Lecture et présentation : « Les entretiens préliminaires à une psychanalyse » (sous la direction de J.-R. Freymann

Les entretiens préliminaires à une psychanalyse, (sous la direction de) Jean-Richard Freymann, éditions érès, coll. « Hypothèses », 2016.

 

Cet ouvrage fait suite aux Journées d’avril 2014 de la FEDEPSY : La clinique psychanalytique aujourd’hui. Praxis des Entretiens préliminaires, journées coordonnées par Jean-Richard Freymann et Marcel Ritter.
Jean-Richard Freymann explique que ce livre se veut un passage de flambeau des aînés psychanalystes à la nouvelle génération.

« Entretiens préliminaires », de quoi s’agit-il ?
Les auteurs de ce livre : Jean-Pierre Bauer, Eva-Marie Golder, Jean-Marie Jadin, Patrick Landman, Daniel Lemler, Nicole Lévy, André Michels, Marcel Ritter, Moustapha Safouan et Marie-France Schaefer, tentent d’y répondre.
Dans son introduction, Jean-Richard Freymann dit que les entretiens préliminaires sont le marche-pied pour entrer dans une analyse.
Tous les auteurs de ce livre partageront, en l’explicitant chacun à sa manière, cette définition. Freud, quant à lui, ne parle pas d’entretiens préliminaires mais d’un traitement d’essai à une psychanalyse.

Dans Je parle aux murs, Lacan dit : « Il n’y a pas d’entrée possible dans l’analyse sans entretiens préliminaires ».

En considérant cette définition, les entretiens préliminaires désignent les premières rencontres d’une personne qui veut commencer une analyse avec un psychanalyste. C’est lors de ces entretiens, en effet, que le futur patient formule sa demande d’analyse à un psychanalyste. Le psychanalyste doit mesurer la possibilité de l’implication du sujet dans l’analyse et sa tolérance à ce travail qu’est une psychanalyse.

On peut dire que les premiers entretiens sont l’occasion d’une évaluation chez le sujet qui demande une analyse. Pour le dire autrement, et d’une façon plus explicite, l’analyste doit, lors de ces premiers entretiens, mesurer la capacité de symbolisation d’un sujet et du supportable de la perte.
L’instauration du transfert est un autre enjeu des entretiens préliminaires et c’est là que l’analyste doit formuler la règle fondamentale.
La formulation de la règle fondamentale est la seule exigence demandée au futur analysant : celui-ci doit dire ce qui vient, sans sélectionner et sans avoir peur de dire des bêtises.
Les entretiens préliminaires s’exercent dans une position de face à face de l’analyste et de l’analysant. Mais quand, exactement, le patient peut-il passer de cette position de face à face à celle du divan ? Quand peut-on dire que débute l’analyse ? La bascule de la position assise à celle du divan peut se faire au moment où l’analyste entend la vraie demande du patient. C’est l’entrée en jeu de son désir d’analyste.

Daniel Lemler parle de fin des entretiens préliminaires comme mise sur le divan et fin du corps-à-corps, c’est-à-dire passage du face à face avec l’analyste au divan où l’analyste formule la règle fondamentale.

Patrick Landman nous dit que les entretiens préliminaires amènent au constat d’une nécessité pour le patient de réaliser dans le transfert la brèche qui s’est ouverte (ouverture de l’inconscient), ouverture que l’on appelle l’initium de l’analyse.

Il y a un moment où se produit un virage dans certaines cures analytiques : c’est l’instant où l’analysé trouve le déclencheur de son mal être qui se trouve être la perte de l’objet petit a, cet objet irrémédiablement perdu.

Moustapha Safouan affirme que toute analyse fonctionne à ce niveau-là. Une fois que l’analysé est parvenu à cette perte et une fois débarrassé de son symptôme, il tombe dans cet état que l’on appelle « misère moyenne ». Mais force est de constater que cette misère-là, nos contemporains ne la supportent plus.

Or, il faut encourager l’analysant à ne pas reculer devant ce qui lui apparaît d’abord comme un abîme.

