Peintures

Éphéméride 4

Artistes confinés…

C:UsersFamille KiefferDocumentsDocumentsTRAVAUX EN COURSLisa - Vire au logis.jpg

Lisa, Vire au logis

C:UsersFamille KiefferDocumentsDocumentsTRAVAUX EN COURSM.P. Arpin-Bott -23.jpg

Marie-Paule Arpin-Bott, Huile 80 x 116, 23

C:UsersFamille KiefferDocumentsDocumentsTRAVAUX EN COURSM.O. Biry-Fetique - Nymphe micellaire.jpg

Marie-Odile Biry-Fétique, Nymphe micellaire

C:UsersFamille KiefferDocumentsDocumentsTRAVAUX EN COURSMédée 28-04-2020 Déconfinement, un peu, beaucoup....JPG

Médée, son œuvre du 28 avril 2020, J 43,

Déconfinement, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout…

www.medee-sculpture.com

Un brin de poésie

Je n’ai pas de pain pauvresse
à donner aux moineaux Il me reste l’aube l’aube azurée et blonde qui guette à la fenêtre Le jour point
les portes sont verrouillées Mais surgit le poème
peut-il braver la mort ?
La poésie, c’est ce qui reste de beau quand tout est sali
Il reste une page blanche à écrire à réinventer Aragon et Char
ont fermé les paupières
À nous de remplir la page vierge encore en suspens
Tracer le point final ou sans limites Comme on voudra
Retenir quelques gouttes de soleil avant la grisaille
verrouillées les portes
Je traîne comme un pacha sur mon canapé bleu
Retenir quelques gouttes de poésie avant la gorge tarie des mauvais jours Ah ! Ouvrir la fenêtre
et s’échapper vers la liberté

Pour une nouvelle Mythologie – Gare au confinement

Cette affaire d’épidémie renvoie à une sorte d’arbitraire du réel, où chaque jour chacun peut s’interroger : Vais-je aujourd’hui quitter le navire de la vie ? Ai-je serré les mauvaises mains ? Ai-je pris le souffle (non pas du divin) mais du malheur ? Vais-je rencontrer l’enfant qui va m’épidémiser ? Y aura-t-il de la place pour me réanimer ? Serai-je entouré par ma famille confinée ? Et ciel ! À quel moment le nuage de la « maladie » et de la mort va-t-il s’éloigner ? Va-t-on m’oublier eu passage ?

J’ai eu la chance pour l’instant de pouvoir consulter par téléphone, d’utiliser WhatsApp, Skype, d’échanger avec des amis et j’ai été frappé par le pouvoir du téléphone, par cet amour d’un « Dire » qui vient nous rappeler que vous êtes encore en vie.

Mais quoi qu’il en soit l’amitié vient à garder une portée considérable. L’idée de solitude vient à reprendre une grande importance dans un mélange terrorisé de craintes et de méditation.

Chacun compte sur ses proches et à chaque moment « kommt die Ungeheuere Frage » (là vient la question cruciale) : « Sera-t-il touché ? » – « Sont-ils encore vivants ? » – « Que sont-ils devenus ? »

Ceux qui ont déjà fréquenté la proximité de la mort par des maladies ou par des coups inouïs du destin connaissent ce sentiment du rescapé à la fois heureux de vivre (encore !) et d’avoir échappé à quelque chose d’indéfinissable.

Très honnêtement nous avons peur pour ceux qui ne peuvent pas se confiner, nous angoissons pour ceux qui n’ont rien à manger et nous affolons pour tous ceux des « quartiers » qui doivent être dans une situation indescriptible.

Dans mon entourage – quelles que soient les générations – je repère ceux qui ont une « formation politique », ceux qui vont au-delà d’eux-mêmes et angoissent pas seulement pour leurs « confinés » mais pour tous ceux qui ne peuvent pas se confiner… ceux qui ne peuvent pas se masquer… ceux qui sont dans la rue… ceux qui vont mourir par l’absence des gens de la cité.

J’ai déjà dit dans mon article précédent que le Verbe est vital, que l’entourage est crucial, même s’il est parfois détestable. Mais contrairement à ce que l’on nous dit, on découvre par moment avec joie la, ou les personnes avec lesquelles on a été confiné. Tout n’est pas violence, cruauté, claustrophobie… on apprend souvent à découvrir l’autre ou, l’on peut être joyeux de ne pas avoir à fréquenter et à rencontrer l’autre… chut !

On a par moment le loisir de bien saisir ce que Jacques Lacan dénomme « le temps pour comprendre » : une sorte de retour vers ce que Freud dénomme « la libido narcissique »1 à ceci près qu’il ne s’agit pas du narcissisme secondaire, on tente à ces moments-là de reprendre les racines de son narcissisme en défaillance et en constitution.

Et je trouve le plus souvent que les analysants (par téléphone) y gagnent par des questionnements sur leur ancrage et sur les arêtes de leur mythologie singulière.

Je dirai qu’avec mes jeunes collègues nous avons bien fait de choisir pour le prochain congrès de la FEDEPSY le thème : Traumatismes, mythes, fantasmes ! Nous avons été des devins à la mode de Tirésias et j’en viens à me prendre pour un augure !

Avec le Coronavirus nous sommes partis pour de nouvelles mythologies, il va falloir que les psychanalystes lisent dans les boules de cristal de la jeunesse en devenir. Il va falloir s’expliquer, pour l’avenir et faire retour à la Mythologie « classique » mais avec de nouvelles lectures. Il ne suffira pas de reprendre « Le stade du miroir », « Le complexe d’Œdipe », « La métaphore paternelle », un « Moïse considéré comme Égyptien d’origine »… il va falloir se creuser pour saisir à quel point la « psychologie collective est devenue mondiale », il arrive même que l’on tente de réhumaniser le monde. Qu’on essaie de donner la parole non pas seulement aux religieux, aux devins et aux politiques, mais aussi aux grands docteurs, aux scientifiques, aux urgentistes, aux réanimateurs.

Et le constat doit se faire, la conflictualité réapparaît : ils ne sont pas d’accord et on attend avec angoisse que les « nuages » de l’épidémie nous abandonnent. Et pour combien de temps ? Guillaume Riedlin nous avait prévenus : jusqu’à quel point les statistiques sont-elles une science ?

De ce point de vue-là, ces imbroglios m’ont poussé à faire retour aux tragédies et aux mythes. Là, je n’ai pas été déçu ! Peut-être est-ce une bonne manière d’être rescapé en retournant vers l’antiquité et les folies de son origine et ce qu’il reste de sa culture.

