Psychothérapie et psychanalyse – Symptôme et sinthome

Exposé présenté par Jean-Richard Freymann et Philippe Lutun le 10 novembre 2017 dans le cadre du Diplôme Universitaire « Bases conceptuelles des psychothérapies analytiques ».

Exposé de Jean-Richard Freymann

Introduction

Cet exposé vous permettra de reprendre tous les opérateurs et concepts qui ont été mis en place l’année dernière pour travailler, cette année, essentiellement, la question du ou des thérapeutiques.

Comme support, vous sont remises des photocopies sur :

– les notes manuscrites de Jacques Lacan à Mme Jenny Aubry sur la psychanalyse d’enfants2, textes qui permettent de comprendre ce qu’est un symptôme analytique, comment ce symptôme se situe par rapport à la théorie analytique ainsi que la différence entre symptôme de l’enfant et symptôme de l’adulte ;

  • les quatre discours et le graphe du désir de Lacan ;
  • les apports de Freud : la perception, les troubles mnésiques, la première et la seconde topique ainsi qu’un extrait du texte sur Le clivage du Moi dans les processus de défense qui a permis à Lacan d’introduire la question du clivage du sujet.

La Ichspaltung et L’Abrégé de psychanalyse sont, bien qu’inachevés, les testaments théoriques de Freud. Mais l’héritage freudien bute encore de nos jours sur la question des zones érogènes et des pulsions, au sens analytique. Le fait que l’enfant, au départ, soit dissocié est encore insupportable pour certains. L’apport de Lacan avec le stade du miroir, moment d’unification de son image, a été, quant à lui, bien admis dans la culture psychiatrique.

Aujourd’hui je traiterai de manière générale la question de la psychothérapie et de la psychanalyse ainsi que la différenciation entre symptôme(s) et sinthome. Le symptôme est une notion freudienne en rapport avec l’angoisse, le sinthome est un apport de Lacan, dans la dernière partie de son œuvre, et met en place une question autour de la topologie.

Je parlerai des psychothérapies en général, et de la psychanalyse, au sens freudien. Il y a, bien sûr, plusieurs écoles psychanalytiques, l’école jungienne, adlérienne, mais je m’appuierai sur la psychanalyse freudienne.

La psychanalyse lacanienne est-elle freudienne ? Lacan fait un « retour » à Freud mais n’est pas, comme Freud, reconnu sur le plan international. Paradoxalement, l’I.P.A3 qui, en 1953, a exclu Lacan, travaille actuellement de manière très approfondie sur ses textes et lui permettra d’être inscrit, dans les prochaines années, comme un référentiel culturel.

La différenciation entre psychothérapies et psychanalyse

Quelle est la différenciation phénoménologique entre les psychothérapies et la psychanalyse ? Les termes de « psychothérapies analytiques » portent en eux-mêmes une contradiction au sens où le champ analytique ne se limite pas à la question du thérapeutique. Ce n’est pas pour autant qu’il n’existe pas une dimension psychothérapique dans la cure analytique, je dirais que c’est peut-être à cet endroit qu’il y a une authentique dimension thérapeutique, structurale ou structurelle.

La notion psychothérapique, verbale, analytique, vient faire obstacle au discours dominant : de la politique à la médecine, on ne cesse de simplifier, d’évaluer, de codifier ce qui abolit le temps de la parole. En médecine générale, 90% des personnes qui consultent ne viennent pas seulement parce qu’elles sont ou se sentent malades, elles viennent pour tout autre chose. De nos jours, les « consultations » médicales se résument à un bilan organique, prise de sang, etc., et à l’envoi par mail, du résultat, ce qui occulte la relation médecin- patient, c’est-à-dire la parole. Comme le soutenait déjà Hippocrate, les patients viennent consulter mais, au-delà, ils viennent aussi pour autre chose. L’introduction même de cette dimension psychothérapie verbale est déjà un effet politique, c’est une prise de position politique et éthique quel que soit le domaine.

La psychothérapie couvre une vaste échelle, de la question de la suggestion hypnotique à la question analytique. Freud s’est rendu compte que la psychanalyse s’adressait plus particulièrement aux structures névrotiques, à des personnes de moins de 50 ans avec un certain niveau intellectuel, à des personnes appartenant à la bourgeoisie ; il fallait donc envisager pour les personnes qui ne pouvaient pas faire de cure-type de nouvelles voies thérapeutiques dans lesquelles une part de suggestion est utilisée. Je ne parle pas de la suggestion dans l’analyse mais des voies nouvelles thérapeutiques qui l’utilisent plus ou moins.

