Intervention de Claude Ottmann dans le cadre du séminaire « Les abords de Lacan » animé par Marc Lévy et Amine Souirji autour de la lecture de : Jacques Lacan, Le séminaire livre VII (1959-1960), L’éthique de la psychanalyse.
« C’est à partir de ce signifiant façonné qu’est le vase, que le vide et le plein entrent comme tels dans le monde, ni plus ni moins, et avec le même sens1. »
Fable
Le manque irrémédiable et indicible de la Chose ne cesse pas de ne pas s’écrire. L’homme s’est fait potier, peintre, architecte et poète pour approcher et serrer au plus près la place, le vide laissé par la Chose. Et c’est ainsi que dès la première création du vide cerné par l’enveloppe matérielle d’un vase, le signifiant apparaît sous la forme visible et durable d’une écriture laissée par le potier sur son œuvre. L’accumulation d’un trésor de plusieurs signifiants au lieu de l’Autre, leurs nombreuses combinaisons en chaînes, devenues elles aussi signifiantes, et l’émergence d’une grammaire avaient déjà précédé l’avènement du langage humain. L’arrimage (plus tard Lacan dira le nouage) par l’entremise du corps de l’ordre nouveau du signifiant, le Symbolique, à ceux déjà existants de l’Imaginaire et du Réel produit le parlêtre, le sujet divisé. Le tribut exigé par l’Autre pour cette création (la bourse ou la vie !) est à la fois amputation d’une livre de chair (une perte de naturalité) et soumission à la loi du signifiant devenue loi des communautés humaines (voir Le malaise dans la civilisation).
C’est à Freud que nous devons d’entrevoir une profondeur longtemps déniée au royaume du signifiant, ces immenses terres inconscientes où la logique du signifiant façonne et anime ses créatures à leur insu : le désir de l’homme c’est le désir de l’Autre.
C’est à Freud aussi que nous devons d’entrevoir les similitudes structurelles, par exemple quand il propose de voir les structures psychiques que sont l’hystérie, la névrose obsessionnelle et la paranoïa comme les caricatures (Zerrbild) des activités sociales valorisées que sont les arts, la religion et la recherche, philosophique ou scientifique2. Caricatures en ce sens que toutes trois sont de fait asociales, car fondées sur le déni d’une partie de la réalité collective.
Rappel
[163] Dans la leçon précédente Lacan a posé l’apparition de l’anamorphose à la fin du XVIe siècle comme une remise en question de l’art de la perspective qui produit l’illusion du volume : il s’agit de ne pas se distraire dans la satisfaction de cette illusion et de revenir à la quête première : la signification du vide laissé par la Chose. C’est donc par le signifiant que la Chose peut le mieux s’approcher, d’où le choix de la poésie de l’amour courtois pour étudier un cas de sublimation par l’art, un cas de célébration collective de la Chose. « C’est tout ce qui rend et ce qui redonne éminemment la primauté au domaine, comme tel, du langage, où là nous n’avons affaire en tous les cas, et bel et bien, qu’au signifiant. C’est ce qui rend sa primauté – dans l’ordre des arts, pour tout dire – à la poésie. C’est bien pourquoi, pour aborder ces problèmes des rapports de l’art à la sublimation, je vais partir de l’amour courtois3. » (145)
Altamira, découverte de la première caverne décorée en 1879
Stupeur ! Il y a 17 000 ans, ils ont rampé dans la grotte d’Altamira, se sont éclairés avec la précieuse et fumeuse huile animale, puis ont peint et repeint des animaux et des hommes sur les parois inégales. Épreuves d’artistes certes, mais surtout témoins d’une recherche car ces dessins se superposent dans une succession chronologique que l’on peut lire comme la trace d’une pensée en marche. Epreuves aussi (au sens d’action d’éprouver cette fois) d’un groupe humain primitif dont la subsistance (la persistance) est conditionnée par l’existence d’un lieu et d’un rite qui relient chacun de ses membres, c’est-à-dire l’existence d’une fonction religieuse. Mais c’est « au-delà du sacré » que Lacan nous indique la place de la Chose. Si plus tard4 ils se feront potiers pour représenter le vide, là c’est le creux naturel de la grotte qu’ils ont utilisé pour accueillir l’activité symbolique naissante qui « consiste à fixer l’habitant invisible dans la cavité5 ».
