Arrière cocotte !

Arrière cocotte !1

« On aurait pu penser que l’homme était apparu à la manière d’un intermède dans le spectacle de la nature. Voilà qu’il décide d’être, à lui tout seul, tout le spectacle. »2

Se confinant à Lacan dans le confinement, auquel nous, enfants de l’édition des séminaires, avons la chance de pouvoir se colleter dans l’illusion de ne rien manquer de sa parole, la vie semble se donner comme un fil. Des réitérations, redites, répétitions. Les mêmes portes, avec le même gardien qui feraient frémir des héros kafkaïens nouveaux.3

« — Puis-je entrer ?

  • He bien non ! Je comprends que vous en ayez envie mais ce n’est pas possible.
  • Ah bon ? Le trésor des signifiants est-il donc interdit ? Pourquoi ?
  • Plait-il ?
  • Non, oui, je voulais dire cette porte toujours ouverte qui semble garder le secret du désir marqué du signifiant, toujours échappant tel un furet…
  • Jeune homme je comprends votre désarroi mais c’est ainsi. Cela peut être mortifiant mais ! On croit comprendre des choses. Moi-même, si je me souviens bien, j’étais plutôt vif en la matière mais voyez-vous, je n’ai que cette mission de garder cette porte et ma foi, je ne m’en trouve pas plus mal.
  • Oui, je comprends mais tout de même, accepter, se résigner, c’est pénible…
  • Pénible, oui bien sûr, mais quand même beaucoup moins que de ne pas être reconnu.
  • Reconnu ? vous voulez dire, reconnu par les siens ?
  • Oui les siens, la mère ou la mer… comme il vous plaira.
  • Mais enfin, le père est là, derrière cette porte, il vous a reconnu comme gardien !
  • Oui, oui, tout à fait, c’est cela. Oui le père m’a reconnu comme gardien. Mais la mère…
  • Elle a donc été si dure ?
  • Cessons cela, vous n’entrerez pas dans le saint des saints de la loi. C’est ainsi. Restez tranquille, comme il vous plaira mais ne cherchez pas à entrer, cela n’est pas possible. »

Chacun sur son chemin s’intéresse aux cailloux qu’on a semés pour lui et qu’il ressème, dissémine. Et chacun sait que ce don est inégal. Ce thème, traumatique, fantasmatique aussi, mythique pourquoi pas, de l’acte du suicide que Lacan décrit à plusieurs endroit comme l’acte pur, ou qui serait pur si on savait ce que pourrait en dire celui qui l’aurait commis4, est aussi présent dans le séminaire V. Il y a comme un miroir entre la page 245 du chapitre XIII Le fantasme au-delà du principe de plaisir, où il évoque les conséquences de ne pas avoir été désiré chez les sujets suicidaires et la page 285 du chapitre XV la fille et le phallus où il parle de l’enfant seul face au signifiant du désir de sa mère, « De deux choses l’une. Ou bien l’enfant… se fait lui-même objet dans le courant des échanges et à un moment donné, renonce à son père et sa père, c’est-à-dire aux objets primitifs de son désir. Ou bien il garde ces objets… ». Il risque alors le labyrinthe du garde-manger de la valeur, poursuit Lacan. Il pourrit, thésaurise, se terrorise, ma cassette, ma cassette. L’attachement œdipien est conservé. Ça fout le camp, a minima dans la névrose et ça n’en finit pas de coller ce fout-le-camp !

Qu’ajouter à cela ? Un petit bout de texte verrouillé dans les confins des mémoires de chacun ? Un petit fil ? Nous y revenons. Nous sommes aux confins de l’humain. De l’humain qui-se-dit-conscient-d’être — à la mode de Fernand Deligny. Aux confins. Tout troué. Y-a-t-il un après les confins ? Avec fins ? S’il y a fin, y-aurait-il donc quelque chose après la fin ?

D’où vient le désir de mort et de meurtre ? De la haine d’être mortel ? De la rage d’être moins désiré que l’autre ? Gérard Haddad, entendu sur les ondes autour de Kafka, dit que dans la bible il est moins question de parricide ou d’inceste que de fratricide ? Chez les grecs, serait- ce plus large ?

Dans le fil de l’appartenance à la vie, à l’existence, à la reconnaissance de soi dans le microcosme de la famille, il semblerait que le fait d’être ou d’avoir été attendu, reconnu, désiré est un paravent contre cette tentation, somme toute très répandue de se dire : « hé bien quoi, puisqu’ils, — qu’elle dit-on souvent — ne m’attendaient pas, à quoi bon attendre moi-même ! Finissons-en ! »

La société mondiale semble répondre à cette question de manière massive, pas de manière intellectuelle, plutôt de façon technique et réactionnelle. « Ils se pressent contre les barrières de la peur et la haine, pourquoi ne pas pousser un peu ? Cela doit avoir des effets miraculeux ! »

Traumatisme qu’être né ? Ce n’est pas tellement un trauma qu’être né. C’est une création que naître. Cela est attendu, d’une manière ou d’une autre. Ce qui semble persister, c’est bien de ne pas être désiré. Qu’un « on » ne désire pas qu’on soit, malgré l’attente, désiré et accueilli.

Pensées à l’attention des auteurs d’éphémérides, en premier lieu Jean-Richard Freymann

Le triangle de l’inceste, du cannibalisme et du meurtre peut pousser à chercher ce que serait dans le triangle la place de l’enfant, de la mère et du père.

La dimension de l’ailleurs renverrait à ce presqu’aphorisme de Lucien Israël qui dit quelque part — et peut-être différemment — dans son séminaire sur la parole et l’aliénation

« Disons que l’aliénation c’est l’ailleurs ». Quand cet ailleurs se résume à son corps et sa pensée confinée, on peut craindre, oui, quelques déconvenues avec la folie ou la glissade intérieure.

Sur les perspectives d’Œdipe à Colone — lu et commenté par Lacan dans le séminaire III — cette perspective ultime : « être enfin homme puisqu’il n’est plus rien », et la vengeance derrière.

Le désir de vengeance des enfants danse assez bien avec la sublimation comme voile du désir meurtrier de Marc Lévy.

De la conflictualité à venir, qui ne serait pas empoignade terrorisante ? Encore faudrait- il trouver un terreau de l’agir que semble être ce qu’ont vécu et vivent les personnes sur le front de l’épidémie mais le pouvoir n’a souvent d’autre but que de protéger son vouloir.

En contre-point, pour Julie Rolling, les illusions du collectif et du coup de la confusion possible de l’agir. Lacan dit, semble-t-il justement, que l’individu et le collectif c’est la même chose5. Comment penser le narcissisme étouffant et presque indépassable des deux ?

Pour Cyrielle Weisgerber et Pauline Wagner, sublimer l’absence du corps réel par la voix qui peut encore séduire.