Qu’est-ce que le thérapeutique ? Que veut dire thérapeutique ? Le schéma référentiel, quelle que soit la technique utilisée, repose sur l’idée suivante : le retour à un état antérieur. Je l’illustre : le bon état de santé d’un sujet se situe au point A. Lorsqu’il commence à avoir des troubles, son état se situe au point B. Lorsque le sujet est au point B, la dimension psychothérapeutique vise à revenir au point A. C’est un pari difficile qui repose sur l’ambiguïté des termes psychothérapie-psychanalyse, à savoir faire disparaître les signes cliniques. Je n’ai pas dit : ôter les symptômes. Pour les analystes, les symptômes ne sont pas simplement des signes hippocratiques en tant que tels, ce n’est pas une phénoménologie. Le symptôme en analyse est, comme le rêve, le lapsus, une formation de l’inconscient. Le mot symptôme pour l’analyste est à entendre différemment du sens que lui donnent les médecins ou les psychologues, d’où le surgissement de sévères incompréhensions. Par exemple, une personne peut présenter des signes cliniques majeurs. Le but de la psychothérapie analytique sera de créer du symptôme. Notion incompréhensible, d’où la difficulté de faire passer des publications analytiques dans les publications sur la santé mentale. Nous avons des problèmes éthiques, une conflictualité réelle.

En psychothérapie, le transfert est utilisé mais pas analysé. La plupart des guérisons, et des améliorations sont des effets transférentiels, le transfert « guérit » dans un premier temps. À l’exception des mélancolies et des schizophrénies, l’effet thérapeutique est dû, le plus souvent, à des effets transférentiels imaginaires – « imaginaire » à entendre dans le sens où ce transfert permet de mobiliser un certain nombre de choses. Quelles que soient les modalités thérapeutiques, quelque chose de l’ordre du transfert est sollicité.

Question : La suggestion a-t-elle des effets thérapeutiques ?

J.-R. Freymann : Le transfert lui-même est une suggestion que l’on retrouve dans les mécanismes d’hypnose. « L’’hypnose, dit Freud, est une psychologie collective à deux », c’est le côté de suggestion du transfert. La question que je pointe est celle-ci : dans les psychothérapies quelles qu’elles soient, la manière dont le lien fonctionne, c’est-à-dire le transfert n’est pas analysé, il est utilisé. La question porte sur l’utilisation du transfert. En médecine, on fait, par exemple, un premier protocole. Si les résultats ne sont pas probants, on fait un deuxième protocole, etc. Se pose donc, de façon radicale, la question du lien à l’autre. La scientificité prime sur le relationnel. Les gens vont alors consulter le rebouteux, l’homéopathe, etc. pour que quelqu’un leur donne un espoir.

Question à propos du transfert et de l’amour.

JRF : Qu’est-ce que le transfert ? Pour Freud, le transfert est une dynamique véritable, c’est l’amour de transfert. Pour Lacan, c’est l’instance du sujet-supposé-savoir.

Mais il ne faut pas confondre amour et abus de pouvoir. Que ce soit pour le politique, l’enseignant, le médecin, le chef d’entreprise, ce que l’on appelle harcèlement, que ce soit du côté de l’homme ou de la femme, est un abus de pouvoir. Ce n’est pas de l’amour, c’est l’utilisation de l’abus de pouvoir. L’abus de pouvoir est très nietzschéen, c’est se prendre pour un surhomme car vous avez une certaine position. C’est la question du tyran dans son rapport au pouvoir, c’est la question de la place du leader dans la psychologie collective qui est l’endroit où les idéaux et les objets sont collés ensemble. On profite de l’idéal que l’on constitue pour l’autre, pour se poser comme objet de l’autre ou prendre l’autre comme objet.

Question à propos de la notion de transfert comme passage de l’intensité d’une représentation à une autre ou passage de l’investissement d’une personne à une autre.

JRF : Quelles sont les traces des psychothérapies sur l’inconscient ? La clinique actuelle pose une question essentielle. Dans un premier temps, les personnes choisissent des thérapies courtes – méditation, hypnose, neuroleptiques, psychodrame, et autres thérapies. Puis le retour symptomatique conduit ces personnes, mais en bout de chaîne, à s’adresser au psychanalyste ; à ce stade, il y a eu maniement, voire manipulation du transfert.

Quels sont les effets de la psychothérapie ? Quelles sont, sur le plan de l’inconscient freudien, les psychothérapies les plus toxiques ? Les psychothérapies corporelles ? Les psychothérapies de l’échange verbal, de l’alliance thérapeutique ? La psychothérapie est la mise en place d’une technique qui tente de répondre à la demande du sujet, autrement dit la psychothérapie obture, sous l’angle analytique, la question de la demande.

