Amour, mélancolie et clivage

Intervention de Guillaume Riedlin lors de la formation APERTURA « Mélancolie et Paranoïa » qui a eu lieu le 8 juin 2016.

Dans ce cycle de formation organisé par Apertura, il est question, à cette session, d’évoquer en particulier la paranoïa et la mélancolie. Mon intervention s’inscrit dans ce contexte et propose d’aborder la notion de mélancolie et ses rapports à la paranoïa autour d’un cas clinique dans un premier temps et, dans un deuxième temps, de proposer une réflexion personnelle sur ce que seraient des moments mélancoliques au sein d’une cure analytique.

La mélancolie aujourd’hui

La mélancolie est une notion qui traverse toutes les nosographies, toutes les théorisations depuis Hippocrate. Sur le plan analytique, si le champ de la mélancolie, d’un point du vue du discours mélancolique ou même en termes de structure, est souvent discuté, on retrouve peu de textes qui fassent référence hormis le texte de Freud « Deuil et mélancolie1 » écrit en 1917.

Dans la nosographie freudienne où l’on retrouve – en citant rapidement – : les névroses actuelles, les psychonévroses de défense ou de transfert et les psychonévroses narcissiques, la mélancolie se retrouve dans cette dernière catégorie où elle représente une dépression marquée par un désinvestissement narcissique extrême ; en ce sens, et avec la paranoïa en miroir, elle apparaît même paradigmatique de cette entité nosographique.

Pour Freud, et d’un point de vue clinique, la mélancolie est repérable ainsi : il s’agit

pour le patient d’ « une suspension de l’intérêt pour le monde extérieur, la perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité et la diminution du sentiment d’estime de soi qui se manifeste en des auto-reproches et auto-injures et va jusqu’à l’attente délirante du châtiment21 ».

S’il est vrai que cette entité clinico-théorique traverse toutes les théorisations, elle n’est pourtant plus présente en tant que telle dans la psychiatrie moderne organisée autour du DSM, elle est maintenant intégrée au spectre des troubles bipolaires, au moins des troubles unipolaires, dans une vision dimensionnelle et selon le principe d’une dépression spécifique par sa gravité, avec l’apparition d’idées délirantes congruentes à l’humeur. Selon le Larousse en ligne, la congruence est la « qualité d’une articulation ou d’une anastomose dont les deux parties s’adaptent parfaitement ». On entend bien là, la volonté d’une intégration dimensionnelle des choses. Sur la réglette de l’intensité du ressenti dépressif et de l’ampleur des signes cliniques associés, allant d’un soleil jaune à un trou noir, la mélancolie serait certainement ce qui se rapproche le plus de ce dernier. Si l’on revient à une définition plus mathématique de la congruence : un angle est congru à un autre en fonction du nombre de tours que l’on a réalisé pour y arriver. C’est-à-dire, que par exemple, deux angles peuvent être égaux à une congruence de 2π près (modulo), cela fait disparaître de la scène le nombre de tours qu’il a fallu pour arriver à cette même valeur comprise entre 0 et 2π. Cette répétition perdue correspond peut-être, d’un point analytique à ce qui se perd de la substance mélancolique quand on l’intègre au spectre des troubles de l’humeur et que nous allons essayer de retraverser ici au décours d’un cas clinique. Ceci apparaît même souvent nécessaire aux psychiatres qui auront à se référer parfois au discours analytique, au cas par cas, pour prendre en charge des patients mélancoliques, de par leur spécificité.

D’un point de vue psychopathologique, et d’un point de vue analytique, pour dire quelque chose de la mélancolie il faudra en passer par Freud et avec un regard empruntant à Lacan selon les interrogations suivantes autour de la texture de l’idéal du moi, le statut de l’objet et du clivage.

Pour ce faire, comme l’indique le titre de mon intervention pour parler de la mélancolie on va partir de l’amour. J’aborderai rapidement, à la fin, une idée toute personnelle sur les traces de mélancolie retrouvées dans la cure en rapport à ce qu’il en est de chacun d’un rapport au langage, cela constituera une hypothèse que je formulerai.

Voici le cas clinique que je voulais aborder comme toile de fond de cette intervention :

Mme C. rencontrée à l’hôpital et dont l’anamnèse fait état d’un lourd passé de dépression grave (le mot mélancolique est prononcé dans son dossier), souffre actuellement d’un trouble bipolaire de type 1 et d’une maladie de Parkinson. Le début de ses troubles remonterait à presque 20 ans.