Marie-France Schaefer et Eva-Marie Golder nous disent ce qu’il en est des entretiens préliminaires avec des enfants. Le grand défi des premières rencontres avec un enfant est celui de la confiance à gagner. Mais n’en-est-il pas ainsi avec les adultes ? L’enfant n’arrive jamais seul chez le psychanalyste, mais entouré de ses parents.

La première rencontre est importante pour éclaircir ce que signifie une thérapie analytique au niveau du financement du temps nécessaire, de la fréquence des rencontres et de discerner si les parents parlent au nom de l’enfant ou s’ils lui laissent la parole. Le psychanalyste doit déterminer la place que l’enfant occupe auprès de ses parents. Il sera nécessaire de bâtir une « alliance thérapeutique » avec les parents pour que le travail se mette en place quel que soit le cadre.

Ce qui ressort de cet ouvrage d’articles coordonnés par Jean-Richard Freymann, c’est le grand rôle des entretiens préliminaires qui vont déterminer, pour le sujet qui demande une psychanalyse, sa capacité à symboliser et à accepter la « perte ».

Donc pas d’entrée en analyse sans entretiens préliminaires.

La psychanalyse est morte pour les autismes

La psychanalyse est morte pour les autismes, vive la psychanalyse pour les autismes !

Dire que la psychanalyse est morte pour les autismes est une affirmation qui repose sur plusieurs faits concordants :

Tout d’abord après les décennies soixante-soixante-dix du siècle dernier qui avaient vu la domination exclusive ou presque des théories psychanalytiques dans le champ de la pédopsychiatrie, les trente années qui ont suivi ont été l’occasion d’un changement de paradigmes au profit des théories neuro-scientifiques et des orientations comportementalistes. Tous les acquis exceptionnels apportés par la psychanalyse comme la finesse des observations cliniques, la subtilité des modèles descriptifs et des hypothèses sur le fonctionnement psychique en particulier les mécanismes de défense des personnes autistes comme l’identification adhésive ont été en quelque sorte balayés par la perspective nouvelle à orientation neuro-scientifique.

Déjà l’observation directe des bébés expérimentée par Brazelton (1970), Bower (1978) ou Trevarthen (1979) sur le modèle d’Ester Bick avait imposé une révision de certains concepts promus par Frances Tustin comme celui « d’autisme primaire normal » imposant de distinguer l’état autistique d’un état archaïque du développement normal avec fixation ou régression.

L’étape de l’autisme primaire normal n’existe pas, l’observation rigoureuse des nouveaux-nés le démontre sans ambiguïté, il semblerait exister un noyau d’intersubjectivité primaire plutôt qu’un autisme primaire mais ce noyau ne préjuge pas, ne détermine pas obligatoirement l’entrée dans l’intersubjectivité secondaire qui permet un contact avec l’autre distinct du sujet et constitué en objet distinct par le sujet ; certains éléments exogènes environnementaux dont l’interaction avec ceux qui s’occupent du bébé ou endogènes par exemple cérébraux peuvent entraver le passage du noyau primaire à l’intersubjectivité secondaire. Certaines hypothèses (Golse 2013) font un lien entre la co-modalisation de deux flux sensoriels impossible chez les autistes et le mantèlement/démantèlement à l’origine de la constitution de l’objet externe (Meltzer). Cette révision a entraîné une conséquence très importante : l’autisme ne pouvait plus entrer dans le champ des modèles freudiens ou kleiniens de développement du psychisme comme la perversion polymorphe de Freud pour les perversions ou les phases schizo-paranoïdes et dépressives de Klein pour les psychoses.

