sur le pouvoir prêté à l’objet magique lié au net. Croyant le maîtriser, l’homme est devenu la marchandise de laquelle se repaissent les Gafa. Impossible de faire une démarcation entre dehors et dedans, tant la technologie se sert de nos ressorts psychiques et biochimiques pour nous coloniser. Leur but est d’abolir le partage de l’humain et du non- humain. La fragilité de l’homme divisé est le support même de cet asservissement. Et cela commence dès le berceau.
Mon bébé est au téléphone comme la sardine est à l’huile. C’est une forme de zeugme. Je le fais intentionnellement pour souligner que l’enfant bouchonné, doudouisé, frottant l’écran d’une tablette ou du téléphone de papamaman, est confondu avec l’objet exactement comme il l’est structurellement avec papamaman, holophrase désignant les deux parents fonctionnant sur le même mode, au sens d’une appartenance qui fait UN imaginaire avec un corps maternel, corps papamaman, indifférencié. Dans ce zeugme je glisse de la désignation d’une situation, d’une action avec un objet à la notion d’appartenance, d’adjonction d’une chose à une autre, faisant un tout, une sphère. L’enfant ne peut être sujet en situation que séparé de l’objet. S’il s’y confond, il retrouve sa place d’a-sujet, perdu dans le Grand Autre sans barre dont Lacan parle dans le séminaire sur le désir. Ce n’est pas réjouissant pour son devenir.
Paris, le 4 juin 2020
- A. Mbembe, Brutalisme, La Découverte, 2020.