À notre première rencontre dans le service, Mme C présente : angoisse majeure de fond avec des excès paroxystiques au cours de l’entretien qui la font se taire, passer par le corps ; elle sue, tremble, se rigidifie, et le regard est terriblement fixe, vide et suppliant. La tristesse est intense et particulièrement palpable, elle fait l’effet d’un vent froid dans le dos. Elle présente une tristesse très perméable, c’est quand même l’effet premier, angoissant, que produit chaque mélancolie que j’ai pu croiser.

Au décours de ces accès, au moins deux dans l’entretien, le discours, qui se tenait un peu avant, prenait une tonalité délirante sous la forme d’une culpabilité délirante « je leur ai fait tellement de mal, la police va venir me chercher », elle parle de voix qui résonnent comme des injonctions à se suicider au moment des excès d’angoisse. « Tu dois te tuer » « suicide-toi » « tu n’es rien » « tu es coupable ».

Finalement, au cours du suivi, la patiente va pouvoir me raconter son histoire de la maladie, c’est-à-dire la manière dont elle fait état de ce qui lui arrive :

Peu de temps avant son entrée dans la maladie, elle avait un amant dont elle était très amoureuse, avait déjà deux enfants, son mari était éthylique chronique, violent, elle subissait elle-même de la maltraitance dans son enfance de la part d’un père violent et alcoolique. L’idée, formulée par son amant et entretenue par elle, de la possibilité d’un départ à deux vers un horizon plus amoureux se discutait de plus en plus sérieusement. Le jour où elle décide d’aborder la question avec son mari, celui-ci demande une entrevue à trois, lui, elle et l’amant. Avant cette entrevue, elle préparera ses valises.

Elle ne dira pas grand chose de ce qui s’est dit à ce moment-là, ce serait certainement le point central à déplier si j’avais pu être amené à suivre cette patiente sur le long terme ; à la fin, elle va finalement refuser de partir, c’était à la demande de son mari. C’est à ce moment qu’elle va commencer à entrer dans une dépression, selon ses dires, qui va aller en s’aggravant et de concert va développer une maladie de Parkinson. Elle tentera plusieurs fois de mettre fin à ses jours, sauvée au moins deux fois de justesse par la réanimation médicale. Aux dernières nouvelles, 20 ans après, le neurologue qui la suit depuis le début, dans un courrier, explique qu’il faut arrêter de prendre en charge la pathologie neurologique comme une maladie de parkinson, que lui-même n’est plus certain du diagnostic.

Au fil de cette histoire, on va commencer par parler d’amour.

Amour et mélancolie

Dans l’article « Pour introduire le narcissisme2 », Freud, en 1914, explique que l’on aime ce que l’on est, ce que l’on a été, ce que l’on voudrait être soi-même. De ce point de vue, narcissique, l’amour a à voir du côté d’un mécanisme qui fonctionnerait comme un déplacement de l’image du Moi. Pour que ça fonctionne, l’amour suppose un dépôt dans l’Autre. Tous les autres ne sont pas susceptibles d’être des réceptacles à ce déplacement, il s’agit souvent d’un trait qui offre cette possibilité, trait qui sera la manière dont on évoquera l’idéal du moi, c’est-à-dire que cela implique le symbolique. Le dépôt, ainsi constitué, arrime le mouvement des instances. Avec des objets lacaniens, on dirait que l’opération amoureuse serait alors celle qui conjugue l’image spéculaire i(m) (moi idéal) et l’objet a sous le réglage de l’idéal du moi. Comme l’évoque Jean-Richard Freymann dans le devenir de la mélancolie3.

Alors quand il y a rupture ? Et, toujours selon Jean-Richard Freymann, quand il y a une chute réelle, « l’autre réel quitte le montage », la place vacante devenant déshabitée, il y aurait deux conséquences :

  • d’une part, l’amoureux se retrouve encombré de l’objet a qu’il avait déposé dans l’autre ;
  • le jeu symbolique entre moi (moi idéal) et idéal du moi soit les rapproche soit les éloigne.

C’est dans un échec de la deuxième, et sous la forme d’un rapprochement, que se constitue la mélancolie.

Avant d’aller plus loin il nous faut redéfinir les choses : Le moi idéal est un représentant du premier narcissisme, il est exempt de la dimension de l’identification. Selon Lacan, et commentant le stade du miroir3 : « L’image du moi, du seul fait qu’elle est image, le moi est moi idéal, résume toute la relation imaginaire chez l’homme4. » C’est un lieu caractéristique de l’état dit de toute-puissance.