L’anamorphose, une embrouille signifiante
Approché en tant qu’habitant invisible de la grotte, puis du vase, puis du temple, le vide se fait ensuite représenter sur les parois des temples et sur des toiles par les peintres maîtrisant la perspective. Mais l’œil géométral qui permet dès le XIVe siècle de « rendre les volumes » se perfectionne à un point tel qu’il se détourne de sa fonction première : « l’illusion de l’espace est autre chose que la création du vide ». La fonction première de l’art c’est toujours, d’après Lacan, de cerner la Chose et non le vide que laisse sa disparition, même si le manque qui résulte de sa perte est tout ce qui nous en reste. L’embrouille de l’anamorphose est le signal pour un retour à l’évocation de la Chose : en s’opposant à l’œil comme un garde-fou, le codage anamorphique le préserve de la lecture triviale. « L’anamorphose est un rébus, un monstre, un prodige […] Elle est un subterfuge optique où l’apparent éclipse le réel6. » C’est par la révélation d’une image qui semble surgir de nulle part, une image sans objet visible que l’anamorphose nous suggère que l’objet réel de l’œuvre peinte (la Chose) est lui aussi caché et que ce n’est que par une illusion spéculaire (le fantasme) que nous pourrons l’approcher. Lacan compare le dispositif d’anamorphose cylindrique placé devant lui à une seringue aspirant le sang dans le Graal qui justement « n’en contient pas vraiment ». Les crises artistiques ne devraient pas être interprétées comme des événements historiques de l’art (le terme d’histoire de l’art est ce qu’il y a de plus captieux, dit Lacan, car dans l’histoire de l’art il n’y a que substructure) mais, tout comme les crises du langage ou des discours, comme des symptômes d’un impossible, des symptômes d’une rencontre avec le réel en tant qu’obstacle qui refuse de céder. « Chaque émergence de ce mode d’opérer consiste toujours à renverser l’opération illusoire, pour retourner vers la fin première, qui est de projeter une réalité qui n’est pas celle de l’objet représenté7. » C’est pourquoi l’artiste forçant une nouvelle voie est toujours un contradicteur dans son époque. « C’est contre les normes et les schèmes régnants, politiques par exemple, voire les schèmes de pensée, c’est en quelque sorte à contre-courant que l’art, toujours, essaie de ré-opérer son miracle8. » Alors, à quelle crise répond cette autre contestation artistique, cette forme de sublimation surgie dans la poésie, qu’est l’amour courtois ? Quel est l’impossible que contient le mythe œdipien promu par Freud ? Dans la leçon du 16 décembre 1959 Lacan a soutenu que l’expérience freudienne a été une révolution de pensée pour le domaine de l’éthique. En exhibant le principe de plaisir Freud nous signifie « qu’il n’y a pas de Souverain Bien [l’éthique d’Aristote], que le Souverain Bien, qui est das Ding, qui est la mère, l’objet de l’inceste, est un bien interdit, et qu’il n’y a pas d’autre bien. Tel est le fondement, renversé chez Freud de la loi morale9 ».
En passant par Moïse et le monothéisme
L’avènement de la fonction paternelle comme structurante est homologuée par Freud à une sublimation. « Formellement, il fait intervenir le recours structurant à la puissance paternelle comme une sublimation10. » C’est sous le règne de l’imaginaire que l’engendrement est le fait de la mère. C’est faire preuve d’abstraction, d’un progrès de spiritualité que d’accéder à la fonction paternelle symbolique, invisible, à ne pas confondre avec la fonction de chef. Le passage de l’imaginaire au symbolique, de l’organique au spirituel, se soutient du mythe moderne introduit par Freud (le meurtre du chef de la horde primitive) qui lui-même s’inscrit dans la réalité spirituelle du XXe siècle, à savoir la mort de Dieu. C’est la dimension collective de l’acte reliant les meurtriers du chef en une filiation fraternelle symbolique et effective, qui fonde la civilisation. Déjà, inspiré par la clinique du névrosé, Freud avait « bondi sur le plan d’une création poétique », choisie pour son dire – le drame d’Œdipe – et pour sa place dans l’histoire culturelle – le siècle de Périclès – conférant ainsi à la tragédie œdipienne sa fonction de mythe. Le mythe, en tant que mythe n’explique rien, il est