Une lecture de Lacan : Der Entwurf de Freud

Intervention de Marc Lévy dans le cadre du séminaire « Les abords de Lacan » animé par Marc Lévy et Amine Souirji autour de la lecture de : Jacques Lacan, Le séminaire livre VII (1959-1960).

« Entre peau et chair », cette expression revient à plusieurs reprises dans ce séminaire de Lacan qui traite de L’Entwurf de Freud. Est-ce là allusif, humoristique ? Nous sommes en décembre 1959. Comme souvent après un séminaire, Lacan reprend la problématique sous un autre angle. Le désir et son interprétation complétait le graphe du désir, nous laissant avec une ligne des signifiants conscients et une ligne des signifiants inconscients. Le désir et le phantasme étant présentés comme l’ultime accès conscient en chemin vers les signifiants inconscients. Le nouvel angle pour 1959-1960 passera par « L’esquisse d’une psychologie scientifique », titre non pas de Freud mais de ses éditeurs, mais laissons cette dimension historique de côté. Que cherche Lacan ? Ni plus ni moins que de poser la psychanalyse au regard non pas d’une morale, mais de l’éthique.

Nous voilà donc face à une étude de ce texte freudien. Je résume : Freud, en cette fin de XIXe siècle (1895), s’appuie sur une représentation neuro-physiologique du système nerveux pour tenter de fonder son objet d’étude.

  • Un premier système, le système PHY fait de « Bahnungen » – Lacan traduit par« frayages » mais le terme de « voies » serait tout aussi adapté. Système inconscient en relation avec des stimuli externes cherchant à réduire, par satisfaction, la tension, le malaise inhérent aux stimulations externes.
  • Un second système, le système PSY en dérivation du premier, mis en route, activé par le premier et par des stimulations internes, donc intéroceptives ; ce système n’est pas constitué pour réduire à néant l’effet des stimulations extéroceptives comme dans le système PHY, un certain quantum d’énergie relativement bas restant présent (prémisses d’un moi ?).
  • Un troisième système est évoqué pour des motivations logiques, OMÉGA ; il faut que la réalité extérieure soit perceptible, intégrée au système ; cette fonction est attribuée au système OMÉGA.

Reste la question : comment ces systèmes s’articulent ? « Entre peau et chair », dit Lacan.

Un autre paragraphe est à introduire ici pour poursuivre l’Entwurf freudien : Le système PHY est fait de Vorstellungen, représentations, système associé aux Bahnungen : ce référentiel introduit potentiellement le monde de l’imaginaire au sein du système PHY. Plus loin Freud introduira les Wortvorstellungen, représentations de mots. Sommes- nous ici au niveau du préconscient ? Le système PSY, fait pour avoir accès à la conscience, est quant à lui articulé aux Vorstellungsrepräsentanzen, « représentant de représentations », c’est la traduction que je retiendrai dans cette approche. Donc « représentant de représentations », nous sommes ici pour Freud dans un référentiel où l’abstraction se présente au carré. « Entre peau et chair. » C’est lors de la séance du 23 décembre 1959 que Lacan, en tant que lecteur de Freud, introduit, en s’étayant sur le fondateur de la psychanalyse, sa logique : Au cours de cette séance il ne différencie plus stimulations extéro- et intéroceptives, il parlera de Vorstellungen ; de même il nommera « signifiants » les Vorstellungs- repräsentanzen.

Où cela nous mène-t-il ?

Si par un excès de stimulations, de contradictions, une saturation des Vorstellungen advient, le système inconscient ne parvient plus à équilibrer ses réseaux, que se passe-t-il ? En lieu et place d’un bien, le système PHY étant organisé selon le « principe de plaisir », das Gute, das Wohl ; donc si le système PHY est débordé dans sa fonction de maintien au plus bas des tensions, il se produira soit une réaction motrice (réaction qui permet de maintenir le côté inconscient de la réaction), soit une douleur, réaction qui ne relèvera plus du principe de plaisir, mais qui relève du « principe de réalité » qui appartient au système PSY car s’articule à la conscience. C’est ici que « entre peau et chair » trouve sa place. Le système PHY est mu par le principe de plaisir ; il vient, dans la lecture que Lacan nous propose, s’insérer entre deux niveaux du système PSY, « entre peau et chair ». Cette nouvelle articulation n’existe pas dès l’origine mais dynamiquement dans la relation établie entre le nourrisson et son entourage. Donc dans cette nouvelle construction, le principe de plaisir articulé au système PHY s’intègre dans le système PSY et permet au-delà de la réaction douloureuse, par une articulation aux signifiants, Vorstellungsrepräsentanzen, d’élaborer une solution, en tout cas un exutoire à l’engorgement du système PHY. Un dernier chapitre pour signifier la nouveauté théorique introduite en cette séance du séminaire. C’est également ici que – pour la première fois, et sur un mode allusif – Lacan articule des questions qui me mettent au travail depuis longtemps. Les Vorstellungen (les représentations), voire les Wortvorstellungen (les représentations de mots) sont des objets qui sont inconscients. Que se passe-t-il si l’articulation ne se fait pas entre peau et chair ? Donc que se passe-t-il si ces objets, articulés au principe de plaisir, ne parviennent pas à la conscience grâce aux signifiants (Vorstellungsrepräsentanzen) ; restons-nous au niveau du passage à l’acte moteur, au niveau de la douleur ? N’est-ce pas ici tout le champ des plaintes des symptômes, voire des somatisations non articulées au refoulement qui se pose ? Chacun aura su traduire que « entre peau et chair » était une métaphore de Lacan pour paraphraser : entre Wahrnehmungszeichen et Bewußtsein, soit entre perception et conscience.

PS : Dans l’approche que nous avons privilégiée, il manque évidemment toute référence à la Chose, que ce soit das Ding ou die Sache.

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