Éphéméride 3… nos artistes s’expriment
Médée, une œuvre par jour, celle du 19.04.2020, Rester chez soi…
Marie-Paule Arpin-Bott, Vent d’Est, Huile sur toile 80×116
Marie-Odile Biry-Fétique, Médusée
Marie-France Schaefer, Carnaval
Éphéméride 3… nos artistes s’expriment
Médée, une œuvre par jour, celle du 19.04.2020, Rester chez soi…
Marie-Paule Arpin-Bott, Vent d’Est, Huile sur toile 80×116
Marie-Odile Biry-Fétique, Médusée
Marie-France Schaefer, Carnaval
https://www.fedepsy.org/wp-content/uploads/2020/04/Éphéméride-3-M.N.-Wucher.odt
« Comment faire pour penser au-delà de l’Autre ? », (J.-R. Freymann1)
« Wo Es war, soll Ich werden », (S. Freud2)
« Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable », (Kant)3
Jean-Richard Freymann m’ayant invité à vous parler de mes projets dans le Journal du confinement, j’aimerais ici vous présenter quelles sont mes pistes actuelles de réflexions.
Mais, en cette période trouble et troublée, je voudrais ici commencer par une pensée de vive solidarité pour les Amis et connaissances travaillant aux urgences, en EHPAD, à l’hôpital, en médecine libérale…
J’aimerais aussi en préambule insister sur le fait que ce que je vous présente est à la fois le triple fruit : celui de mon expérience de la psychanalyse visant à devenir analyste ; celui des échanges en un à un avec Jean-Richard Freymann et tout un ensemble d’amis de la FEDEPSY ; et celui de la mise au travail – que j’espère singularisée – des apports de Freud, de Lacan, du freudo-lacanisme fécond, et bien sûr, et en premier lieu, de notre École de Strasbourg.
Tout d’abord, j’aimerais évoquer le projet que nous construisons à plusieurs autour du séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui », qui commencera normalement en octobre 2020, et que je co-animerai avec Yves Dechristé. Nous chercherons à envisager Freud depuis sa pratique et sa réflexion théorique, en essayant de situer celles-ci dans le cadre des discours collectifs de son époque (discours scientifiques, médicaux et psychiatriques, discours sociaux, intellectuels, culturels, littéraires, artistiques). Ce afin de voir comment Freud a réussi à fonder la psychanalyse, mais aussi à donner à entendre son apport dans le « champ psy » et dans la culture de son époque. Nous étudierons en détails la manière dont il positionne sa parole pour se faire entendre du profane, afin d’essayer d’en tirer des leçons dans notre situation actuelle. Ouverte au dialogue avec les non-analystes, se penchant sur l’histoire de la culture, cette recherche collective sera ancrée dans la clinique et visera avant tout à essayer de faire entendre quelque chose de l’expérience de l’inconscient.
Cela passera par la lecture de textes de Freud et de textes sur Freud : particulièrement de Lacan, de certains de ses élèves parmi les plus féconds (M. Safouan, O. Mannoni, A. Didier- Weill, etc.), et de l’École psychanalytique de Strasbourg, mais pas seulement (L. Israël, M. Ritter, J.-M. Jadin, J-R. Freymann, etc.) ou encore d’autres auteurs fort éclairants (Ch. Azouri, E. Roudinesco, etc.).
Cela passera aussi par l’étude d’œuvres de l’époque de Freud ou, d’œuvres importantes pour Freud ou pour comprendre l’époque de Freud (lors de la première année du séminaire nous nous pencherons sur Le Monde d’hier de S. Zweig). Ce qui ira avec le dialogue avec les champs connexes à la psychanalyse (philosophie, sciences humaines, littérature, art), et donc avec des spécialistes de l’époque de Freud et de sa culture.
Cela passera encore par une relecture que nous espérons « ouvrante » de l’œuvre de Freud qui, essayant de réélaborer de manière créative et plurielle son apport, n’a pas peur de partir de ses failles pour voir en quoi il les a parfois traversées, ou en quoi sa conception de l’analyse ou de l’institution, axée sur la résistance du patient ou du psychanalysant et pas toujours assez sur celle du psychanalyste (même si maintes fois il a insisté sur la traversée de sa propre résistance), est restée directive et « obsessionnelle »4. Cela était aussi en bonne partie dû à la fois à sa solitude, et au discours collectif dans lequel il se situait, qu’il a largement traversé en même temps qu’il en est resté tributaire.
Cette recherche en commun, ouverte à qui voudra avec nous traverser Freud (et être traversé par Freud, ajouterait Martin Roth), vise à soutenir le développement par chacun d’une relation de un à un avec Freud, qui pourra permettre des productions écrites singulières.