Enfin un erratum dans le premier texte transmis — pour la toile de Martin Roth sur la sidération. Siderare n’est pas, bien entendu, sans étoile. Ça c’est le désir. Sidéré serait étoilé ? Desidère-toi est-il mot d’esprit métonymique ou métaphorique ?

Le thème fait rebond vers l’avoir et l’être de Guillaume Riedlin qui sont emplis tous deux d’illusion, voire d’hallucination. Cela semble sans fin.

1 Voir l’histoire longue si drôle de Raymond Queneau dans le chapitre VI du séminaire V de Jacques Lacan Les formations de l’inconscient, 1958-59, ed. du Seuil, 1998.

2 Arachnéen et autres textes, Fernand Deligny, édition l’Arachnéen, juillet-septembre 2008, fragment 27, page 45.

3 Cf. Kafka, Parabole de la loi, 1915 (au moment de la rédaction du Jenseits – au-delà du principe de plaisir…)

4 Et que Lucien Israël décrit dans la plupart des cas comme narcissique ou relevant de graves disfonctionnements narcissiques dans Le médecin face au malade, édition Dessart, 1968.

5 Séminaire III sur Le moi.

Sortir du confinement – pour quoi faire ?

Claudine Hunault. Actrice, écrivaine, psychanalyste.

Un changement s’est produit dans la parole des patients. Je situe ce changement dans le sillage des annonces du Premier Ministre le 19 avril. Durant les premières semaines de confinement, s’exprimait une anxiété qui portait sur des questions personnelles (occuper son temps, vivre seul(e) ou à temps plein avec l’autre, avec les enfants, supporter les annulations des échéances professionnelles…). Certains disaient se vider de leur substance en l’absence de l’autre, se vivant d’abord comme partie d’un ensemble et perdant le sentiment d’une existence propre si cet ensemble disparaissait physiquement de leur paysage. Cet « ensemble » avait habituellement une fonction de tiers qui soutenait chaque jour le désir de se lever, de se porter au dehors et d’agir. Il avait aussi une fonction de tiers pour le couple confiné où commençait à s’émousser le goût de l’autre. La tension amoureuse se raréfiait si autrui n’était plus là pour la percevoir et la reconnaître. L’imaginaire se tassait dans cette durée rectiligne. Progressivement est apparu un trouble puis une culpabilité de se voir à l’arrêt quand d’autres, maintenus, appelés ou rappelés au travail étaient pris dans l’urgence et le danger. Devoir rester chez soi et ne rien faire pour autrui signifiait être hors circuit et quasiment exclu du cœur de l’action, même si ce cœur était celui de la souffrance et de la mort possible. Deux mondes cohabitaient, l’un immobile dans le silence des villes et des routes désertées, l’autre hyperactif et grouillant dont nous suivions avec fascination les épisodes et la courbe de gravité. Le premier perdait en réalité, semblait se défaire et révélait une peur qu’il n’y ait rien, qu’il n’y ait plus rien. Le rappel quotidien et chiffré des malades et des morts venait attester que l’épidémie était là. Il n’y avait pas rien, le monde était bien là. Les applaudissements de 20h pour les soignants réveillaient l’ancrage dans une réalité.

À l’inverse, pour ceux et celles qui se vivent dans la comparaison permanente avec autrui et se sentent toujours entravés dans l’action, voire en échec, l’arrêt les apaisait, toute velléité de challenge était dissoute, le monde les avait rejoints.

Il y a une chose dont nous ne décidons pas, c’est ce qu’opère en nous le temps. Il s’agit de se rendre à l’action du temps, à sa façon d’affaiblir la volonté de prouver quelque chose à l’autre et surtout à soi, d’assourdir le besoin de capitaliser sa propre personne. Nous vivons un arrêt de l’attraction du dehors, de sa multiplicité et nous ne pourrons pas faire que ça n’ait pas eu lieu, même si la perception que nous en avons varie considérablement d’une personne à une autre. Qu’est-ce qui change en nous ? Dans ce confinement qui agit comme une loupe, nous faisons face à ce qui de nous-mêmes se dérobe si facilement dans la fébrilité ordinaire de nos actions et de nos contacts. « Avant il y avait un quotidien, il y avait des gens, il y avait des choses pour éviter les questions et les constats », disait une patiente. Qu’est-ce qui change en nous ? Peut-être l’inclination à l’évitement. Même si nous emplissons nos journées (la fourmi toujours active), et nous sommes nombreux à observer qu’elles passent très vite nos journées, il y a cette aube du jour, quelle qu’en soit l’heure, où l’angoisse vient mordre. Il y a un seuil poreux qui n’est plus le sommeil et pas encore l’éveil où le souffle est happé par un obstacle insituable et sans forme qui retarde le mouvement. Dans l’interstice louche les questions peinent à se poser. Elles sont submergées par une question sans fond : qu’est-ce que c’est vivre ? Quand nous ne sommes plus « pris » par une activité, quand autrui n’est plus l’horizon de notre mouvement, quand il n’y a plus d’échéance, qu’est-ce que c’est vivre ?

Aucune méthode, aucune technique ne peut répondre et des patients se disent agacés des conseils de bonnes pratiques réitérés : appelez vos proches, faites-vous un programme chaque jour etc., précisément la chose s’avère impossible ou désuète ou déjà caduque car le sentiment domine que la question à affronter est ailleurs et les déborde de toutes parts. Comment soutenir seul(e) le désir de vivre quand autrui ne vient pas le soutenir avec nous, voire à notre place, nous en déchargeant, se chargeant d’une partie de nous dans l’action, dans la parole ? Et nous, lui octroyant la même chose.

Qu’est-ce qui change en nous ? Il nous est soudain demandé d’être dans le temps et non plus de le devancer pour en annuler la durée. L’angoisse aujourd’hui se dépose sur un champ plus vaste et diffus : qu’est-ce que nous allons vivre ? Le monde qui vient est déjà là, marqué par la perte de ce qu’on prévoyait, de ce qu’on avait préparé et qui allait se réaliser. Nous ignorons encore tout de ce monde, nous n’avons rien dans notre mémoire pour l’imaginer. Comme dans ces rêves où on doit participer à un spectacle dont on ne connaît ni le texte ni la mise en scène. Pourquoi sortir si je ne peux plus exercer mon métier ou mon art, si je ne peux plus serrer l’autre dans mes bras ? Pourquoi sortir si nous ne pouvons plus passer

par les corps pour comprendre et éprouver ce que c’est que vivre ? Les corps nous manquent : ce que font les corps dans les films et que nous ne pouvons plus faire.