une organisation signifiante « qui s’articule pour supporter les antinomies de certains rapports psychiques ». Le niveau dans lequel il s’articule n’est ni l’individuel ni le collectif, mais l’ensemble des deux car cela concerne à la fois le sujet en tant qu’il a à pâtir du signifiant (être élevé à la dignité de parlant se paie par l’aliénation, la chute du paradis) et la collectivité qui assume le meurtre et la dévoration du père pour entrer en civilisation. Pâtir du signifiant est justement ce malaise dans la civilisation qui semble provenir d’un emballement, d’un déchaînement de la fonction régulatrice nommée surmoi par Freud. Ce dernier observe que, malgré les dérèglements dus à la tyrannie du surmoi, les pulsions parviennent à se faire sublimation (notons que Lacan utilise ici le terme de tendance, une traduction préférable à celle de pulsion pour Trieb et Strebung). « Comme je vous l’ai dit, la Chose est ce qui du réel pâtit de ce rapport fondamental, initial, qui engage l’homme dans les voies du signifiant, du fait même qu’il est soumis à ce que Freud appelle le principe du plaisir, et dont il est clair, je l’espère, dans votre esprit, que ce n’est pas autre chose que la dominance du signifiant11… »
La sublimation selon Bernfeld (Imago VIII)
Une critique sévère par Lacan de « tout ce qui a été dit jusqu’ici dans l’analyse sur la sublimation » et en particulier de l’article de Siegfried Bernfeld12. Sa théorie jugée naïve réduit la sublimation au détournement de la fraction pulsionnelle qui peut être mise au service du moi pour la satisfaction des Ichziele, les buts du moi. Selon cette théorie, l’enfant Robert Wagner aurait écrit la poésie car il y avait en lui le but inconditionné (Ichziel) d’être poète, alors que « Freud fait remarquer que l’artiste, après avoir opéré sur le plan de la sublimation, se trouve bénéficiaire de son opération pour autant qu’elle est reconnue par la suite, recueillant précisément sous forme de gloire, honneur, voire argent, les satisfactions fantasmatiques qui étaient au principe de la tendance, laquelle se trouve ainsi se satisfaire par la voie de la sublimation13 ». La gloire de l’artiste n’est qu’un bénéfice secondaire et différé qui peut venir en plus comme… la « guérison » après une analyse. La motivation première réside dans la sensibilité d’une personnalité aux attentes sociales, au consensus social en tant que structure, c’est-à-dire à une morale. Si une personnalité est jugée éminente (voir le jugement de Bernfeld sur l’enfant Wagner), c’est parce qu’elle avait déjà pris le chemin (la structure ?) de la sublimation, la fixation sur une forme particulière étant contingente.
L’amour courtois
L’amour courtois devenu un idéal en France et en Allemagne du XIe au XIIIe siècle pour une petite partie de la société (les cercles de cour, les nobles) est un exemple de consensus social ayant produit des effets jusqu’à nos jours et dont les plus anciennes manifestations visibles sont les traces laissées dans l’œuvre des trouvères, troubadours et Minnesänger. Il semble qu’à cette époque, en plus de « toute une série de comportements, de loyautés, de mesures, de services, d’exemplarité de la conduite », des joutes d’amour courtois étaient arbitrées par des Dames, des jeux probablement codifiés vu que, aux signifiants près qui sont ceux des langues vulgaires locales, « c’est du même système qu’il s’agit ». Une scolastique de l’amour malheureux – le deuil en est le premier terme – qui surgit paradoxalement à l’époque féodale des alliances maritales dans lesquelles la femme « est à proprement parler ce que les structures élémentaires montrent – les structures élémentaires de la parenté – c’est-à-dire un corrélatif des fonctions d’échange social, un support d’un certain nombre de biens et de signes de puissance14 ». (176)
[177] Le phénomène se manifeste également par d’étranges conversions de bandits nobles en poètes transis d’amour : de l’avis de tous les historiens, l’amour courtois était un exercice poétique maniant certains thèmes imposés, sans concrétisation dans des actes. [178] A l’inverse, malgré les apparences, aucune parenté avec une mystique chrétienne, hindoue, tibétaine ou musulmane n’a fait consensus chez les historiens.