J’aimerais du coup vous parler brièvement de ma réflexion sur Freud. En ce sens, et avec Lacan, A. Didier-Weill et E. Roudinesco5, mon hypothèse est que Freud, en inventant la psychanalyse a repris de manière créative et singulière le discours collectif des Lumières (particulièrement allemandes6 et juives, considérées comme un mouvement culturel dans le temps long, de Kant et Goethe à Adorno et Th. Mann) et a donné une forme particulière, ouverte à l’inconscient, à celles-ci. Mais Freud a aussi eu des failles. Ces failles, il les a pour partie traversées, dans son analyse originelle7 qui fut un travail sur sa propre résistance8. Mais, en ce qu’elles n’ont pas été traversées (ou pas assez), elles ont aussi pour partie entraîné les limites pratiques, théoriques et institutionnelles de son immense apport9. Elles ont eu des conséquences historiques sur la psychanalyse que nous gagnons à prendre en compte, particulièrement dans le débat public sur la psychanalyse10.
C’est ici ma perspective personnelle : au sein de notre séminaire sur Freud, plusieurs voix se déploieront, en une polyphonie que nous espérons bien tempérée – créative et héritière du freudo-lacanisme sous sa forme féconde.
Un autre projet, qui me tient particulièrement à cœur, porte sur l’historien allemand de l’art et de la culture Aby Warburg – auteur sur lequel j’ai largement travaillé dans le passé. Dans ma prochaine intervention au séminaire « Mythes-fantasmes-traumatisme » du vendredi, dirigé par Jean-Richard Freymann, je vous présenterai mes pistes de réflexion sur le cheminement psychanalytique d’Aby Warburg avec Ludwig Binswanger et son équipe de la clinique Bellevue de Kreuzlingen, et sur les implications de ce cheminement en termes d’histoire de la culture et d’histoire de l’art. Cette réflexion prendra la forme d’un livre dans la collection Hypothèses.
Pour le séminaire du vendredi et l’ouvrage collectif qui en résultera, je me pencherai plus précisément sur la manière dont ce cheminement lui a permis de se dégager de son état psychotique, particulièrement en déployant un fantasme personnel et un mythe individuel névrotisant11. Pour Warburg, ce cheminement subjectivant est passé par le travail psychanalytique, mais aussi par un travail de grande créativité intellectuelle, lié à la psychanalyse et encouragé par Ludwig Binswanger, sur le mythe et sur l’image mythique. Ce travail a aussi ouvert à de nouvelles pistes, mettant au travail la psychanalyse et intéressantes pour elle, en ce qui concerne l’histoire de l’art ou de l’image, et l’histoire de la culture.
Comme pour ma réflexion sur Freud, il s’agira de situer le cheminement et l’œuvre de Warburg dans son époque et dans les discours collectifs dans lesquels sa parole se situe, particulièrement en ce qui concerne les Lumières – mouvement culturel auquel il appartient. Il s’agira aussi d’en formuler la portée.
Bref, il y aura là matière à un livre qui reviendra aussi sur l’histoire, féconde et tragique, des juifs et du « monde » germanique « d’hier » (S. Zweig) . Pour l’écriture de cet ouvrage, je bénéficierai du retour de plusieurs amis (français et allemands) spécialistes de Warburg.
Un autre dossier que j’ai ouvert est celui d’un livre sur Hamlet de Shakespeare, pièce sur laquelle j’ai aussi largement travaillé dans le passé. Dans cet ouvrage qui sera aussi publié dans la collection Hypothèses, je mettrai au travail, pour proposer une lecture personnelle de la pièce, nos réflexions au séminaire que Jean-Richard Freymann consacre à cette pièce. Il s’agira ici encore d’une mise en perspective psychanalytique de la pièce, cherchant à voir quelles implications une telle lecture peut avoir en termes d’histoire de la culture et d’histoire de la littérature. Pour l’écriture de cet ouvrage, je remettrai au travail – de manière modifiée au regard de mon engagement psychanalytique – mes réflexions déjà publiées sur la littérature et la culture de la Renaissance12, et je bénéficierai de la lecture d’amis chercheurs spécialistes des études sur la Renaissance.
J’aimerais encore évoquer rapidement un autre volet de ma réflexion. Dans le dialogue avec des philosophes de l’Université de Strasbourg ou du séminaire international « Corps- Chair-Psychè » (mis en place par J. Rogozinski et S. Kristensen), je travaille, pour la prochaine rencontre de ce séminaire, sur la question de la relation entre créativité (ou sublimation) et traumatisme, dans une optique psychanalytique cherchant à se nourrir de la phénoménologie et des lectures psychanalytiques de celle-ci par Lacan et certains de ses élèves (parmi les plus créatifs), comme F. Perrier, L. Israël ou encore A. Didier-Weill.