Une peur se fait jour à l’approche du déconfinement, celle d’un isolement plus grand encore ; nous avons compris qu’il n’y aurait pas de grandes retrouvailles insouciantes et débridées. Pour ceux et celles dont l’activité s’est arrêtée, la peur d’être exclu(e) de la vie qui reprend se tisse avec un sentiment d’impuissance : ne plus savoir où prendre la parole et comment la prendre.

Nous nous trouvons devant une double exigence : écouter la résonance de ce qui s’est découvert en nous, lieu d’une intime transformation, et aiguiser notre lecture du dehors où plane la menace d’une loi tentée de prendre en main notre santé.

Le déconfinement ou « La clinique est pleine de surprise ! »

  1. « Surprises du déconfinement »

Autant le confinement prolongé a provoqué des manifestations de lassitude et d’agressivité, autant le retour vers le « déconfinement » replonge vers les ressorts de l’angoisse.

Quels sont ces paradoxes ?

L’humain s’habitue à presque tout, sauf à l’irruption du changement. L’être parlant se ritualise dans des aberrations dont il perd souvent les raisons. Essayez chez vos proches de toucher à leurs petites habitudes, vous m’en direz des nouvelles !

La question freudienne (modèle 2e topique) serait de se demander s’il s’agit là de la mise en jeu de « l’automatisme de répétition » ou « des pulsions d’auto-conservation » ? Freud en donne plusieurs réponses dans un texte intitulé « Au-delà du principe de plaisir1 ». En termes lacaniens on pourrait risquer : Comment se priver des jouissances de la répétition ? J’ai eu quelques surprises concernant les modifications des édifices techniques de ma pratique de l’inconscient. En fixant une date – avec quelque fierté ! – de reprise des consultations « présentielles », grande a été ma surprise en entendant quelques patients me dire qu’ils préféreraient poursuivre en « téléconsultation ». Surprise ? Et pourtant Marcel Ritter et Cyrielle Weisgerber nous ont bien montré les fonctions de la présence dans les précédents « Éphémérides ». Je dirais plutôt que la plupart des gens ne supportent pas l’anticipation du changement, même si par la suite les choses se passent fort bien.

Quant à la question de la reprise des écoles, je n’oserais certainement pas affirmer que sous prétexte (justifié) d’impréparation, les adultes se cachent derrière les enfants pour dissimuler (enfouir, occulter ?) leurs angoisses et leurs peurs (le nuage du virus n’ayant pas encore quitté les lieux).

Quels que soient les mensonges des gouvernants, nous voudrions pointer la question des nominations qui renvoient aux questions fondamentales et la « métaphore paternelle2 », de l’affirmation et du « Nom-du-père » ? Qu’est-ce à dire ?

Dans le quaternaire œdipien (mère-père-enfant-phallus), d’après Lacan la mobilisation se fait en différents temps et cela a de l’effet sur la constitution de l’enfant. Quel rapport ?

En affirmant une date de déconfinement, quelque chose se produit dans la psychologie collective.

Mais encore ?

Quelque chose va s’arrêter dans le glissement du langage ; on va introduire une pause ou un silence (comme on dit en musique) avec tous les effets d’anticipation et d’anxiété personnelle. Que la date soit justifiée ou non, on introduit une coupure riche d’effets défensifs, inhibiteurs ou favorisants.

Cela renvoie à la notion de scansion, d’intervention « paternelle », d’effets métaphoriques face au glissement métonymique.

Qu’est-ce à dire ?

Qu’après une logique de l’effroi (Schreck), on tente de rétablir un changement de portée. Il est trop tôt pour dire à quelle nouvelle mythologie nous avons à faire. Quelque part on réindividualise les décisions. Aux décisions prises par les gouvernements, chacun est contraint de se situer.

Ce qui va aussi dans le sens de la « redialectualisation » entre l’administratif et le médical3. Au même titre que l’épidémie a redonné du pouvoir au discours médical par rapport au discours administratif souvent Kafkaïen.

L’arrêt du confinement réintroduit l’individu dans des choix particuliers où se repose la question de l’engagement personnel.

J’entends les plaintes des petits-enfants qui eux cherchent leurs copains et copines…

Alors attendons la créativité de tous les enseignants.

À quelle analogie est-ce que je me réfère concernant la nomination d’une date, au

« NON » d’un discours paternel ? Qu’est-ce à dire ?

Nous avons à tenir compte pleinement des modifications des formes de la famille4 pour le bien-être de l’enfant. Il faut au moins qu’il découvre deux types de discours (maternel et paternel par exemple), autrement dit une forme de conflictualité, peu importe les costumes donnés à cette conflictualité. Faute de quoi, nous retombons sur la primitivité spéculaire de la relation leader-enfant, qui se rapproche de la logique du clone5. Contrairement aux idées répandues, les enfants supportent beaucoup de choses, pour peu qu’on les introduise dans les logiques de la parole. Ceci est d’actualité puisque c’est bien la binarité confinante relationnelle qui conduit à des formes de violences. Et il suffit le plus souvent d’introduire une tiercité (voir le texte de Julie Rolling dans Éphéméride n°4) pour réintroduire un cheminement, une diachronie.

2. La tiercité et le mythe

À la préparation du séminaire sur « Introduction à la métaphore paternelle6 », le débat a circulé autour de la fonction du mythe en particulier par rapport aux liens entre « Œdipe- roi », « le complexe d’Œdipe » et « Œdipe à Colone ». Une des formes de la tiercité c’est l’irruption d’un changement, le « peut-être » de changer d’habitude ! Mais aussi le surgissement d’un acte imprévisible.

Le « NON » dans un discours habituel vient à faire dérailler un des aspects de l’automatisme de répétition. Faire parfois jaillir un autre discours ! Cela met l’accent sur une donnée clinique que Freud développe dans Totem et Tabou7 – qui reste une énigme pour l’inventeur de la psychanalyse – qui est « l’ambivalence affective ».

Et c’est bien là que nous trouvons les articulations entre les formations de l’inconscient et les formations sociales8.

Après avoir détaillé la mythologie grecque, Freud s’étonne du fait que les héros de la tragédie doivent souffrir (leçon pour les politiques !), et que le héros tragique est chargé de

« la faute tragique » (Ubris). Et face à une irruption du réel (Covid 19 !) l’humain se rebelle contre l’autorité divine ou humaine !

Et pourquoi ?

La réponse de Freud est tranchante : le leader de choc doit souffrir (p. 219) parce qu’il est le père primitif (Urvater)… « quant à la faute tragique, c’est de celle dont il doit se charger ». La suite c’est le passage du « Père primitif » au Père œdipien.

Et nous trouvons, grâce au complexe d’Œdipe (dit Freud), les commencements à la fois de la religion, de la morale, de la société et de l’art : ce qui est confluent avec les données de la psychanalyse où Freud voit dans le complexe d’Œdipe le noyau de toutes les névroses.