Exemples :

  • Œdipe-roi est tout à fait prêt à punir le responsable de la Peste, même si c’est lui-même ! Étrange cette affaire meurtrière et incestueuse : Œdipe est certainement dans les mécanismes de l’inconscient mais il est aussi dans une inconscience redoutable. Il ne sait pas qu’il tue son père et il ne reconnaît pas sa mère (cf. les commentateurs). Regardez les

augures d’avant lui, ce n’est pas pour rien que son nom porte l’appellation de « pieds enflés » !

  • Dans Œdipe à Colone (dans Sophocle, Théâtre complet, p. 264) Œdipe sait tenir compte de son expérience.
  • Antigone : « prête l’oreille. Je vois s’avancer un groupe d’hommes âgés : sûrement ils viennent voir où tu es assis ».
  • Œdipe : « Je me tais, cache-moi seulement dans les bois, à l’écart de la roue, que j’entende ce qu’ils disent. Pour agir avec prudence, il faut savoir écouter ».

Quelle dignité maintenue !

  • Étrangers… : « et je vous dis : puisse le misérable avoir votre respect ! »

Et aujourd’hui, l’heure actuelle n’est pas aux regrets, mais qu’allez-vous faire de vos erreurs commises ? Comment se détacher des actes aberrants que l’on a pu commettre ? L’analysant est-il quelque peu en position « d’Œdipe à Colone » ? Comment refaire jaillir ses oublis lointains pour faire naître un autre type d’oubli… ?

Autres exemples :

  • Je ne sais pas comment j’avais oublié la descendance d’Œdipe qui pourtant a valu beaucoup de débats (et scissions) à l’EFP et provoqué bien des échanges autour d’Antigone. Reportez-vous, en ce qui concerne la « frérocité » à la « sistérité » à Sophocle et à Antigone où se déroule la succession d’Œdipe et les drames particuliers qui vont s’opérer pour chacun des enfants d’Œdipe.

Nous suivrons la prochaine fois les échanges entre Antigone (p. 69) et Ismère à propos du combat meurtrier entre Étéocle et Polynice (morts dans leur duel). Et où l’on voit s’interposer Créon qui est d’accord d’ensevelir Étéocle « selon le rite » et Polynice où il défend par édit qu’on l’enterre et qu’on le pleure… » p. 70.

Conclusion provisoire

Dans notre climat de contention actuel où l’on ne sait pas comment décontentionner les différentes générations, il faudra oser aborder comment, dans la structuration des petits enfants, vont circuler les questions de dettes et d’amour ?

Nous pourrons pour cela faire retour au « Marchand de Venise » et savoir qui va payer la « livre de chair ».

1S. Freud, Introduction au narcissisme

Réflexions autour d’un « savoir clinique » – suite

« Savoir clinique », « savoir sur la clinique », « savoir entendre la clinique » ?… comment faudrait-il dire ?
Quelque chose a à voir avec du savoir, dans le rapport à la clinique. Et ne s’y résume pas. Je proposais la semaine passée : « entre poésie et savoir ? »1

Si je m’avance un peu du côté du savoir, malgré toutes les précautions qu’il me faut prendre de ce côté-là – attention ! le savoir peut se transformer en discours sclérosé sclérosant, pétrifié pétrifiant….
Si je m’avance un peu, au bord du précipice, que pourrais-je en dire ?…
Il y a du savoir-entendre, du « savoir-permettre-de-parler » aussi, de la technè. C’est toute une affaire, que d’accéder à la possibilité de parler et n’être pas seulement le jouet des discours, et jusqu’au jouet de sa propre parole.

Et tout de même il est besoin, me semble-t-il, de quelque chose comme une cartographie : nous avons « besoin » d’avoir idée de ce que sont les mécanismes psychiques, de ce qu’il peut surgir lorsque parle un être humain. À ceci près que notre « savoir » ne serait pas une carte, mais une idée de carte, ou une trame de carte : la carte n’est pas dessinée, ce que nous savons à peu près c’est comment dessiner une carte. Puis c’est à entendre l’analysant, à lui permettre de parler, à lui permettre d’abord d’apprendre à parler puis à l’écouter et à l’entendre, que se dessine la carte.

Ce que nous « savons », c’est la diversité des reliefs que nous pouvons découvrir : plaines, montagnes, abîmes, océans, rivières, collines, canyons, jardins à la française, oasis, champs gigantesques, îles, lagons, falaises, plages, jardins japonais – en ces temps de non- voyage je me laisse aller au plaisir de l’évocation des mots… – sources, cascades, fleuves… Et nous savons que la parole de l’analysant peut nous découvrir des reliefs encore insoupçonnés, peut inventer des reliefs encore inédits, inexistants, des cascades tombant à gros bouillons vers le ciel, des plaines verticales, de petits recoins dissimulés, de petites pierres minutieusement sculptées, des reliefs que nous ne connaissions pas. À l’entendre nous dessinons, sans crayon sans encre sans papier, cela se dessine quelque part.

Il serait tentant, à cet endroit, de penser qu’une cure vise alors à établir la carte la plus complète, la plus détaillée, la mieux dessinée : écueil ! La carte se chiffonne et se jette à mesure. Une cure, ce serait plutôt qu’à dessiner la carte, les reliefs se modifient quelque peu. L’analysant chemine, l’analysant voyage, dans les reliefs quelque peu modifiés, pacifiés apaisés viabilisés il trace son chemin, il existe, un peu… Il y danse plutôt que s’y ensable- enlise, il s’envole plutôt que se noie.

Il y a tout de même un paradoxe, ou un paradoxe apparent du moins. Diversité infinie et singularité absolue des reliefs : aucune carte (tracée chiffonnée abandonnée dans l’eau du ruisseau), aucune carte ne ressemble à une autre. Pourtant, à entendre les analysants, à s’entendre soi-même – l’analyste ne s’exclut en rien de ce qu’il peut dire de la clinique, peut- être même ne peut-il que partir de sa propre clinique, de ses propres paysages pour aller à la découverte des autres – quelques traits essentiels finissent par se graver sur la table, à force de dessiner les cartes, ou se graver sur le sable, jusqu’à la prochaine vague. Traits essentiels qui ne sont pas pour autant traits communs.

À quoi cela tient-il, une psyché, les mécanismes singuliers d’une psyché ? Peu de chose, quelques « peu de chose », choses de peu – Lacan nous aide à le saisir avec ses petites lettres, pseudo-mathèmes mais aussi choses de peu : un montage baroque de S Barré, a, phi, A barré, i(a), m, I, voici une psyché… Articulez-la comme vous pouvez à la masse de tripes et de chair qu’est un corps.