La psychanalyse, quant à elle, est une forme de négociation de la question des demandes pour essayer d’avoir accès au désir inconscient, ce qui n’est pas le but des thérapies. Mais il faut cesser de penser que la psychanalyse n’est pas thérapeutique, c’est la seule thérapeutique au niveau structurel, c’est le respect de la question du symptôme. On ne dit pas que l’on va ôter le symptôme, mais on va modifier le rapport que l’on avait au symptôme.

Qu’est-ce que la fin de l’analyse, pour Lacan ? C’est s’identifier à son symptôme.

La psychanalyse n’est pas une pure technique, c’est une « techné », c’est l’art d’utiliser quelque chose. Comment fait-on avec de grands obsessionnels, se demandait Freud, quand on fait une analyse ? Comment fait-on avec de grands obsessionnels qui ont fait toutes les thérapies et viennent en analyse ? Dans la cure analytique, on crée une nouvelle obsession qui pourra être analysée, ce qui permettra à l’analysant d’avoir un regard différent sur ses obsessions. Autrement dit, vous créez, dans le transfert, des néo-obsessions pour interroger la question de l’obsession dans laquelle l’analysant est pris. À cet endroit, ce n’est pas seulement la question de l’amour, c’est aussi la question de l’automatisme de répétition dont une des parties a à voir avec la pulsion de mort, avec Thanatos.

La différenciation entre symptôme et sinthome

Pour Lacan, le désir, c’est le désir de l’Autre ; ce qui signifie que le désir de l’enfant naît dans une atmosphère où « quelque part » il y a du désir de l’Autre. L’enfant se constitue inconsciemment à partir du désir de l’Autre, il n’est pas aliéné parce que sa mère est obturante ou son père absent ; l’enfant va au-delà de la demande de l’Autre, au-delà de ses intentions. L’enfant a un rapport avec le désir de l’Autre mais, dans le même temps, il faut qu’il s’en défende. Dit autrement, pour se constituer comme sujet, il faut du désir de l’Autre et, dans le même temps, que lui s’y oppose par un processus défensif.

Pour Lacan, l’enfant a deux types de symptôme (en tant que formation de l’inconscient) :

  • Lorsque l’enfant est lui-même le phallus de la mère ou de ses parents, l’enfant est alors « l’objet de », l’appendice de. À cet endroit, on comprend que l’introduction de la dimension d’un tiers, au cours de quelques entretiens, va lui permettre de se « déloger » de cette position. C’est la forme de symptôme la plus courante.
  • Le deuxième symptôme : l’enfant lui-même est porteur d’une manifestation symptomatique qui l’obsède, qui convoque des troubles corporels. Ce symptôme se présente de la même manière que celui de l’adulte. À ce moment-là, on pourra parler, peut-être, de psychanalyse de l’enfant.

À partir du nœud borroméen, Réel, Symbolique, Imaginaire, Lacan s’interroge : que se passe-t-il quand ces trois ronds de ficelle ne tiennent pas ensemble ? C’est à cet endroit que Lacan amène la question du sinthome dont Philippe Lutun va parler.

La question du sinthome : Exposé de Philippe Lutun

Dans le parcours de Lacan, le symptôme est tout d’abord présenté comme une métaphore, puis comme ce qui revient du Réel, ce qui ne va pas, et enfin comme un fait de structure. En 1953, Lacan pense le symptôme comme étant soutenu par une structure langagière, par des signifiants, des lettres. En analyse, le symptôme n’a rien à voir avec le symptôme médical déterminé par un rapport au référent. Le symptôme névrotique est l’équivalent d’une parole à entendre et à déchiffrer. Y est à l’œuvre une métaphore : il y a substitution du signifiant d’un traumatisme sexuel par un élément d’une chaîne signifiante actuelle qui va fixer le symptôme. Interpréter ce sens ne suffit pas. C’est par l’examen et l’analyse de l’articulation des différents signifiants du symptôme que l’interprétation opèrera. Pour progresser, il est nécessaire que le sujet éprouve qu’il y a un savoir insu et une cause qui le concerne. L’analyste, dans le transfert, en devient le support, c’est à cet endroit que Lacan présente l’instance du « sujet-supposé-savoir », et précise que « l’analyste a la charge d’une moitié du symptôme ».