Alors que devient l’ « ambivalence affective » ? L’ambivalence se pose non pas par rapport au père œdipien mais par rapport à l’Urvater ou le père primitif « de la horde ». Certains diront par rapport au « principe de paternité ».

P. 220 : « L’ambivalence affective, au sens propre du mot, c’est-à-dire un mélange de haine et d’amour pour le même objet, qui se trouve à la racine d’un grand nombre de formations sociales ».

C’est toute la question de la structure de l’identification primaire et l’effet de pointage clinique du moment de vacillation psychique.

Comment rendre compte du trou dynamique laissé par l’objet sinon en le qualifiant de bon et de mauvais ?

Regardez l’ambivalence par rapport au déconfinement…

1 S. Freud (1920), « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993.

2 J. Lacan, Le Séminaire livre V (1957-1958), Les formations de l’inconscient, Paris, Le Seuil, 1998.

3 J. Clavreul, L’Ordre médical, Le Seuil, 1978.

4 J. Lacan, Les complexes familiaux, Navarin.

5 Note : dans un article ancien j’avais proposé que la première relation infantile serait du type : « sein-bouche ».

6 « Introduction à la métaphore paternelle » Prévu le vendredi 15.05.2020 (qui fera l’objet d’un enregistrement).

7 S. Freud, Totem et Tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2003.

8 Ibid.

L’amour au temps du Corona

L’idée de ces quelques mots m’est venue de l’observation « distante » des gestes barrières conseillés, voire imposés dans ce temps critique même s’il peut nous apparaître tout autant comme un temps logique !

La relecture non fortuite de l’ouvrage de Jean-Luc Nancy : Noli me tangere m’a incité à mettre cette idée sur le papier.

Se masquer, garder ses distances, ne pas se toucher, prendre des gants.

Comment ne pas évoquer devant ces masques, le plus souvent identiques entre eux, une uniformisation des visages ? Il ne s’agit plus là en effet de la persona – ce masque que portaient les acteurs dans le théâtre antique qui, d’une part, donnait à l’acteur l’apparence du personnage qu’il interprétait et, d’autre part, avait pour but de porter la voix au plus loin – en effet, nos masques chirurgicaux ou FFP2 donnent à tous et à chacun le même aspect d’extra-terrestre muselé. Heureusement, même si le port de lunettes paraît tout aussi indispensable, celui-ci permet toujours de percevoir le regard de nos congénères, sauf bien sûr à se réfugier derrière des lunettes teintées !

Le masque nous dés-individualise, il nous cache nos rides et modifie nos dires. Il fait de l’autre un miroir de nous-même. Il ne nous permet plus de mordre dans la vie à pleines dents et nous n’aurions plus à craindre les morsures de l’autre. Le réel de notre amour est tout autant voilé et nos baisers nous sont volés ! Bouche cousue, voilà qui ferait bien l’affaire de certains, notamment pour ne pas démasquer les responsables de ces masques-en-rade…

Gardons nos distances, pas à moins d’1,50 mètre les uns des autres. Mais au quotidien pré-critique, étions-nous si proches ?

Notre société peut nous laisser accroire par ces regroupements sportifs, culturels, ses réseaux sociaux, ses directions des ressources humaines (ressources pour qui ?) que nous sommes vaccinés

contre la solitude et l’isolement, alors que c’est parce qu’elle est une société techno-centrée et une théocratie économique que la dictature du tout-à-l’égo s’est instaurée, que le prêt-à-penser s’impose comme uniforme de l’homme moderne. Les bouches ne s’ouvrent plus beaucoup depuis bien longtemps. Fin d’une époque ou mort d’une civilisation ?

Les baillons économiques étaient déjà là, bien avant les masques manquants ! La muselière du CAC 40 n’a jamais été autant portée.

Gardons nos distances pour ne plus nous toucher… Noli me tangere, « Ne me touche pas » dit Jésus à Marie-Madeleine entrée dans le tombeau vide du corps du Christ. Marie se retourne vers Jésus et croit voir un jardinier. Mais cet Homme s’adresse à elle et la nomme, Marie ! Dès lors Marie n’a plus aucun doute sur l’identité de celui qui est en face d’elle et qu’elle souhaite atteindre de ses mains. Jésus refuse ce contact, c’est par l’absence de ce contact avec le corps de la ré-surrection, que s’éprouve la foi de Marie. Cette épreuve imposée à Marie-Madeleine est une preuve de l’amour de Jésus pour Marie. Jésus par sa sentence Noli me tangere permet à Marie de se séparer de lui et ainsi, forte de sa foi immense, de vivre désormais dans un rapport transcendé à ses semblables.

Ce Noli me tangere donne au corps toute sa puissance symbolique et sa sacralité. Il ne s’agit pas d’une marque de rejet de l’autre, bien au contraire, cette phrase témoigne, qu’à la différence de Saint Thomas, Marie n’a pas eu besoin de voir Jésus pour être convaincue qu’il était « levé à nouveau » (ré-surrection), elle n’a pas eu besoin de preuve visuelle, le seul fait d’entendre la voix de Jésus lui a suffi pour croire à une présence sur fond d’absence.

Cette digression un peu insolite a seulement pour but de montrer que l’éloignement physique imposé par cette pandémie, n’est pas forcément un geste barrière à l’amour. Il peut traduire autant l’amour et le respect de l’autre que la crainte de la contagion. Ne pas respecter cette bonne distance (ni trop loin, ni trop près), au nom de je ne sais quelle définition puérile de la liberté, peut représenter un témoin supplémentaire de l’impact de l’individualisme ambiant soigneusement entretenu par nos technocrates boursicoteurs car il est la condition de la poursuite de leurs efforts.

Prendre des gants… Avec qui et pourquoi donc ? Avec ces fonctionnaires zélés qui, depuis des décennies, étouffent leurs collègues soignants en réduisant à une peau de chagrin les investissements dont ils ont un cruel besoin ? Bien sûr, depuis mars 2020, les éloges pleuvent à flot mais notre cher système de santé peut-il encore se re-lever ? Et une fois la pandémie en sommeil, quels vont être les nouveaux impératifs qui seront opposés à l’aide indispensable à lui apporter ?

Pas besoin de prendre des gants si la bonne distance est trouvée, celle qui permet de ne pas jouir du toucher mais qui maintient le désir intact. Certes, on ne peut se passer de satisfaire à certaines attentes intimes, mais ce n’est sûrement pas en répondant aux attentes qui nous sont présentées que ces satisfactions seront trouvées.

pas ».

Lacan disait de l’amour que c’était « donner ce qu’on n’a pas… à quelqu’un qui n’en veut

La pandémie actuelle nous met dans la triste possibilité de donner ce que l’on a (ou que l’on

est susceptible d’avoir : le virus) à quelqu’un qui n’en veut pas.