L’idéal du moi selon le texte de Freud « Introduction au narcissisme5 » est présenté sur le mode d’une formation intrapsychique autonome qui joue le rôle d’une instance qui évalue le moi. Issues du deuxième narcissisme, qui se constituerait ainsi, les idées de grandeur réprimées par les parents induiraient une intériorisation progressive sous la forme d’une instance exerçant une censure possible sur un mode d’auto-évaluation. Freud précise, sur le mode identificatoire, dans « Psychologie des foules et analyse du Moi6 » en 1921, que c’est aussi le lieu spécifique où fonctionneraient la fascination amoureuse, la soumission au leader, la dépendance vis-à-vis de l’hypnose et de la suggestion, c’est-à-dire où le sujet s’identifie à une personne tierce en place d’idéal du moi.

On peut aller un peu plus loin dans l’interrogation de cette instance : il s’agit d’une répétition de réprimande à l’endroit des idées de grandeurs, cela constituerait un modelage du moi idéal, mais ce qui est intériorisé serait la répétition progressive, ce qui entre en-je(u) n’est plus le contenu de ce qui est réprimandé mais le rapport à la réprimande. Fonction du trait, et donc de l’instance, et donc son inscription du côté symbolique. Il s’agit de l’introduction de symbolique, de tiers. Au niveau du schéma optique, l’idéal du moi pourrait être représenté par l’angle d’inclinaison du miroir qui fait plus ou moins bien correspondre i’(a) en fonction de i(a).

Toujours d’après Gérard Pommier7, dans « Le moi et le ça8 », Freud parle d’un rapprochement ambigu entre l’idéal du moi et le surmoi ; en 1931, Freud expliquera que le surmoi déborde l’idéal du moi. Le surmoi serait investi d’une triple fonction : auto- observation, conscience morale, fonction d’idéal. Schématiquement, le rapport entre le moi et le surmoi renverrait au sentiment de culpabilité et d’infériorité, culpabilité en rapport à la conscience morale, et infériorité en rapport avec l’idéal du moi.

Mécanismes mélancoliques, mise en corps et clivage

Dans la mélancolie, selon Freud, par le mécanisme d’identification, cet objet d’amour est reconstitué dans le moi, et sévèrement jugé et critiqué par l’idéal du moi et « les reproches et agressions envers l’objet se manifestent sous la forme d’auto-reproches mélancoliques9 » ; il y a un renversement des reproches à l’objet d’amour sur le moi propre, c’est le mécanisme de la genèse de la mélancolie, ce qui éclaire cette phrase :

« L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l’objet abandonné10. »

Mais qu’est-ce qu’il y a à entendre de cette question de l’identification ? Il y aurait

trois mécanismes identificatoires chez Freud11 :

  1. La dimension de l’incorporation, introjection développée par Abraham et Ferenczi ;
  2. L’identification hystérique, qui permettrait que l’amour persiste car l’identification se ferait selon des traits empruntés à l’objet d’amour, l’inverse d’une totalité ; et enfin
  3. L’identification régressive.

C’est dans cette dernière que se retrouve le mode identificatoire dans la mélancolie.

Cette modalité identificatoire n’est pas tant propice à un remaniement, puisqu’elle se distingue comme totale : le Moi était complètement confondu avec l’objet de la pulsion.

Le mélancolique devient ce qu’il aime et ne peut que supporter une perte de l’ordre de la mutilation, « l’autre réel sort du montage » : avec le départ ou la mort de l’objet, c’est l’édifice narcissique qui se dénoue : le Moi n’a plus de quoi se soutenir, sinon l’hallucination d’un cadavre.

D’après Freud, et à propos du texte sur Schreber12, qui contribuera à mettre en place la deuxième topique, la négation de « je l’aime » chez le paranoïaque n’est pas marquée de la négation, il s’agirait d’un négativisme. Pour ce faire, il faut s’employer à mettre en place une négation sans signe syntaxique, ce qui va impliquer notamment un recours à l’acte, selon sa composante réelle. Ainsi Freud va décomposer le jugement négatif en deux temps :

  • renversement sémantique « je l’aime » devient « je le hais »,
  • puis dans un deuxième temps un renversement de sujet « je le hais » devient « il me hait ».

Une double négation faisant retour à l’affirmation, un double négativisme validant l’affirmation ?