Qu’il s’agisse de « peu de chose » n’est pas jugement de valeur. D’un certain arrangement des petites lettres naissent les horreurs tout autant que les « merveilles » de l’humain, rencontres et poésie.

Les conditions quasi-expérimentales du confinement éclairent ces quelques arrimages psychiques d’une lumière crue et brutale : on efface les contraintes du travail (disparition d’une incarnation du surmoi…), que se passe-t-il ?

On remet en place le travail mais aucune activité ou rencontre « sociale » possible (invalidation des mécanismes d’identification réciproque, vacance temporelle qui ouvre le gouffre de la question du sens…), que se passe-t-il ?…

Les objets, qui nous ont été mis à portée de clic (la livraison en 24 à 48 heures est devenue référence), ne sont pas disponibles (rayons de supermarché vides, délais d’expédition et de livraison de commandes supérieurs à deux semaines, quelle catastrophe ! – même des robes, pensez-vous, quoique certains vêtements ou produits de luxe sont livrables bien plus rapidement que l’huile d’olive bio et les graines à germer, allez comprendre…), les objets ne sont pas immédiatement disponibles, que se passe-t-il ?..

À suivre la semaine prochaine, à moins que l’inspiration ne me mène ailleurs : quelques traits gravés sur le sable ?…

1 Improvisation libre – et préliminaire – sur un « savoir clinique », dans l’Éphéméride 3.

Au quarantième jour

Nous voilà au quarantième jour du confinement ! Quarante jours qui résonnent avec les 40 jours de jeûne du Christ dans le désert au cours desquels le diable vient le tenter mais il résiste. Un parallèle est fait dans le catéchisme de l’église catholique entre la tentation du christ, celle d’Adam, et le livre de l’exode dans lequel les hébreux voyagent pendant 40 ans dans le désert après avoir traversé la mer Rouge avant d’atteindre la terre promise. Le nombre de quarante jours est également la durée du Déluge pendant lequel l’arche de Noé flotte sur les eaux dans le livre de la genèse. Ou encore les quarantièmes rugissants, ces grands vents de l’hémisphère sud que doivent affronter les voiliers dans le Vendée Globe. Quarante jours d’épreuves à affronter avant d’accéder à un moment plus favorable, plus paisible, à la liberté !

En ce quarantième jour, je sors de chez moi presque comme tous les matins pour aller travailler et je suis saisi par cette sensation d’un éternel recommencement, comme « un jour sans fin », où le calme et l’horreur se mêlent. Le calme et le silence de la rue déserte, le chant des oiseaux, le parfum des glycines qui s’allie à celui des tilleuls. Et au-delà, là où je me rends, ces images de corps, immobiles sur le ventre, autour desquels s’affairent les soignants tels des cosmonautes dans leurs habits de protection au milieu d’une atmosphère empestée de virus par la mise en place des aérosols, l’absence de mots pour ces corps dont on ne sait s’ils reprendront vie.

Quarante jours durant lesquels j’ai eu à affronter les difficultés de concentration, de fatigue inhabituelle le soir.

Quarante jours sonne pour moi comme le temps venu de sortir de cette torpeur, en tentant d’avancer dans cette situation, de retrouver un peu de liberté, à sortir de l’inhibition pour associer, agir.

C’est de ce balancement entre vie et mort, comme entre yin et yang, ou clair/obscur que je souhaite parler.

La situation présente apparaît comme un forçage du réel qui nous expulse du symptôme, du fantasme, cette fenêtre à travers laquelle le sujet voit le monde. Pour en rester à la question du corps, on peut évoquer l’application du maquillage, chez une femme par exemple, qui consiste à faire disparaître le réel du corps, avec ses signes qui sont à la fois recherchés et craints, derrière une imago qui puisse venir s’inscrire dans la fenêtre du fantasme. Par cette opération, le corps devient familier, c’est rassurant, mais du même coup sa singularité disparaît au profit de cette homogénéité, cette uniformité qui est représentée. Opération délicate néanmoins pour ce qui concerne l’économie du désir, car ce corps pour susciter l’attrait, doit se distinguer, faire signe, réintroduire une part de réel mais pas trop, car s’il était excessif, il serait susceptible de provoquer l’effroi… On peut saisir ici qu’en restant dans le symptôme, le sujet est peu tracassé sur la cause du désir, il peut se soutenir dans la duplicité topologique de l’ouverture et de la fermeture, dans une forme de répétition machinale.

L’irruption de la mort dans le réel pour le sujet, d’un corps qui se découvre comme mortel, agit tel un forçage pour le sujet qui, dans l’inconscient, se croit immortel1. Le déni de la mort est une façon de soutenir l’insoutenable, qui n’est pas sans écho avec la castration, ou du moins de se soutenir par rapport à elle. Il peut y avoir là deux courants, l’un qui reconnaît la mort, l’autre qui ne la reconnaît pas instituant un clivage. La mort est là, le sujet ne l’exclut pas, mais elle est néanmoins rejetée avec la plus grande force. Ne trouve-t-on pas là une des résistances pour dans la mise en place de mesures de déconfinement souples, adaptées aux situations variées ?

Ce forçage agit telle une interprétation sauvage en imposant des renoncements impossibles à éviter. Il ne permet plus au sujet de rester dans son symptôme, il ne peut plus se satisfaire de ses petites jouissances, autrement dit il ne peut plus faire sa petite vie bien tranquille.

Le sujet se trouve expulsé de la dualité topologique qu’est cette absence de coïncidence du désir et de l’angoisse, qui se retournent l’un dans l’autre, tel que le figure le schéma de Lacan dans le séminaire L’angoisse2. Lacan parle de réversion du point d’angoisse et du point de désir qu’il situe au niveau de l’inhibition ; « Dans ce rapport polaire à l’angoisse, le désir est à situer là où je vous l’ai mis en correspondance avec cette matrice ancienne, au niveau de l’inhibition »3. Autrement dit, face au surgissement du réel, ce n’est pas tant de la survenue d’un traumatisme dont il serait le plus souvent question, mais d’une éjection du sujet de cette bande de Mœbius parcourue sur une face par le désir avec l’inhibition comme lieu du désir interdit et sur l’autre face par l’angoisse comme manifestation spécifique du désir de l’Autre. Cette éjection produit le court-circuit de l’acte qui peut être passage à l’acte ou acting out.

C’est-à-dire que ce qui apparaît dans ce temps d’invasion virale sera l’angoisse, l’inhibition ou les passages à l’acte ou acting out qui bordent le symptôme.

