Malaise dans l’énonciation ?

« Parce que l’acte fondamental de la parole est l’acte par lequel le sujet doit pouvoir faire acte de présence au point traumatique où l’Autre s’avère absent. » Alain Didier-Weill1

« Encore, c’est le nom propre de cette faille d’où dans l’Autre part la demande d’amour. » Jacques Lacan2

Je vous dois un avertissement en préambule à cette réflexion, c’est qu’elle va être souvent hors-sujet à tous les sens de cette formule ! Je pense qu’il a bien été souligné ici que, après des décennies d’une nosologie psychiatrique articulée autour du triptyque « Névrose, Psychose et Perversion », les nouvelles classifications établies par les DSM successifs nous laissent désarmés quant à une approche de la souffrance psychique selon le rapport que celle-ci entretient avec le réel. Or, si nous suivons l’enseignement de Jacques Lacan, de rapport au réel, au réel du sexe, il n’y en a pas ! C’est dans la mesure où ce réel nous échappe éternellement, où le mystère de la vie ne cesse de nous interroger, que deux solutions s’offrent à nous : Soit nous suivons l’adage de Jean Cocteau qui souligne que « puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs ! » et dès lors nous suivons le DSM et son organisation rigoureuse de la souffrance psychique ; soit nous maintenons intacte la question du non-rapport sexuel, le mystère d’un réel qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Nous nous assujettissons alors à la quête infinie d’une vérité subjective hors de notre portée. Victor Hugo dans son Shakespeare nous rappelle que « la science est l’asymptote de la vérité. Elle approche sans cesse et ne touche jamais ». La science vise une exactitude, l’approche psychanalytique de la souffrance psychique s’attache à emprunter la direction d’une vérité subjective. « La vérité se perd au milieu de tant d’exactitudes », soutenait Heidegger Ces quelques mots d’introduction visent à souligner que l’argument qui nous est proposé amène d’une certaine manière, inéluctablement, une mise en tension dialectique entre ces deux concepts d’exactitude et de vérité. En effet, que ce soit par la distinction clinique des différentes structures névrose, psychose et perversion, que ce soit par la référence aux multiples troubles psychiques colligés dans le DSM V, c’est bien la tentative d’atteindre l’exactitude d’un diagnostic qui est en jeu. Cela reste, dans une clinique psychiatrique, incontournable. Il faut bien en effet communiquer entre praticiens, il faut bien légitimer une prescription médicamenteuse. Mais il faut pour cela également, prendre le temps de l’observation, le temps du doute, le temps de l’acceptation de l’angoisse générée par l’incertitude. Henry Ey affirmait : « La schizophrénie est à la fin et non pas au début » ; cela pour souligner l’importance de la dimension temporelle à laquelle nous reviendrons, dans l’élaboration d’un diagnostic. Avant lui Claude Bernard soutenait que la médecine était « une patience ».

Une rapide digression pour rappeler que celui que l’on peut appeler le père de la médecine moderne puisqu’il est le promoteur de la médecine expérimentale, serait de nos jours peut-être sidéré de constater combien la médecine actuelle est devenue une urgence. Certes les progrès techniques ont permis de gérer au mieux beaucoup de situations d’une exceptionnelle gravité par leur rapidité d’intervention et il ne s’agit pas ici, bien entendu, de remettre cela en cause, mais pour autant et notamment en matière de souffrance psychique, les notions de rapidité, d’efficacité immédiate, sont de plus en plus prégnantes et mettent à mal cet indispensable temps pour comprendre. Comment peut-on, après une seule rencontre aussi prolongée soit-elle dans l’urgence d’un service de garde, établir un diagnostic codifié qu’il soit référencé au DSM V ou à la CIM 10 ? Cette codification, même si je sais qu’elle peut-être modifiée par la suite, est quand même un élément de référence pour les différents soignants. Pour revenir plus directement à notre argument, je me propose, dans un premier temps, d’envisager comment la distinction freudienne entre névrose, psychose et perversion a pu enrichir la clinique psychiatrique. En découvrant l’inconscient et en inventant la psychanalyse, Freud, après avoir observé Charcot, a théorisé certains mécanismes de la souffrance psychique qui interrogeaient la médecine et les médecins depuis Hippocrate notamment. La constatation du fait qu’une manifestation clinique sans substratum lésionnel retrouvé puisse être en rapport avec un souvenir refoulé hors de la conscience, a ouvert un champ des possibles extraordinaire pour la compréhension de mécanismes psychopathologiques échappant à la rationalité consciente. L’incomparable richesse de la sémiologie psychiatrique commençait dès lors à se soutenir d’une consistance théorique qui, pour faire court, permettait de passer de la folie à la maladie psychiatrique. Les mystères de la névrose hystérique décrite par Freud et les concepts tels que ceux d’un inconscient lié au refoulement, de transfert, de répétition et de pulsion que Lacan définira plus tard comme les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, ont progressivement permis de penser la maladie mentale comme consubstantielle au vivant humain. On connaît la phrase de Lacan qui, dans « Propos sur la causalité psychique », avance : « L’être de l’homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme limite de la liberté3. »

Mais revenons à Freud qui, dès ses travaux sur l’interprétation des rêves, nous a amenés à percevoir qu’aussi loin que l’on pousse l’analyse d’un rêve, il y avait toujours un point irréductible à cette analyse, ce qu’il appelle l’ombilic du rêve et qui sera à jamais non reconnu, Unerkant. Mystère du refoulé originaire que Freud a mis en évidence grâce à un de ses propres rêves, rêve dit de « L’injection faite à Irma » et où il se heurte à la formule absurde de la Triméthylamine.

Il restera à jamais une part énigmatique chez chaque être humain. « Dans les bras du ravisseur, il y a toujours l’imprenable » avançait Denys d’Halicarnasse. Cela soutient le fait qu’il y aura toujours une partie secrète du vivant humain que rien ni personne ne pourra pénétrer. Il s’agit donc, dans la mise en tension dialectique de la théorie psychanalytique avec les manifestations cliniques de la souffrance psychique, les maladies psychiatriques en particulier, de tenir compte du fait que toutes les articulations qui pourront être faites, toutes les hypothèses qui pourront être émises, le seront toujours autour du point originaire d’une ignorance abyssale. Cela, évidemment, pose un problème majeur quant aux progrès d’une psychiatrie qui, grâce aux découvertes pharmacologiques sans précédents du XXe siècle, ont pu porté l’espoir d’une prise en charge de la maladie mentale qui serait basée sur des certitudes scientifiques. Les progrès de la pharmacopée ont effectivement permis de maintenir hors institution un nombre de patients de plus en plus important et ce n’est pas une mince réussite.

Dès 1966 Lacan soutenait : « La médecine est entrée dans sa phase scientifique, pour autant qu’un monde est né qui désormais exige les conditionnements nécessités dans la vie de chacun à mesure de la part qu’il prend à la science, présente à tous en ses effets. » On ne peut mieux décrire le bouleversement qu’ont provoqué chez tous et chez chacun les prodigieuses avancées techno-scientifiques des dernières décennies.

Cette mutation qui a fait passer d’un monde de croyance à un monde de science a eu des effets, à la fois sur la médecine et la pratique médicale, mais aussi sur le rapport de chaque parlêtre à la maladie. La souffrance psychique n’échappe pas aux effets de cette mutation, la psychanalyse et les psychanalystes non plus. Georges Canguilhem soutenait : « On comprend que la médecine ait besoin d’une pathologie objective, or, une science qui fait évanouir son objet n’est pas objective ». Cela pour souligner que l’objet de la médecine restera toujours un sujet en souffrance. C’est bien, à mon sens, le point de butée de la psychiatrie actuelle. En objectivant systématiquement la souffrance psychique avec les atours d’une séméiologie réduisant un individu à la somme détaillée de ses comportements, c’est une notion capitale du vivant humain qui en est éludée. Ce mystère de l’être parlant, l’énigme éternelle qui le fait parler, qui le fait ou pas, sujet d’un discours, est totalement déniée. Comment penser l’influence de la science sur le sujet, sur la manière dont se manifeste la souffrance psychique ? Les techno-sciences ont modifié le rapport de l’humain au monde, en se posant comme références incontestables, dès lors la science devient à elle- même sa propre casuistique et le bureau des eschatologies n’a plus besoin d’assurer une permanence !

L’immédiateté de la jouissance se substitue à la patience qu’impose la problématique désirante. Cet envahissement par le tout et tout de suite façonne des individus qui vont trouver de nouvelles modalités d’expression pour traduire leur souffrance au soignant. Nouvelles traductions mais traduisent-elles les mêmes textes ? De plus le soignant qui doit lire le texte de cette souffrance est tout autant immergé dans ce monde techno-centré.

C’est comme cela que je poserais la difficulté que soulève l’argument de cette année. Nous sommes quotidiennement confrontés à une séméiologie clinique qui par bien des points échappe aux descriptions canoniques des manuels de psychiatrie. C’est sûrement ce qui fait, en partie, exister les classifications dites a-théoriques. Ce caractère inclassable de certaines manifestations cliniques ne dispense pas pour autant de l’exigence d’en théoriser les mécanismes psychopathologiques. L’animal symbolique qu’est le vivant humain est, du fait de sa prise dans le langage, animé par des phénomènes pulsionnels incessants qui doivent trouver un chemin dans l’économie psychique pour atteindre leur but. Les représentants psychiques de ces pulsions, les signifiants, s’articulent entre eux dans une chaîne aux caractéristiques très singulières puisque, si l’on suit Lacan, c’est autour de l’absence d’un signifiant dans l’Autre que s’organise la dynamique subjective, que le langage peut porter une parole, qu’une énonciation peut jaillir au détour d’un discours. C’est, pour moi, autour de cette dimension du manque que doit se situer notre réflexion. Nous sommes, en clinique quotidienne, de plus en plus souvent confrontés à des patientes ou patients en grande souffrance mais dont il est souvent difficile d’appréhender ce qu’ils attendent réellement de la rencontre avec le soignant. Certes ils demandent de ne plus souffrir, mais l’idée que cette souffrance puisse répondre à des accrocs dans le rapport qu’ils entretiennent avec eux-mêmes, avec les autres et avec le monde, leur paraît quelquefois, tout au moins dans un premier temps, comme totalement étrangère.