Les psychanalystes auraient pu alors passer d’un modèle explicatif à un modèle plus modeste purement descriptif mais ce ne fut pas le cas. Tout d’abord certains n’admettaient pas les révisions de Frances Tustin refusant les conclusions des observations directes en leur opposant leur expérience clinique propre, et Frances Tustin elle-même continua de parler d’un « autisme psychogène » en prenant comme référence des syndromes post traumatiques où se révèle une fixation sur le « ne pas savoir, ne pas entendre ». Dans l’autisme psychogène, il s’agirait d’une conscience traumatique de la séparation d’avec la mère, ce serait une amplification, une exagération, une intensification d’un groupe, d’un ensemble de réactions spécifiques au trauma. On serait face à un mécanisme de survie psychique. Si les cas cliniques décrits par certains analystes sont convaincants, les hypothèses qui soutiennent l’idée d’autisme psychogène ne sont pas corroborées par les découvertes des neuro-sciences, mais l’on sait de longue date que même avec des théories hasardeuses, approximatives ou fausses on peut « guérir». Il est bien évident que certains cas d’autismes sont corrélés à des trajectoires traumatiques comme les abandons, les carences en tout genre ou même parfois les maltraitances médicales, dites iatrogènes, lors d’hospitalisation dans les premiers mois de la vie, mais ce n’est pas la règle générale bien évidemment et corrélation ne veut pas dire causalité dans le sens où les événements traumatisants peuvent avoir le rôle d’événements déclencheurs sur un terrain de vulnérabilité neurologique ou génétique mais l’enchaînement des causalités reste inconnu.

Ces événements traumatisants ont en quelque sorte la même fonction que certaines maladies métaboliques, génétiques, certaines encéphalopathies ou épilepsie qui sont associés à des syndromes autistiques, ce que l’on appelle les autismes syndromiques à différencier des autismes prototypiques qui eux ne s’accompagnent d’aucune pathologie cérébrale détectable en dehors de l’autisme lui-même. Ces maladies associées jouent peut-être un rôle de déclencheur du syndrome autistique, ce qui ferait de ces formes d’autisme une sorte de « voie finale commune » en relation avec des pathologies très diverses. Il faut alors plutôt parler d’autismes au pluriel et non d’autisme au singulier.

La difficulté s’accroît avec les dernières découvertes génétiques qui retrouvent pour près de 40% des autismes un point de départ génétique mais un seul gène est exceptionnellement en cause ; la plupart du temps on est en face d’un tableau intéressant de multiples mutations sur plusieurs gènes qui ont chacune d’entre elles une faible pénétrance, seule leur association compte mais n’est pas suffisante car leur expression phénotypique n’est pas déterminée à l’avance, ce qui fait que les mêmes mutations peuvent entraîner tantôt un autisme tantôt aucune pathologie ou une autre pathologie que l’autisme. L’intérêt clinique repose sur le fait que, devant un tableau autistique en relation avec une mutation accidentelle « de novo », les parents n’ont a priori pas à s’inquiéter pour faire un autre enfant ce qui est différent dans un cas de mutation transmise. Autrement dit le gène de l’autisme n’existe pas. Par ailleurs les mutations génétiques intéressent surtout les autismes syndromiques et pour le moment très peu d’autismes prototypiques, c’est-à-dire plus l’autisme est « pur » moins il est « génétique » ; ce sont les découvertes actuelles mais cela peut naturellement changer.

La deuxième grande série de raison qui expliquerait la « mort » de la psychanalyse dans l’autisme tient à la nouvelle définition de l’autisme issue du DSM, le manuel US de classification des pathologies mentales. Après avoir éliminé les psychoses infantiles, le DSM a tout d’abord inclus l’autisme dans un ensemble que sont les troubles envahissant du développement (TED) puis, depuis la version 5 de ce manuel, on parle de troubles du spectre autistique (TSA). C’est dire que l’autisme est devenu la référence centrale : on est plus ou moins autiste, l’autisme lui-même étant défini selon des critères relativement simples permettant, avec un abaissement des seuils d’inclusion, une augmentation incroyable de la prévalence. Bientôt « tous autistes ». Deux seuls critères diagnostiques suffisent pour être inclus dans le trouble du spectre autistique :