Un autre axe de mon cheminement porte sur l’écriture littéraire. Des différents textes que je suis en train de travailler, je vous parlerai plus tard. Je me contenterai ici d’évoquer certains poèmes écrits récemment, écrits depuis la perte et l’énigme. Concernant ceux-ci, je me permets de renvoyer à la page de mon blog où je les ai publiés : https://dimitrilorrain.org/quelques-poemes/.
Je continuerai cette trop longue présentation en évoquant le fait que mes réflexions sur Warburg, sur Hamlet, sur d’autres œuvres littéraires et artistiques, ou sur d’autres penseurs ayant étudié celles-ci vise à réfléchir, de manière psychanalytique, sur la question esthétique. C’est là, comme y insiste Lacan (par ex. dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache »13 où il parle de l’esthétique transcendantale de Kant – ce qui nous ramène aux Lumières), une question importante pour la psychanalyse, aussi en ce qui concerne la clinique, dans la mesure où elle a à voir avec la question cruciale de la créativité du sujet et de sa parole.
Enfin, j’évoquerai aussi mon blog qui se veut un lieu d’information, mais aussi j’espère d’élaboration et d’échanges : https://dimitrilorrain.org.
Ce qui s’esquisse ici, il me semble (mais c’est l’après-coup qui m’en dira plus), à travers ces différentes réflexions et tentatives d’écriture, c’est en tout cas le double projet, d’un côté, d’une histoire psychanalytique de la culture14, et, de l’autre, d’une réflexion psychanalytique soucieuse de la reprise (que j’espère) créative et singularisée des apports du freudo-lacanisme fécond et en premier lieu de notre École de Strasbourg, mais aussi nourrie de la philosophie et de différents champs connexes.
C’est là ma manière personnelle d’apporter ma contribution propre à la psychanalyse, en intension comme en extension, mais aussi au dialogue avec différents champs connexes.
1 Éditorial du 20.12.2018 sur le site de la FEDEPSY.
2 Vorlesung. Die Zerlegung der psychischen Persönlichkeit. Conférences sur la psychanalyse, 2e série.
3 Ouverture de « Qu’est-ce que les Lumières » ? Trad. Poirier et Proust, GF, p. 43.
4 Sur le caractère souvent directif (c’est là mon terme) de l’analyse de Freud, voir M. Safouan, Le transfert et le le désir de l’analyste, Seuil, 1988. Sur l’obsessionnalité que l’on trouve parfois dans la parole de Freud, voir J. Lacan, Séminaire XVIII., D’un Discours qui ne serait pas du semblant, Seuil, 9.6.71, p. 161.
5 Voir J. Lacan, par ex. Séminaire XVIII., D’un Discours qui ne serait pas du semblant, Seuil, p. 32-33 ; A. Didier- Weill, Un Mystère plus loin que l’inconscient, Aubier, 2010 ; et E. Roudinesco, Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre, Seuil, 2014.
6 Sur lesquelles j’ai un peu publié par le passé (dans un article sur la notion de « génie » dans le dictionnaire d’esthétique de J. Morizot et R. Pouivet en 2007), en tant que chercheur en sciences humaines s’intéressant avant tout à la littérature et à l’art.
7 Voir O. Mannoni, « L’analyse originelle », in Clés pour l’imaginaire ou l’Autre scène, Seuil, 1969, p. 115-130 ; Ch. Azouri, « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue », Arcanes-érès.
8 Voir particulièrement J. Lacan « Intervention sur le transfert », dans les Ecrits, Seuil, 1966, 215-227.
9 Voir particulièrement M. Safouan, La Psychanalyse. Science, thérapie – et cause, Thierry Marchaisse, 2013.
10 Ibid.
11 Sur le mythe individuel du névrosé, voir le texte du même nom de J. Lacan, Seuil, 2007.
12 Particulièrement sur Michel-Ange (en tant que poète et qu’artiste) et sur Alberti.
13 J. Lacan, Écrits, Seuil, 1966, p. 649.
14 Dans mon livre sur Barthes de 2015 (avec lequel je ne suis plus d’accord sur bien des points), je m’étais essayé à une histoire de la culture prenant en compte la psychanalyse. Dans ce projet d’histoire de la culture lié aux Lumières (particulièrement les Lumières du monde germanique), je reste sans doute particulièrement marqué par l’enseignement de l’historien de l’art et de la culture berlinois, Horst Bredekamp, chez qui j’ai été Visiting Fellow. Ayant joué un rôle fondamental dans les études sur Aby Warburg, il a d’ailleurs mis au travail Freud et Lacan.
Mon rapport au savoir n’a jamais été simple. Très bonne élève longtemps – celle qui sait dire au prof ce qu’il veut entendre… – lorsque cela a lâché, cela (une analyse a quelques effets), lorsque cela a lâché j’ai été bien empêtrée face à la question du savoir.