Le regard sur la structure
Fait surprenant, les idéaux véhiculés par cet art nouveau qui ne pouvaient « avoir aucun répondant concret réel » à l’époque féodale ont traversé les âges, et leurs signifiants en tant que tels, par exemple celui de Dame, ont infusé la relation amoureuse jusqu’à nos jours. A quel fin ? La fonction de cette création sublimée ne peut être étudiée « que dans des repères de structure ». D’abord la fonction d’objet, en l’occurrence une femme qui d’emblée, quel que soit le rang de son adorateur, est non seulement posée comme inaccessible mais souvent en plus dépersonnalisée et abstraite par des vocables spécifiques tels que Maîtresse ou Seigneur (Mi Dom15). C’est parce que cet objet féminin est vidé de toute substance réelle, parce que ce n’est pas une femme réelle mais une fonction symbolique, qu’on peut lui parler d’amour en les termes des plus crus : la distance et la barrière qui le séparent d’elle expliquent l’emphase dans la déclaration et la demande du soupirant. Une sérénade pour la sérénade, infinie donc sans but réel, n’est pas sans évoquer la façon dont Freud définit la sublimation : une pulsion dont le but, qui était d’atteindre un objet réel, est supprimé (Zielgehemmt) pour laisser place à une quête sans fin qui ne vise plus un objet réel mais le manque d’un nouvel objet rendu inaccessible. En somme « ce que demande l’homme […] c’est d’être privé de quelque chose de réel16 ». L’acte d’élever la femme-objet à la dignité de la Dame Maîtresse (mi Dom, qui domine) surprend car ce n’est pas la place qu’occupent les femmes dans la société féodale ! La célébration dans l’art de l’amour courtois d’une Maîtresse aussi exigeante qu’arbitraire est ce contretemps propre aux arts qui révèle un certain malaise dans la culture. Se pourrait-il que l’homme du XIe siècle découvre la femme en tant qu’Autre, dotée d’une sensibilité, d’une conscience et même…d’un désir ? « Ce que la création de la poésie courtoise tend à faire, c’est à situer, à la place de la Chose et dans une époque […] un certain Malaise dans la culture et, selon le mode de la sublimation qui « L’érotique des troubadours, Contribution ethno-sociologique à l’étude des origines sociales du sentiment et de l’idée d’amour », on appelait domnei une entrevue galante où un amant avait loisir de courtiser sa maîtresse. L’ami avait d’abord à faire preuve dans le domnei que sa passion était sincère, en se montrant attentif à satisfaire, comme un bon serviteur ou un bon vassal, tous les caprices de sa dame. La patience amoureuse exprime et résume dans le domnei courtois, l’humilité, la sincérité et la fidélité (p. 186) : « est celui propre de l’art de nous poser cet objet que j’appellerais [..] un objet affolant, un partenaire inhumain17. » Serait-ce l’entrevue de la béance sur le réel de la femme pas toute phallique qui en fait un objet affolant, un partenaire inhumain, l’hétéros même, le grand Autre donc ? Est-ce, comme l’écrit Colette Soler « parce que la mère est le premier Autre, celui par rapport auquel l’enfant appréhende la béance propre au symbolique et avec celle-ci le réel comme au-delà imprenable, que le corps féminin reste pour tout sujet, homme ou femme, l’hétéros18 » ? Ensuite la fonction du miroir : Si la courtoisie en amour surgit dans la poésie et le chant alors qu’elle n’est pas visible dans la réalité, c’est qu’elle est artifice, artifice que Lacan homologue à l’apparition mystérieuse d’une image dans le miroir cylindrique placé devant lui, image qui monte dans le cylindre comme le sang aspiré dans une seringue pourtant plongée dans un bol vide. Le dispositif optique signale la composante narcissique dans l’amour courtois : le miroir est dans la mythologie lacanienne le médiateur, l’agent de la pseudo-identification originelle du moi idéal du sujet à l’image de son corps tout juste unifié. Mais ce n’est que par accident que le miroir se distingue par cette fonction. Plus générale est sa fonction de séparation, l’image étant disjointe de l’objet car située dans un autre monde, barré par le miroir lui-même. Dans l’amour courtois aussi, des « puissances maléficieuses » peuvent s’opposer à la rencontre. Le miroir cylindrique est aussi un médiateur, celui qui décode le dessin initial indéchiffrable pour l’œil, médiateur homologue du Senhal qui dans l’amour courtois affecte et révèle un objet d’amour au soupirant. Enfin, la fonction du signifiant : en scrutant les