En 1974, le symptôme est confronté au nœud borroméen avec ses trois ronds tel que développé dans le séminaire RSI4. À ce moment de l’enseignement de Lacan, le symptôme part du Réel, se déploie dans le Symbolique, mais est très marginal dans le rond de l’Imaginaire. Il est ce qui ne va pas, il est ce qui fait parler en quête de sens, et répondre uniquement dans ce registre ne fera que le développer. L’intervention n’a donc pas à se cantonner dans le registre imaginaire, il faut intervenir dans le registre symbolique, équivoque, pour défaire les certitudes liées au symptôme et amener à ce « savoir-faire » avec le symptôme.

Le symptôme névrotique ou pervers a une fonction. Freud a montré que le symptôme est déterminé par la réalité psychique, celle soutenue par le complexe d’Œdipe. Lacan, lui, le fait figurer dans le nœud borroméen sous la forme d’un quatrième rond qui viendra lier R, S et I et sera appelé Nom-du-Père puisque c’est lui qui organise l’œdipe. Le Nom-du-Père est un attribut de la fonction paternelle. Cette nomination symbolique est le fondement de l’attachement au père et corrélativement de l’attachement à la subjectivité. C’est elle qui fixe le symptôme. On peut donc dire que ce quatrième rond, désigné par ces différents qualificatifs, peut aussi être appelé symptôme.

Il y a cependant des situations où le symptôme n’est pas constitué en fonction des Noms-du-Père. C’est à cet endroit que le quatrième rond prend une autre dimension que Lacan appelle sinthome. Lacan le conceptualise à partir du cas de Joyce dans une conférence intitulée : « Joyce, le sinthome ». L’écriture de Joyce donne « l’appareil, l’essence et l’abstraction » du symptôme. Le lecteur est confronté à la trame pure, littérale du langage ainsi qu’à la jouissance produite par le travail d’écriture. Ces éléments sont ceux du symptôme tels que Lacan les a désignés. Ce symptôme, cette écriture, est le produit d’un art, d’un savoir-faire, l’inconscient n’intervenant absolument pas dans sa fabrication. « Joyce, dit Lacan, est désabonné de l’inconscient. » Cet art a fonction de sinthome, il compense la carence du père, supplée à une forclusion de fait. Son projet, Joyce l’énonce ainsi : « Façonner dans la forge de mon âme la conscience incréée de ma race. » Il en appelle à « l’antique père, à l’antique artisan » pour l’assister. Le sinthome garantit la présence d’un père divinisé et la permanence d’un lien avec lui. Joyce se fait un nom, son sinthome littéraire a la fonction identificatoire d’un nom propre. Lacan retient, chez Joyce, l’hypothèse d’une erreur de nouage, « un lapsus de nœud », que le sinthome répare. L’erreur fait que le rond de l’Imaginaire glisse. Le rapport au corps ne se fait pas comme on peut le constater dans un épisode où Stephen est battu mais ne réagit pas. Il ne manifeste aucun affect, pas de colère : le rond de l’Imaginaire glisse là se trouve le défaut dans la structure de Joyce. Le sinthome aurait pour fonction de faire tenir ensemble R, S et I.

JRF : Le séminaire sur le sinthome5 se situe après le séminaire RSI, et introduit un quatrième rond pour faire tenir ensemble les trois ronds, le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire ; mais l’idée essentielle, c’est qu’il peut y avoir raboutage du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Il y aurait, mais cette question est encore débattue, un moyen de créer non pas un symptôme mais un sinthome. Le sinthome est une ancienne graphie du mot symptôme. Le sinthome n’est pas un symptôme qui insiste en tant que tel, Joyce est tout le temps contraint d’écrire pour que « ça » tienne. La question du sinthome, à cette époque, représentait, pour nous analystes, la dernière théorie de Lacan sur les psychoses. Cependant, en parlant de Joyce, Lacan n’a jamais prononcé le mot « psychose ». Il expliquait qu’en supervision, il faisait comprendre à l’analysant que tout ce qu’il disait était « formidable », qu’il avait accès à l’inconscient. Le deuxième temps consistait à l’aider à « grignoter » du sinthome, autrement dit au-delà de la question symptomatique, nous avons tous un certain rapport au fait que la structure ne « tient » pas bien, c’est l’endroit où le complexe d’Œdipe tient l’ensemble. Chez toutes les personnes, même chez le névrosé, il y a un au-delà du rapport au symptôme.

Discussion

Question à propos de la position du « rond de l’Imaginaire qui glisse ».