Empêtrée doublement – dans le champ analytique le savoir n’est pas révéré, mais questionné, reconnu et mis à distance dans son versant de connaissance paranoïaque (au fond c’est un délire que de croire savoir), déjoué sur son versant de prise de pouvoir, jouissance indue, articulé sous forme de « savoir-faire », technique plutôt que science (technè, artisanat, art…).
Il y a quelques jours, après la première consultation d’un jeune homme, je me disais pourtant que nous nous soutenons d’un certain savoir, un savoir sur la clinique, un savoir entendre la clinique. Un « savoir-entendre » qui se construirait comme un savoir-faire, qui se construirait à travers la pratique – doublée de l’étude et de la transmission.
Ce n’est pas une découverte, cela, mais je le reformule tel que cela s’est formulé pour moi : il me semble que ces moments de pensée éclairants « pour soi », peuvent être éclairants pour d’autres, du moins je l’espère.
Il est besoin d’un « savoir clinique », me disais-je – le jeune homme avait parlé longuement, son monde commençait à se dessiner autour de moi qui l’écoutais, vastes échafaudages complexes, j’essayais d’en entendre la trame, de repérer les poutres et piliers, et soudain cauchemars terrifiants – sans une forme de « savoir-entendre cela » on se noie dans l’angoisse, ou prend ses jambes à son cou.
Et ce n’est qu’un exemple rapide et « simple ».
J’aimerais préciser quelques traits de ce « savoir clinique ».
Je commencerai aujourd’hui par une improvisation libre sur une question venue comme une inspiration – autres traits à suivre.
Une question, qui me vient autour de ce savoir sur la clinique… est-ce que c’est de la poésie ? Entre le poète qui crée et le psychanalyste qui entend, est-ce le même mouvement ?
La poésie invente une forme de la vérité de l’être humain. Le poète crée une certaine forme, qu’il ne choisit pas. Une forme de la vérité humaine.
Le psychanalyste, lorsqu’il entend, entend la forme que prend la vérité de l’être humain pour la personne qu’il écoute. Une forme, cette forme-là précisément, celle qui dépend de l’analysant – et de l’analyste, aussi…
Dans le mouvement de l’analyste qui entend une certaine vérité, dans le mouvement du poète qui crée une certaine vérité, quelque chose se rejoint.
Le poète crée une certaine vérité qui s’impose à lui – on appelle cela l’inspiration. Le poète n’invente pas n’importe quelle vérité, il ne peut pas les inventer toutes, il ne les choisit pas. La vérité qu’il invente dépend de lui – « qui il est », dépend de la matière qui frémit pétille se tord bouillonne en lui.
J’écris « la vérité », je devrais écrire « une forme de la vérité de l’être humain, une forme particulière, singulière ».
La vérité (« une forme de la vérité ») qu’entend le psychanalyste dépend de celui qu’il écoute, l’analysant, est celle de l’analysant – la matière qui frémit pétille se tord bouillonne en lui. Dépend de celui qui écoute, aussi, de sa façon d’écouter, se construit aussi dans la façon de l’entendre. Dans ce mouvement de pouvoir entendre une forme de la vérité, qui ne fait toujours que se mi-dire, quelque chose de similaire au mouvement du poète. Tendre l’oreille vers la vérité de l’autre qui parle, tendre l’oreille vers la vérité qui s’écrit, tendre la plume vers la vérité qui s’écrit, le même mouvement, je veux dire, même forme de mouvement, même envolée.
Il y a comme de la magie dans la vérité indicible qui se signifie, et s’entend – ce n’est pas de la magie, c’est de la technique, relisons Freud1, relisons Lacan2, c’est un certain « savoir clinique », ou « savoir entendre » ?
Comme il y a comme de la magie dans la rencontre impossible pourtant rendue « possible », ou plutôt « réalisée » malgré son impossible, « incarnée » un instant : un doigt tendu de l’un vers l’autre3, et de l’autre vers l’un, nous allons nous toucher, nous nous touchons nous touchons presque ne pouvons pas nous étreignons, magie de la rencontre alors qu’impossible de la rencontre – incommunicabilité et solitude radicale de l’humain. Nous nous manquons toujours nous ratons toujours nous méconnaissons toujours, solitude radicale – pourtant les doigts se sont touchés les mains se sont frôlées, la parole de l’autre m’a fait trembler de sa vérité, les corps les pensées se sont enlacés, magie douceur incandescence douleur, une rencontre.
Je mélange les registres dans ce dernier paragraphe, entendre l’autre dans le cadre d’une analyse et la rencontre de l’autre hors analyse : ce qui concerne le cadre d’une analyse : « … la parole de l’autre m’a fait trembler de sa vérité… ».