Je pense à Marguerite, grande dépressive, passionnée de son père et méprisée par sa mère qui, à la suite d’une longue hospitalisation en psychiatrie, a été diagnostiquée bipolaire. Marguerite est infirmière et a beaucoup lu sur cette pathologie. Il est a noté que sa seule période hypomaniaque est survenue après qu’elle a appris ce diagnostic. Marguerite me parle de ses errances relationnelles mais dès que j’oriente notre entretien vers une dimension subjective, la sentence tombe : « Mais cela je sais que c’est ma bipolarité qui en est responsable ! » Dont acte.
Le diagnostic de trouble bipolaire n’est pas ce que je veux mettre en question ; ce qui me paraît exemplaire dans cette vignette clinique c’est la place que vient prendre ce diagnostic dans les dires de Marguerite. L’Autre médical, Autre accueilli ici comme non barré, vient se substituer au grand Autre de son histoire singulière. Comment, dès lors, diriger l’entretien clinique vers ce qui, chez Marguerite, pourrait l’impliquer subjectivement dans les ratés de son parcours ? Je pourrais multiplier à l’envi des vignettes cliniques de cet ordre qui relèvent très souvent de ces diagnostics de plus en plus souvent posés que sont en plus de la bipolarité, les Asperger, les troubles borderline, les phobies sociales, les personnalités dépendantes et chez l’enfant le TDHA. C’est là, je crois, le nouveau challenge qui s’offre au clinicien qu’il soit psychiatre, psychanalyste ou les deux à la fois. Ce challenge consiste, pour le dire trivialement, à tenter de passer du prêt-à-porter, prêt-à-penser de la norme médicale au « sur-mesure » dicté par la singularité de l’histoire de chaque Un. De ce point de vue-là, la distinction freudienne entre névrose, psychose et perversion basée sur les mécanismes du refoulement, de pathologie du narcissisme – on sait que Freud à propos des psychoses parle de psychonévroses narcissiques – ou de clivage du moi, a l’immense fécondité de maintenir la place de la singularité de chaque histoire dans une expression clinique qui peut être ramenée à un de ces trois types de mécanisme psychopathologique.

Alors, quelle valeur donner désormais à cette distinction entre névrose, psychose et perversion ?

On sait que, à propos de la métaphore du signifiant du nom-du-père, Lacan soutient dans le séminaire XXIII que l’ « on peut s’en passer à condition de s’en servir » ; eh bien, je renverserai cette formule lacanienne en la paraphrasant et proposerais que de cette distinction entre névrose, psychose, perversion : « on doit pouvoir continuer à s’en servir, à condition de savoir s’en passer ! »

Je vais tenter de soutenir cette formule provocatrice.

Tout le travail de Lacan, à la suite de Freud, me paraît marqué par un questionnement, une recherche acharnée de ce qui permet à chacun d’assumer sa différence et de faire de cette révélation ce qui pacifie le rapport du sujet à son désir. Freud puis Lacan ont évolué et ils ont évalué, chacun avec leur propre style, ce qui pouvait faire moment de conclure dans le trajet d’un analysant. La rencontre du roc de la castration pour Freud, le heurt avec le réel (le bon heurt) selon Lacan. En quoi la distinction entre ces trois structures névrose, psychose et perversion peut- elle à la fois nous servir dans notre clinique quotidienne mais aussi remettre en question cette rencontre du réel ? Je dirais, de façon un peu lapidaire, que ces 3 structures sont du côté du savoir, elles constituent un corpus de connaissances issues de la démarche inductive inaugurée par le génie freudien à partir de son sens suraigu de l’observation clinique. Elles nous donnent des outils capitaux pour envisager la manière dont chaque sujet traitera sa réalité quotidienne et par là, elles nous donneront une idée des modalités évolutives de sa souffrance. Ces éléments seront très utiles au plan de la prise en charge médicale et sociale de certains patients. Pour autant, en réinsérant une souffrance singulière dans une classification psychopathologique, elles nous exposent au risque de nous installer dans le confort d’un savoir qui pourra faire obstacle à l’étonnement devant l’originalité d’un parcours, un savoir qui pourra nous rendre sourd aux signifiants énigmatiques de certains énoncés. Il s’agit je crois, de pouvoir toujours écouter un patient avec ce que je pourrais appeler des « oreilles enfantines », des oreilles non encombrées par un savoir qui pourrait parasiter l’écoute des énoncés de l’autre en souffrance. Se laisser étonner par la parole de l’autre c’est s’autoriser en tant que clinicien, à croire sans aucune limitation ce que cette parole porte. Croire en l’énoncé du patient c’est le croire, ce qui ne veut pas dire, qu’à ces énoncés il faut forcément y croire ! « Ce qu’on dit ment » assure Lacan avec humour, mensonge qui peut se soutenir d’une dénégation ou d’une forclusion, mensonge qui traduit un assujettissement à la demande de l’Autre. Autre barré dans la dimension névrotique, Autre non barré dans la psychose, déni du manque dans l’Autre chez le pervers (Je sais bien mais quand même). Du côté des énoncés nous trouverons toujours un sujet prêt à assumer sa parole. Mais le sujet de la parole ne peut être confondu avec le sujet de l’inconscient celui qui surgit dans une énonciation. Tout l’Art de la clinique4 réside, à mon sens, dans ce désir indestructible de l’analyste à diriger un analysant vers son propre espace désirant qu’il dévoilera dans le temps d’une énonciation. La psychanalyse n’est pas la psychiatrie mais elle doit en rester une de ses références théoriques et, en ce sens, la distinction névrose, psychose, perversion, garde toute sa valeur clinique si toutefois le praticien est à même de l’oublier dans le temps de l’entretien. La culture c’est ce qui reste quand on a tout oublié, dit-on, j’avancerais que cette distinction névrose, psychose et perversion, c’est ce qui subsiste lorsque le praticien a pu s’abandonner pour un temps à l’oubli de son savoir. Il y a évidemment une autre dimension dans l’argument qui est proposé cette année. Je l’ai évoquée il y a un instant (p.3) en parlant de nouvelles traductions cliniques de la souffrance psychique et en émettant l’hypothèse que ces nouvelles traductions ne traduisaient pas forcément les mêmes textes que jusqu’alors.

Nous rencontrons bien sûr toujours des tableaux typiques de psychoses dissociatives ou non, quelques névroses obsessionnelles invalidantes. La névrose hystérique est peut-être de plus en plus difficile à cerner de par son polymorphisme clinique et un rapport à la loi et à la sexualité qui s’est radicalement modifié. Pour autant, et c’est tout l’intérêt de l’argument d’aujourd’hui, nous nous trouvons souvent face à des tableaux cliniques de souffrance qui peuvent nous faire évoquer chez le même patient une multitude de diagnostics, surtout si on les résume à des troubles !

Je vais partir, pour aller plus avant, d’une idée simple qui est celle-ci : le conformisme a changé radicalement de visage dans les dernières décennies.

Qu’est-ce à dire ? La doxa, à savoir les énoncés communément admis, a subi une mutation profonde sous l’influence de plusieurs facteurs, j’ai déjà souligné la place de la science et surtout des techno-sciences dans la société actuelle, il faut y associer la perte de vitesse des idéologies politiques, un désintérêt marqué pour le fait religieux et, en partie conséquence de ces derniers éléments, un rapport au temps et à l’hédonisme bouleversé. Le « tout-à-l’ego » est devenu une valeur immanente, un célèbre mannequin soutenant : « Parce que je le vaux bien ! » Le conformisme n’est plus, dès lors, un assujettissement à une « bien pensance » référée à quelques valeurs historiques, mais une identification à une constellation de prises de positions assertives peu récusables car voulant s’appuyer sur des faits se disant incontestables. Le rapport à la loi s’en est trouvé bouleversé, se transformant rapidement en respect de la règle. Mais les règles sont du registre de l’immanence, elles sont édictées par les individus dans leur dimension de socius et non dans leur singularité subjective. Elles sont faites par l’homme et s’inscrivent dans un monde qui n’est pas fait pour l’homme. Le rapport à l’Autre peut s’échapper du registre du symbolique. C’est un rapport à un Autre dans une dimension imaginaire. Certes cet Autre peut s’absenter, l’absence de l’Autre peut tout à fait être acceptée mais l’absence dans l’Autre n’est pas concevable et la dimension du manque à être que cette dernière implique n’est plus d’actualité.

Je vais prendre la liberté d’imager cela par un regard porté sur deux personnalités qui certes n’ont pas du tout la même dimension historique, mais dont le rapport au symbolique me paraît explicite dans sa différence.

Je prendrai en premier pour exemple le Général de Gaulle. Il n’est pas question ici d’analyser factuellement la portée historique de son personnage, mais à travers une citation de montrer comment la dimension symbolique y est déterminante. À la libération de Paris, de Gaulle énonce : «Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies. » La définition du sujet de l’inconscient pourrait être un analogon de cette formule, à savoir que le sujet de l’énonciation surgit toujours en dépassant les énoncés qui balisent notre pauvre vie.

L’autre exemple, dans un tout autre registre, est celui de l’écrivain Michel Onfray. Il répond à une question du rédacteur en chef du magazine Le Point : « S’ennuyer c’est n’avoir rien d’autre à fréquenter que soi. Or, le monde est vaste en dehors de soi ! » Cela pose problème car étymologiquement s’ennuyer vient du latin « in odio esse » ce qui renvoie à la haine de soi. Si Valéry a pu dire : « Il faut entrer en soi-même armé jusqu’aux dents », c’est bien qu’il n’est pas si facile que cela de se fréquenter… Certes, et Freud le montre avec une pertinence sans pareil dans son texte sur la dénégation, il y a un dedans et un dehors du vivant humain, mais le monde du dehors n’ex-siste que parce qu’il y a un dedans. Si je fais ce rapprochement, certes très insolite, entre ces deux citations, c’est que la réponse de Michel Onfray me semble à l’opposé absolu de la notion de sujet de l’énonciation. Le soi dont il parle n’a à voir qu’avec la dimension imaginaire d’une orthopédie moïque qui dénie le trou symbolique créé par la parole dans le réel et la dimension du manque, de l’incomplétude qui en résulte. Dès lors, cela l’autorise à ne faire de la dimension du doute qu’un concept nécessaire à un conformisme philosophique rationnel.

Si j’ai choisi des personnalités aussi éloignées l’une de l’autre pour imager mon propos, c’est qu’il appert là que le conformisme, le traditionalisme ne me paraît pas du tout du côté où on le situerait dans un premier mouvement. C’est par là que je reviendrai à notre clinique contemporaine. En effet, je dirai dans une formule certes un peu laconique, que la clinique de l’anormalité se subsume dans ce que la doxa reconnaît comme témoignant de la normalité. Concept de normalité au sens où l’entend le mathématicien René Thom : « (…) le concept de « normalité » apparaît comme une ruse employée par l’esprit pour maintenir les exigences de descriptibilité du langage (mathématique ou usuel) en face de l’inévitable irréversibilité de la dégradation entropique des systèmes. Un combat, qui, comme pour toute vie individuelle, s’achève toujours par une défaite. »

La clinique de l’anormalité, elle, va se résumer et se réduire à l’approche imaginaire d’un moi qui serait en difficulté dans son adaptation aux injonctions au bonheur qui nous envahissent ! C’est là, à mon sens, la grande nouveauté de la clinique contemporaine qui nous montre un individu en détresse qui, lui-même pris dans les rets du discours normatif, ne voit comme lumière au bout du tunnel de sa souffrance que les images-sons partout distribuées dans lesquelles pourraient se dissoudre les symptômes de son impuissance à trouver une place. Éros est là bien éloigné de Thanatos ! C’est vers le versant mortifère de la pulsion que prend la direction de son existence. On sait avec Lacan que le symptôme est ce qu’il y a de plus réel dans le sujet. Or, nous sommes désormais confrontés à la dimension uniquement imaginaire du symptôme, celle qui affecte le moi et ignore justement le sujet. C’est donc la dimension du réel qui est forclose d’un discours qui accumule les énoncés, qui érige en idéal la dimension moïque. La part de réel qui échappe au langage, l’impossible à symboliser s’efface pour laisser place à une impuissance à habiter ce moi idéal. Il y a un déni de réel qui entraîne un déni de sujet.