Nous sommes en même temps l’agresseur et l’agressé. En ce sens le virus nous dirige vers l’immonde, le non humain, et certains de nos congénères ont déjà pris cette direction (vol de masques, rejet des soignants qui pourraient les contaminer). Il y aurait beaucoup à dire sur la jouissance obscène et débridée dont ces comportements-là témoignent. En tous cas, le désir est ici aux abonnés absents.

Le confinement qui nous a été imposé, nous expose, en exagérant les distances, au risque de l’isolement et de l’installation d’une peur chronique de l’autre qui ne va peut-être pas s’estomper subitement à partir du 11 mai…

Accepter de ne pas se toucher, de respecter la bonne distance, est la plus sure façon de maintenir intacte notre capacité à désirer, à aimer. Cette pandémie nous rappelle que nous ne sommes ni maître de nous ni de l’univers, que nous sommes des animaux symboliques et de ce fait, que l’incomplétude est notre lot, irrémédiablement. Elle remet, certes très brutalement, la mort au centre de la vie et c’est ce que nous avons tendance à oublier. Quelle place pour le désir, le manque qui le soutient, si la mort n’existait pas ? Quelle place pour l’amour si rien ne nous fait défaut et si nous ne pouvons offrir ce manque en partage ?

L’amour est toujours une prise de risque, celle d’une rencontre inconsciente avec le réel de la mort. C’est le poète qui toujours exprime le mieux cela avec les mots les plus simples : Brassens dans Corne d’Auroch : « Il était incapable de risquer sa vie pour cueillir un Myosotis à une fille… »

L’invasion sournoise du Covid 19, crée aussi la condition de possibilité d’un nouveau rapport à la vie, à l’amour et à la mort. Il nous faut à tout prix saisir cette possibilité qui se présente.

Pas besoin de prendre des gants pour saisir cette occurrence où Eros se dessine à contre-jour.

L’amour au temps du Corona c’est vouloir persister à croire que les mots d’amour, même filtrés par du papier ou du tissu, sont plus contagieux que le Covid-19.

À la mort de son épouse, Nusch, Paul Eluard écrit : « … Voici le jour en trop : le temps déborde. Un amour si léger prend le poids d’un supplice. »

Ne nous laissons pas déborder par le temps du Corona…

Qu’en est-il de l’inconscient collectif ?

J. Lacan « l’inconscient c’est le social »

Avant de pouvoir bientôt tirer des enseignements de la période tout-à-fait singulière que nous sommes en train de vivre, il y aurait à envisager de se requestionner sur le cadre dans lequel, nous pourrions nous permettre d’y envisager d’en dire quelque chose. Nous, le pronom personnel, est déjà au niveau de ce que l’on va proposer de dire aujourd’hui, le on, s’y adjoint d’ailleurs. Pronom personnel pluriel, il est aussi, par une formule de politesse, un pronom personnel singulier, il y a là une ambiguïté grammaticale qui est proposée dans la langue même où l’on parle.

Au décours des entretiens et des patients rencontrés depuis que la pandémie fait rage, l’intrication je-nous n’a jamais était aussi prégnante dans le discours. Le Je renvoyant à la question du Nous, « suis-je le seul ? », « nous sommes tous touchés »… Etc. Ce repérage clinique n’est pas simplement à envisager du côté d’un moment « traumatique » qui brouillerait les pistes du discours, qu’est-ce à dire exactement d’ailleurs quand on parle de trauma ? Il est plutôt le reflet de ce qu’il y a de tout-à-fait fondamental de la dimension du langage, c’est-à-dire, d’être accueilli dans la « dit-mension », comme l’évoque Lacan, du langage, dans son caractère complexe. On, encore, s’approprie le langage en y étant aliéné du point de vue du sujet, et la condition d’y tenter une existence singulière sera à jamais assujettie à la dimension du collectif, ou pour le dire encore autrement, le langage inscrit, avant même qu’il ne puisse s’y résoudre ou s’en défendre, la dimension de ce qu’il nous est commun.

Cette inscription, à jamais, nous condamne à être qu’en étant dans le langage. On évoque bien la notion de parlêtre qui est au-delà même de la discussion. Cette inscription

organise même nos pensées. Ces derniers temps, je m’aperçois, cliniquement, que cette notion de ne vouloir que le sujet ne soit que le sujet de la discussion dans notre rapport au langage s’impose en psychiatrie. Il m’est arrivé de croiser plusieurs patients sous neuroleptique au prétexte qu’ils entendraient des voix, mais à y entendre de plus près, ces voix ne seraient finalement que le résultat de ce qui serait d’un débat intérieur et donc le reflet de leur pensée.

Pourrions-nous penser sans langage ? C’est-à-dire, existerait-il une pensée qui soit formulée indépendamment du langage, je ne le crois pas ! Qui de nous ne s’est pas levé un matin en se parlant à soi-même, sur le mode d’une forme d’injonction, « allez aujourd’hui tu rédiges l’article qu’on t’avait demandé », ou encore « arrête de manger, tu as déjà consommé assez de sucre ». Il ne peut s’agir d’hallucination auditive, cette pensée auto-organisée est parfaitement à l’endroit même de notre inscription dans le langage autour de l’ambiguïté envisagée du je-nous, je me parle comme nous pourrait nous parler. J’articule ça comme je le peux, pour rendre compte que la dimension « intérieur-extérieur », se confond, grammaticalement, ou pour notre propos, structurellement au sens de la sociologie structuraliste, avec la dimension « individuel-collectif ».

Le neuroleptique, ici, ne serait que la tentative d’en recourir à ce qui serait naturel ou non, au sens biologique presque, comme présenté dans notre exemple sur le caractère hallucinatoire de la pensée. Or cette inscription dans le langage est justement une sortie du naturel, comme le propose Colette Soler dans un article publié dans « Champ lacanien », relisant Lacan, renvoyant à jamais le « naturel » hors champ et inaccessible, insaisissable si ce n’est que par modélisation imaginaire, ce que serait d’ailleurs peut-être la science. La psychanalyse, reconnaissant le caractère de modélisation, assumerait de ne pas en être une tout-à-fait.

Cet avant-propos nous permet d’envisager le nœud, assujetti au langage, dans lequel se constitue une possible émergence subjectivée, un nœud qui par nature même, on y revient, organise une interaction fondamentale entre je-nous et « individuel-collectif ».