L’angoisse c’est le désir de l’Autre qui ne me reconnaît pas. Un signal qui avertit le sujet de ce que le désir de l’Autre est « une demande qui ne concerne aucun besoin, qui ne demande rien d’autre que mon être même, qui me met en question », « qui sollicite ma perte pour que l’Autre s’y retrouve »4. La difficulté est qu’il est dans le contexte actuel, non pas un lieu vide, mais un lieu volontiers habité par les discours politiques, scientifiques, de la santé.

L’inhibition, à laquelle j’associerais les troubles de la concentration et l’asthénie. Si pour Freud l’inhibition est celle d’une fonction à signification sexuelle, la trace d’un évitement de départ à signification incestueuse, donc interdit, elle n’est pas sans lien avec l’évitement que l’on observe à s’engager dans toute action pour un sujet bouleversé dans ses coordonnées symboliques par l’irruption du réel, peut-être pour ne même pas rencontrer ce type de questions portant sur la sexualité.

On ne pourra pas non plus minimiser le poids des discours politiques prescrivant le confinement, la restriction des libertés, la surveillance permanente pourquoi pas par le biais d’applications téléchargeables sur notre téléphone si ce n’est par la délation. Le risque totalitaire est bien présent, ce dispositif faisant penser au Panoptique de Jeremy Bentham. Ce qui nous rappelle que l’on peut mettre les gens en boîte, les ranger comme des objets, en d’autres termes, les traiter « comme une merde », sans que soit autorisé une protestation puisque c’est pour leur bien, la préservation de leur santé. De leur vie ? Mise hors-jeu de leur position de sujet, certains s’en contenteront, soulagés de leur désir. Pour d’autres, le forçage du réel joint aux discours « de protection du citoyen », peut conduire au passage à l’acte ; le sujet se barre et s’identifie à l’objet, ici l’objet anal. Freud s’était interrogé sur l’effort vers la propreté imposé par la civilisation ; « L’impulsion à être propre procède du besoin impérieux de faire disparaître les excréments devenus désagréables à l’odorat »5. Peut-être peut-on avancer ici à titre d’hypothèse que le discours qui s’adresse au moi comme perdu, associé à des phénomènes d’identification collective, n’est pas sans rapport avec cette compulsion à acheter du papier toilette de façon totalement affolante ?

Du côté de l’acting out, plus probablement du fait du confinement cette fois, on peut en rapprocher les violences conjugales dont est déplorée la recrudescence. Acting out, au sens où il s’agit d’un appel à l’Autre, qui pourrait surprendre le sujet « normalement névrosé » qui se sent menacé d’expulsion de la place d’homme à laquelle il s’essaie avec difficultés face aux contraintes imposées par l’institution politique.

D’où l’importance du transfert et de l’appui des références symboliques pour remettre en jeu la question du sujet, laissée en suspens.

1 S. Freud (1915), « Considération actuelle sur la guerre et la mort », in Essais de psychanalyse, Payot, 1996, Paris.

2 J. Lacan, Le Séminaire livre X (1962-1963), L’angoisse, Paris, Le Seuil, 2004, p. 93.

3 J. Lacan, p. 366.

4 J. Lacan, p. 179.

5 S. Freud (1930), Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 1973. Op. cit. p. 50.

Détours de la sidération

La névrose résiste au temps moderne

La névrose n’est toujours pas morte. Elle ne se tait pas. Peut-être faut-il tendre l’oreille pour entendre ses méandres discursifs, mais ceux-ci persistent. Les modifications plus ou moins bruyantes, plus ou moins insidieuses, des discours alentours donnent de nouvelles formes expressives aux conflits névrotiques. Mais elles ne les anéantissent pas. Elles les empêchent, ça oui ! C’est même leur objectif. Étouffez les bruits des pulsions ! Taisez la voix surmoïque qui pousse à jouir ! Détruisez la moindre manifestation du si subversif désir ! Le discours ambiant cherche la normativité, le conforme, le confiné à la statistique commune. Lisez Le conformiste de Moravia pour voir d’où peut provenir et où peut mener l’exigence d’être conforme. Le discours ambiant tente d’astreindre le moi à une seule voie possible. Réminiscence illusoire d’une image partagée. En cela ce discours véhicule une certaine morale éducative aux échos d’autorité. Recette classique pour asseoir un pouvoir. La névrose est bien là pour rappeler l’échec de cette tentative. L’insurrection névrotique dénonce le lieu de la répression. Elle montre ainsi son existence. Elle montre également une autre existence. Entendons-nous bien : le discours ambiant n’est pas nécessairement le discours politique, le pouvoir n’est pas seulement celui de l’État, et je ne parle pas d’insurrection sociale. C’est dans le champ du sujet que je me place. Le discours ambiant est celui qui fait ambiance pour un sujet, le pouvoir est celui qu’il prête à l’Autre, et l’insurrection est à entendre étymologiquement comme l’action de s’élever du désir.

Donc la névrose veille à soulever les points que chaque histoire contemporaine cherche à contenir, à effacer, à réprimer. Cela n’est pas nouveau, bien au contraire : l’origine mythique de la psychanalyse en témoigne déjà. La sexualité infantile, refusée par son époque, pousse Freud à défendre le refoulé. L’Œdipe tellement décrié est ramené au cœur de chaque névrosé. Il n’y a plus d’Œdipe ? Mais de quel Œdipe parle-t-on ? Celui de Freud est une formulation aux fonctions de mythe pour rendre compte de la dimension transférentielle en jeu dans une analyse. En effet : comment se déploient les pôles paternel et maternel dans le transfert ? Cette formulation garde donc son actualité. À condition de l’actualiser ! Nous

aurons l’occasion de reprendre ces questions dans le séminaire de Jean-Richard Freymann du vendredi Traumatismes – Fantasmes – Mythes.

Nous avons pu lire dans les Éphémérides précédents que les manifestations névrotiques restent actives. La névrose pousse l’analysant à dire malgré lui et pousse l’analyste au travail. Quand l’ambiance prend une autre tournure, le discours névrotique également. Souvent il se précise dans le sens d’une rainure névrotique jusque-là soit exploitée soit inexploitée. L’état névrotique déstabilisé par le changement ne disparaît pas pour autant. Bien au contraire, il résiste. Entendons là l’équivocité de ce terme ! Si l’expression névrotique résiste à l’injonction de conformité et de normalité statistiques c’est-à-dire d’inexistence désirante, elle résiste également à changer de forme. La névrose persévère dans son être, pourrions-nous dire en paraphrasant Spinoza. Elle cherche à maintenir un état. Et non un devenir. Elle tient tellement à ce qui a fait un temps solution qu’elle le fige. L’état névrotique présente ces deux faces : hystérique d’une part qui pointe l’endroit où l’autorité vire à l’autoritaire, et obsessionnelle de l’autre qui tend à la préservation du moi.