  1. Existence de déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés. La communication et les interactions sociales sont regroupées dans la version 5 du DSM alors qu’elles étaient dissociées dans la version IV.
  2. Caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités. Avec ces deux critères diagnostiques, on peut commencer à poser un diagnostic d’autisme diagnostic qui sera confirmé ou infirmé par des tests complémentaires des évaluations de différentes sortes, mais le premier pas est franchi et cette inclusion selon les critères du DSM dans le spectre du trouble autistique est prise en compte dans le chiffrage de la prévalence. La prévalence est alors utilisable comme moyen de pression sur les décideurs politiques pour financer des établissements de soins, des recherches, fournir des aides en tout genre. Par ailleurs, le diagnostic d’autisme permet une ouverture de droits particuliers issus de législations particulières pour l’enfant et sa famille, et procure ainsi un avantage par rapport à d’autres diagnostics.

Le diagnostic de trouble du spectre autistique est un diagnostic essentiellement d’observation comportementale, il risque donc d’entraîner tout naturellement une démarche thérapeutique comportementaliste. Il met l’accent uniquement sur les déficits et ne parle pas des compétences des enfants autistes, là encore il favorise ou est dans l’esprit des méthodes purement normatives.

Pourtant, dans la plupart des cas, les autistes ont des compétences importantes et il n’est pas du tout sûr qu’il faille considérer leurs intérêts restreints d’un seul point de vue négatif et donc les empêcher alors qu’il s’agit peut-être d’une curiosité d’un éveil au monde extérieur, d’un recueil de données ou d’une recherche d’information. C’est le point de vue des partisans de la neuro-diversité et de Laurent Mottron. Les critères diagnostiques du DSM ne s’intéressent en rien à la réalité psychique des autistes comme par exemple les manifestations qu’on peut assimiler à des angoisses très fortes paroxystiques qui surviennent périodiquement, cette réalité psychique est hors jeu.

Le DSM a porté un coup de grâce à la psychanalyse dans l’autisme en désignant l’autisme comme trouble neuro-développemental, non pas en ce que le terme lui-même est gênant mais en raison des interprétations qu’il suggère concernant l’étiologie. Neuro- développemental suggère neurologique et donc une étiologie monofactorielle purement organique, un certain déterminisme pour ne pas dire un déterminisme certain, le retour à une médecine d’organe, le cerveau en l’occurrence, excluant toute causalité psychique car le psychisme n’est pas un organe.

Enfin la représentation sociale de l’autisme a également changé grâce à l’action des usagers et des autistes eux-mêmes qui se sont de plus en plus détournés non seulement de la psychanalyse mais de la psychiatrie qu’ils accusaient de culpabilisation, enfermement et stigmatisation. Ils refusent d’être considérés comme des malades mentaux – ce qui se comprend –, certains considèrent qu’être autiste représente une façon d’être comme une autre et, comme nous sommes tous différents, nous avons aussi un cerveau différent et qu’il existe des neuro-typiques et des neuro-atypiques que sont les autistes.

Cette vision des choses a entraîné une sorte de regroupement communautaire d’un certain nombre d’usagers autour de leur identité d’autiste. L’autisme, qui était en 1943 une pathologie très grave et très peu évolutive, est devenu en 2017 un mode d’être comme un autre et que la société se doit d’inclure.

Il ne sert à pas grand chose de dénoncer cette évolution si ce n’est à passer pour des nostalgiques des époques précédentes où régnait un âge d’or entre psychanalyse et psychiatrie, mais qui n’était pas du tout satisfaisante.

En France les autistes et leurs parents se sont heurtés trop souvent à une arrogance des psychanalystes qui masquait une impuissance à guérir, à une doxa dominante qui situait un péché originaire du côté du désir des parents et en particulier de la mère, et qui ne pouvait être pris autrement qu’une culpabilisation. Je me demande si ce n’était pas une sorte d’influence de la religion sur la doxa analytique ; au péché originaire de la Bible concernant la femme, on substituait le péché originaire de la mère d’autiste.