L’idée serait de dire que dans la mélancolie de par cette identification régressive, le renversement du sujet n’est plus possible et le seul renversement possible d’un point du sujet est contre lui-même : « je le hais » se transformant en « je me hais ». Cette position valide le caractère non névrotique du moment mélancolique.

Dans le chapitre « l’identification » écrit en 1921 et présent dans l’ouvrage

« Psychologie collective et analyse du moi », Freud explique les choses ainsi :

« Mais ces mélancolies nous révèlent encore d’autres détails qui peuvent avoir de l’importance pour nos considérations ultérieures. Elles nous montrent le moi divisé, partagé en deux parties, dont l’une s’acharne contre l’autre. Cette autre partie est celle qui a été transformée par l’introjection, celle qui renferme l’objet perdu. Mais la partie qui se montre si cruelle à l’égard de sa voisine ne nous est pas inconnue non plus. Cette partie représente la « voix de la conscience », l’instance critique du moi ; tout en se manifestant même en temps normal, elle ne se montre jamais aussi impitoyable et aussi injuste. Déjà précédemment (à propos du narcissisme, de la tristesse et de la mélancolie) nous avons été obligé d’admettre la formation, au sein du moi, d’une pareille instance, susceptible de se séparer de l’autre moi et d’entrer en conflit avec lui. Nous lui avons donné le nom d’ « idéal du moi » et nous lui avons assigné pour fonctions l’observation de soi-même, la conscience morale, la censure des rêves et le rôle décisif dans le processus du refoulement. Nous disions alors que cet idéal du moi était l’héritier du narcissisme, dans lequel le moi infantile se suffisait à lui-même. Peu à peu il emprunte aux influences du milieu toutes les exigences que celui-ci pose au moi et auxquelles le moi n’est pas toujours capable de satisfaire, afin que, dans les cas où l’homme croit avoir des raisons d’être mécontent de lui-même, il n’en puisse pas moins trouver sa satisfaction dans le moi idéal qui s’est différencié du moi tout court13. »

Dans cette citation se retrouve l’essentiel des mécanismes que l’on a essayés de décrire.

Cette traversée nous a permis de dire quelque chose des mécanismes qui entrent en ligne de compte dans la mélancolie, le rapport au cas de Mme C nous permet d’entrevoir ce qui se joue de la clinique de la mélancolie. Pourtant quand Freud ouvre la porte au clivage et ses processus, on a envie d’aller plus loin avec les apports de Lacan pour répondre de la mise en-je(u) du corps.

En m’appuyant notamment sur le texte de Gérard Pommier déjà cité, je vais vous proposer de dire quelque chose de ce rapport au corps par le biais du clivage.

À propos du stade du miroir, G. Pommier nous dit ceci : Le sujet est en face du petit autre du miroir dans une complète asymétrie, la maîtrise anticipée que cette image autorise provoque une jubilation, non sans angoisse qui l’amène à se référer à la place où il a été désiré par l’Autre. À cet instant il se tourne vers la personne qui le porte. Il pourra se voir aimable dans la mesure où il se reconnaîtra tel à la place virtuelle de l’idéal du moi, désignée par la mère. Il s’agit de cette instance symbolique où le sujet vient se signifier. Sans elle, il reste appendu au spéculaire.

Dans ce même texte, l’auteur propose un rapprochement entre le « schéma L » de Lacan et la théorie freudienne à cet endroit précis du narcissisme et dans le texte « Pour introduire le narcissisme » ; l’articulation logique apparente : auto-érotisme donne narcissisme donne amour objectal ne serait pas complètement satisfaisante pour Freud, c’est du côté du semblable, du côté de l’homosexualité dans le sens de la sexualité envers le semblable. (voir le texte sur Schreber qu’il va critiquer). Il explique que « quelque chose » doit venir se rajouter à l’auto-érotisme pour donner le narcissisme.

(Es) S ’utre

a

(moi) a

utre

On retrouve une dialectique autour de quatre termes : pulsions auto-érotiques que l’auteur propose de placer en A, une entité non définie et qui n’est pas encore le moi ce serait le sujet, le « quelque chose » serait le a qui vient s’ajouter au moi d’un point de vue de l’image et serait a’

A

Cette complexité autour de quatre places serait celle repérée dans le « schéma L » qui apparaît comme le fondement de la relation spéculaire. Dans ce montage ainsi proposé, le clivage serait un effet de discours, résultat d’une forclusion du nom du père et viendrait couper la ligne imaginaire, c’est-à-dire la ligne aa’.