Les manifestations névrotiques se jouent sur scène. La mise en scène est création et répétition. À l’instar du jeu de l’enfant qui d’abord innove puis exige un rituel répétitif, l’expression névrotique contient en elle-même son enfermement et sa libération. L’analyse explore et exploite ce potentiel. La mise en scène est également création d’une répétition. Le texte reste le même, mais son énonciation varie. Et lorsque l’énonciation rencontre l’oreille d’un analyste, la scène pourra se dédoubler et se répéter transférentiellement sur une autre scène. Se répéter non pas à l’identique mais avec le déplacement qu’est le transfert. Ici se rejouera le Mythe individuel du névrosé. L’analysant est représenté par l’ensemble des protagonistes. Tout comme dans le rêve, l’individu emprunte un rôle distingué, mais le sujet du rêve navigue entre les différentes apparitions. L’analyste souligne la structure qui les lie. Cette structure faite de ponts éphémères entre les signifiants est éminemment symbolique en tant qu’elle les « lie ensemble ». La liaison, si elle contient la force du verbe, porte également la fragilité du souffle d’où il provient. Ainsi, c’est l’énigmatique auteur de cette Bejahung qui est sans cesse appelé par le sujet. Cette demande s’adresse au désir de cet Autre. C’est à travers le silence qu’il rencontrera à cet endroit que l’analysant pourra percevoir que ce désir de l’Autre se confond avec son désir dans sa dimension mystérieuse.

Le transfert en mettant en scène un scénario fantasmatique répétitif pourra l’épuiser et cela par la dimension cathartique que ce lieu permet. La catharsis est ici à opposer à une « prise de conscience », une intellectualisation d’une interprétation. Elle est plutôt signe de l’éveil d’un affect jusqu’alors refusé. Pour le dire autrement la catharsis est effet d’un écho du signifiant avec son signifié.

Nos névrosés des temps modernes pointent déjà, à travers les manifestations de l’inconscient, des effets de l’éphémère période que nous traversons. Si celle-ci n’est pas productrice de névrose – il est trop tôt pour mesurer ses effets plus durables, la clinique des enfants nous enseignera probablement dans les temps à venir sur ce point – elle engendre une relance des associations et une nouvelle catharsis. À condition que les oreilles des analystes restent ouvertes. Les Éphémérides en sont autant de témoignages.

Covid-19… Farce tragique, mythe fantasmatique traumatisant ?

« Et l’humain alors apparaît comme étant ce qui reste, quelque peu en lambeaux, de l’arachnéen traversé par cette espèce de météorite aveugle qu’est la conscience »1.

Homme de réseau. Fernand Deligny se présente ainsi. Le réseau n’étant pas de projet mais de tissage, à l’instar de l’araignée qu’il aimait appeler de son nom ancien aragne. Car à partir du moment où la pensée d’un projet survient un faire advient qui tue dans l’œuf ou la toile tout procès de tissage. Pensée en contre-point de la psychanalyse. En contre-point seulement, pas opposition.

Éphéméride… Le mot évoque le rendez-vous suivant ? Ou le dernier ? Il me ramène au calendrier de l’Avant, chrétien, où l’on ouvrait chaque jour dans le mois qui précède la fête de la naissance du petit Jésus une petite porte qui faisait apparaître le numéro du jour et cela jusqu’Au jour de la libération des jouissances, angoisses et insatisfactions tant attendues. Se sentir plus aimé, moins aimé que les autres ? Mal aimé, toujours ! Ce texte ou un autre appartiendra-t-il à l’éphéméride de l’Avant de la Fédépsy ? De l’après ? Celui d’avant la fin de l’humain ? L’humanité, terrassée par un petit virus qui permet aux grandes institutions du monde de nous jouer une farce-tragique ?

Entre autres troué de pratiques religieuses diverses, j’aime un sermon très ancien de Pâques à propos du serviteur de la dernière heure, la 11ème. Il y en a douze ! « Que le premier qui a jeûné dès la première heure s’approche il sera récompensé de son engagement, que le second, etc. » Puis conclusion, « que celui qui a jeûné depuis la 11ème heure s’approche aussi, il sera accueilli. » Dont acte !

À lire les textes des éphémérides 1-2-3 qui deviennent plus nombreux de semaines en semaines, une foule de sentiments et thèmes (re)naissent. Repérages, réflexions, actions ! Force est de constater comme le souligne F. Deligny, qu’en toutes circonstances contraignantes, de crises, de guerres, de diktats plus ou moins fantasmatiques mais tout de même réelles, des réseaux comme par inadvertance se trament et disparaissent ou se métamorphosent aussi vite qu’ils sont apparus.

La Fedepsy est une triple institution mais c’est aussi un réseau. Les éphémérides semblent signifier un effet de toile qui réjouit. Chacun s’exprime avec plus ou moins de distance apparente avec lui-même, de ravissement ou de sérieux. Lisez-vous ? Rêvez-vous ? Angoissez- vous ? Aimez-vous ? Haïssez-vous ? Sidérez-vous ? Écoutez-vous ? Que de joyeuses questions ! Je-moi se-me réveille.

La Lozère est le (seul ?) département sans déploration de morts ? Quelques cas de malades en réanimation. L’Intérieur déclare habituellement par an une cinquantaine de voitures volées… Singulier pays ! La nature semble comblée par le silence des activités humaines. Un chant inédit d’oiseaux par milliers survient à l’aube. La plupart de nos grands enfants sont près de nous. Les artisans, paysans, magasiniers de nourriture, médecins fonctionnent. Loin du front, ce doux printemps éveille un ravissement singulier chez les vieilles dames.

Les questions qui se sont posées d’abord tournaient bien autour de la mort, des morts déjà annoncés. « Mais alors beaucoup d’entre nous vont-ils mourir ? Mais en fait, j’ai peur de mourir ? » Puis très vite, la vacuité de la vie s’est appesantie dans nos jours qui ressemblent pour la plupart des gens qui m’entourent à de très grandes vacances dont l’angoisse ne réside pas dans la reprise mais dans le « y-aura-t-il reprise ? », « Comment vais-je gagner ma vie ? », « À quoi sert d’étudier ?»…

Si le mot sidération m’est très proche, cette pandémie n’évoque pas en tant que telle, massivement, une sidération ou un effet de. Je ne parle pas des ressentis ou expériences singulières des milliards de personnes qui sont dans l’océan de cette farce tragi-comique selon la manière dont on la considère et dont on la vit.