*****
Post Scriptum : le premier aspect de mes réflexions sur « un savoir clinique » aura été : entendre une forme de la vérité qui se signifie, est-ce de la poésie ? L’un des prochains aspects sera peut-être : il est besoin d’une certaine construction des connaissances cliniques : pour ne pas nous perdre et errer sans fin dans les mondes érigés par la parole de nos analysants, il nous faut avoir repéré quelques rouages de la psyché, disposer d’une cartographie des rouages de la psyché. Serions-nous alors… entre poésie et savoir ?…
1 S. Freud, La technique psychanalytique, PUF, 1953.
2 J. Lacan, « Variantes de la cure-type », dans Écrits, Éditions du Seuil, 1966.
3 Je me rappelle, l’image des doigts tendus l’un vers l’autre : Lacan utilise une métaphore de la main tendue vers la flamme pour parler de l’amour (dans le Séminaire Le transfert, 1960-1961). Un écho à l’une de nos thématiques actuelles, « amour et transfert » (J.-R. Freymann, Amour et transfert, Éditions Arcanes-érès, 2020).
https://www.fedepsy.org/wp-content/uploads/2020/04/Éphéméride-3-G.-Riedlin.docx
Lire puis écrire pour maintenir la pensée qui s’estompe sans rencontre, voilà une proposition qui me réveille.
Le texte de Martin Roth (éphéméride 2) réactive l’importance des mythes comme celui de Jennifer Griffith qui me fait sortir de la bibliothèque les merveilleux classiques, les œuvres culturelles en général.
Thierry Vincent parle d’humour comme antidote.
Justement, le confinement m’autorise à perdre mon temps avec délectation et je regarde des films à la maison.
Avoir beaucoup de temps pour le gaspiller sans honte, c’est un rêve qui se réalise en ce moment.
Un film de Nanni Moretti est ce qu’il y a de mieux. Sa solution existentielle en temps de crise, bonne pour la santé, propose la folie douce, les jeux de société, les cartes et les jeux de ballon.
Tous les ingrédients de la crise que nous vivons se trouvent dans le film : « Habemus Papam».
Les cardinaux se réunissent en conclave pour élire leur nouveau pape (confinement sans limite précise), un événement imprévu et traumatisant bloque le déroulement : le nouveau pape élu
« déconne grave » : il est sidéré, incapable de se montrer à la foule à la fenêtre du Vatican (notre blocage « économique »). Une grande agitation pour sortir de l’impasse se met en place : le majordome en chef invente des stratagèmes pour sortir le pape de sa torpeur (nos hôpitaux en bien plus grave). Les mensonges, les annonces informatives des journaux contradictoires et fantaisistes, la foule qui attend une réponse et surtout nous, les psy qu’on appelle quand il n’y a plus de solutions, se retrouvent dans le film.
Je choisis d’en rire, dans le film, la réalité, c’est plus difficile.
Devant la stupeur, l’improbable, le choc, le majordome fait entrer un psychanalyste dans le conclave, il est sommé de trouver une solution pour réveiller le nouveau Pape.
Celui-ci ne s’attendait pas à son élection, il est l’outsider de service, les cardinaux ne parvenant pas à départager les prétendants compétents. Ce nouveau Pape accepte la fonction dans un état d’hypnose, d’irréalité mais il déclenche une crise bruyante suivie de torpeur quand il s’agit de se présenter à la fenêtre du Vatican pour saluer les fidèles.
Ce qui déclenche un embarras général…
Rien ne semble aider le nouvel élu. L’isolement, les belles paroles la compréhension sont voués à l’échec.
C’est là qu’on appelle le psychanalyste le plus réputé de Rome.
Coincés et sans croire à l’inconscient, le grand organisateur du conclave est allé chercher le psychanalyste qui lui ne croit pas à la Religion.
Complètement hors cadre, il doit se débrouiller. Il est actif, ce psychanalyste essayant de démontrer que la Bible parle bien de la dépression, en conseillant les cardinaux sur leur prise de médicaments et en organisant un tournoi de volley-ball pour patienter plus joyeusement entre les jeux de société.
Michel Piccoli joue admirablement bien ce Pape désorienté, sur son trône, face au psy et entouré des cardinaux qui attendent un miracle. Les cardinaux sont très tolérants mais il y a des sujets à ne pas aborder qui sont ceux justement de la parole en analyse.
Le majordome fait croire au repos du Pape en plaçant un garde suisse qui agite le rideau de la chambre de temps en temps et emmène le prélat chez une psychanalyste en ville qui se trouve être l’épouse du premier psy. Essayons donc une femme si un homme ne convient pas.