Je crois qu’il faut préciser ces notions de forclusion et de déni. Leur emploi peut laisser accroire que je situe systématiquement ces nouveaux tableaux cliniques du côté de la psychose ou de la perversion. Ce n’est pas le cas. Soulignons d’abord que cette mise en avant de la dimension imaginaire, en éludant la question du sujet de l’inconscient, évacue du champ des possibles cliniques les tableaux névrotiques classiques qui sont les témoins indéniables de la division du sujet. Mais ce n’est pas le regard qui crée la structure. Je souhaite formuler par cela que l’approche de ce que j’appellerais la nouvelle clinique qui évacue totalement tout questionnement sur la dimension du désir inconscient se conjugue à la doxa qui est la référence intangible des comportements. Dès lors il y a, à mon sens, tout un travail de ce que l’on peut aborder comme une névrotisation de nos patients afin que du doute, un questionnement sur ces énoncés qui font références en toutes choses advienne enfin. Application clinique de la sentence de Lautréamont : « Le doute est un hommage rendu à l’espoir. » Il y faut de la patience, souvent récompensée par un travail qui peut s’engager sur la part prise par l’histoire de chacun dans cette souffrance qui le surprend. Mais quelquefois, en tout cas trop souvent, il paraît impossible de déclencher ce processus de questionnement soit parce qu’aucun humour n’est accessible, aucune métaphorisation n’est à même de sidérer le patient, soit parce que celui-ci a, si je peux m’exprimer ainsi, trouver un itinéraire-bis en choisissant la voie d’une addiction, des expériences extrêmes, un rapport pervers à l’autre. C’est là où sont questionnés les concepts de forclusion et de déni, terme auquel je préférerais celui de désaveu. C’est là encore où, plus que jamais, il faudra oublier notre savoir théorique pour pouvoir garder des oreilles enfantines aptes à s’étonner à l’écoute de la parole de l’autre en souffrance. C’est là où pourra se percevoir ce que j’ai proposé d’appeler un « malaise dans l’énonciation », malaise qui pourra relever soit d’une difficulté liée à un refoulement, soit d’une impossibilité engendrée par une forclusion. Il faudra alors, si une relation transférentielle s’est installée, s’engager dans un travail afin de tenter de passer du symptôme au sinthome.

Précisons cela pour terminer. Le symptôme, je le définirai avec Alain Didier-Weill comme ce qui permet de « substituer à la dimension d’une vérité cachée par le moi, celle d’un moi cachant la vérité5 ». Mais Lacan a bien souligné que la vérité ne peut se dire toute, une partie de la vérité subjective échappe toujours à la parole et au langage comme je l’ai souligné plus haut dans cette intervention. Il y a toujours un noyau d’unerkant, qui nous prouve que la vérité n’est pas toute et c’est en cela qu’elle tient au réel. Pour faire court cet unerkant ressort du passage par le refoulement originaire, rupture, « catastrophe » historique qui pose problème chez le psychotique. Si la dimension moïque verrouille, peut-être uniquement pour un temps, tout accès à une Autre scène, c’est la possibilité de tomber dans un amour de transfert qui pourra permettre, grâce au cadre contenant qu’il instaure, d’écouter et d’accueillir une parole dans ce qu’elle a de singulier. Pour faire court je dirais que cette singularité de la parole c’est le rapport qu’elle entretient avec la jouissance. Autrement dit, le transfert doit être le lieu, chaque fois différent car c’est le lieu du corps, le lieu où le réel du symptôme, réel qui est par définition trans- structural, pourra peut-être advenir comme sinthome en tant que celui-ci est événement de corps. La problématique du soin ainsi posée, dépasse, on le voit, la distinction « Névrose, Psychose et Perversion», elle permet là de s’en passer à condition toutefois de s’en être servi au principe de la rencontre toujours manquée avec nos patients…

1 A. Didier-Weill, Les trois temps de la loi, Paris, Le Seuil, 2008, p. 272.

2 J. Lacan, Le Séminaire livre XX (1972-1973), Encore, Paris, Le Seuil, p. 11.

3 J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », dans Écrits, Le Seuil, 1966, p. 41.

4 J.-R. Freymann, L’art de la clinique, Toulouse, Arcanes-érès, 2013.

5 A. Didier-Weill, Les trois temps de la loi, op. cit., p. 227.

L’aquarelle, le sommeil de la raison

« Descendre avec le peintre aux racines sombres, en remonter avec les couleurs et la lumière1. »                      Cézanne à Joachim Gasquet.

À l’heure où sonne le glas du confinement, on imagine le peintre, enfermé dans le secret de son atelier, se livrer à des rituels d’embaumements. Onctions et inspiration sont invoquées et gracieusement invitées à jouer leur rôle.

Pour ma part, je pris donc le chemin des pinceaux, jubilant presque d’avoir enfin du temps à moi.

J’avais pour idée de reprendre une image-source, négligée depuis longtemps. Cette image était le tableau de Fragonard, Les Baigneuses. Elle représentait une sorte de fibule pour moi, d’un éclat un peu terni et enfermée dans une boite. Lors d’un épisode douloureux sur le plan émotionnel, elle m’avait permis de reprendre pied, en se prêtant à diverses interprétations gestuelles et chromatiques sur le papier.

Je commençais mon petit voyage, avec un bagage léger. J’avais choisi de me consacrer à l’aquarelle, pratique de jeune fille, dit-on (la peinture à l’huile, c’est bien plus beau que la peinture à l’eau…) qui souffre un peu de mélancolie, à la manière de Verlaine.

Bien sûr, tous les peintres savent que c’est LA technique la plus difficile à maîtriser.

Elle ne souffre aucun repentir, on la rate ou on la réussit, cela l’espace d’un instant.

C’est cette immanence qui me séduisait justement au moment où tout se figeait dans la ville. Bien sûr le choix d’exhumer cette image devait beaucoup à ce qu’elle représentait, plusieurs jeunes femmes – ni toutes à fait les mêmes, ni tout à faite les autres – s’ébattant librement dans une cascade.

1 Rien de certain dans ce célèbre entretien, il est tout à fait possible que cela soit des paroles interprétées.

Une manière de « rafraîchissement » en quelque sorte. Notons que l’on rafraîchit également les tableaux…

L’accord entre le tact léger de l’aquarelle et le sujet était parfait. Après une série quelque peu compulsive de jolies figurantes flottantes, je décidais de changer un peu de sujet.

J’allais donc puiser dans mon Kriegschatz d’images nombreuses et variées, formant un atlas sans rime ni raison, collectionnées depuis l’enfance. Combien de fois ne me suis-je pas vue reprocher de rêvasser évasivement devant ces mirabilae !

Donc, très logiquement, je suis passée des baigneuses à une sirène antique pétrifiée, qui avait littéralement perdu la tête, quelque part dans les campus romains.

De là, j’ai aéré mes figures dans un de ces parcs abandonnés qui me sont chers.

Sans doute parce que j’étais saisie de frayeur en réalisant que tous les parcs de la ville étaient clos. Je tournais autour en ayant l’impression qu’ils étaient devenus une sorte d’utopie, comme dans les romans de Jules Verne ou dans La Belle au bois dormant.

Je me suis permis un collage osé en disposant Watteau et Artaud de part et d’autre d’une de ces folies nécessaire au charme du pittoresque. Je me souvenais que ce dernier avait entrepris de « forcener le subjectile » ! Il aurait été le meilleur compagnon du peintre du XVIIIe siècle.

L’aquarelle se prêtait à toutes mes fantaisies en imaginant elle-même des formes aux contours improbables. Elle avait une faculté extraordinaire à recréer des sensations tactiles : rosissements épidermiques, troubles cutanés, palpitations, macules et mouchetures se succédant comme autant d’épiphanies.

Elle réagissait à tous mes gestes, griffures, syncopes ou nappages et buvardages.

Chiffonnages…

La couleur est sans pareille également dans l’art de l’aquarelle, effusif et synesthésique par excellence.

On est perpétuellement surpris par des rencontres non organisées !

Les flux, les fluides et les affects avaient pris les rênes d’une imagination matérielle autant que figurale, chez moi, le temps du confinement.

Peut-être me permettra-t-on, en guise de conclusion, d’évoquer le célèbre milieu micellaire, cette métaphore freudienne dont le créateur était un fervent de Goethe.

Je veux parler de cet endroit plus dense et entrelacé où s’élève le Wunsch comme un champignon, qui serait quelque chose comme une « substance jouissante » (Lacan).

Un songe creux, le temps d’un confinement, a le pouvoir, à bas bruit, de donner une forme, même tremblée, à l’Ombilic des rêves.

À quoi Réel ?

Oeuvres

Quelques petits textes

Sur la place chaude de la ville, un enfant brun et nu joue avec des paillettes qui scintillent dans la lumière dorée

C’est un enfant de huit neuf ans échappé de la gitanerie Il est séduisant et magnifique

Une petite fille encore nubile est sous son charme Elle danse

sous un jet de paillettes L’enfant brun et nu

dépose sur sa joue un baiser Elle sera l’élue

Et l’avenir se confondra avec l’ amour

¨¨

Mes yeux sont sombres à l’ombre du coronavirus Des visages masqués errent de par la ville

Où sont vos sourires ?