Je m’explique ou tente de le faire. J’associe la sidération à l’effroi. L’arrêt soudain du corps, de la pensée, du désir, de l’autoconservation, de l’agir. Si je m’en tiens à la différence entre peur, angoisse et effroi, dont Freud se sert tout au long de son œuvre mais surtout dans le Jenseits2, c’est le dernier terme qu’il associe à la notion, la clinique et l’apparition dans des formes inédites de la guerre 14-18, au traumatisme. Et derrière l’effroi, il pointe l’effet de surprise.

Ce n’est pas le risque de mort ou blessure de soi-même soldat à la guerre qui ferait traumatisme, c’est le fait qui ne peut s’imaginer que c’est l’ami compagnon d’armes qui a perdu la vie au lieu de soi-même. Ce n’est évidemment pas sans dégât psychique si l’imaginable arrive ! La question devient alors, comment nommer ce dégât ?

Le covid 19 serait-il le 19ème dans une série(-télé) imaginable ? Nous avons vécu la naissance de trois chatons tout à fait délicieux qu’une dame dans son humour singulier proposait d’appeler coco, roro et nana. La maisonnée s’y est heureusement opposée. Cela les aurait-il traumatisés ?

Nous vivons avec des outils tout-à-fait inédit de virtualité fantasmatique qui depuis disons vingt ans connaissent une accélération sans décélération qui non pas effraient mais soûlent, au sens alcoolique, toxicomaniaque du terme. Non pas dans leur capacité finalement très limitée de se projeter dans l’imaginaire mais dans leur propension à nous rendre esclave d’outils qui, chacun le répète à l’envi, ne cesse de combler la possibilité d’un manque qui, lui, nous effraie.

Lacan en 74, dans une séance du séminaire Encore, pointe avec sa finesse « perfide », l’allégeance presque totale de son auditoire aux machines alors qu’il n’avait guère à sa disposition à l’époque que des machines à laver, des voitures et des téléphones fixes, absents encore dans de nombreuses foyers de campagnes. Tout le cinéma des américains, entre autres mais ils sont très forts dans le domaine et particulièrement depuis les années soixante-dix où on jouissait et on s’ennuyait ferme, n’a cessé de nous abreuver de catastrophes, de pandémies, de fins du monde, de récits survivalistes. Et ce n’est pas fini. Quelques lettrés ouvrent Albert Camus ou William Defoe.

Cette pandémie n’a pas eu sur moi d’effet de surprise. Cependant, je n’ai pas pu imaginer ni comprendre qu’un jeune homme de vingt-deux ans soit parti de Paris pour Marseille, le vendredi précédant le confinement, sans sa carte bleue, pour finalement arriver jusqu’à notre maison le lundi soir en disant « Mais cher oncle, je n’ai pas du tout imaginé que ce serait à ce point ! ».

Six mois avec lui me suis-je écrié intérieurement ! Pas pu comprendre si ce n’est accepter dans un premier temps la distance qu’il y avait en lui entre une certaine intelligence vive du monde et sa conscience de la possible disparition de sa liberté dans ce même monde, et apprécié comme j’ai pu les détours de son inconscient qui lui offrit « malgré lui » un mouvement de retrait vers un lieu de confinement privilégié.

J’ai montré une tension traumatisée par sa présence surprise par trop infantile et agitée révélant une incompréhension — une sidération refoulée ? — du sérieux de la situation. Ai-je été traumatisé ? L’ai-je traumatisé ? Je l’ai senti à la gare lorsque je le ramenai pour qu’il

rejoigne son foyer parisien après trois semaines de confinement, léger, dégagé, reconnaissant avec moi.

Traits de coloration pour cet essai de tissage dans les ateliers de la fédération. Questions- réponses comme dirait Martin Roth ? Où la réponse est, ou est dans (aidant), la question ?

En quoi cela aide-t-il ?

Qu’en est-il de l’humain qui est poussé à grandir d’un coup, franchir quelques barreaux d’échelles sur le chemin de la maturité et qui ne percute pas assez vite à mon goût ? Saines ou dangereuses résistances ?

Siderare : origine latine, sans étoile. Deux manières de voir, au moins. Sentiment de désarroi profond, d’abandon, nostalgique détresse, impuissance, hilflosichkeit ; origine du mot désir, pas d’étoile dans le ciel, pas d’étoile du berger, pas de destin, il s’agit avec courage et avec joie de tenter de mettre des étoiles dans son ciel. Encore faut-il le pouvoir, le vouloir ?

Quel est le sens de ce coup du sort, de ce jet de dés imprudent qui permet massivement, de façon absolument inédite quant à son étendue, la contention des corps, de leur nourriture, de leur pensée même ? Farce insigne des gouvernements et leur pseudo-technicité ? Bricolage héroïque et concret du corps médical ? Signe d’une transformation intérieure massive ? Ou de tragédie meurtrière, toujours latente en l’homme, perdu et rageant dans le langage universel de la présence-absence ?

La sidération apparait-elle venir du virus ou de l’obéissance aveugle et peureuse dans laquelle 4,5 milliards d’individus cheminent comme ils peuvent ?

Nachträglich… Est-ce l’après-coup qui va devenir effrayant et qui est signe avant- coureur d’effroi ?

Sommes-nous mort ou vif ? Sommes-nous tout court ?

Tissons, tissons, en attendant de vider ou remplacer inlassablement « les manteaux du bric-à-brac du magasin d’accessoires du moi »3.

1 Dans Arachnéen et aux textes, Fernand Deligny, édition l’Arachnéen, juillet-septembre 2008.

2 S. Freud, Jenseits des Lustprincips ou Au-delà du principe de plaisir, 1915-20.

3 J. Lacan, Séminaire III, Le moi dans la théorie de Freud et la psychanalyse, 1954-55.

Des temps de rencontre déconfinés

L’après confinement se dessine (voir « Carnaval » de Marie-France Schäfer) alors que nous ne savons ni quand, ni comment ni pour combien de temps.

Pour nous aider à parer à de telles incertitudes, l’art est là. Quand nous ne pouvons pas sortir de chez nous, nous pouvons néanmoins nous déplacer. C’est ainsi que j’ai pu visiter Grenade (Grenade, mes amours de Marie-Noëlle Wucher). Mon regard s’est posé sur ces paysages d’ailleurs dont l’évocation convoque non seulement le regard mais aussi l’écoute et le parfum.