Mais tout cela a entraîné des traumatismes car, quand on vient en consultation avec un enfant très différent des autres et avec lequel l’interaction est si difficile, se voir indirectement accusé de sa pathologie ajoute de la souffrance à la souffrance. Ces traumatismes sont si répandus que de nombreux parents préfèrent des méthodes comportementalistes intensives comme la méthode ABA où ils sont réduits à la fonction d’auxiliaire éducateur au détriment de toute spontanéité et de toute initiative parentale et se sentent souvent culpabilisés s’ils dévient de la ligne. En fait, les psychanalystes qui travaillent spécifiquement dans le champ de l’autisme sont à des années lumière des pratiques encore aujourd’hui dénoncées par les associations d’usagers. L’idée même d’interpréter un symptôme autistique comme Freud interprétait un symptôme hystérique au début du siècle dernier est un non-sens absolu, une absurdité, les psychanalystes travaillent avec les autistes avec une toute autre approche.

De nos jours, les cures psychanalytiques avec les autistes sont intégrées dans un programme d’action pluridisciplinaire dans lequel prennent place des approches éducatives et rééducatives, orthophoniques et psychomotrices etc.

Enfin cette doxa psychanalytique qui « accusait » les parents a une bien étonnante postérité. Certains parents d’autistes, certains usagers accusent la doxa psychanalytique d’influencer les travailleurs sociaux qui préconisent les placements d’enfants autistes. En réalité le problème se pose face à un enfant autiste qui présente très régulièrement des plaies,

des ecchymoses, des hématomes, s’agit-il de maltraitance ou s’agit-il d’auto-mutilations ? La réponse est au cas par cas sachant que les auto-mutilations existent et qu’elles peuvent faire croire à de la maltraitance. C’est de la responsabilité des professionnels de savoir faire la distinction. Les parents d’autistes sont des femmes et des hommes comme tout le monde, ils ne sont en rien coupables de l’autisme de leur enfant, ils doivent supporter une interaction très complexe, très pénible qui engendre une souffrance psychique à prendre en compte. Les parents d’autistes ne sont ni à diaboliser, ni à culpabiliser mais ils ne doivent pas être sacralisés non plus, certains cas de maltraitance peuvent exister. Mais de là à accuser la psychanalyse dans les placements injustifiés, c’est irrationnel et c’est abusif.

Vive la psychanalyse dans les autismes !

Comment les psychanalystes ont organisé la résistance?

Après tout ce que je viens d’énoncer on pourrait m’objecter que la psychanalyse n’a plus sa place dans l’autisme, qu’elle s’est avérée défaillante en confondant psychoses et autismes, en prétendant que l’autisme était psychogène etc. Pourtant les cures psychanalytiques ont démontré leur efficacité comme en témoignent des centaines d’études de cas et des dizaines de livres. Ces études de cas ne sont pas prises en considération par les experts scientifiques qui ont leurs critères de preuves scientifiques, seules les études cliniques randomisées en double aveugle ou presque ont grâce à leurs yeux ; c’est la règle du fameux consensus qui est « l’enfant » de l’évidence based médecine (EBM). Pourtant il existe de nombreux livres et articles qui montrent les limites de l’EBM en général et surtout en psychiatrie, mais rien n’y fait car on ne trouve pas mieux pour orienter les décisions. Les études de cas ne sont évidemment pas parfaites, elles sont potentiellement biaisées – l’évaluateur étant le thérapeute lui-même – il n’y pas de groupe contrôle, les progrès que le thérapeute attribue à la thérapie d’un enfant autiste par exemple sont peut-être attribuables à une évolution spontanée de la pathologie ou sont dus à d’autres facteurs. Les études de cas ne sont pas reproductibles, comme l’impose la science.