Cela a deux conséquences :

  • Le corps étant de l’ordre de l’imaginaire, il entre en scène à ce moment précis pour tenir encore un peu un petit quelque chose de désirant ;
  • La marque de cette fragilité imaginaire a à voir avec un défaut d’inscription symbolique, le clivage rejoignant ici la forclusion lacanienne du nom du père, d’un point de vue de l’idéal du moi si on s’attache à Freud.

C’est à ce moment précis de lâchage sur une structure fragilisée que vient s’organiser la construction mélancolique.

Ainsi, le retour au cas clinique pourrait s’interpréter comme suit : l’idéal du moi vient persécuter le moi idéal suite à ce clivage opérant sur le mode de la chute de la ligne aa’. La mise en-je(u) du corps ne fonctionne plus de la même manière, cela s’est rigidifié (marque du syndrome extrapyramidal qui fonde la maladie de Parkinson).

L’effet jubilatoire de l’image comme lieu où apparaît l’autre opère sur un autre mode, comme pur semblable, l’angoisse générée lui fait s’adresser à l’Autre en interrogeant la place où elle a été désirée, il y a certainement quelque chose qui a fait défaut à cet endroit, c’est le point de fragilité structurelle, le clivage est marqué par les deux hommes (le père, le mari est à la fois comparé à son père et père de ses enfants et l’amant) toujours est-il que la patiente se retrouve dans l’incapacité d’entendre un au-delà de la demande permettant à un trou de se former et d’ouvrir la porte à un deuil, la demande s’adressant à un absent.

C’est l’endroit où cela va lui revenir du réel, le clivage se fait tranchant, il y a forclusion de ce qui n’avait jamais pu se symboliser.

Mme C reste à ce moment prise dans la jubilation et l’angoisse qu’elle génère. Il y a production d’une injonction de jouissance. Or ici, il ne restera que le corps comme semblable sur un glissement psychotique en deux temps du : je l’aime, je le hais, il me hait. Sauf que contrairement à la paranoïa, les choses sont plus complexes ici et surtout elles sont intériorisées. On n’est pas dans la capacité de produire de la projection au sens de Ferenczi.

Il reste donc ce corps que l’instance de l’idéal du moi va réduire à son état de cadavre, rigide et froid, parkinsonien. Mme C n’en est pourtant pas morte et cet en-je(u) du semblable du miroir à travers l’image perçue, le corps, est la dernière possibilité d’entretenir désespérément une trace de désir, de tenir le sujet mal barré.

Moments mélancoliques au sein d’une cure analytique

La fin de ce propos tiendra d’une autre question. Il s’agit de proposer de dire quelque chose de ce que pourrait être les « moments » mélancoliques rencontrés dans la cure analytique. Il y a, à cet endroit, une hypothèse que j’aurais envie de formuler. Si le travail dans la cure consiste à effectuer une « traversée » du fantasme inconscient, pour le dire rapidement, il y a, chez le sujet, des points qui n’y sont pas pris. Cliniquement on pourrait proposer de dire qu’il s’agit de pointes de discours qui sont figées, quasi holophrasiques, où l’espace entre les signifiants n’existe plus, ça n’est pas troué.

Ces pointes seraient parfois même des reliquats de ce qui n’avait pas pu être symbolisé dans l’Autre, au sens d’un lègue. Il n’y aurait alors comme seul mécanisme possible psychique pour tenter d’en faire quelque chose – traverser serait déjà trop –, que d’en passer par des mécanismes « mélancoliques ciblés ». L’image d’une toile de fond générale organisée dans le fantasme mais sur laquelle, ou au travers de laquelle, se trouveraient des points de fixation inabordables permettrait d’envisager que, sous le couvert d’une instance psychique, un rabotage soit envisageable, à la manière dont l’idéal du moi critique et réduit le moi idéal.

Cette opération analytique ouvrirait-elle à la possibilité de soutenir un travail analytique avec un patient mélancolique ?

1 S. Freud (1915), « Deuil et mélancolie », dans Métapsychologie, Paris, Payot, 2011.

2 Ibid.

3 J. Lacan, Écrits, Paris, Le Seuil, 1966.

4 J. Lacan, Le Séminaire livre I (1953-1954), Les écrits techniques de Freud, Paris, Le Seuil, 1975.

5 S. Freud (1914), « Pour introduire le narcissisme », dans La vie sexuelle, Paris, Puf, 1999.

6 S. Freud (1921), Psychologie des masses et analyse du Moi, coll. « Points », 2014, commentaires

P. Hochart, trad. D. Tassel.

7 G. Pommier, D’une logique de la psychose, Point hors ligne, 1983.

8 S. Sigmund (1923), Le moi et le ça, Paris, Puf, 2011.

9 S. Freud, Deuil et mélancolie, op. cit.

10 Ibid.

11 J.-R. Freymann (sous la dir.), L’art de la clinique : Les fondements de la clinique psychanalytique, Toulouse, Arcanes-érès, 2013.