JRF : Nous ne sommes pas dans une structure borroméenne. Ici, l’imaginaire ne tient plus, il n’y a pas de fantasme, il faut rabouter. Le rond n’arrive plus à « s’accrocher ». Mais cette question fait débat. Colette Soler soutenait que Lacan aurait dit que le quatrième rond de ficelle faisait tenir les trois ronds ensemble. Lacan ne l’a jamais dit. Chez tout être parlant, y compris chez l’enfant, l’analyse doit tenir compte de cette partie, l’endroit où les pulsions ne sont pas liées, c’est la Ichspaltung. Une part n’est pas nouée mais on ne peut pas dire que les personnes sont psychotiques.

Question : Que veut-dire grignoter du sinthome ?

JRF : « Grignoter du sinthome » est en rapport avec la question de la solitude, à cet endroit, il est possible de grignoter un peu. Un exemple : vous avez un métier et vous êtes contraint de faire tout le temps la même chose. Grignoter du sinthome, c’est arriver, à un moment donné, à changer de logique ; dit autrement : à ne pas être pris uniquement dans le symptôme.

Question : Grignoter voudrait-il dire créer un autre sinthome ?

JRF : Oui, car on n’a pas besoin que cela tienne.

Question : Le quatrième rond pourrait-il être un Autre actuel ?

JRF : Au-delà du sujet-supposé-savoir, au-delà de l’amour de transfert, vous pouvez avoir envie de parler à un Autre, créer un « autre lieu ». Lorsqu’un analyste meurt, les personnes s’arrangent avec la mort de l’autre, c’est une séparation. Vient ensuite la question du deuil. Dans l’après-coup, il y a possibilité de créer autre chose. Dans Analyse finie et

infinie6, Freud dit qu’après une analyse se présente une nouvelle direction, c’est-à-dire que le travail effectué permet de supporter (un peu) ce qui est nouveau.

Question à propos de la position de l’enfant par rapport au phallus de la mère.

JRF : L’enfant devient un sujet parce qu’il n’est plus identifié au phallus, le phallus devient circulant.

Question : Le sinthome est-il une invention de Lacan ?

JRF : Lacan utilise le sinthome comme un opérateur analytique.

1 Cours fait au Diplôme Universitaire 2017-2018 « Les bases conceptuelles des psychothérapies analytiques ».

2 Notes manuscrites par Jacques Lacan à Mme Jenny Aubry sur la psychanalyse d’enfants, publiées en octobre 1969 pour la première fois. Jenny Aubry, Psychanalyse des enfants séparés. Études cliniques 1952-1986. Préface Élisabeth Roudinesco, Paris, Denoël, 2003 ; ou voir Ornicar ? n°37, 1986.

3 I.P.A. : International Psychoanalytic Association.

4 J. Lacan, Le Séminaire livre XXII, (1974-1975), RSI, inédit.

5 J. Lacan, Le Séminaire livre XXIII (1975-1976), Le sinthome, Paris, Le Seuil, 2005.

6 S. Freud (1937), « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », dans Résultats, Idées, Problèmes II, Paris, Puf, 1985.

Conversion, hypocondrie et psychosomatique

Exposé présenté par Jean-Richard Freymann le 20 octobre 2017, dans le cadre du Diplôme Universitaire « Bases conceptuelles des psychothérapies analytiques »

Introduction

Nous sommes confrontés dans notre pratique à la question de la psychosomatique, question très difficile que j’aborderai à partir du champ de la psychanalyse.
De nos jours, les consultations médicales sont surtout basées sur l’évaluation, la codification et font l’impasse sur une question dont parlait déjà Hippocrate en 2000 av J.-C : la relation médecin-malade. Il faut en effet savoir que 80% des patients qui viennent consulter viennent souvent non seulement pour exclure un problème somatique mais aussi pour autre chose. Aussi est-il important de travailler la relation médecin-malade en se posant, entre autres, ces deux questions :
Qu’est-ce qu’une demande ? Qu’est-ce qu’un symptôme ?

Pour aborder ces questions, j’ai choisi de vous parler d’un triptyque difficile, de trois concepts nés de la clinique psychiatrique :

  • la somatisation qui sous-entend quelque chose de la lésion ou de l’atteinte corporelle,
  • l’hypocondrie qui existe depuis Hippocrate
  • et la conversion, découverte de Freud, qui est l’expression par le corps d’un conflit inconscient.

Trois mécanismes

La question de la somatisation

Dans le cadre des somatisations, c’est-à-dire l’existence d’une lésion, on peut parler de psychosomatique. Mais le terme de psychosomatisation introduit aussi une notion psychique, autrement dit introduit déjà une interprétation. Par exemple, pour certaines maladies comme l’ulcère, on a pris l’habitude de dire que la personne est « trop anxieuse », le « trop anxieux » réfère à une cause psychologique.