Pour toutes ces raisons, les cas de cures psychanalytiques avec les autistes ne peuvent pas entrer dans le cadre du consensus d’experts qui sont chargés dans tous les pays européens de publier des recommandations de bonne pratique, plus ou moins opposables aux praticiens. Ce fait marginalise la psychanalyse et c’est la raison pour laquelle à la suite de l’American Psychological Association (APA) qui a publié des règles pour évaluer « scientifiquement » les psychothérapies, certains psychanalystes ont mis en place des protocoles de recherche qui tiennent compte de la spécificité des psychothérapies avec les autistes. Les résultats intermédiaires sont intéressants, encourageants. Dans ces études on constate par exemple le fait que les traits généraux de la pratique clinique ajustée des cliniciens, pour la plupart psychanalystes (58 sur 65), ne s’accordent aucunement avec les caricatures qui ont été diffusées sur la psychanalyse.

En revanche, on retrouve certaines qualités partagées par les cliniciens, notamment la sensibilité, l’implication, la place première réservée au patient et l’ajustement fin à ses possibilités, la capacité de faire face aux provocations et pulsions violentes des enfants, d’utiliser au mieux la dimension préverbale, etc. La participation et le soutien des parents sont évidemment aussi des aspects importants.

Donc les psychanalystes s’occupant d’autistes, ou au moins certains d’entre eux, ont décidé de participer à la recherche avec les modalités appliquées aux autres méthodes thérapeutiques, en particulier médicamenteuses. Les résultats font déjà l’objet de critiques ou de polémiques mais ils sont là.

La résistance des psychanalystes n’a pas simplement consisté à entrer dans le jeu de l’évaluation, elle a pris aussi d’autres formes comme la « résistance étiologique ».

À la définition consensuelle de trouble neuro-développemental, on peut opposer une autre définition : « L’autisme est la forme la plus grave d’échec de l’intersubjectivité. »

Mettre l’accent sur l’intersubjectivité plutôt que sur le neuro-développemental ouvre de nouvelles perspectives, car l’accès à l’intersubjectivité se fait par étapes successives au cours desquelles la relation avec les proches est essentielle, et bien sûr en premier lieu avec les parents. À l’ancienne causalité psychique, on substitue une causalité interactive. Dans les cures psychanalytiques c’est cet aspect – accès à l’intersubjectivité – qui est mise en avant et pour cela la psychanalyse est irremplaçable. On observe que des enfants peuvent avoir au cours de leur première année des signes de la série autistique mais qu’ils ne développeront pas tous un autisme, certains d’entre eux s’enfermeront dans un syndrome autistique alors que d’autres reprendront le cours d’un développement normal. Ce qui a fait dire à certains psychanalystes qu’il existe un processus autistisant sur lequel on peut intervenir pour en interrompre l’évolution vers un syndrome autistique complet ; tout n’est pas joué à la naissance, plusieurs facteurs peuvent intervenir dans ce processus autistisant, en particulier l’interaction avec ceux qui s’occupent de l’enfant. D’où l’idée que le psychanalyste peut aider, par son observation et son expérience clinique, les parents dans leur interaction avec l’enfant difficile.

Les vidéos familiales faites dans le cadre de recherches en Italie ont montré par exemple que l’interaction entre un bébé peu communiquant, peu répondeur, hypotonique, donc à risque d’évolution autistique et une mère hyperstimulante était souvent contre- productif. Agir sur l’interaction entre l’enfant à risque autistique et les adultes dans le but de favoriser une ouverture vers l’intersubjectivité, c’est prendre très précisément le contre-pied des méthodes comportementalistes type ABA qui ne prennent en compte que l’interaction comportementale, les parents jouant le rôle d’auxiliaire éducateur ABA : les règles doivent être les mêmes partout, au foyer de l’enfant comme ailleurs.

Parmi les nombreux reproches qui sont faits à la psychanalyse, il y a celui de ne pas être suffisamment actif, d’attendre trop que le désir de l’enfant émerge, ce qui laisse l’enfant trop longtemps dans ce monde autistique et surtout ce qui nuit à son développement, lui faisant perdre des chances. Derrière ce reproche il y a l’idée que le développement cérébral comporte certaines étapes sous forme de fenêtres qui s’ouvrent et si l’opportunité n’est pas saisie, l’acquisition sera beaucoup plus difficile voire impossible. En fait cela semble être le cas pour certaines acquisitions comme la lecture, mais pas pour toutes les acquisitions.