La question du regard, regarder les œuvres artistiques, regarder les scènes prestidigitées, dans leurs textures multiples et colorées. La question du regard aussi par rapport à notre pratique actuelle. Marcel Ritter l’évoque dans l’Éphéméride 1. « Mais qu’est-ce qu’on voit au juste » se demande, nous demande Guillaume Riedlin, face aux flux d’images relatives à la pandémie.

Les séances par téléphone privent l’analyste et l’analysant de l’image du corps de l’autre. Alors que le regard quand la séance a lieu en présence de l’autre va se fermer de manière intermittente, les séances téléphoniques nous privent de l’instant du regard qui nous transmet la posture, l’habillement, la démarche des patients.

« Il n’y a rien de plus grave au monde que d’être aveugle à Grenade ». Cette citation de Lorca pose la question de la perte, de la privation du monde visuel ou même de la simple incapacité à ouvrir les yeux et prendre la mesure de la beauté du paysage.

Cependant, dans notre clinique actuelle il nous reste nos oreilles ! Des débuts de séances un peu tâtonnants sans les indices visuels. Qui se déroulent par la suite en confirmant les possibilités de la relation symbolique.

Une visite virtuelle au Palais de la Porte dorée permet une petite échappée à Paris ainsi que la découverte d’une installation multimédia, La Zon-Mai. Cette installation a été créée il y a plusieurs années par un danseur et chorégraphe, Sidi Larbi Cherkaoui et un photographe vidéaste Gilles Delmas. Cependant elle aborde de manière unheimlich certains thèmes auxquels nous sommes confrontés actuellement. La Zon-Mai, maison apparemment enfermée sur elle- même, pose la question du possible du chez soi. Elle est éclairée de part et d’autre d’images mouvantes, changeantes, de danseurs qui dansent chez eux, dans l’intimité de leurs maisons. Les artistes ont souhaité explorer les thèmes de l’altérité, de l’identité, de la diversité et du territoire. Dans l’après-coup, le confinement se trouve et dans l’installation elle-même, maison sans portes ni fenêtres, ainsi que dans les performances filmées des danseurs, dansant seuls et dans l’espace offert par leur logement. Le confinement et les séparations créent l’œuvre.

Création, poésie, psychanalyse. Cyrielle Weisgerber interroge les liens entre la poésie et la psychanalyse. La poésie s’impose à celui qui va l’écrire. Sa forme brouillonne, sa musicalité, ses métaphores et métonymies. Autant de formations de l’inconscient faisant surface et pouvant faire l’objet de remaniements successifs. Le travail du rêve en analyse y ressemble. Alors que le poète écrit seul, et sera lu dans un deuxième temps, le rêve se métamorphose dans le récit et par l’écoute, mouvement à deux sens.

Qu’en est-il du dire quand il ne s’agit pas de rêves dans les séances ? L’écoute, au-delà du sens, passant par les rythmes, pauses, silences, répétition, insistance, qui ouvre à des vérités insues. Et, plus audible par les temps qui courent, que dire du souffle ?

Coda : je reviens au Palais de la Porte dorée. Toutes les heures La Zon-Mai est mise en lumière par des chorégraphies variées, dansées par des danseurs sur place et en présence du public.

À quand l’après-confinement ?

Valete et plaudite. Portez-vous bien et applaudissez !

40ème jour de confinement, les chiffres continuent de s’égrener…. inlassablement ? Chacun explore son rapport au temps, à la solitude, au flou de la frontière entre pensées normales et pathologiques… Combien ont témoigné de l’étrangeté à certains moments de leurs pensées, de leurs ressentis…voire de leurs actes en ces temps confinés… À l’heure des discussions préparatoires à… quoi… au « déconfinement » ? … les débats reprennent de plus belle ; les dissensions, les divisions, les ambivalences sont perceptibles à plein jour (l’école, les vacances d’été, les restaurants et les bars…). C’est à croire qu’on se trouve plus disposé à accepter l’idée du confinement que celle de sa « levée ».

Persistent des applaudissements à 20h. Qu’est-ce qui pousse les gens à applaudir à 20h, à interrompre leur activité pour se mettre aux fenêtres, aux balcons, pour descendre dans la rue… à interrompre l’apéritif, décaler son dîner, retarder le journal du soir… retarder même l’heure de la traditionnelle d’allocution ?

L’idée avait émergé très vite et s’est propagée aussi vite que le permettent aujourd’hui les réseaux sociaux, applaudir les soignants, et bien d’autres aussi, pour les remercier, les encourager, leur témoigner notre reconnaissance et leur rendre hommage.

Mais un applaudissement qu’est-ce ?

C’est un geste bien familier, auquel on se prête très souvent, après un spectacle, pour une épreuve sportive, après une prestation ou à la fin d’un discours, en signe d’approbation, d’appréciation ou de reconnaissance… C’est un geste très ancien, que le tout petit ébauche déjà avec jubilation… C’est bien souvent une invitation à un mouvement collectif, telle qu’elle se pratiquait au théâtre de l’Antiquité grecque et romaine, où le public était invité à applaudir par solidarité avec les comédiens à la fin de la pièce d’un tonitruant: « Valete et plaudite » – allez bien et applaudissez – ou « Vos valete, et plaudite, cives » – portez-vous bien et applaudissez, citoyens.

Cette affaire fait couler de l’encre, politique, du fait de nos hôpitaux exsangues, mais ce sont quelques réflexions d’un autre ordre que je propose de dérouler ici, un peu librement, comme nous le propose cet espace des Ephémérides.

Qu’évoquent ces applaudissements aux fenêtres ?

L’ambivalence,

Lors de l’instauration du confinement et alors même que ce mouvement de reconnaissance émergeait, en plusieurs lieux, des soignants étaient renvoyés de leur logement, priés de déménager, car considérés comme vecteurs de contagion ; des cabinets médicaux au sein d’immeubles étaient priés de ne plus recevoir de malades.
Par les méandres des associations, cela m’évoque Winnicott et ses énumérations des raisons qu’a une mère d’être ambivalente à l’égard de son bébé.1

Le rituel,

L’insistance de ces applaudissements depuis plusieurs semaines évoque un besoin de repère, de régularité, quelque chose qui vienne scander la fin de la journée, comme autrefois les cloches ramenaient les paysans des champs… Un penchant à la routine tout comme quelque chose venant rythmer la routine.