12 S. Freud (1911), « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Le Président Schreber) », Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1995.

13 S. Freud (1921), « Psychologie des foules et analyse du moi ch. L’identification », dans Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993.

Clinique psychanalytique des états mixtes

Intervention de Jean-Richard Freymann lors de la formation APERTURA « Mélancolie et paranoïa » qui a eu lieu le 8 juin 2016.

Double nosographie

Le titre de mon intervention, Clinique psychanalytique des états mixtes, tient au fait de l’énigme que constitue ce qu’on appelait les états mixtes. Les états mixtes étaient déjà un peu énigmatiques dans les classifications de l’époque, travaillées par Henri Ey qui disait : « Il faut rappeler ici la possibilité d’états mixtes (Kraepelin) qui offrent tous les tableaux de transition entre l’accès de manie et celui de mélancolie ». Kraepelin, à l’époque, décrivait six formes d’états mixtes, la dépression avec fuite des idées, la mélancolie agitée, la stupeur avec éléments maniaques, la manie improductive, la manie dépressive et la manie akinétique. Point important parce que des personnes peuvent présenter à la fois des éléments mélancoliques et des éléments maniaques, point important cliniquement parce que ce sont des formes très fréquentes qu’on trouve dans les prises en charge « analytiques » des psychoses ; ces formes se développent souvent dans les transferts, disons, « psychotiques ». C’est donc quelque chose de très énigmatique dans la mesure où quelqu’un peut présenter à la fois un délire mélancolique et des éléments maniaques. C’est tout le problème des classifications actuelles : dans la mélancolie ou dans le moment mélancolique, ce n’est pas la même chose, vous avez un délire ; le délire, c’est ici la culpabilité délirante, sinon ce n’est pas une mélancolie. C’est là où nous avons de graves problèmes avec les classifications actuelles, vues sous l’angle de la clinique, en ce sens que cette histoire n’est pas du tout nette dans les questions de « bipolarité ». Cliniquement, il est très important de pouvoir repérer si quelqu’un, dans sa déprime, présente un délire mélancolique ou pas, ce qui peut arriver chez quelqu’un qui a une apparence très névrotique. Remarque que je fais, parce qu’il est très difficile de travailler les classifications actuelles et les classifications cliniques que l’on avait auparavant. Travail pourtant intéressant parce qu’à l’envers et positivement, j’ai trouvé concernant la définition de la paranoïa, dans la référence 201.0 – F60 du DSM-IV, la phrase suivante à propos de la personnalité paranoïaque et des critères diagnostiques : « … Garde la rancune c’est-à-dire ne pardonne pas d’être blessé, insulté ou dédaigné ». Intéressant ! Une phrase clinique surgit, qui est juste !

Paranoïa et aussi signifiant

Mais aussi, ce que je veux amener, concerne une phrase de Lacan à propos de la paranoïa ; c’était à l’ouverture de la section clinique de Vincennes, je le cite : « Dans la paranoïa, le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant ». Cela signifierait que dans la paranoïa, on a les mêmes mécanismes de logique signifiante que dans la névrose ; c’est évident dès le cas Aimée que Lacan travaille dans sa thèse. Ce qui veut dire que vous pouvez prendre en analyse des gens qui sont dans un cheminement langagier tout à fait habituel et qui sont de parfaits paranoïaques. C’est ce qui arrive, parce que ce qui fait défaut dans la paranoïa, c’est plutôt la question du fantasme. Quelle est la place du fantasme dans la paranoïa ? Entre le fantasme comme scénario inconscient et le délire révélé, complet, il y a du fantasme délirant. Freud le dit d’ailleurs dans les textes concernant « Névrose et Psychose »1 ou à propos de perte de la réalité.