J’ouvre une lucarne de mon être intime Peut-être à nouveau

Verrai-je

des femmes et des hommes et non plus

cette cohorte de fantômes qui errent

ça et là

Je voudrais tant caresser ton visage passant qui passe

et déposer sur tes lèvres un baiser sucré

Météo Humaine

Chaque jour, depuis le 21/03/20, je propose une Météorologie Humaine , écrite dans la spontanéité du soir, moment où les enfants, les sensations et les mots se couchent…

Sophie Nehama

Le 02/04/20 à 21h33… Dégagé / 9°C

Coucher du soleil à 20h03

Modification

Lente Minutieuse

Progression journalière Le soleil gagne chaque jour

Précieuse minute Mue de fonctionnement

Petit à petit Oiseaux font leurs nids Idées se renouvellent

Ne s’arrêtent plus Travaillées par le temps Mises à son épreuve Fulgurante tranquillité Défilé des heures

Avec elles Celui des certitudes

Tout

Est remis en mouvement Ce qui stagnait

Remonte à la surface Particules délétères Pépites d’or Insoupçonnées

L’assainissement suit son cours Proposant une mécanique confuse de discernement

Mécanique naturelle Comprenant

Lutte Elle aussi Naturelle Défense

Travaillés par

Ce que nous ne saisissons que Pas à pas

Pas

Pas encore

🌤 Météorologie Humaine 🌤

Par Sophie Nehama

Le 03/04/20 à 21h18… Ciel plutôt dégagé / 10°C C’est à 20h06

Que le coucher Du soleil a eu lieu Peu de mots

À l’économie Des mots Amis Partage Patience

Patience et partage Prodigués avec soin Douceur

Déployer le fil

Fil ténu de notre infinie fragilité Fil accrochant

Lumière Imperceptible trace Équilibre naïf

Humilité de notre chemin Répartition des forces Concentrées

Diffusées Ne pas tomber

Ne pas se laisser engouffrer par Obscurité

Funambule parmi les ombres La sienne

Surtout N’obstruant pas Délicate direction Révélée

Tissage de nos fébrilités

« Number 17-A » de J. Pollock

🌤 Météorologie Humaine 🌤

Par Sophie Nehama

Le 04/04/20 à 23h01… Dégagé / 9°C Couché à 20h06

Le soleil a diffusé Aujourd’hui Sa lumière

Lumière réchauffante Réconfortante

Lumière ne dissipant pas La vérité

Celle qui brûle Secrète Parfois Secrète Criante

Celle qui se rappelle à nous Ne se tait pas

Celle qui nous embrasse Nous brûle aussi

Parfois Celle qui ravive

L’âme

Nous la fait ressentir Celle qui fait qu’elle pèse aussi

Plus lourdement Que le corps Lui-même

Le coeur

Contient son rythme propre Qui diffère

De celui de l’esprit Rythme vital Rythme profond

Celui qu’on ne choisit pas Celui qui s’impose à nous Évidence négligée Réparable

Mais à tout jamais Inscrite à l’intérieur de nos chairs

  • ·Les ,amants I )) de .R. Magritte

Réponse de la FEDEPSY

A l’attention de FEDEPSY Bresil

Strasbourg, le 16 juillet 2020

Chers amis,

Merci de nous avoir fait parvenir un condensé de vos activités analytiques qui ont eu lieu à Belo Horizonte et les perspectives qui se dessinent.

Nous nous sommes retrouvés autour de la question du désir de transmission depuis des années en articulant la FEDEPSY avec vos activités locales. Par ailleurs nos échanges ont aussi toujours concerné la question de la pratique par le biais des journées et de supervisions que j’ai contribué à opérer. Nous avions participé a un énorme congrès international sur « Psychopathologie et psychanalyse » coordonné par Marisa DECAT DE MOURA aujourd’hui hélas disparue.

Ce que vous avez déjà mis en chantier c’est, en 2018, l’économie de la jouissance; en 2019, une révision de l’hystérie et en 2020, un développement sur le thème « Traumatisme et fantaisie » qui pourra parfaitement s’adjoindre au prochain congres de la FEDEPSY intitulé « Traumatismes, mythes et fantasmes ».

Vous êtes déjà partis du texte de Jacques Lacan « Le mythe individuel du névrosé » et vous nous rejoignez dans nos efforts et nos recherches.

Suite à nos derniers échanges, nous avons donc fait le projet de créer à Belo Horizonte, une Ecole de Psychanalyse du Brésil qui sera une association membre de la FEDEPSY. Cela en plus des inscriptions individuelles à la FEDEPSY qui ont déjà lieu.

Sur le plan pratique, nous avons commencé à travailler par Zoom les questions de transmission et vous vous êtes aussi associés à l’association ATO Ecole de Psychanalyse, ce qui permettra de multiples partenariats.

II serait utile que tous les psychanalystes de la FEDEPSY intéressés par la naissance de cette école de psychanalyse brésilienne prennent contact avec nous pour développer de nouveaux échanges.

Ce texte précèdera dans Ephemeride 10 et sur le site de la FEDEPSY votre compte-rendu du partenariat FEDEPSY Brésil-ATO Ecole de Psychanalyse.

En avant pour de nouvelles aventures et bon courage pour ce drame de l’épidémie.

Très amicalement,

Jean Richard FREYMANN, President fondateur de la FEDEPSY

Demande de partenariat de la FEDEPSY Brésil à la FEDEPSY

En consonance avec la tradition de collaboration de la FEDEPSY, l’ATO – école de psychanalyse à Belo Horizonte – a elle-même des liens de dialogues établis avec les différentes écoles de psychanalyse dans le but d’établir des échanges et de transmettre la psychanalyse. Le partenariat avec des analystes de la FEDEPSY au Brésil et en France renouvelle aussi bien le désir de transmission que le désir de mettre à l’épreuve les mutations et les orientations diverses qui prennent pied sur la subjectivité de notre temps.

Le partenariat engagé à partir de 2018 avait comme thème initial d’études : « Pulsion, sexualité et formes de vie dans la clinique psychanalytique actuelle ». La sexualité comme thème fondateur de l’œuvre de Freud qui a été inépuisablement revisité par Lacan a été le pivot de nos rencontres tout au long de cette année. L’économie de la jouissance révèle ce qui est le plus singulier au sujet. Les destinations sexuées et pulsionnelles de chacun nous donnent l’indication qu’il n’y a pas de modèle et encore moins de norme concernant l’utilisation du phallus. Les formules de la sexuation et la clinique borroméenne en témoignent. Les symptômes, les pulsions, la jouissance, les semblants et les liens érotiques étaient des thèmes travaillés, alors que des cas cliniques étaient également portés au sein du débat. Cette année-là nous avons encore travaillé sur des thèmes tels que les politiques du symptôme (érotisme et souffrance psychique), les corps parlants / les corps sexués, les destinations sexuées et leurs pulsions, la jouissance queer, la sexualité et les semblants.

L’année suivante (2019), l’hystérie nous a fait un appel à sa révision. Le phénomène hystérique ne cesse de remettre en cause la psychanalyse, mais on s’est demandé avec Lacan où sont-elles les hystériques d’autrefois ? La place de l’hystérie comme symptôme du malaise dans la culture nous indique que dans ses plaintes et ses confessions, le réel est en jeu. Même si l’hystérie a disparu aujourd’hui dans les nomenclatures actuelles liées aux neurosciences, elle ne cesse d’interroger la médecine et de démasquer la fonction du maître. C’est en

consentant à défaire sa propre position de maîtrise que le désir de Freud a pu ouvrir la voie à la fondation de la psychanalyse. Tant dans l’hystérie que dans les cas cliniques courants de névrose d’un sujet moderne, Freud fait remarquer une satisfaction en jeu dans le symptôme qui va au-delà du plaisir, une jouissance que chacun extrait de son symptôme, une jouissance basée sur le réel et non pas sur le déchiffrement.

Cette année, les thèmes traités étaient :

  • mythe et vertige – relecture du mythe individuel du névrosé ;
  • – sexuation et invention – un savoir-faire à l’étrangeté de la jouissance ;
  • l’état névrotique commun ;
  • le rôle de l’hystérie dans le passage du maître à l’analyste ;
  • hystérie, fantaisie et mythe ;
  • l’invention de l’hystérie.

En 2020, sous le thème « Traumatisme et fantaisie », la proposition de travail a commencé par un retour au concept de mythe à travers une réflexion sur l’expression forgée par Lacan : « le mythe individuel du névrosé ». Le trauma à proprement parler a commencé avec la pandémie où nous nous sommes tournés vers cet événement, essayant a minima de soutenir dans ce temps suspens notre travail clinique et de transmission. Actuellement nous sommes dans ce processus de reprise de nos activités de collaboration, sachant que ce n’est que dans l’après-coup que nous récolterons les effets de ce réel. Les manifestations du traumatisme font appel à une responsabilité du sujet, lorsqu’on sait que l’une des destinations de l’invasion du trauma est la fixation qui fait sceller la répétition, les symptômes, l’angoisse, les inhibitions et les somatisations. Plutôt que d’aborder le traumatisme du côté d’une quelconque causalité, il faudrait l’aborder donc en fonction de la réponse que le sujet en donne.

Écouter l’autre dire qu’il va mal ?…

Quel étrange métier nous faisons, à faire cela!… Pourquoi nous « enquiquinons-nous » ainsi ?…
Il y a un point-pivot à cet endroit, précisément, autour d’écouter l’autre dire qu’il va mal.

Parce qu’il y a différentes façons de parler de ses souffrances – son mal à être –, et différentes façons d’écouter l’autre parler de ses souffrances – son mal à être.

Je vais me concentrer sur les « façons » qui nous concernent, dans la pratique de l’analyse et de la psychothérapie. Et sur le point-pivot, l’endroit qui permet de franchir un cap et de passer d’une façon de parler-écouter à une autre façon de parler-écouter.
Lorsque l’on prend rendez-vous avec un psy (-chiatre, -chologue, -chanalyste, chothérapeute…), c’est que quelque chose va mal. Il y a une souffrance, un problème.
En particulier lorsque le psy se termine par -chiatre, donc médecin, l’attente de celui qui se met d’emblée en position de patient correspond peu ou prou à l’attente d’un diagnostic et d’un traitement, efficace et simple si possible.

L’exposé du problème est alors d’abord à visée quasi scientifique : dire ce qui ne va pas, pour que le médecin puisse poser un diagnostic et guérir la maladie, dissiper le « trouble ». Tout médecin « correctement » constitué entre dans le jeu et en suit consciencieusement les règles, lesquelles aboutissent au traitement, médicamenteux bien souvent – quoi de plus simple et de plus satisfaisant, lorsque cela fonctionne, que pour l’un de griffonner avec art quelques mots sur une jolie feuille et pour l’autre d’avaler un petit comprimé ?

Parfois pourtant cela ne suffit pas. Souvent à vrai dire, dans le domaine psychique du moins. L’angoisse persiste, se déplace, la morosité et la panne du désir s’aggravent : « toujours aucune envie de me lever à 5h30 quand sonne le réveil, ni de cuisiner quand je rentre à 18h, ni de faire le linge le dimanche, malgré votre antidépresseur docteur, je ne comprends vraiment pas pourquoi ça ne marche pas ? »

Dans un premier temps le psy-médecin ne s’inquiète guère : il connaît beaucoup de noms alambiqués à griffonner sur ses ordonnances, il a passé quelques années à les apprendre, autant que cela serve… Pourtant lorsque la souffrance persiste, il aura de plus en plus de difficultés à supporter d’entendre le patient continuer à lui dire qu’il va mal. Qu’à cela ne tienne, hospitalisation ! Peut-être cela aidera-t-il le patient, du moins cela reposera-t-il les oreilles endolories du médecin, et calmera-t-il le très désagréable et malvenu sentiment d’impuissance qui est en train de lui pousser dans l’estomac.