La fenêtre,

Quand on est enfermé, un aperçu de l’extérieur prend une importance presque vitale… un point de mire, un horizon, une ligne d’évasion.
Souvenez-vous de Bartleby, l’étrange scribe dont la fenêtre de bureau donnait sur un mur… et dont l’existence s’achève dans une sombre cour de prison au pied d’un mur2.
D’un autre point de vue, la façade de l’immeuble d’en face, fenêtres, lumières, silhouettes, attisent curiosité et désir… La vie des autres…3

Le mouvement,

L’applaudissement, c’est la mise en jeu du corps, c’est une traversée, qui réveille, qui désengourdit, qui stimule et convoque, mémoire du corps, réjouissance, c’est toute la mémoire du corps qui se met en mouvement, convoquant joie, sourire, jubilation, c’est le mouvement après l’engourdissement, c’est la percussion, la vibration qui rompt l’immobilité, la sonorité qui rompt le silence.

Les retrouvailles,

On n’applaudit pas seul…. on n’applaudit pas seulement celui sur scène, celui qui parle, ceux en course. Est ce qu’on s’applaudit soi-même en applaudissant l’autre (le spectateur, le témoin que l’on a été) ? Est ce qu’on applaudit son voisin (compagnon de galère ou complice du moment partagé) ? S’agit –il de rompre la distance, le fameux 4ème mur au théâtre entre le public et la scène ?4 … L’envie d’être avec l’autre, l’envie de présence.
Cette idée des retrouvailles, du partage, de la recherche de traits d’union, en contrepoint de la mal nommée « distanciation sociale », insiste… Une simple balade ce soir dans quelques rues sur les coups de 20 heures l’illustre. Ici, une adolescente déclenche chaque soir le mouvement d’un coup de clairon et dorénavant c’est tout le voisinage qui guette ce signal. Plus loin, la circulation inexistante laisse place aux sonorités d’un métallophone qui portent loin, un homme a installé son instrument sur son balcon, voisins et passants approuvent ses improvisations. Ailleurs, un solo de saxophone prolonge l’instant.

Quelque chose de l’ordre de la pulsion de vie et de l’intrication des pulsions.

1 D.W Winnicott, « La haine dans le contre-transfert » (1947), dans De la pédiatrie à la psychanalyse, Éditions Payot.

2 H. Melville, Bartleby le scribe, Éditions Gallimard, 1986.

3 La Vie des autres, film réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck, 2006.

4 S. Chalandon, Le quatrième mur, Éditions Grasset, 2013.

De quoi sommes-nous l’objet ?

« La relation éventuelle de la fonction respiratoire avec ce dont il s’agit, le moment fécond de la relation sexuelle, c’est que cette respiration, sous la forme du halètement paternel ou maternel, faisait bien partie de la première étiologie de la scène traumatique, au point d’entrer tout à fait légitimement dans la sphère de ce qui pouvait surgir pour l’enfant de la théorie sexuelle »
                      J. Lacan, L’angoisse, 1962-1963, Paris, Le Seuil.

De quoi sommes-nous l’objet ? De lecture ? De création ? De désir ? Puisse-t’on être un peu objet d’optimisme, de vie, du souffle de vie, du second souffle qu’il semble que le discours veuille nous proposer. Il pointe une odeur de renouveau dans l’ambiance actuelle entre respect et révolte. Ce discours ambiant nous place en position d’être son objet, qu’est-ce que cela signifie ?

La notion d’objet est à appréhender sur au moins trois plans1. L’objet est déjà l’objet de la pulsion renvoyant à la satisfaction, de l’impossible satisfaction du fantasme jusqu’au fait de jouir de celui-ci au sens du juridique, c’est la grammaire de l’avoir. Il est aussi, l’objet d’amour, dans une position qui est celle de la constitution, non du sujet, mais du Moi, ouvrant aux problématiques narcissiques et de la grammaire du verbe être en ce sens que notre existence dépendrait d’un rapport mœbien à l’autre. Enfin, toujours selon cette définition, l’objet est aussi cette notion qui traverse les champs du savoir, collectif ou individuel, objet de la sociologie, de la science, de la philosophie où s’articulent alors l’être et l’avoir, comme étant le représentant de quelque chose, introduisant déjà notre rapport au A et permettant les mécanismes identificatoires, seule position objectale post-œdipienne.

À être l’objet du discours actuel, chacun se targue de pouvoir se prononcer sur ce qui nous motiverait fondamentalement, du respect des mesures à leur transgression, « les gens », « les français », « les chinois », « les américains » et que sais-je encore.

À être l’objet du discours on est renvoyé, subjectivement, à toutes les occurrences de l’objet. Le discours jouit de construire notre subjectivité, au sens du collectif, nous renvoyant à la question de la légende comme nous en avions proposé un avant-gout dans le numéro précédent de l’éphéméride2. Il construit, ou pense construire, nos positions amoureuses, organise notre rapport au sacrifice du sujet pour tous, et enfin nous renvoie au destin, dans l’illusion d’un destin qui serait collectif, l’humanité, au défaut de la place que le sujet pourrait s’y frayer.

Ces injonctions, contraintes, satisfactions qu’engendrent pour nous le fait d’être l’objet du discours ambiant se nouent difficilement dans un discours manifeste, il est aisé de le constater. Il n’y aurait qu’une forme de nouage qui pourrait soutenir tout cela, au sens du sujet, c’est le nouage borroméen. À chacun le rond de ficelle qui tiendra la structure du nœud alors que l’ambiance est à provoquer son tiraillement majorant ses tensions entre Réel, Symbolique et Imaginaire.

Une éthique du sujet poserait cette condition, qu’il n’y a de destin collectif que dans le sens d’un positionnement subjectif propre, qui lui ne renvoie pas au bien commun, mais renvoie à la question désirante. S’il est question maintenant d’un second souffle, c’est dans la perspective du sujet.

Sur le plan clinique, il y a l’émergence, dans ce contexte, d’une tension borroméenne qui permet parfois au sujet d’en entendre un peu plus sur le rond de ficelle qui tient sa structure. Nous avons pu repérer l’apparition, au sein du transfert, de levée de refoulement, de moment d’énonciation se situant au plus près de l’existence même du sujet, c’est-à-dire au plus près de ce qu’il y aurait de fondamental pour lui. Où se situe le désir dans ce constat ? Au moins du côté de l’analyste, le rond de ficelle étant adésirant, pour le reste ce sera l’objet, cette fois-ci, de la question que nous avons encore à nous poser, dans le second souffle d’une vie qui va reprendre et que, à la manière de la citation de J. Lacan, nous pourrions retravailler du côté de la fonction respiratoire dans la relation sexuelle. Voilà la belle à-faire !

Suivez-nous sur les réseaux sociaux