Le problème pour l’analyste n’est alors pas simple. Que fait-on avec cela ? Est-ce que ces moments délirants, qui sont souvent sur un mode très paranoïaque – c’est une certitude par rapport à l’autre – ce sont des moments qui tranchent soudainement, qui existent dans la structure du sujet et c’est là où la notion de structure n’est plus du tout suffisante. Est-ce qu’il faut alors pousser quelqu’un à l’analyser ou à le contourner ? Moments d’intensité différente selon les individus mais qui, quand-même, sont là. Lacan répond à cette question dans les Conférences américaines2 ; il dit que quand la personne se sent vraiment bien, on arrête le travail, quitte à reprendre le travail analytique quelques années après. Sur cette question, on a inventé, surtout à Strasbourg, cette idée « d’entretiens post-analytiques », c’est-à-dire qu’il y a des moments dans la vie où on reprend, on pourrait dire, « un temps » d’analyse, dans le sens d’analyser son analyse, parce que quand vous avez fait une analyse, vous tombez sur des moments paranoïaques, mélancoliques, sans compter avec les fins de cure ratées. Je rappelle aussi que le risque encouru avec les questions de la castration, le rapport au manque, c’est que

  1. S. Freud, Névrose, Psychose et Perversion, Névrose et Psychose, PUF, 1973, p. 283.
  2. Scilicet : Conférences Américaines.

le sujet de l’inconscient avance mais va tout faire pour voiler cette question du manque, de la perte etc. C’est tout à fait fréquent qu’il y ait, en fin d’analyse, un moment de nature mélancolique, mais ce n’est pas de la mélancolie et c’est à ce moment-là qu’il ne faut pas lâcher l’analysant.

Et le désir ?

La question de la mélancolie et de la paranoïa, que nous avons traitée aujourd’hui sous différents angles, « les vides et les pleins », la question des « glissements structuraux », la question des clivages, du rapport à l’imaginaire… est illustrée par un schéma, le schéma Du désir et de son interprétation qui résume exactement la question de la structure du parlêtre et nous permet, au regard de l’inconscient aussi, de se repérer dans la question de la paranoïa et de la mélancolie. Ce schéma résume, au fond, toute la théorie de Lacan.

Schéma – Du désir et de son interprétation3

Les quatre points représentent l’unité de base de la structure ; avec ce schéma, vous pouvez faire le même développement du côté du graphe et du côté des différents schémas sur la psychose.

Vous avez S, qui est la question du sujet, vous avez A – le grand Autre ; le sujet se constitue dans l’Autre ; l’Autre n’est pas le discours ambiant ; l’Autre, c’est sa capacité ou non à créer de l’adresse. L’Autre est une adresse. Entre le discours ambiant et le sujet, il n’y a pas de lien direct ; ce n’est pas parce que vous êtes entourés, de fous – contrairement à ce que pense la psychiatrie – que vous deviendrez fous ; atout donc formidable ! C’est-à-dire qu’il y

  1. J. Lacan., Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, Ed. de la Martinière, 2013, p. 145.

a quelque chose « entre ». Pour que le sujet se constitue, il va être obligé – avant – de constituer cette question de l’Autre ; ça peut-être aussi le petit autre, la maman, le papa, le voisin etc… Il faut, pour cette adresse, quelque chose de l’ordre d’un conflit de discours, il faut du tiers. Cela veut dire qu’il faut quelque chose de poreux, vous ne pouvez pas être pris uniquement dans un seul discours.

Une exception cependant à cette question : est-ce qu’on peut devenir fou à cause du discours ambiant ? Oui, mais uniquement dans la névrose post-traumatique ; si vous êtes pris dans une guerre, dans un effroi total, vous pouvez devenir fou. Est-ce que pour autant, on le reste, c’est encore une autre question ?

Dans ce schéma du parlêtre, de l’être parlant, le sujet se constitue dans l’Autre et ce qui fait obstacle à cette constitution, c’est la relation imaginaire du moi et de son image. Le lien avec la question de l’imaginaire, c’est que le moi n’est pas l’ego ; le moi, c’est la somme des identifications, et l’image du moi, c’est ce qui donne aussi, pour une part, la question du moi- idéal c’est-à-dire ce dont on a hérité de la question du narcissisme de l’enfance. Ceci pour le schéma de la « normalité » psychanalytique c’est-à-dire vous vous constituez dans l’Autre mais tout est fait pour que ça ne marche pas ; alors vous faites une analyse et le lien entre les deux pôles, c’est le transfert ; il y a du transfert imaginaire, réel, symbolique. Sur ce schéma, vous avez une sorte de croix et ce qui se passe, c’est qu’au fond, le transfert permet de sceller les « points » ensemble, pendant un certain temps ; après, quand le transfert est quelque peu dénoué sur le plan imaginaire, c’est quelque chose…. Ce modèle est au fond, le modèle névrotique.