Le psy -chanalyste par contre est un étrange individu : « Ah oui, vous allez mal ? Très bien, racontez-moi cela, développez, dites m’en plus ! »
Et c’est précisément par cette invitation, par cette curiosité, que peut se faire le point de bascule. Curiosité, non pour la souffrance elle-même – et surtout pas « goût pour la souffrance », ne pas s’y méprendre ! – mais curiosité parce que le psychanalyste sait, d’expérience, que c’est à travers la parole sur les arcanes tortueuses de ses souffrances que celui qui déjà devient analysant va pouvoir commencer à parler de « lui ». C’est en parlant de « comment il va mal » que l’analysant en devenir commence à parler de lui, de lui en tant que sujet.

Le point-pivot fait basculer d’un « ça va mal » qui appelle une solution, à un « ça va mal c’est-à-dire je ressens cela, et il se passe ceci, etc. » dans lequel l’analysant commence à expérimenter qu’il y a quelque chose à entendre dans ses symptômes. Et que ce quelque chose, d’ailleurs, n’est pas un simple hasard ou accident, mais en quelque sorte « l’essentiel » de lui-même, la trame vive de son existence subjective.

Cela semblerait simple, alors, de permettre à l’analysant/patient de démarrer une psychanalyse ou une psychothérapie ? Nous aurions presque le truc, la formule magique ? : « ah oui, vous allez mal ? Très bien, racontez-moi cela, développez, dites m’en plus ! » Que nenni !
Il existe bien des freins à la possibilité de la bascule, des freins qui tiennent au patient, des freins qui tiennent à l’analyste, des freins qui peuvent tenir aussi au couplage/ non- couplage transférentiel entre les deux.

Je n’aborderai que l’un de ces freins, du côté de l’analyste.
Ce n’est pas si simple, de supporter d’entendre que « ça va mal ». L’effort reste permanent, de refuser de recouvrir les brèches – douloureuses – par des voiles ou baumes quelconques. Parce que faire ceci, supporter d’entendre que ça va mal, c’est se confronter constamment, jour après jour, séance après séance, à la dimension de la mort et de la perte, de la non-complétude (« non-rapport sexuel », dirait « l’autre », l’illustre autre), à la dimension de chaos du monde.

Il y a paradoxes et ambivalences à cet endroit-là : bien sûr nous savons que nous allons mourir, bien sûr nous oublions absolument que nous allons mourir, bien sûr nous savons le vaste chaos qu’est le monde, bien sûr tout de même nous croyons ou espérons en un monde plus juste et équitable, « ordonné », etc.
Dès lors que l’analyste ne se tient pas sur la crête de la brèche, en surplomb de l’abîme, le guettent les leurres et illusions, les chants séduisants des sirènes (du SAMU) – tout de même elle ne va pas bien, tout de même il faudrait qu’elle puisse aller mieux, que puis-je faire pour lui permettre d’aller mieux ?…

Et ce frein-là est peut-être l’un des plus puissants : si l’analyste n’a pas lâché son souhait-besoin de guérir ou au moins soigner un peu l’analysant, si l’analyste ne supporte pas que la brèche du mal à être ne sera pas comblée, la bascule vers l’autre façon de parler- écouter ne peut se faire.
La bascule ne peut se faire que si l’analyste se tient sur la crête de la brèche. Équilibre précaire.

Paradoxe supplémentaire : c’est en supportant que la brèche du mal à être ne sera pas comblée, que quelque chose peut y être modifié tout de même. La brèche ne sera toujours pas comblée, bien sûr, mais le rapport à elle peut se transformer.
Et de l’autre côté du point de bascule, le « ça va mal » devient « comment vas-tu mal ? Quelle est ta façon, à toi singulière, de boitiller à travers la vie (car « boîter n’est pas pécher », rappelle Lucien Israël) ? Qu’est-ce que cela vient dire de toi, et de ta façon de ne pas savoir faire, défaire, refaire, avec la brèche ? Quel peut devenir ton savoir faire avec la brèche ? Quelles sont tes entraves que la parole dénouera ; long travail de dénouage pour te permettre de boitiller un rien plus allègrement ? »
Un allègre boitillement, cela s’appellerait-il une danse ?

Pas facile, donc, de se tenir à la crête de la brèche. Ce qui le permet peut-être, savoir la possibilité de la danse. Seul (-e), ou avec l’autre, un (-e) autre.
Malgré les « indissipables » malentendus, malgré la solitude radicale, malgré l’incommunicabilité… danser avec un (-e) autre !

Le transfert par « appli » ?

Intervention réalisée dans le cadre du séminaire d’introduction à la psychanalyse de la FEDEPSY, tenu par Julie Rolling et Nicolas Janel.

Nous sommes contents de pouvoir vous retrouver au moins par vidéoconférence après tout ce « passage épidémique ». Nous avons dû annuler plusieurs séances, et comme il y avait un certain fil dans notre programme, il n’aurait pas été cohérent de reprendre la séance de juin sans avoir pu développer les autres concepts au préalable. Aujourd’hui sera aussi la dernière séance pour cette année. Nous vous proposerons donc une poursuite à la rentrée de ce qui avait été lancé. Aujourd’hui, je vais plutôt vous proposer de reprendre les questions du transfert analytique que je mettrai en perspective avec l’actualité, notamment avec les modifications de pratiques suite aux conditions de confinement et de distanciation physique.

Au cabinet, en ville, nombre de consultations se sont poursuivies par téléconsultation, soit par téléphone, soit par vidéo, par des logiciels dédiés utilisables à partir d’applications. L’apport de ces nouvelles techniques, ce qu’elles ouvrent comme nouveaux dispositifs, nous imposent de questionner nos concepts habituels. Ce qui est assez intéressant. Quand Freud faisait ses conférences d’introduction à la psychanalyse, il s’agissait pour lui de faire connaître sa nouvelle thérapie aux personnes susceptibles de s’en saisir, et cela à partir d’élaborations ancrées dans l’actualité de son époque. Son travail se trouvait dans une sorte de conflictualité constructive avec les scientifiques et penseurs contemporains. Les choses évoluent en permanence, il est donc intéressant pour nous qui tentons de ré-introduire la psychanalyse, puisque nous sommes actuellement particulièrement convoqués par le sort à ré- élaborer nos concepts. C’est tout un travail. Il y a à reprendre ce qui a déjà été développé, et ensuite le questionner, le mettre en perspective, l’articuler à la nouveauté. C’est intéressant pour la psychanalyse qui est souvent taxée de désuète. La psychanalyse ne s’est pas arrêtée après Freud et les concepts ont toujours continué d’évoluer. Mais les modifications des dispositifs liées aux conséquences de l’épidémie ne sont-elles pas particulièrement propices à une certaine fécondité théorique ?

Je voulais vous proposer une amorce avec le transfert, d’où mon titre un peu provocateur « Le transfert par appli ? ». Je vais en fait surtout reprendre quelques bases concernant le transfert analytique2. Et je n’ouvrirai que quelques questions par rapport aux nouveaux dispositifs.

La constitution de l’amour

En quoi le fait de parler à quelqu’un qui est sensé être porteur d’un certain savoir est- il cause d’un amour dit de transfert ? Et en quoi consiste cet amour ?

Je vais commencer par répondre en proposant ce que j’avais travaillé pour une journée clinique de la FEDEPSY sur les entretiens préliminaires3. Si on sait inviter quelqu’un à prendre la parole, le patient qui se met à parler constaterait qu’il en dit plus long qu’il n’en sait quand il parle. Une déduction s’opérerait : en disant « ce qui passe par la tête », en disant

« n’importe quoi », que cela soit énoncé avec la règle fondamentale ou que cela reste en arrière-plan, le patient ferait le constat que ce « n’importe quoi » se règle, sans pour autant qu’il le décide, comme en écho à une part de lui-même qu’il méconnaît. Ainsi, celui qui s’engage dans l’analyse, semblerait déduire que puisqu’il y a un savoir qui lui échappe, un sujet serait supposable à ce savoir. C’est ce qu’il déposerait sur l’analyste qui prendrait place dans la réalité de son inconscient en apparaissant par exemple dans ses rêves. L’analyste qui serait mis à la place du grand Autre – c’est-à-dire « lieu de constitution du sujet dans le langage » – serait également affublé de l’instance que Lacan a appelé le « Sujet Supposé Savoir ». C’est-à-dire que l’analyste serait supposé détenir le savoir inconscient du sujet. Savoir qui permettrait à l’analysant d’être enfin lui-même, d’atteindre une certaine complétude. Ce savoir serait un savoir qui se rattacherait par là à la jouissance de celui qui parle. C’est pourquoi l’analyste qui serait supposé avoir un tel savoir serait aimé, comme si l’amour venait au défaut de la jouissance. Par conséquent, parce qu’il y aurait une question initiale sur la jouissance, jouissance dont un savoir serait supposé répondre, le résultat de la prise de parole serait l’amour de transfert4.

Dans son séminaire de 1960-61 Le transfert, où il n’y a pas encore le concept de la jouissance, Lacan explique la constitution de l’amour comme une substitution de place entre celui qui aime (érastès) et celui qui est aimé (érôménos). Quand vous tendez la main vers le fruit tant désiré, et qu’au moment de saisir ce fruit, surgit de ce fruit une main qui saisit la vôtre5… Il y a substitution, renversement des places. Lacan présente cela comme une métaphore6 qui produit une nouvelle signification qui serait l’amour. Le dispositif analytique, comme d’autres dispositifs d’ailleurs, induirait cela. L’amant, c’est-à-dire celui qui demande, qui va vers l’analyste pour telle ou telle raison, revendiquerait le droit d’être aimé et ce, en se faisant l’aimable qu’il aime… Cela repose sur l’amour narcissique. Il y a là, la question du soi-même, que vous pouvez écrire comme vous voulez, « soi m’aime ».

On retrouvait déjà cela précédemment avec l’idée que l’amour vient en défaut de la jouissance puisque la jouissance dont il s’agit reposerait sur une certaine complétude du sujet. Or, il n’y a de sujet que manquant. Cela serait plutôt le moi avec l’illusion de la complétude narcissique qui ferait croire à une jouissance possible. Comme la complétude est justement ce qui manque, à partir de ce qui pourrait faire défaut chez celui qui vient demander quelque chose, on comprend par là le célèbre aphorisme de Lacan : « L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas… à quelqu’un qui n’en veut pas. » Autrement dit, on viendrait demander une complétude sans l’avoir, en tentant de se faire complet auprès d’un autre qui pourrait justement nous apporter cette complétude. On s’identifierait aux objets d’amour supposés de l’Autre et on engluerait notre désir dedans. Tout cela sur un fond de supposition que cet Autre serait d’une certaine manière, quant à lui, bien complet, idéal. Et cela à partir de certains de ses traits7, des traits qui nous auront attirés chez lui. Or, cet Autre n’a pas du tout la même idée de la complétude et ne se place pas du tout dans le même registre d’idéaux. Il ne s’intéresse tout simplement pas à cette complétude-là. Ce qui intéressera plutôt l’analyste, c’est la dimension du manque qui cause le désir.