Le discours psychotique nous enseigne tout-à-fait cela quand émerge un épisode fécond dans lequel la construction discursive est particulièrement perméable à cet endroit, et où les adages deviennent pensée, les pensées adages, les proverbes expérience de vie, et l’expérience de vie devient mythe, etc. Il manque une frontière, il y manque un voile, certain

on déjà essayé d’en dire quelque chose dans l’éphéméride, il y manque une zone tampon entre le nœud et le discours, zone complexe, imaginaire, que je situerais sur l’axe aa’ du schéma L, qui a chue, qui s’est troué et qui est la zone où se constitue notamment en y prenant corps, la fonction fantasmatique. Le délire est alors un pansement historicisé, chaque délire se raconte, et viendrait à rétablir tant bien que mal la fonction fantasmatique qui a chuté. Eh bien cette zone est à jamais constituée autour de la présence-absence du regard. Ce n’est pas le propos ici de cet article, mais nous pourrions développer là l’enjeu analytique du regard et du divan.

Ainsi, pour avancer dans la question posée, « qu’en est-il d’un inconscient collectif ? », nous ne pourrons répondre par oui ou par non. Non qu’il s’agit de botter en touche, mais plutôt de repérer ceci, que la psychanalyse a pu d’emblée mettre en lumière sous la forme peut-être de cette question qui a animé les psychanalystes dès les origines : Comment comprendre que l’inconscient qui serait le lieu de ce qu’il y a de plus intime et ignoré en nous est également tout-à-fait lié à l’état de la civilisation ? (je reprends ici encore la formulation proposée par Colette Soler).

Sans entrer maintenant dans les détails de cette affaire qu’il reste à-faire, et qui est la proposition même de travail que nous essayons de proposer, et en particulier dans la construction de notre prochain congrès, il est indéniable que Freud, Lacan et bien d’autres s’y sont attelés. Freud dans son rapport incessant à la civilisation et Lacan, posant structurellement l’affaire « l’inconscient c’est le social ».

Nous avons proposé ici d’introduire la question intrinsèquement organisée autour du sujet aliéné au langage pour en rendre compte. Envisager un inconscient collectif reviendrait, pour tirer le fil de ce que je propose, à neuroleptiser l’affaire à la manière de la vignette clinique dont j’ai parlé. C’est-à-dire à réintroduire du naturel à l’endroit de ce couple

« individuel-collectif », inscrire du naturel à l’endroit du trait d’union. Cet effort engage, pour être franc, du même côté que l’épisode fécond dont nous avons parlé. Ce trait d’union serait plutôt à envisager du côté du poinçon, c’est-à-dire du présent-absent dans le jeu de la bobine où s’organise le symbolique de l’affaire, un poinçon qui ne soit pas une coupure.

Cette remarque ne nous dédouane pourtant pas de repasser par le discours collectif, le mythe, la légende, la politique, le social… Car il ne faudrait pas non plus parler d’un inconscient individuel.

Lacan a proposé dans l’élaboration issue de mai 68, dans l’envers de la psychanalyse et après, d’envisager le discours comme un mode régulatoire, c’est-à-dire en nommant discours les régulations. Il en viendra à produire quatre discours, au moins, pour rendre compte de ce qu’il est tout-à-fait fondamental de ne pas envisager le langage et son expression discursive comme univoque, mais bien de toujours y repérer l’agencement ou l’organisation des choses autour du signifiant, au pari magnifique qu’il est premier, et d’y lier le sujet de l’inconscient. Il n’y a, à mon sens, que cette idée de poinçon entre individuel et collectif qui puisse ouvrir l’espace de ce travail.

Il n’y a pas de réflexion sur les mythes, les légendes, les événements, la pandémie, la politique et le social qui ne soit pas une réflexion clinique sur les émergences subjectives et inversement, il n’y a pas d’émergence subjective (terme que j’utilise à l’endroit du sujet lacanien) sans une hystorisation (avec le y que se plait à y mettre Lacan), c’est-à-dire sans le contexte troué de notre rapport inscrit à jamais au langage et à la demande. Traumatiser cette affaire est déjà un parti pris qui forclot temporairement la qualité de poinçon pour en faire une barre entre le collectif et l’individuel, renvoyant le sujet à ne plus pouvoir s’envisager que par soi-même, éjecté du collectif par l’événement.

Il n’y a pas à traumatiser le sujet de l’événement en cours, mais bien d’y entendre ce qu’il a à nous enseigner de son rapport au langage commun.

Peintures, dessin, art

ÉPHÉMÉRIDE 5

Les artistes confinés…

Aléna Kieffer-Kiseleva*, Crayon sur papier 29×44, 2020

I will take care of your demons Je prendrai soin de tes démons

« J’explore ici la dimension homme-femme qui peut être un champ de bataille, une prison, mais aussi une sorte d’harmonie absolue, un monde cloisonné à deux… »

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Lisa, Un autre tempo…

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Marie-Odile Biry-Fétique, Ascolta

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Fleur de confinement Le déconfinement en questions…

C:UsersFamille KiefferDocumentsDocumentsTRAVAUX EN COURSMédée 04-05-2020 Vacances en confinement.JPG

Vacances en confinement

Médée, ses œuvres des derniers jours

www.medee-sculpteure.com

Météorologie humaine

https://www.fedepsy.org/wp-content/uploads/2020/04/Éphéméride-3-Me?te?o-du-24-25-26_03_20.pdf

Échappée

Nos mains d’homme fragiles fiévreuses
façonnent pourtant la terre C’est la faux
qui fauche le blé L’ouvrier qui œuvre pierre après pierre L’homme se dresse contre le malheur
s’échappe vers l’espoir Ah ! Recouvrer
ce qui était perdu la liberté
Dans l’étoffe sale
des jours coronavirus le temps s’allonge…
Par petites touches des perles de lumière percent les volets
La pluie s’en va avec le soleil toujours
Vent
tu m’emportes dans un galop léger Là où les feuilles sont rousses
les arbres méditent Vent
tu m’emportes loin des tourments de ces moments où la vie vacille
Ah ! Détruire le maléfice de ces jours ensorcelés
Chanter
la solidarité
dans notre monde affamé de liberté
Un oiseau s’envole d’une branche de houx Permis est le rêve
sous ce couvercle pesant L’espoir tremble là
en suspens

Vase bouquet cross cap et phallus, d’une psychogenèse. Le sourire de mon père

D’un point de vue métapsychologique, c’est une question de pot et de fleurs, si l’on file le schéma optique.

Le pot du corps, et les fleurs des pulsions partielles.

La pratique du thérapeute est de permettre de reconnaître ces pulsions partielles, (au moins les plus bruyantes), de ramener les pulsions partielles vers le moi, voire activer la métaphore paternelle qui noue idéalement les pulsions partielles au corps par une loi symbolique ; mais tel est l’idéal théorique.

Or pour Freud la pulsion émerge entre psyché et soma ; qu’en est-il du soma ?

Une lecture de das Ding de l’éthique par temps de confinement.