Le Pape parle un peu plus, seul, face à elle dans le cabinet et elle lui livre l’interprétation miracle, celle qu’elle sert à tout le Monde. Il s’en saisit et ça fonctionne… un peu. Il s’échappe, incognito, se perd dans la ville revient au Vatican avec le courage de déclarer à la foule, à la fenêtre que bien que Dieu l’ait choisi, il n’est pas fait pour la fonction. Dieu s’est trompé.
Le film permettrait de nombreux sujets de réflexion et de thèmes à débattre, d’associations à laisser venir (en vrai ce serait tellement bien…).
C’est le rôle assigné aux psychanalystes qui m’a beaucoup amusée.
Quand même Dieu ne parvient pas à résoudre un problème, quand il se trompe, c’est aux psy qu’on fait appel.
Dans les contes de fées, les histoires pour enfants, on trouve toujours une sorcière, un devin, un druide, une potion magique, un livre venu des temps anciens ancien pour aider le héros à résoudre le problème.
Je me vois, dans ma fonction de psychologue en milieu scolaire appelée à venir d’urgence dans le bureau de la directrice parce qu’un élève en crise bruyante et agressive se tape la tête contre les murs. C’était un enfant censé avoir 8 ans, tout frais venu d’un orphelinat de l’Est, accueilli dans une famille anglophone habitant en France et n’ayant jamais été scolarisé ou presque.
Je devais agir. Quoi ? Pas de formule magique, pas de gestes calmants, rien… Une collègue intéressée par la Psychologie l’a empoigné et a exercé « la contention ». L’enfant a apprécié le contact du corps féminin et s’est effectivement calmé. La méthode ne correspondait pas à mon éthique, ni à mon habitude, ni à mon envie d’ailleurs. Elle n’a pas été longtemps répétée.
J’ai pensé que j’allais décevoir. Mais pas du tout, même si mon Art ne s’est pas révélé efficient, je n’ai pas perdu ma place.
Le risque est grand d’essayer n’importe quoi ou de dire n’importe quoi, surtout si ce n’importe quoi réussit.
Une autre situation où j’entendais une jeune mère épuisée par le manque de sommeil me supplier de déclamer une formule magique à son enfant pour qu’il se décide à dormir en même temps que tout le monde. Elle avait beaucoup lu les psychologues et des histoires de « guérisons » ou un professionnel de l’âme avait « trouvé les mots » à dire : Abracadabra.
Je pensais qu’elle ne reviendrait pas puisque je lui avais humblement avoué que, bien que rémunérée pour mon travail, je n’avais pas ce qu’elle attendait. Elle est revenue.
Nous, les psy, sont les accompagnants des crises, les copains de l’impensable, de l’insoluble, on est toujours là.
Si ça tourne mal, comme la méchante fée sur le berceau de la Belle au Bois dormant, les mauvaises paroles sont venues de notre bouche. Si ça va mieux, ce sera, après un long moment ce sera grâce au prince charmant.
Si ça tourne bien, nous sommes comme Merlin l’Enchanteur et on pourra l’écrire dans un manuel de psychologie clinique.
Il n’y a pas d’autre place pour nous que celle de l’absurdité. Continuer quand même, être noyé avec les autres, avec tous.
La mort est absurde, profondément injuste, impensable, ça fait mal de voir mourir et de
mourir.
Notre simple présence absorbe l’angoisse, on est là.
Freud (Malaise dans la civilisation. PUF) : « En fixant de force ses adeptes à un infantilisme psychique et en leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à quantité d’êtres humains une névrose individuelle mais c’est à peu près tout … La religion elle- même peut ne pas tenir sa promesse. Quand le croyant se voit en définitive contraint d’évoquer les
« voies insondables de Dieu », il avoue implicitement que, dans sa souffrance, il ne lui reste, en guise de dernières et unique consolation et joie, qu’à se soumettre sans condition ».
On pourrait penser qu’actuellement on nous appelle quand Dieu se révèle inefficace… Quel
défi !
Freud ajoute pour terminer le chapitre : « Et s’il est prêt à la faire, il aurait pu sans doute
s’épargner ce détour ».
Avant ou après le détour (par toute sorte de Dieux) nous sommes là…
« Frères humains qui… aujourd’hui vivez » D’après François Villon, La ballade des pendus1
Avez-vous remarqué l’effet d’annonce de la date pour la levée du « confinement » ? Pour l’instant l’on oscille entre des rêves de liberté retrouvée et un mélange de craintes concernant le fait de savoir de quel groupe d’« affranchis » nous allons faire partie.
Quoi qu’on en dise un peu partout, on sait peu de choses sur le Covid 19 et malgré les nouvelles rassurantes des réanimateurs on voit défiler statistiquement le nombre des morts.
Que l’être humain est solide !… à supporter un chiffrage contradictoire et à attendre les autorisations pour vivre dans une réalité habituelle.