Vous voyez que l’analyste est susceptible de porter déjà trois casquettes, c’est-à-dire qu’il va pouvoir venir représenter trois instances qui sont en articulation dans la tête de l’analysant :

  • le grand Autre qui représente le lieu du langage au sein duquel on se constitue ;
  • l’idéal du moi qui est l’instance symbolique représentant l’idéal ;
  • et le Sujet Supposé Savoir qui serait, comme son nom l’indique, supposé savoir notre vérité inconsciente.

Un autre phénomène participe également de ce mouvement : il s’agit du dépôt d’objet sur l’analyste.

Le dépôt sur l’analyste

Lacan développe le concept d’agalma dans le séminaire Le transfert, sorte d’objet idéalisé, prémisse dans la théorisation de l’« objet a » cause du désir qui serait encore collé à la dimension de l’idéal. L’analyste se soutiendrait du dépôt de l’agalma en lui, ce qui provoquerait son idéalisation de la part de l’analysant. Mais ce que l’analysant demanderait, l’agalma donc, il ne se douterait pas qu’il se serait déjà constitué lui-même comme cet agalma dans le transfert. Il s’identifierait à cet objet d’amour. La tromperie sur soi se mettrait ainsi en acte à travers une tromperie dans la personne de l’analyste, au sein de laquelle on déposerait un objet idéalisé, objet idéalisé fusionné avec la question du désir, objet idéalisé qu’on confondrait avec ce qui cause notre désir.

De l’agalma et de sa dimension idéalisante, se décolle ensuite chez Lacan le concept d’ « objet a » cause du désir, sorte d’objet partiel dont la perte causerait le manque à l’origine du mouvement désirant de la chaîne signifiante. Ce qui se décolle là n’est plus dans le registre de l’amour. On n’est plus dans le registre du Moi et de l’idéal du Moi. Apparaît la dimension désirante du transfert, en deçà de la demande d’amour.

Les choses s’éclairent alors avec cette part sur la question de dépôt sur l’analyste. Lacan précise que l’analyste « en corps, installe l’ « objet a » à la place du semblant ». Cela comme si l’ « objet a » de l’analysant s’extériorisait et correspondait à un morceau de corps de l’analyste. L’analyste aurait à manier cela sans ignorer la dimension de semblant de ce

montage, comme si la structure de l’analysant avait pris le corps de l’analyste dans son architecture. Le caractère de semblant étant utilisé comme seul moyen pour l’analyste de faire aller l’analysant vers sa vérité désirante.

Après ce dépôt, l’analysant aurait à passer par différentes étapes, notamment à opérer une différentiation entre cet « objet a » cause de son désir et l’instance de l’idéal du moi qui l’englue. Ce qui le conduirait, à la fin de la cure, à reconnaître l’ « objet a » cause du désir, cette fois-ci « nettoyé » ou « décollé » des leurres du moi et de ses idéaux. Ce qui lui permettrait de ne plus « céder sur son désir », et de vivre dans une liberté désirante assumée, non étouffée par la dimension du « Bien » sous toutes ses formes : bien faire, être bien vu(e), être un bon ou une bonne je ne sais quoi… Reconnaître l’ « objet a » cause du désir va aussi avec le fait d’abandonner la dimension de jouissance qu’on croyait qu’il portait. Dimension de jouissance qui est au contraire, au début de la cure, un des enjeux principaux des entretiens préliminaires.

Si la fin de la cure résume une perte de jouissance, il est effectivement à noter qu’un des enjeux principaux des entretiens préliminaires serait plutôt de permettre une accroche à partir de la jouissance des corps. Lacan qualifie ainsi le début des entretiens préliminaires de

« jouissance de corps à corps ». Une fois cela effectué, l’analyste peut ensuite procurer un supplément de signifiant, grâce à l’interprétation notamment sur la jouissance8 du corps. Lacan précise à ce titre que « le corps est le fondement du discours ». Puis, il y aurait

« surdétermination signifiante ». Ainsi, quand la jouissance émergerait, elle se trouverait prise et organisée par le discours que le sujet devrait s’approprier. Autrement dit, ce qui jouit dans le corps se transvaserait dans la parole. Je cite Lacan : « Ce qui parle est ce qui jouit de soi comme corps. » Il y aurait donc premièrement à accrocher cette dimension de jouissance du corps, pour permettre ensuite de mobiliser le passage vers la question du manque cause du désir de l’être parlant – car telle est sa structure, pour qu’au final soit lâchée, perdue la dimension de jouissance. Finalement, seule la dimension symbolique de manque contenue dans l’« objet a » serait récupérée. L’arrachement de sa dimension de jouissance9 renverrait le sujet face à sa béance structurale en le faisant passer par une certaine « position dépressive ».

Je fais une petite parenthèse ici par rapport à l’actualité : les questions d’accroche sur la jouissance que je viens d’évoquer ne renvoient-elles pas de manière sous-jacente aux pulsions ? Les pulsions comme base du transfert ? Une prise de parole dans le transfert mettrait ainsi en jeu les corps à travers les pulsions… les pulsions qui sont en deçà de la jouissance. Mais alors, question d’actualité : les pulsions invoquantes (la voix) et les pulsions scopiques (la vue), à travers les fibres optiques, les ondes wifi et les Smartphones ou les ordinateurs, feraient-elles l’affaire pour un transfert par « appli » ? Tout cela serait bien sûr à développer car que dire d’une analyse qui se ferait à distance par WhatsApp, ou Skype, sans corps à corps ? Et une fois l’accroche sur la jouissance pulsionnelle permise, pourrait-on se passer du corps une fois le processus lancé ? Voilà des questions très actuelles. Il faudrait bien sûr les développer. Je vais plutôt continuer sur la question du transfert.

Si on prend en compte maintenant les trois instances précédemment évoquées, ainsi que le dépôt d’ « objet a » sur l’analyste, pour que le sujet advienne, il aura :

  • à instaurer de la séparation à partir de l’aliénation dans le grand-Autre ;
  • à ne plus confondre sa demande d’amour avec son désir de sujet en décollant le pôle de son désir de la glu des identifications aux objets d’amour en lien avec le pôle de l’idéal ;
  • à faire chuter le Sujet Supposé Savoir en découvrant que sa vérité n’existe pas sous la forme d’un savoir que l’Autre détient, mais qu’elle n’est que manque qui cause le désir inconscient.

Distinction entre deux espèces d’identification :

celle où se constitue le moi et celle qui fait la division du sujet

Après le passage par différentes formes d’identification aux objets d’amour appartenant au registre du moi, la cure analytique est donc une opération qui s’achève avec la découverte d’une autre identification qui n’est plus une unification, mais qui équivaut à l’introjection10 d’un manque, un manque constitutif de la chaîne signifiante du désir. De sorte qu’on peut dire que l’analyse prend fin avec la découverte de la structure du désir11.

L’interprétation

C’est ce qu’ouvre notamment l’interprétation. L’interprétation du et dans le transfert révèle, non pas le transfert, mais le manque en sous-bassement qui se signifie à partir de l’inconscient à propos de ce transfert. On devrait d’ailleurs plutôt parler de « désinterprétation », dans le sens d’une levée de sens, d’une coupure sur la voie de la signification qui viendrait évaporer la couche des identifications aux objets d’amour qui comblait et masquait la question du manque.

L’angoisse comme indicateur

Cela ne va pas sans angoisse. L’angoisse est donc un bon indicateur de l’évolution de la cure et du rapport au désir. Le même phénomène se produisant hors de l’analyse pourrait être la cause d’une demande d’analyse, justement en raison de l’angoisse qui en résulterait. Ce genre d’angoisse serait alors très vite tempéré par l’identification à l’objet d’amour dans l’amour de transfert puisqu’il recouvre ce dont on vient de parler12.

Pour le dire autrement, le transfert s’exerçant dans le sens de l’identification à l’objet d’amour apaise l’angoisse en plaquant la place du manque du sujet dans un registre où ce sujet divisé serait reconnu comme entier. L’analyste utilise de son côté le transfert pour marcher à contre-courant afin de contrer l’effet d’aliénation du sujet dans l’objet d’amour.

La « névrose de transfert » : répétition des liens du passé ?

Il est important maintenant de bien faire remarquer que la dimension externe du transfert, c’est-à-dire ce qu’il se passe entre l’analysant et l’analyste est articulée à la structure de l’analysant. C’est ce que résume la question des différentes instances et du dépôt d’objet sur l’analyste dont j’ai parlé, comme si la structure de l’analysant avait pris l’analyste dans son architecture, disais-je. On parle de « névrose de transfert ». À ce titre, il est important de préciser que le transfert ne correspond pas seulement à l’ombre des liens du passé. La forme serait la même en tant que les liens passés se répéteraient ici et maintenant structuralement. Mais le transfert serait l’isolation dans l’actuel du fonctionnement de ses liens qui pourraient être repris en acte de parole.

Découpage du transfert en 3 niveaux

Concernant cette prise de l’analyste dans la structure de l’analysant, si on veut plutôt faire un découpage en différents niveaux, l’accroche transférentielle sur l’analyste pourrait apparaître comme un levier externe qui servirait à déplacer d’autres dimensions internes – c’est-à-dire dans la tête de l’analysant – qui seraient les véritables enjeux de la cure. On peut identifier deux niveaux internes en connexion avec ce levier externe qui passe par l’analyste.

  • Le premier niveau interne, celui qui serait le plus « au fond » du psychisme, concernerait les mouvements des représentations pulsionnelles. C’est le niveau inconscient où se mobiliserait ce qui vient représenter les pulsions.
  • Le deuxième niveau interne, comme une deuxième couche qui se superposerait, concernerait la mobilisation des connexions du premier niveau avec la parole. Ces connexions correspondraient à un niveau où se mobiliseraient les représentants des représentations (représentations du premier niveau). Et ces représentants du deuxième niveau pouvant être parlés au cours de l’association libre qui se déroule dans la cure, pourraient devenir conscients. Ce serait donc un niveau important puisque la parole pourrait y agir. Elle pourrait y agir en nous permettant de nous extraire de nous-même quand nous nous adressons à l’analyste.
  • La parole deviendrait ainsi réflexive avec le troisième niveau du transfert. Pour Gérard Pommier13, seul ce troisième niveau aurait capitalisé le sens du mot « transfert » alors que son intérêt ne serait que de servir les deux premiers niveaux qui importent davantage du point de vue de la cure et de son effet thérapeutique.