Pourquoi ce texte : il s’est imposé dans le contexte du confinement, d’abord dans la suite des questions soulevées par la mise en forme par écrit d’un exposé traitant de la mémoire du corps. Puis sa seconde origine se situe dans les questions ayant surgi suite à la tenue du séminaire, animé avec Amine Souirji, qui nous amène actuellement à la lecture de : L’éthique de la psychanalyse, Jacques Lacan 1959/1960.

C’est la formule certes un peu énigmatique : la sublimation c’est élever l’objet à la dignité de la chose, qui apporte son lot de questions.

En association à cette formule vient évidemment la question, c’est quoi cette chose, ce : das Ding. Y a-t-il un rapport, et si oui lequel, avec ce passage du phallus positivé au phallus négativé, que nous retrouvons représenté sur le graphe du désir. Et pour clore le tout, en arrière fond la question de la métaphore paternelle…

Ces points semblent disparates, mais il est envisageable qu’une même logique les soutiennent.

Corps imaginaire et phallus positivé.

Suite à mon questionnement sur le corps, même si les points ne sont pas superposables ; la phallicisation est une des destinées possibles du corps. Les objets tel le corps lui même, voire des parures tels bijoux ou œuvres d’art peuvent incarner cette fonction.

Le phallus négativé se présente par son absence de l’espace spéculaire. Comment peut- il se repérer vis à vis du corps ?

La métaphore paternelle permet, telle est mon hypothèse, de créer les conditions de la négativation du phallus, et c’est le meurtre du père de la horde primitive qui mythifie ce moment ; et permet de passer de ce père incarné à une Loi symbolique ; passage qui creuse l’espace temps et construit l’abstraction, abstraction dont la lettre est le support. Autrement dit comment passer de tuer un homme à tu haïs un homme, puis au : tu es un homme ? Encore faut-il trouver un père qui accepte à être tué, symboliquement ; c’est-à-dire céder sa place. Toi le père en acceptant d’être tué, tu te garantis une descendance.

La négativation de ce phallus imaginaire, engendrant un phallus symbolique, creuse concomitamment l’espace temps permettant de passer de l’objet à la chose.

La chose si l’on suit cette logique ne serait pas primitive, mais seconde ! Seconde à l’introduction du symbolique.

Qu’en est-il, si l’on suit ce raisonnement, de la sublimation ?

Si Lacan nous propose la formule : élever l’objet à la dignité de la chose, il nous fait entendre qu’il reste un hiatus entre l’objet et la chose.

Serait-il possible de rapprocher cette question du deuxième temps de la métaphore paternelle, temps où la mère annonce le père « de façon voilée » comme nous le propose Lacan ?

La sublimation adviendrait-elle dans un contexte de père voilé ? même question !

Ce qui ne serait pas refoulé, mais voilé, serait-ce la part de désir meurtrier ?

Mais si il y a refoulement les idéaux ça vient comment ? Les investissements sont ce des symptômes ? Le Ding serait la trace du refoulement, pas sûr ?

Pour conclure, certes l’objet est élevé à la dignité de das Ding. Mais ce n’est pas pour autant que c’est un Ding, une chose, l’objet reste objet, mais une autre fonction lui est reconnue. Point.

Remarque qui n’a peut-être rien à ‘voir’ : le cross cap est maintenant concevable dans un espace à trois dimensions, car il suffit d’envisager le développement de la figure dans le temps, pas seulement sur un mode statique, une fois de ci et une fois de là, alternativement.

La voix de la jeune fille enfermée dans une tour

L’histoire de la jeune fille enfermée dans une tour fait écho à ces temps de confinement. C’est un conte populaire répandu en France, en Europe méridionale, en Allemagne et au Danemark. Pendant sa grossesse, une femme a tellement envie de manger des plantes qui ne poussent plus que dans le jardin d’une sorcière, d’une fée ou d’une ogresse, qu’elle y envoie son époux pour en cueillir. Pris en flagrant délit, l’homme promet de donner l’enfant attendu. La femme met au monde une fille qui portera le nom des plantes volées, différent selon la version du conte. Elle s’appelle Petrosinella ou Fleur-de-persil, dans la version italienne de Giambattista Basile, Rapunzel ou Raiponce, dans la version allemande des frères Grimm, Persinette dans la version française d’Achille Millien, Véronique, dans celle de Charles Deulin… La sorcière l’enlève, l’élève et l’enferme dans une tour au milieu de la forêt, sans porte ni escalier, avec juste une petite fenêtre tout en haut. Pour lui apporter à manger, elle appelle et monte dans la tour en glissant le long des cheveux de la jeune fille :
– Descends tes longs cheveux pour que je puisse monter !

En écho à ce conte, comment ne pas songer à toutes les jeunes filles enfermées par un frère, un père et parfois une mère à toute époque et hors temps de confinement pour lutter contre la contamination d’un quelconque virus, sinon contre celui de la rencontre amoureuse ! Enfermées pour sauver l’honneur de la famille, du clan !

J’ai rencontré, dans ma pratique avec des adolescents en rupture scolaire, une jeune fille de dix-sept ans qui s’était sauvée par la fenêtre de sa chambre. Elle y était enfermée depuis une semaine par sa mère et ses deux frères qui l’avaient aperçue avec un garçon. Quelques années auparavant, ses frères avaient frappé violemment leur sœur aînée quand ils avaient intercepté une carte postale qui lui était adressée. La carte était signée « Dominique ». La sœur avait été hospitalisée avec de multiples fractures et un traumatisme crânien. Elle avait coupé tous les liens avec la famille. Les frères ont recherché leur sœur fugueuse partout et sont venus au lycée où elle s’était réfugiée. Ils ont déclaré qu’ils la trouveraient et qu’ils la tueraient. Pour la protéger, il a fallu, en hâte, la placer en foyer et la confiner.

Durant cette pandémie, l’enfermement de certaines jeunes filles avec toute leur famille peut vite se transformer en enfer !

Dans beaucoup de versions du conte de la jeune fille enfermée dans une tour, c’est sa voix qui la libère. Elle passe ses journées à chanter pour passer le temps qu’il lui reste de vivre, comme le chante Léo Ferré dans une des chansons d’Aragon. Elle chante pour s’enchanter elle-même.