S’il est vrai qu’une cure psychanalytique avec un enfant autiste exige une retenue de la part du thérapeute, la cure ne se fait jamais seule, à l’exclusion des autres prises en charge de l’enfant qui, elles, sont actives ou plus actives. De plus les techniques éducatives d’éveil, de jeu, de récréation qui utilisent les désirs de l’enfant s’avèrent efficaces pour les jeunes enfants. Il faut souligner que les avancées scientifiques récentes ne discréditent pas du tout la question d’un traitement relationnel et par le jeu.

Par exemple le Pr Catherine Barthélémy qui a reçu le prix de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a développé avec le Pr Lelord la Thérapie d’Échange et de Développement, thérapie par le jeu, pratiquée de façon intégrative (2 séances /semaine) en hôpital de jour. Elle déclare qu’on améliore « de toute façon » la qualité de vie des autistes « en leur permettant d’accéder à la confiance, à l’échange, à la complicité et à la relation avec l’autre ».

La méthode Denver (ESDM) a le vent en poupe dans les publications internationales. Elle est en train d’être implantée et expérimentée en France dans un certain nombre de services qui sont des services « intégratifs », mixant plusieurs approches pour répondre à la

complexité des troubles et la diversité des patients. C’est une approche dans laquelle le jeu et la qualité d’empathie et de réceptivité du thérapeute sont au premier plan.

La méthode des « 3i », également basée sur le jeu individuel et la réceptivité du thérapeute pour entrer en relation avec l’enfant, donne des résultats intéressants qui vont être publiés prochainement. Sans parler d’un retour de la psychanalyse, il semble évident que les méthodes qui tiennent compte de l’interaction sont de plus en plus utilisées et évaluées.

La méthode de « l’affinity Therapy » est également en cours d’évaluation et s’avère très prometteuse. C’est une méthode qui se fonde sur le fait que le savoir (le sujet supposé savoir ?) n’est pas seulement du côté de la personne en charge des autistes mais aussi du côté des personnes autistes.

Mais que peut-on attendre d’une cure analytique avec des enfants autistes ? Ces cures à deux ou trois séances par semaine se fixent en fait plusieurs buts :

  • Partant de l’hypothèse de la construction de l’intersubjectivité, de son accès progressif, la cure analytique avec des autistes doit faire ressentir à l’enfant qu’un autre existe et n’est pas menaçant. Il existe une dialectique entre la subjectivation et l’accès à l’intersubjectivité. L’autre est reconnu dans le même mouvement que le sujet se reconnaît comme sujet. Donc l’objectif est double : que le sujet se voit comme sujet et sujet distinct de l’autre avec lequel il entre en interaction sans danger excessif.
  • Certains comportements stéréotypés, certaines figurations peuvent recevoir un sens de la part de l’analyste, permettant de mettre des mots sur ce que l’enfant figure devant l’autre, donne à voir à l’autre.
  • Les émotions qui sont ressenties par l’enfant autiste peuvent également recevoir des mots pour les identifier, c’est le rôle de l’analyste que d’aider à la mise en mots, le psychanalyste par son empathie par son expérience du transfert et du contre-transfert est bien placé pour décoder les messages.
  • Ainsi l’enfant pourra faire l’expérience qu’il peut communiquer une part de sa vie intime de son vécu intime à l’autre sans en être détruit en retour.
  • L’enfant autiste éprouve des angoisses très archaïques, ces angoisses se manifestent lors des séances de psychanalyse comme lors des activités quotidiennes ; ce sont des angoisses que l’on appelle de vidange, vidage, de tremblement ou de liquéfaction, d’où la recherche récurrente par les autistes de points d’appui durs comme par exemple un mur contre lequel s’appuyer. L’analyste confronté à ces moments d’angoisse au cours de la cure pourra, saura mettre des mots sur ces angoisses archaïques.