Pour ceux qui en ont le loisir vous pouvez suivre dans l’Antiquité « L’histoire de l’Empire Romain » (Netflix) et vous pourrez constater la manière dont l’irruption de l’« épidémie peste » vient à scander dramatiquement la dialectique politique entre l’Empereur et le Sénat ; l’épidémie surgissant au moment par exemple où l’Empereur en herbe veut jouer sur la nourriture distribuée au peuple de Rome affamé.
Rien ne se passe comme prévu ! La peste vient à décentrer les projets politiques les plus fous. À chacun de faire les analogies qu’il veut dans l’actualité, les interprétations délirantes ont droit de cité. Avez-vous constaté que le pouvoir politique donne souvent la parole aux scientifiques, aux médecins, aux commissions des sages ?
Et l’on voit à quel point chacun attend avec anxiété les résultats des traitements, des vaccins, des solutions, des moments où les retrouvailles seront possibles sans risque de mort.
Mais ce qui est restitué par les médias, si friands de débats, ce sont les luttes entre scientifiques et les idées contradictoires de remèdes miracles. Et nous n’en sommes qu’au début.
Là où les psychanalystes ne peuvent être qu’admiratifs et reconnaissants – au sens le plus vital du terme – c’est par le retour à la clinique particulière que font les urgentistes et les réanimateurs. Ce sont eux qui – avec tout le reste du personnel si héroïque – humanisent ce cauchemar épidémique.
À propos des chercheurs en pleine action, on voit fleurir – comme dit Freud – nombre de « superstructures spéculatives »2 où les idées géniales côtoient des délires paraphréniques. Et où nombre de célébrités du passé se doivent de nous faire part de messages messianiques ! Rappelez-vous le dicton « On ne peut pas être et avoir été » où le souci de plusieurs qui ont été primés est de revenir au-devant de la scène, peu importe le méli-mélo théorique anachronique.
À l’heure internationale où l’on cherche les responsables initiatiques de la pandémie et leurs mensonges patients, cela nous renvoie dans le champ freudien aux premiers échanges dans
« Œdipe-Roi »3 de Sophocle, qui a donné l’armature à l’œuvre de Freud.
Citations d’ « Œdipe-Roi »
En termes triviaux actuels nous dirions : « On cherche des coupables » en mélangeant au passage tout ce qui n’a pas été prévu dans le système de santé et les causes de déclenchement de cette épidémie, qui d’ailleurs, en cache peut-être plusieurs…
Les responsabilités (souvent justifiées) viennent à voiler, pour chaque être parlant, le déni (Verleugnung) de la mortalité humaine qui est une des constantes de l’inconscient freudien et qu’une performance singulière qui reste le plus souvent isolée.
Avec « ceux de ma génération « des soixante-huitards, les échanges de 1968 convergent vers les deux idées suivantes :
L’analysant, le psychanalyste, le sujet désirant sont mis à l’épreuve (et là je rejoins un é change avec Pierre-André Julié) de leur propre créativité, de la « débrouille » avec une situation autour de l’impossible… (Exemple : « Je découvre parfois celui ou celle avec lequel je suis confiné… »)
À ce titre-là (et c’est le grand-père qui parle !) je ne pense pas que les effets de ce
« confinage » seront similaires pour les différentes générations… et je n’en soulèverais qu’un point (à développer)… Que va-t-il advenir après coup du confinement du rapport à la séduction (seducere), à l’érotisation et aux rapports sexuels (et pas au sens de Lacan !) ?
C’est là où il va falloir inventer, là où les psychanalystes ont à intervenir, c’est dans ces nouveaux destins pulsionnels… imprévisibles, mais où le désir de créativité est mis rudement à l’épreuve.
Ne minimisons pas l’affirmation (Bejahung) miraculeuse qu’en écrivant et en lisant ces éphémérides, nous sommes encore en vie.
« Frères humains qui… aujourd’hui vivez »
1 F. Villon, La ballade des pendus, « Frères humains qui après nous vivez », Gallimard, 1997.
2 S. Freud, Sur la psychanalyse.
3 Sophocle, Théâtre complet, « Œdipe-Roi », Garnier Flammarion. Essais, 2008
Vous est-il arrivé déjà, pendant un temps, de ne pas lire ?
Ne pas en avoir envie, ne pas savoir que lire, parcourir les rayons de votre bibliothèque et tous les livres semblent gris, en prendre un tout de même, lire des mots qui restent creux, des mots – petits cailloux insignifiants qui tombent au sol…?
Cela vous est-il arrivé, déjà ?
Les motifs en sont divers, sans doute – qu’est-ce qui barre le chemin entre nous et les mots écrits ? Qu’est-ce qui transforme en tas de sable inerte des phrases qui parfois s’envolent et nous emportent sur leurs ailes, nous envolent ?