Dans les années 1970, on a essayé de transposer la question de la conversion à la question de la somatisation. Mais la conversion est, je l’ai dit, l’expression par le corps d’un conflit inconscient qui sous-entend la lecture non pas seulement de la conscience mais aussi de l’inconscient.

La question de l’hypocondrie

Qu’est-ce que l’hypocondrie ? C’est le fait de mettre « en jonction » des organes entre eux. Par exemple, « quand je respire, j’ai mal aux orteils, j’ai mal à la tête ». L’hypocondrie est un système de représentation corporelle qui se met en place plus particulièrement chez les hommes, et est souvent liée à la question post-traumatique. Après un traumatisme – au sens événementiel, accident, exil – va apparaître une sorte de mise en système de leur rapport au corps plus ou moins délirant. Certaines hypocondries ont à voir avec un délire, à ce moment- là on est plutôt dans le domaine de la psychiatrie avec des hypocondries psychotiques, mais un certain nombre d’hypocondries sont dites névrotiques.

La question de la conversion dans son rapport au traumatisme

Tout d’abord, qu’est-ce que la question post-traumatique ? La question de la névrose post-traumatique est apparue après la Première Guerre mondiale de 1914-1918, période où les psychiatres, les aliénistes ont été beaucoup sollicités car se posait la question des taux d’invalidité des patients, c’est-à-dire des problèmes juridiques importants. Aujourd’hui, les nosographies actuelles dites psychiatriques parlent de stress post-traumatique, c’est le cas du DSM. Le concept de névrose n’apparaît donc plus.

Le stress post-traumatique réfère à la question de l’effroi. L’effroi pose la question de la non-anticipation de l’être humain face aux événements. L’être humain anticipe souvent l’événement par de l’anxiété, de la peur, ce qui empêche qu’il y ait effraction psychique. La préparation face à ce qui peut arriver fait tampon, couverture au regard de l’événement. Le névrosé peut alors comparer ce qui lui est arrivé réellement et ses idéaux. Dans les guerres, dans le terrorisme, il n’y a pas d’anticipation possible, l’événement fait irruption et convoque un stress post-traumatique, psychopathologie à laquelle nous aurons de plus en plus à faire.

Le traumatisme freudien est à entendre au sens de la conversion. Le traumatisme, au sens freudien, n’est pas un événement comparable à une goutte d’acide sur la patte d’une grenouille dont l’effet convoque sa rétraction. Le traumatisme, au sens freudien, n’est pas l’événement, c’est l’écho qui va être provoqué avec une motion inconsciente qui a été refoulée. L’écho déclenche un certain nombre de troubles, de symptômes plus ou moins importants.

De nos jours on tend à dénier l’existence de l’inconscient et de travailler les troubles du côté de la conscience, du côté de l’immédiateté ; on entend des discours qui tiennent compte uniquement de la question de la conscience et du conscient : « Avec un peu de volonté, tu peux y arriver. »

La découverte freudienne concerne l’accès à l’inconscient, je vais l’illustrer par un exemple : un geste d’une personne sur une jeune fille a provoqué, chez elle, des crises. Quelle association y-a-t-il entre ce geste et ses crises ? Qu’est-ce qui, en psychanalyse, va permettre de travailler cette association ? C’est la Règle fondamentale. Qu’est-ce que la Règle fondamentale ? C’est : « Dites tout ce qui vous vient, ce sera formidable. Libérer les associations, libérer totalement vos pensées, laissez les enchaînements se faire eux-mêmes. » Le geste qui a convoqué des crises chez la jeune fille est en lien avec son histoire singulière, celle d’avoir été, auparavant, abusée par une personne. La Règle fondamentale est la seule méthode pour avoir accès à l’inconscient.

Pour avoir accès à l’inconscient, il faut aussi que la personne qui vous écoute soit elle- même au clair avec la question de son propre inconscient. Comment faire abstraction de soi- même dans la relation médecin-malade ? Hippocrate y répondait déjà 2000 ans av. J.-C. dans La consultation1. Le médecin de cette époque n’était pas psychanalyste mais devait avoir une certaine posture par rapport au patient, posture qui lui permettait d’entendre les plaintes de l’autre, posture dont l’éthique était déterminée par le Serment d’Hippocrate.

Les Cinq psychanalyses2 relatent les premières consultations de Freud autour de la question hystérique avec le cas Dora, la question de la phobie avec le petit Hans, la question de la névrose obsessionnelle avec l’homme aux rats, la question de la psychose avec l’homme aux loups et la question d’un délire corporel avec le Président Schreber qui, au moment de sa nomination comme président de cour d’appel, s’est « senti transformé en femme ».