Les autistes ressentent vivent des souffrances psychiques intenses et – si je comprends qu’il puisse s’avérer nécessaire de les écarter d’un point de vue plus méthodologique qu’épistémologique pour s’occuper des autistes selon certaines méthodes à forte teneur comportementale – il n’est pas admissible d’en nier l’existence. Nier l’existence de souffrances psychiques chez les autistes revient à une sorte de maltraitance. Les témoignages d’autistes qui ont en quelque sorte expérimenté à des degrés divers cette négation ne manquent pas. Elles ou ils (Temple Grandin par exemple ou Michelle Dawson) expliquent fort bien que le forçage des méthodes purement comportementalistes est une sorte de maltraitance et, sans explicitement réhabiliter les méthodes psychanalytiques, elles prônent un respect de la personne autiste, de ses désirs, de son développement atypique.

En conclusion, il semble que, comme souvent dans le champ de la psychiatrie, on assiste à un mouvement de balancier. Après les années de « l’arrogance psychanalytique » où la psychanalyse prétendait à l’hégémonie et servait de métalangage pour surplomber l’ensemble des autres discours, et après les années qui ont suivi de « l’arrogance scientiste » qui devait découvrir des marqueurs biologiques très rapidement de toutes les pathologies mentales, il semble que l’on revienne petit à petit à une situation plus mélangée en particulier dans l’autisme.

Le triomphalisme scientifique au service de certains intérêts mercantiles a laissé place au doute, en particulier sur la validité des résultats à long terme (Shea 2004) des méthodes purement comportementalistes. Certaines associations d’usagers essaient par l’activisme médical, le lobbying, la communication d’obtenir ce que la science ne leur donne pas, elles réussissent en partie à influencer certains législateurs, mais la réalité est bien là : il n’existe pas de vérité scientifique sur l’autisme, nul ne peut faire un diagnostic d’autisme sur des marqueurs biologiques, ce qui nuit à la prévention. Enfin aucune méthode ne peut prétendre guérir l’autisme ou même obtenir des résultats très satisfaisants.

Dans ce contexte les méthodes psycho-dynamiques et les cures psychanalytiques en tout premier lieu gardent leur pertinence à condition de bien poser les indications, de sélectionner les bons thérapeutes qui doivent avoir certaines qualités, et d’associer à ces cures d’autres prises en charge de types éducatives ou rééducatives. Le pari le plus audacieux des psychanalystes est de supposer un sujet à un être qui ne parle pas, ne semble pas comprendre ce qu’on lui dit, ne communique pratiquement pas par des voies non verbales et présentent des comportements déroutants. À partir de cette supposition subjective, les psychanalystes essaient de comprendre avec des modèles descriptifs le fonctionnement psychique, en particulier pulsionnel de ce sujet, et ils adaptent leur pratique à cette réalité psychique supposée. Cette méthode peut apparaître pas suffisamment active mais encore une fois elle n’est plus jamais pratiquée seule et il n’est pas sûr que les méthodes actives à 100 % ou

« hyperactives » obtiennent de meilleurs résultats à long terme.

Malheureusement, en 2017, les autismes conservent leur opacité, leur mystère et devant ce fait incontournable qui produit de l’incertitude, il convient de résister aux attitudes dogmatiques ou aux réactions passionnelles.

Le tout psychanalytique a échoué mais le tout comportemental a également échoué.

Références bibliographiques :

Gary B. Mesibov and Victoria Shea, Evidence Based Practice and Autism, Autism

15(1):114-33. September 2010.

Bernard Golse, Mon combat pour les enfants autistes, Odile Jacob, 2013. Jean-Claude Maleval http://autistes-et-cliniciens.org/_Jean-Claude-Maleval

Laurent Mottron, L’intervention précoce pour enfants autistes, Mardaga, 2016. Lisa Miller and al, Closely observed infants, 1989.

Frances Tustin, Autistic states in children, 1994.

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