signifiants, Lacan observe que le thème du Nebenmensch (l’être humain proche) se retrouve dans un des poèmes de Guillaume de Poitiers sous le terme de Bon Voisin (Bon Vezi) pour désigner la Dame pourtant inaccessible et dans le discours chrétien, sous le terme du prochain. Le signifiant, plus précisément quelques signifiants reliés entre eux peuvent véhiculer une structure symbolique à travers les générations et en soutenir des manifestations variées au cours des âges. « Ce que j’ai voulu vous faire sentir aujourd’hui est ceci que c’est une organisation artificielle, artificieuse du signifiant qui fixe, à un moment les directions d’une certaine ascèse, et quel sens il faut que nous donnions dans l’économie psychique à la conduite du détour19. »
Le détour : la fonction éthique de l’érotisme chez Freud
Le détour que représente la sublimation correspond dans l’économie psychique à une transgression momentanée du désir. Il peut découler de la nécessité d’un compromis entre le principe de plaisir et le réel auquel le sujet se cogne, ou de l’appel de la Chose « pour faire apparaître comme tel le domaine de la vacuole », le lieu vers lequel est détournée la pulsion par la sublimation. Si dans l’amour courtois l’objet est hors de portée, alors le soupirant fait un interminable détour par des plaisirs préliminaires dans sa quête du « don de merci » attendu de la Dame. Transgression du désir puisque l’entretien et l’augmentation de la tension, c’est-à-dire du déplaisir, permet de retarder l’action du principe de plaisir et d’obtenir une plus forte chute de tension au moment de l’Entbindung (la déliaison ou mieux : la décharge), plus proche en intensité de celle provoquée par l’intervention du Nebenmensch dans la Hilflosigkeit (la détresse – du nourrisson). « C’est pour autant que le plaisir de désirer, c’est-à-dire en toute rigueur le plaisir d’éprouver un déplaisir, est soutenu, que nous pouvons parler de la valorisation sexuelle des états préliminaires de l’acte de l’amour20. » Dans l’amour courtois, le culmen est le don de merci que Lacan interprète comme un salut, « le signe de l’Autre comme tel, rien de plus ». Il y voit une ascèse de discipline du plaisir déjà présente dans la poésie érotique hindoue, latente dans la poésie occidentale (voir L’art d’aimer d’Ovide par exemple) et symbolisée brusquement au XIe siècle pour ensuite se manifester épisodiquement en passant notamment par la chevalerie (voir Don Quichotte) et le surréalisme: « c’est aussi à la place de la Chose que Breton fait surgir l’amour fou21». Jean-Bertand Pontalis précise l’interprétation : « On peut penser que le culte, surtout sensible chez Breton, de l’amour fou, cette résurgence de l’amour courtois, avec ce qu’il implique d’idéalisation d’un objet total, vient répondre à, et comme compenser, ce travail, à la fois méthodique et inspiré de sapage : là, la trouvaille de l’objet partiel cède la place à la retrouvaille de l’objet perdu22. »
1 J. Lacan, Le Séminaire, Livre VII (1959-1960), L’éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, p. 145.
2 S. Freud, Totem und Tabu, (1912), GW Bd IX, Fischer TV Frankfurt, 1999, p. 91.
3 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, p. 145.
4 Perplexité des archéologues en 2012, après une découverte qui relance la question : « L’apparition de la poterie n’a décidément aucun rapport avec le développement de l’agriculture. Les plus vieux fragments de poterie au monde, découverts en Chine, seraient en effet âgés de 19 000 à 20 000 ans. Mais à quoi pouvaient bien servir les récipients en terre cuite de l’époque ? »
5 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, p. 167.
6 J. Baltrusaitis (1984), Anamorphoses, Paris, Flammarion, 1996, p.7.
7 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, p. 170.
8 Ibid.
9 Ibid. p. 85.
10 Ibid. p. 171.
11 Ibid. p. 161.
12 S. Bernfeld, Bemerkungen über Sublimierung, Imago VIII.
13 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, p. 173.
14 Ibid. p. 176.
15 D’après la thèse présentée par René Nelli pour le doctorat ès lettres en 1962, après le séminaire de Lacan
16 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, p. 179.
17 Ibid. p. 180.
18 C. Soler, Ce que Lacan disait des femmes, Editions du Champ Lacanien, p. 279.
19 J. Lacan, L’éthique de la psychanalyse, p. 181.
20 Ibid. p. 182.
21 Ibid. p. 184.
22 J-B. Pontalis, Entre le rêve et la douleur, Paris, Gallimard, 1977, p. 59.