À mon sens, si on ne confond pas suggestion hypnotique et transfert analytique, l’un ne peut aller sans l’autre. D’où l’intérêt de toute cette théorisation psychanalytique : avoir une idée de la place que prend l’analyste au sein de la structure de l’analysant afin de s’en servir pour aider l’analysant à se repérer dans sa structure. Il ne s’agit donc pas de dédier les transferts internes à la personne externe de l’analyste. Cela risquerait d’aboutir à une impasse.

Le paradoxe du transfert : impasse et moteur de la cure

On tombe ici sur le paradoxe bien connu du transfert qui apparaît en même temps comme l’impasse et le moteur de la cure. Pour le dire avec le découpage en niveaux, le troisième niveau du transfert permet à l’analysant de s’orienter. Mais il revient à l’analyste de savoir faire avec, pour le bénéfice des transferts « internes », c’est-à-dire pour le bénéfice de ce qu’il y a dans la tête de l’analysant. La parole de l’analysant est effectivement davantage orientée vers… l’analysant lui-même, plutôt que vers l’analyste. C’est-à-dire justement vers ce qui lui serait propre, interne, latent et qui chercherait à se libérer en passant par l’analyste. L’impasse potentielle tiendrait à ce que l’analyste « aimante » trop la parole. Par conséquent, l’analyste se devrait de ne pas trop « aimanter » le transfert. Pour cela, il se devrait de ne pas trop aimer, non pas qu’on lui cause, mais qu’on le cause ! D’où la nécessité d’avoir fait lui- même sa propre cure dite didactique, afin qu’il ait pu lâcher cette impasse de la recherche narcissique14, qu’il ait pu faire le deuil de vouloir être l’incarnation de l’idéal sous toutes ses formes comme peut l’être l’identification à un maître-sachant par exemple. Au psychanalyste de savoir être un déchet dans le sens d’accepter que le savoir supposé par le transfert n’est rien que représentation, d’accepter le fait d’occuper la place de ce semblant sans lui être identifié jusqu’au moment de la perdre. S’il se doit de maintenir l’ « aimantation » du transfert, répondre à la demande qui lui est faite, répondre à l’amour, reviendrait à bloquer sur sa personne le mouvement réflexif vers les transferts internes de l’analysant évoqués précédemment. Cela figerait le « matériel » des récits, des rêves, des lapsus, etc. Cela couperait la mobilisation des traumatismes et des symptômes. Cela empêcherait la libération d’une position désirante du côté de l’analysant. Si l’analyste n’a pas à répondre à la demande d’amour15 ou de complétude qui lui est faite, c’est pour désengluer la question du manque qui cause la chaîne signifiante inconsciente du désir. Sauf nécessité de tempérer l’angoisse qui accompagne forcément ce mouvement de « dés-engluement », l’analyste n’a pas à répondre à la demande, fût-elle une demande d’apaiser la culpabilité nous dit Moustapha Safouan16. Dans « l’horreur de son acte », comme le dit Lacan, l’analyste ne doit rien donner et, dans la mesure où le rien se donne, il se doit de faire comprendre le peu de prix qu’il y attache. Cette non-réponse à la demande ne vise pas à frustrer le sujet comme on dit mais, comme l’explique Lacan, à faire apparaître les signifiants où sa frustration est retenue. Une reprise, par l’analyse du transfert, de la part de l’analysant lui-même, sera alors possible. L’analyse consistera, par là, à défaire les identifications narcissiques à l’objet d’amour dont se constituait le moi. Mais l’analyste, quoi qu’il en soit, est investi du « sujet supposé savoir » et des figures de l’idéal. À lui, donc, de ne pas s’en vêtir de façon à ce que le costume lui aille trop bien.

L’analyste se place ailleurs :

Le désir de l’analyste comme clé de l’opération analytique

Se pose alors une question : d’où doit-il répondre de son côté ? Cette réponse est à trouver non pas du côté de ses qualités d’homme ou de femme, mais du côté de son désir d’analyste. Cela n’équivaudrait pas à son désir de sujet, sauf à le considérer dans sa structure, c’est-à-dire comme désir de désir. Le désir de l’analyste comprend un « x ». Un « x » qui se maintiendrait à partir de la propre division du sujet qui est en position d’analyste. Un « x » à comprendre comme une sorte d’énigme en réponse à la demande d’amour de l’analysant. Un « x » qui renvoie au manque en maintenant un certain écart. C’est seulement ainsi que le transfert devient analytique et non plus hypnotique. L’analyste aurait à soutenir la question du désir au-delà des collages transférentiels, à partir de ce qu’il a lui-même découvert à travers sa cure dite didactique. Autrement dit, au-delà de l’amour de transfert, c’est l’affirmation du lien du désir de l’analyste au désir du patient qui permettrait le transfert analytique et le déroulement de la cure.

Critique du contre-transfert

L’analyse n’est donc pas une situation où transfert et contre-transfert se répondent. Ce qui se présente comme une relation est, à ce titre, une fausse relation. La référence au contre- transfert est un alibi par rapport à ce qui constitue l’axe véritable de l’analyse, à savoir le désir de l’analyste. Mais, comme déjà dit, il s’agit du désir de l’analyste en tant que « x », en tant qu’énigme qui maintient l’écart. Dans ce sens, on peut dire qu’il doit veiller à éviter le contre-transfert, c’est-à-dire veiller à ce que son désir à lui, personnel cette fois, n’intervienne pas. Il ne s’agirait pas que son désir personnel se dirige sur la personne de l’analysant. Du coup, tombe la conception du transfert comme dynamique intersubjective : puisqu’il y va du rapport à l’analyste non pas en tant qu’il est un autre, mais en tant qu’il occupe la place du

grand Autre barré, c’est-à-dire grand Autre comme lieu du langage où la question du manque est inscrite. Il n’y a finalement dans le transfert qu’un sujet qui parle : l’analysant.

Ainsi, l’opération analytique fondamentale est de maintenir la distance entre le point d’où le sujet se voit aimable, et l’ « objet a » cause de son désir. Par là, l’analyse se distingue de l’hypnose qui vient faire se perdre ces deux points dans leur confusion. Leur distinction est possible dans la mesure où le désir de l’analyste va dans un sens opposé aux identifications dont est pavé le chemin vers la substitution de l’amour. L’écart à soutenir se retrouvera entre le moi et le sujet, entre l’imaginaire et le symbolique, entre le discours constitué et le discours constituant, entre les énoncés et l’énonciation17, c’est-à-dire entre ce qui est dit et la manière de le dire, entre le discours manifeste et le discours latent, entre la demande et le désir. Bref, d’après ces développements, la fin de l’analyse réside dans l’assomption de la division maximale.

La chute du sujet supposé savoir et la « liquidation du transfert »

À la fin, l’analyste déchoit de l’idéalisation dont l’habillait l’analysant. Avec le repérage par l’analysant de l’ « objet a » cause de son désir, au-delà ou en deçà de l’idéalisation de cet objet comme agalma, prend fin la confusion leurrante. L’ « objet a » se trouve décollé de l’idéal du Moi. La question du désir se trouve différenciée de la question du

« souverain Bien ». Du coup, il se produit la liquidation du transfert. Le transfert « perd sa chair ». Le dépôt d’ « objet a » est repris. Ou plutôt, seule la dimension symbolique de manque contenue dans l’« objet a » serait récupérée. L’ « arrachement » de sa dimension de jouissance renverrait le sujet face à sa béance structurale en le faisant passer par une certaine position dépressive de « désêtre ». Au final, le transfert se désincarne et permet à l’analysant de se séparer de son analyste parce qu’il ne croit plus qu’il peut en jouir.

Si l’analysant « en aura laissé un bout », un corollaire assez peu évoqué de la mutation engendrée concerne son rapport au « petit autre », c’est-à-dire son rapport au semblable. Si, avant la cure, la logique de l’analysant était celle du « Moi », dont le rapport au semblable était support du narcissisme et de projections imaginaires – allant de la mise en concurrence avec jalousie, sentiment de menace face au semblable idéalisé renvoyant le « Moi » à son insuffisance ; ou à l’envers : refus du rapport à un autre trop différent pour exister dans cette logique narcissique, d’où un certain racisme non pas naturel mais moïque – le semblable après la cure peut enfin devenir un égal dans toute sa différence… ce qui sera très pacifiant pour l’ancien analysant dans ses rapport avec les autres.

  1. Intervention réalisée dans le cadre du séminaire d’introduction à la psychanalyse de la FEDEPSY, tenu par Julie Rolling et Nicolas Janel.
  2. Je vous renvoie au dernier livre de Jean-Richard Freymann intitulé Amour et Transfert où sont développées ces questions.
  3. N. Janel, Une fois perdu(e), quelle direction ?… La trace du désir de l’analyste ? 11 avril 2014, nicolasjanel.over-blog.com
  4. G. Pommier, D’une logique de la psychose, Paris, érès, 1983, p. 265-267.
  5. « … Cette main qui se tend vers le fruit, vers la rose, vers la bûche qui soudain flambe, son geste d’atteindre, d’attirer, d’attiser, est étroitement solidaire de la maturation du fruit, de la beauté de la fleur, du flamboiement de la bûche. Mais quand, dans ce moment d’atteindre, d’attirer, d’attiser, la main a été vers l’objet assez loin, si du fruit, de la fleur, de la bûche, une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et qu’à ce moment c’est votre main qui se fige dans la plénitude fermée du fruit, ouverte de la fleur, dans l’explosion d’une main qui flambe – alors, ce qui se produit là, c’est l’amour. » J. Lacan, Le Séminaire Livre VIII (1960-1961), Le transfert, Paris, Le Seuil, coll. « Champ freudien », séminaire du 7 décembre 1960, version 1991, p. 67 et version 2001, p. 69.
  6. À propos de la logique de la métaphore, voir aussi dans l’Éphéméride 10 de la FEDEPSY le texte que j’ai intitulé « De quel mythe participe l’introduction de la métaphore paternelle ? ».
  7. Cela renvoie à la question du trait unaire comme support de l’idéal.
  8. Qui fait fonction de réel.
  9. Dimension attenante au transfert réel ?
  10. Dans le sens d’une identification symbolique… « se réduire au signifiant quelconque » écrit également Moustapha Safouan.
  11. M. Safouan, Le transfert et le désir de l’analyste, Paris, Le Seuil, 1988.
  12. Lorsque l’identification est insuffisante à cadrer la pulsion, l’émergence imminente de celle-ci se signale par l’angoisse. En sens inverse, lorsque la pulsion se trouve bien cadrée, nous observons les manifestations de l’amour de transfert. C’est là la phénoménologie de la clinique analytique. A. Zaloszic, Comment choisit-on un psychanalyste : http://www.psychanalyse67.fr/accueil/myFiles/72_IFDE4G2313.pdf
  13. G. Pommier, « Attention à la queue du transfert », La clinique lacanienne 2012/1 (n° 21), pages 107 à 122.
  14. « Qui ne sait pas pousser ses analyses didactiques jusqu’à ce virage où s’avère avec tremblement que toutes les demandes qui se sont articulées dans l’analyse, et plus que toute autre celle qui fut à son principe, de devenir analyste, et qui vient alors à échéance, n’étaient que transferts destinés à maintenir en place un désir instable ou douteux en sa problématique – celui-là ne sait rien de ce qu’il faut obtenir du sujet pour qu’il puisse assurer la direction d’une analyse, ou seulement y faire une interprétation à bon escient. » ( J. Lacan, Écrits, p. 636)
  15. « L’identification moïque à l’objet d’amour comme régression, parce qu’elle part de la demande d’amour, ouvre la séquence du transfert (l’ouvre et non pas la ferme), soit la voie où pourront être dénouées les identifications qui, en stoppant cette régression, la scandent. » (J. Lacan, Écrits, p. 635)
  16. M. Safouan, Le transfert et le désir de l’analyste, op. cit.
  17. « où s’articulent les significations reçues et ce qui y interfère au titre de signifiants faisant entendre ce qui s’articule dans l’inconscient comme manque à être » pour le dire avec Moustapha Safouan.