Son chant et sa voix rappellent aussi la voix des conteurs et de tous les artistes du spectacle vivant empêchés de nous enchanter. On nous propose des succédanés d’art à travers les écrans. Les veillées de contes au coin du feu qui se sont éteintes au début du XXe siècle se sont rallumées avec le Renouveau du conte dans la mouvance des années 1968. Si les conteurs investissent maintenant des lieux artistiques, culturels, éducatifs et sociaux, c’est bien qu’il y a un public de plus en plus nombreux qui recherche une autre nourriture que les produits médiatisés. Entre le conteur et son public, il n’y a pas d’écran mais une relation vivante. L’écoute d’un récit enregistré ou filmé, et par conséquent figé comme un texte pour un auditoire virtuel, ne remplacera pas la présence dans le même lieu du conteur et des auditeurs, cette rencontre qui crée une résonance entre eux. Pierre-Jakez Hélias s’est intéressé à l’art de conter dans les campagnes bretonnantes au début du XXe siècle. Il a entendu un conteur raconter plusieurs fois le même conte avec des variantes plus ou moins accusées. Quand il a questionné le conteur, celui-ci lui a répondu : « Ce n’était pas le même soir, ni le même lieu, ni les mêmes gens. Et moi je n’étais pas le même. »1

La jeune fille enfermée dans la tour ne crie pas, elle n’appelle pas à l’aide. Elle chante. Et son chant séduit et attire un prince qui passe par là. Il réussit à monter dans la tour en imitant la voix de la sorcière. Et chaque jour, il rend visite à la jeune fille. Selon les versions, ils fuient ensemble ou du moins, conçoivent de fuir ensemble. Dans toutes les versions, la jeune fille quitte la tour et retrouve son prince. C’est grâce à la voix, la sienne quand elle chante et celle de la sorcière, entendue et imitée par le prince, que la jeune fille peut se sauver, dans les deux sens du terme.

Un autre récit convoque à la fois l’enfermement et le pouvoir de la voix et du chant : la chanson de geste crétoise, Érotokritos, écrite au début du XVIIe siècle par Vitzentzos Cornaros. Érotokritos, fils du conseiller du roi d’Athènes, est amoureux de la fille du roi, Arétuse. Il chante sous sa fenêtre tous les soirs. La princesse est séduite par cette voix et ce chant amoureux. Le plaisir d’entendre ce chant se transforme en désir et amour du chanteur.

Arétuse s’éprend du chant avant d’avoir identifié le chanteur et quand elle le démasque, les deux amants se rencontrent secrètement. La princesse refuse d’épouser le prince de Bysance, contre la volonté de son père. Le roi l’enferme avec sa nourrice dans un cachot. Érotokritos qui a su séduire Arétuse avec sa voix, trouve une autre voie pour la libérer…

Les récits d’une jeune fille enfermée dans une tour ou une fosse se rencontrent déjà dans les mythes et les légendes scandinaves remontant à une haute antiquité, auxquels notamment Saxo Grammaticus a puisé pour écrire La Geste des Danois à la fin du XIIe siècle.

La littérature orale abonde de récits où les femmes sont enlevées, séquestrées, enfermées. Dans la mythologie grecque, Danaé fille du roi d’Argos est enfermée dans une tour fermée par des portes d’airain pour empêcher toute rencontre avec un homme. Un oracle a prédit à son père qu’il n’aurait pas de fils et que son petit-fils le tuerait. Perséphone est enlevée par Hadès et séquestrée dans les Enfers même si elle en devient la reine.

Dans un conte populaire répandu dans toute l’Europe, en Asie, en Mongolie et jusqu’en Inde, en Afrique, à Madagascar et sur le continent américain, l’héroïne est calomniée par ses sœurs ou sa belle-mère, accusée d’avoir mis au monde des animaux à la place des enfants merveilleux qu’elle avait promis au roi. Elle est encastrée en dessous des cabinets de l’évier, enfermée dans une cage, enterrée dans un fossé…

Combien de jeunes filles et de femmes sont-elles enfermées en 2020 sans compter celles qui vivent un enfermement psychique ?

C’est aussi grâce à la mémoire, à la parole et à la voix que les contes populaires ont traversé les siècles et les frontières, sans papiers, transmis de bouche à oreille. Ils ont été sauvés de l’oubli par les collectes, initiées par les frères Grimm, qui se sont accumulées au cours du XIXe siècle dans un grand nombre de pays européens. On peut rappeler la phrase attribuée à Amadou Hampaté Bâ (1900-1991), poète, écrivain et ethnologue africain :
« Chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »

Les grands récits de la tradition orale, les mythes, les épopées, les légendes, les contes ont été chantés, déclamés, scandés, joués, récités par les troubadours, les griots, les aèdes et les bardes, bien longtemps avant l’invention de l’écriture. Ces récits résonnent encore aujourd’hui dans les créations contemporaines, les pièces de théâtre, les films, les romans, la poésie…

Les effets de la voix et du chant peuvent être fatals. Dans la tradition homérique, les Sirènes séduisent les navigateurs avec leur chant et leur voix. Les marins ne résistent pas à leur charme et l’îlot des Sirènes est entouré des cadavres de ceux qui ont cédé à leur appel. Heinrich Heine nous rappelle, dans son poème La Lorelei, un récit ancien qui raconte comment un batelier est englouti dans les vagues, ensorcelé par le chant d’une très belle jeune femme, la Lorelei, nymphe de la mythologie germanique. Ces chants sont des chants mythiques et leurs effets dépassent les effets de la voix. S’ils sont irrésistibles c’est par ce qu’ils révèlent.

Dans le conte de la jeune fille enfermée dans la tour, c’est bien la voix qui la libère de l’enfermement. Dans toutes les versions, la sorcière l’appelle pour monter dans la tour. Et le prince imite la voix de la sorcière pour la rencontrer. Dans beaucoup de versions, la jeune fille chante comme d’autres se racontent des histoires et ce chant lui permet de rester en vie et en relation avec elle-même.

La voix tisse des liens. Elle déborde la parole. N’est-elle pas aussi le véhicule de la cure analytique ? Sans la voix, il n’y aurait pas d’analyse.

Pendant cette période de confinement, la voix des autres pallie leur absence. Elle maintient les liens qui peuvent s’effilocher. Et beaucoup s’accrochent, s’attachent à ces cordes vocales qui remplacent la présence des autres. Pendus au téléphone ! Voix de celles et de ceux qu’on appelle et qui nous appellent, voix des médias, chants et applaudissements aux fenêtres et aux balcons tant pour louer celles et ceux qui œuvrent pour la vie à l’hôpital et en dehors que pour partager et ritualiser un moment tous ensemble…

Dans tous les récits, même ceux où ses effets sont fatals, la voix a un pouvoir de séduction. Dans la période qui suivra le confinement, quand nous prendrons ou serons sommés de prendre des distances par rapport aux autres, susceptibles de nous contaminer, ce sera peut-être, encore davantage ou autrement, avec la voix et sa musicalité qu’on pourra les toucher, les séduire.

1 P.-J. Hélias, 1990, Le quêteur de mémoire – Quarante ans de recherche sur les mythes et la civilisation bretonne, Plon/ CNRS éditions, 2013, p. 206

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