Conversion de l’hystérie

Comment se constituent les troubles dits de conversion ? Comment un conflit psychique – avec le père, dans le cas de Dora – peut-il donner un certain nombre de crises, une toux par exemple ? Question énigmatique que se pose Freud :

« Il ne s’agit plus maintenant de toute l’énigme, mais de cette partie de celle-ci qui contient le caractère particulier de l’hystérie, la distinguant des autres psychonévroses. Les processus psychiques sont, dans toutes les psychonévroses, pendant un bon bout de chemin, les mêmes, puis seulement alors entre en ligne de compte la complaisance somatique qui procure aux processus psychiques inconscients une issue dans le corporel. Là où ce facteur n’existe pas, cet état devient autre chose qu’un symptôme hystérique mais quand même quelque chose d’apparenté, une phobie, par exemple, ou une obsession, bref, un symptôme psychique3. »

Dans ce triptyque que sont les trois névroses de base – la névrose hystérique, dite hystérie de conversion, la névrose phobique, dite hystérie d’angoisse, et la névrose obsessionnelle –, Freud parle de quelque chose de très précis : la complaisance somatique. Pour qu’un symptôme de conversion se mette en place, il faut une complaisance somatique, c’est-à-dire une partie particulière du corps va être spécialement investie.

Dans la névrose dite hystérique, une partie du corps est particulièrement investie cependant aucun trajet neurologique ne correspond à cet investissement.

La question phobique n’est pas un investissement corporel, mais un investissement tout particulier qui concerne la question de l’angoisse. Les phobies sont une manière d’essayer – psychiquement – de canaliser l’angoisse. Le fonctionnement phobique consiste à prendre, inconsciemment, une cible sur laquelle l’angoisse va se centrer. Dès lors, pour soigner, par exemple une phobie des ponts, la technique va consister soit à chercher les mécanismes sous-jacents à cette question, soit à vous faire traverser réellement le pont… La position de Freud est de chercher ce qui, au niveau inconscient, s’est mis en place pour qu’il y ait une phobie. La prise dans le langage provoque chez l’enfant un certain nombre de phobies dites de situations : la phobie du noir, la phobie du loup…

La question de l’obsession est un parasitage intellectuel qui convoque la répétition d’un certain nombre d’actes, par exemple le lavage des mains, la fermeture des portes.

Le travail sur le triptyque – névrose hystérique, phobie, obsession – nécessite que le psychanalyste reconstitue l’histoire singulière du patient, je cite Freud : « Je reviens maintenant au reproche de simulation de maladie qu’avait fait Dora à son père. Nous nous sommes bientôt aperçus qu’à ces reproches correspondaient, non seulement des remords concernant des maladies antérieures, mais aussi des remords faisant allusion à des maladies actuelles. À cet endroit échoit habituellement au médecin la tâche de deviner et de compléter ce que l’analyse ne lui livre qu’en allusions4. »

Stade du miroir

La psychanalyse permet un travail sur la représentation du corps. Au départ, l’enfant n’est pas unifié. « L’enfant, dit Lacan, est un prématuré. » À sa naissance, l’enfant possède des réflexes archaïques, puis son développement neurologique se poursuit. II possède cependant une qualité humaine : une grande sensibilité, une grande perméabilité au comportement et à la parole de l’Autre. Lorsqu’il n’y a pas ou peu de perméabilité, apparaît la question des autismes.

Lacan introduit le stade du miroir5 dans lequel l’enfant, entre 6 et 18 mois, à côté de sa mère, « jubile ». Pourquoi jubile-t-il ? Parce qu’il voit dans le miroir une image unitaire qu’il n’est pas en réalité. Quelque chose, dans le miroir, forme une unité. L’humain est déjà désaliéné : il y a déjà un écart entre son image corporelle et ce qu’il est réellement. Le stade du miroir n’est pas de même nature chez l’être humain que chez l’animal – le singe par exemple, cherche quelque chose derrière le miroir. Cette différence tient au rapport du corps au langage de l’Autre. À cet endroit, la question que nous sommes amenés à nous poser est celle-ci : quel est le rapport entre la constitution de l’image et la prise dans le langage avec la question psychosomatique ? L’approche psychosomatique, c’est une hypothèse, pourrait-elle être appréhendée dans ce moment où l’enfant se constitue ?