De quel mythe participe l’introduction de la métaphore paternelle ?

Intervention réalisée au sein du séminaire de Jean-Richard Freymann « Mythes, fantasmes et traumatismes ».

Un mot rapide par rapport au contexte actuel de sortie de confinement… Je suis tombé sur une phrase : « le confit est l’une des plus anciennes techniques de conservation. On l’utilise notamment pour le confit de canard, ou le confit d’oie… » Alors, n’étant pas encore tout à fait une oie bien gavée, serais-je en train de me tirer de mon bocal d’auto-conservation pour rouvrir d’autres champs pulsionnels ? … Et faire que la parole re-circule ! Merci donc à Jean-Richard Freymann pour cette proposition de reprise du séminaire en format vidéo, cela facilite cette relance.

Je vais reprendre les apports de Lacan concernant la métaphore et la métaphore paternelle. J’en profiterai pour interroger, au passage, de quel mythe participe l’introduction de la métaphore et plus particulièrement la métaphore paternelle puisque, comme on le verra, ce serait elle qui conditionnerait la possibilité d’existence de toutes les autres.

La métaphore

Lacan reprend notamment la formule générale de la métaphore dans un texte de 1960 intitulé « La métaphore du sujet », en écho au texte de 1957 intitulé « L’instance de la lettre dans l’inconscient ». Se situant après Freud, contemporain des apports de la linguistique structurale (De Saussure, Jakobson), et suivant son idée de « l’inconscient structuré comme un langage », Lacan propose une reprise du mécanisme de « condensation » qu’identifie Freud dans « le travail du rêve2 » par le concept linguistique de la métaphore.

Pour le dire autrement, Lacan fait un emprunt à la linguistique structurale pour l’appliquer à la théorie freudienne du rêve. Au passage, Lacan ne mythifie-t-il pas ici Freud, dans ce mouvement de rétro-action, en le faisant père de la linguistique structurale ? Freud comme père en tant que celui qui aurait donné les conditions nécessaires – théoriques ici – à l’émergence de la linguistique structurale ? Autrement dit, Lacan ne légitimerait-il pas ce qu’il veut créer comme une descendance théorique, en identifiant le père par les critères de ce qui prétend faire descendance théorique ? Lacan ne légitimerait-il pas sa « linguisterie », en identifiant celui déjà connu comme « père de la psychanalyse », aussi comme père par la linguistique structurale ? Lacan se positionnant ainsi lui-même dans une certaine filiation mythique psychanalytique.

Bref, la métaphore en ressort comme mathème organisateur du fonctionnement psychique, notamment par son effet de substitution signifiante sur la chaîne signifiante inconsciente.

Le sixième chapitre de la Tramdeutung où il est question de la condensation questionne le sens du rêve et comment se produit ce sens ? Freud décrit donc les conditions d’émergence du sens du rêve. En proposant la métaphore comme reprise de la condensation, Lacan serait dans le même esprit. La formule de la métaphore ferait ressortir un « plus » de signification qui serait inscrit comme résultat de l’opération. Le rêve aurait alors un sens, mais détermine par un processus de constitution du langage qu’est la métaphore et que Lacan ferait équivaloir au processus primaire freudien qu’est la condensation. Lacan précise que « l’étincelle créatrice de la métaphore ne jaillit pas de la mise en présence de (…) deux signifiants également actualises ». Il se démarque par là de Perelman qui pense la métaphore à la manière de l’analogie. Dans la métaphore, ce n’est pas du deux à deux, mais du « trois contre un », dit Lacan. Si dans l’analogie – qui peut s’écrire « (A/B . C/D) » – il y a 4 termes : A est à B comme C est à D, dans la métaphore il y aurait trois termes dont émergerait un quatrième : A est à B comme B est à C, en émergerait un D3. Telle serait la condition pour que se produise un « plus » de signification sur le mode métaphorique4. Il ne suffirait pas que le mieux connu éclaire le moins connu par la mise en comparaison, comme il en est dans l’analogie. Il faudrait encore que la métaphore traverse cette comparaison… « pour s’appuyer sur le non-sens », nous dit Lacan. Au cours de la substitution de signifiants, il y aurait occultation de l’un des deux. Ainsi, l’occultation vers le non-sens accompagnerait le surgissement d’un sens nouveau. Pourrait-on le dire autrement ? À partir d’un non-sens connu, émergerait du non-sens qui serait source d’une nouvelle signification, comme si l’inconscient s’employait à suppléer à quelque chose qui n’a pas de sens – on pense au Réel – en créant du nouveau ?

Voilà pour la métaphore en général. Maintenant, concernant la métaphore paternelle…

La métaphore paternelle

La formule générale de la métaphore est reprise par Lacan en 19585, au cours du séminaire Les formations de l’inconscient. Lacan y déclare effectivement: « Le père est une métaphore. » Il introduit la formule de la métaphore paternelle sous forme de mathème, c’est- à-dire à la manière d’une écriture algébrique :

Nom-du-Père/Désir de la Mère . Désir de la Mère/Signifié au sujet

→ Nom-du-Père (A/Phallus)

On peut traduire cette formule en disant que quelque chose se signifiant au nom du père se substitue à ce qui signifiait le désir de la mère. Le signifiant du désir de la mère ayant un signifié inconnu. Cela donne au Nom-du-Père la fonction d’introduire au lieu de l’Autre, c’est-à-dire grand A sur la formule, et en-dessous de la barre, c’est-à-dire dans l’inconscient du sujet, quelque chose qu’on appelle le phallus, qui est le signifiant d’un manque. Autrement dit, grâce à la substitution signifiante, où le signifiant du Nom-du-Père prend la place du avec sa connotation voilée phallique, est substitue dans le poème à la place où l’on attendrait le nom propre Booz. La substitution se fait entre deux mots (gerbe et Booz) mais il faut quatre termes (ou trois contre un) pour faire fonctionner la logique de la métaphore (non réductible à la substitution). Dans cette substitution il ne s’agit pas de comparaison mais bien d’identification et c’est ce qui fait le ressort de la métaphore. Par là, le poème métaphorise la paternité à venir, tardive de Booz (dont il semblait être « forclos », dit Lacan). » 

Désir de la Mère, se révèle le signifiant inconnu qui est le Phallus symbolique6 qui s’occulte dans l’inconscient et organise tous les autres signifiants par la signification phallique. Cet effet serait necessaire pour la structure desirante, la metaphore paternelle determinant la possibilite de toutes les autres metaphores. Ce serait la première. Un trou, l’endroit du Phallus, du manque, cause de mouvement désirant se créerait à partir d’elle, ce qui permettrait des significations nouvelles pour le sujet sur fond de substitutions signifiantes…

Ainsi, Lacan articule le mythe œdipien avec les apports de la linguistique structurale. Le complexe d’Œdipe se « signifiantise ». Il ne s’agit plus de la relation de l’enfant avec la mère et avec le père de la réalité7. Il n’y aurait plus à passer par le mythe de la horde primitive ou celui d’Œdipe pour saisir l’émergence d’une loi symbolique organisatrice chez l’humain. Lacan en ferrait directement une écriture symbolique qui révélerait le fonctionnement de l’inconscient. Pourrait-on voir cette écriture en mathème comme une tentative de scientifisation de la psychanalyse de la part de Lacan ? Une scientifisation qui écrirait directement le fonctionnement psychique sous forme de formules ? Une formule contenant directement le symbolique, sans avoir besoin de faire recours aux mythes ? Une formule contenant la dimension du non-sens qui protégerait d’une fermeture sur un savoir plein desubjectivant ? Une formule préservant ainsi toute la spécificité de la psychanalyse ? La psychanalyse ressortant ainsi comme une science pouvant se transmettre directement par l’écriture ? Quel père mythique cette hypothèse ferait de Lacan ! Alors, cette hypothèse peut- elle faire mythe de l’introduction de la métaphore paternelle ?

  1. Chapitre VI de la Tramdeutung.
  2. L’écriture avec des signifiants donne : S/S’1 . S’2/x → S(1/s’’) qu’on retrouve aussi écrit S/$ ‘ . $ ‘/x → S(1/s) (Ce I/s’’ signifie l’apparition en profondeur, dans l’inconscient I d’une signification nouvelle.)
  3. « Lacan l’illustre en utilisant le poème de Victor Hugo « Booz endormi ». À partir de la phrase « Sa gerbe n’était point avare ni haineuse », il fait remarquer que le signifiant « gerbe», porteur d’une notion de fécondité,
  4. Erik Porge, « L’Erre de la métaphore », dans Essaim 2008/2 (n°21), pages 17 à 44.
  5. La metaphore paternelle se posait dejà en 1957 dans « D’une question preliminaire à tout traitement possible de la psychose » comme reponse à la question du declenchement de la psychose. Cette reponse apparait : « Pour que la psychose se declenche, il faut que le Nom-du- Père, verworfen, forclos, c’est-à-dire jamais venu à la place de l’Autre, y soit appele en opposition symbolique au sujet. »
  6. Lacan dit aussi que la metaphore du Nom-du-Père est « la metaphore qui substitue ce nom à la place premièrement symbolisee par l’operation de l’absence de la mère », laissant entendre que l’accès au symbolique, le premier symbole pour l’enfant, serait en rapport avec l’alternance présence-absence de la mère.
  7. Lacan s’était aperçu cliniquement qu’un « Œdipe pouvait très bien se constituer quand bien même le père n’était pas là (…). Les complexes d’Œdipe (…) s’établissaient d’une façon exactement homogène aux autres cas, même dans le cas où le père n’est pas là. » « Parler de sa (le père) carence dans la famille n’est pas parler de sa carence dans le complexe. Parce que pour parler de sa carence dans le complexe, il faut introduire une autre dimension que la dimension réaliste. »

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