Pour moi, parfois, la distance avec les livres – il me faut d’abord reconstituer ma propre pensée, avant de pouvoir entendre celle de l’autre. Trouver construire écrire mes propres mots, avant de lire ceux de l’autre.
Confinement – lisez-vous ?
Tant de temps soudain, tant de choses annulées, tant d’activités reportées, tant de possibles ? Pas d’horaire de cours de danse ni d’entraînement de foot pour les enfants, pas de sortie pas d’invitation pas de cinéma – à la maison, du temps devant soi…
Intéressant de voir comment chacun réagit à la situation : ceux qui en « profitent » pour apprendre trois langues, la peinture, le macramé et la cuisine coréenne, ceux qui s’évertuent à ne rien changer à leurs habitudes, quitte à faire semblant, ceux qui nettoient leur maison de fond en comble et de comble en fond et de fond en comble et inversement, ceux qui ne font plus rien…
« Faire », « activités » – la suspension éclaire la fonction, les fonctions de « faire ». Désarroi lorsque les activités habituelles deviennent impossibles – que faire, comment s’occuper ? Que faire du temps qui s’étend sans limite ? Et ces activités, habituelles, essentielles, importantes, qui nous définissent pensons-nous, ces activités une fois suspendues, à les regarder avec un rien de distance – pourquoi faisions-nous cela, au fait, au fond ? Nous ne pouvions imaginer nos vies sans elles, tellement importantes, nous en parlions autour de nous avec passion – « comme je me sens mieux depuis que je fais du tennis, et l’ambiance dans le club, c’est tellement sympa, si tu savais, à présent je fais partie du comité de l’association, réunions fréquentes, je suis trésorier, un peu de travail mais c’est tellement important, cela crée toute une dynamique dans le quartier, et pour les jeunes… » – nous savions pourquoi nous le faisions, c’est-à-dire nous ne nous le demandions pas et pensions savoir pourquoi et à savoir pourquoi cela avait du sens et donnait du sens au reste de notre vie – quel sens ?… Ces activités une fois suspendues, nous suspendus aussi – e quel sens ?… Pourquoi ceci plutôt qu’autre chose ? Accessoire, aléatoire, dérisoire… Comment supporter cela ? Comment faire face à cela ? Qu’est-ce, cela ? Quel vide face à nous ? qu’est-ce que ce gouffre qui s’ouvre s’ouvre s’ouvre ? qu’est-ce que soudain ce monde de cendres grises inertes ? Et que reste-t-il ? à quoi continuons-nous de donner du sens ?
Je continue à trouver du sens dans le mouvement désirant. Ce mouvement qui, à partir de rien à partir d’un rien à partir d’un creux, se lève en nous et nous envole. Ce mouvement qui nous fait danser, rire, chanter, peindre, sculpter, écrire, poéiser, parler à l’autre entendre l’autre. Ce mouvement qui lorsqu’il danse avec le mouvement d’un autre, nous appelons cela rencontre, nous appelons cela la vie.
Ce mouvement, parler à l’autre entendre l’autre, dans un certain cadre cela s’appelle une psychanalyse.
Je continue à trouver du sens à cela. C’est un choix. Sans doute c’est un choix. Alors qu’il me semble que cela, c’est incontournable – mouvement, vivant, poésie – sans cela pas de vie pour l’humain ? Mais sans doute c’est un choix – un « sens » est toujours un choix, est toujours construit ?
Continuez-vous à lire ?
J’avais arrêté un temps, je ne pouvais pas. J’ai recommencé. Lorsque j’ai parcouru les rayons de ma bibliothèque qui soudain n’étaient plus gris – tant de couleurs, tant d’envolées, à lire seulement les titres, les noms des auteurs –, je me suis arrêtée sur L’amour du loup… et autres remords1 d’Hélène Cixous. Lu déjà, il y a quelques années, oublié, oublié, oublié – que nous sommes capables d’oubli !… Comment ai-je pu oublier ceci ?… L’amour du loup…
La force possible des mots, le tranchant possible de l’écrit. Cela – a du sens, pour moi.
Quelqu’un, qui n’écrit pas, me demande – comment fais-tu pour écrire ?
Je ne fais pas. Je respire – lorsque j’écris ainsi, je respire, simplement je respire, enfin je respire.
Je me demande plutôt – comment se fait-il que je survive, lorsque je ne respire pas ?…
1 H. Cixous, L’amour du loup et autres remords, éditions Galilée, 2003.
https://www.fedepsy.org/wp-content/uploads/2020/04/EPHEMERIDE-2-Journal-du-Confinement-Martin-Roth.pdf
https://www.fedepsy.org/wp-content/uploads/2020/04/EPHEMERIDE-2-J.R.-Freymann.pdf