Aujourd’hui, par rapport aux dix dernières années durant lesquelles nous recevions des patients dans le registre de la névrose, une demande d’analyse est faite par des patients qui ont vécu une expérience « traumatique » en lien avec la question corporelle, c’est-à-dire en lien avec des maladies graves, cancer, maladie génétique, ce qui est une évolution très importante.

Hypnose et transfert

Dans le texte « État amoureux et hypnose » des Essais de psychanalyse, Freud traite de la question de l’hypnose et de la psychologie collective, je le cite : « L’hypnose est une formation collective à deux6. »

Freud ajoute qu’il en est de même pour l’état amoureux. Au début, Freud utilisait l’hypnose pour faire émerger des souvenirs refoulés. C’est à partir de l’hypnose qu’il découvre la psychanalyse, plus exactement, au moment où Anna O. lui demande de la laisser parler, « talking cure » qui lui permet de mettre en place la Règle fondamentale.

L’hypnose, c’est le médiatique, c’est le mécanisme hypnotique par définition. La publicité, la propagande reposent sur les mêmes mécanismes. La psychanalyse, par rapport à la question hypnotique, est donc de recouvrer un rapport à la liberté individuelle.

La psychologie collective repose sur des mécanismes liés à l’hypnose avec un certain nombre d’instances freudiennes qui sont : le Moi, les objets du Moi, le Ça, l’ensemble des pulsions, et le Surmoi ainsi que les idéaux du Moi. Le processus hypnotique consiste à mettre un objet extérieur sur lequel se focalise tous les idéaux internes du groupe ; dit autrement, tous les idéaux se concentrent sur cet objet extérieur auquel toutes les personnes sont « suspendues ». Quel effet ce mécanisme produit-il ? Le Moi est mis entre parenthèses. Tous les idéaux du groupe convergent vers cet objet extérieur – drame humain depuis l’aube des temps – qui met le Moi entre parenthèses.

Schéma : Psychologie collective et analyse du Moi7

Sur ce schéma, il y a un arc de cercle entre l’idéal du Moi, l’objet investi par le Moi et les objets extérieurs. L’individualité est donc complètement « suspendue ». Le but de l’analyse et des psychothérapies est de réintroduire la place du Moi car, spontanément, le discours médiatique suspend le Moi. Les traits, à l’intérieur du schéma, indiquent que chacun s’adresse à l’objet extérieur, qui peut être le Führer, c’est-à-dire qu’il y a une identification mutuelle, c’est la question du nazisme.

La relaxation, la sophrologie sont des auto-hypnoses très utiles pour la prise en compte des questions somatiques, au sens où elles apaisent l’angoisse. Pourquoi ? La théorie freudienne repose sur des zones érogènes, dit autrement sur des trous, des orifices plus ou moins investis par des pulsions partielles : pour l’obsessionnel, c’est du côté de la zone anale ; pour l’hystérique, du côté de la zone orale, avec, par exemple, l’anorexie ; pour le phobique et le pervers, du côté de la zone génitale. Notre corps est un ensemble de trous plus ou moins investis où les paroles de l’Autre sont venues s’inscrire d’une manière particulière, singulière, sur le corps. Toutes les maladies névrotiques sont dues à une sorte d’investissement ou de désinvestissement d’une certaine forme de pulsions.

Que se passe-t-il du côté des pulsions dans la somatisation ? Nous avions, à l’époque, des antennes psychosomatiques dans tout l’hôpital où l’on essayait d’identifier la question psychogène, la question psychique dans les maladies organiques. Ce qu’il est possible d’avancer, c’est que l’introduction de la parole dans les consultations individuelles, singulières, permet de soutenir, d’aider les patients, même dans les maladies les plus graves.

Les psychonévroses, c’est-à-dire le triptyque névrose hystérique, phobie, obsession dont j’ai parlé, sont capables d’un lien thérapeutique, d’un lien transférentiel.

Qu’en est-il pour les névroses actuelles dont parle Freud ? Les névroses actuelles, pour Freud, reposent sur un manque de libido, un manque du côté de la sexualité. Pour ma part, les névroses actuelles concernent des personnes prises dans l’angoisse, des personnes dépassées par le rythme de vie qu’on leur impose, personnes que nous recevons, personnes auxquelles il est important de donner un lieu de parole, même pour une simple discussion.

1 Hippocrate, La consultation, Hermann, 1986.

2 S. Freud, Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1995.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Jacques Lacan (1949), « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », dans Écrits I, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 1999.

6 Sigmund Freud (1921), « Psychologie des foules et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993.

7 Sigmund Freud, « Psychologie collective et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse, op. cit.

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