Dans la paranoïa, qu’est-ce qui se passe ? Dans la structure paranoïaque, même si « le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant », il y a quelque chose du sujet qui ne peut pas être clivé, qui est insupportable dans son clivage, c’est-à-dire qu’il ne peut pas être divisé. Du côté symbolique, c’est un modèle de « sujet consistant » c’est-à-dire qu’entre les signifiants, le signifiant représente le sujet, mais ce n’est pas le même sujet, c’est un sujet qui n’est pas divisé ; c’est quelque chose qui est univoque. Dans la logique paranoïaque, on a beaucoup plus accès à la question de la vérité, à la question de la réalité, à la question de la justesse beaucoup plus que le névrosé ; le névrosé a son semblant. Dans la paranoïa, le sujet prend une autre forme, et le moi qui est un ego, n’est pas le moi freudien ; c’est une structure où, je pense, il y a quelque chose qui est une contre-indication proprement dite à la psychanalyse typique. Je n’ai pas dit que c’était une contre-indication à une approche analytique ; là se pose vraiment la question du regard, il ne faut pas le lâcher des yeux sinon le délire devient prépondérant, mais ce n’est pas systématique.

La mélancolie

En ce qui concerne la question de la mélancolie, on se trouve dans la question de

« L’ombre de l’objet est ainsi tombé sur le Moi ». C’est le moi, lui-même, qui, non seulement, n’est pas de l’ego, n’est plus du moi ; Freud dit qu’il y a deux positions : pour s’identifier à l’objet perdu, au lieu de perdre de l’objet, on va perdre le moi, ce qui veut dire que là, on est dans quelque chose qui est un accès au sujet divisé, beaucoup plus prégnant. C’est pour ça que certaines fins d’analyse se terminent bien ; le seul problème, c’est que, s’il n’y a plus de moi, il n’y a plus rien. Lacan a toujours dit, dès le séminaire sur les psychoses, qu’il n’y a pas simplement les questions d’ancrage symbolique, les signifiants, la forclusion, le déni du réel, etc… c’est l’imaginaire lui-même, qui n’est plus capable de spéculariser et il y a deux imaginaires : l’imaginaire spéculaire, on pourrait dire le monde de l’image et l’imaginaire non spéculaire qui est l’endroit du lien entre le réel, le symbolique et l’imaginaire. Lorsque vous avez le nœud borroméen, il y a la place de l’imaginaire qui est branché sur les deux autres dimensions et vous avez la place de l’imaginaire autour de l’objet a. En général, l’analyse a tendance à racler du côté de l’imaginaire spéculaire ; alors justement, le moment où on tombe sur l’imaginaire non spéculaire, un imaginaire où ce n’est plus l’autre qui vous parle, un endroit où vous êtes confronté, non pas à l’autre comme objet mais à un objet que vous avez déposé dans l’autre, au moment où vous n’êtes plus concentré sur l’idée de l’altérité, vous vous rendez compte que tout tient au fait que vous avez déposé quelque chose dans l’autre. Le transfert analytique, c’est cela, et au moment où vous allez essayer de récupérer cela, le problème, c’est qu’il y a des moments qui sont extrêmement difficiles, structuralement. Même s’il y a des moments mélancoliques ou même des moments paranoïaques, ce sont des choses qui peuvent être traversées.

Ce qui fait que, a contrario, on peut dire que la psychanalyse soigne les psychoses, elle ne les guérit pas. Il faut arrêter de dire que la psychanalyse ne soigne pas les psychoses, c’est faux ! Le problème, c’est qu’on est obligé de réinventer nos outils, c’est-à-dire les formes de transfert. On peut mettre en place un transfert érotomaniaque, ce n’est pas pour autant que ce n’est pas un transfert. L’érotomanie, par exemple, fait le pont entre les formes de mélancolie et la question de la paranoïa.

DISCUSSION

Michel Lévy – J’aimerais poser une question : comment appelles-tu ces moments délirants dans la névrose ? Comment les nommes-tu ? Quelle est la théorie que tu appliques là-dessus parce qu’empiriquement, on les voit, on les décrit, ils sont là mais est-ce qu’il s’agit des forclusions partielles ? Dans la mesure où c’est réversible, est-ce que ce sont des forclusions réversibles ? Est-ce que ce sont des clivages dans la structure ? Est-ce que ce sont des forclusions locales ? Je ne sais pas comment les nommer. Est-ce que ce sont des juxtapositions mosaïques ? Est-ce que c’est un dénouage et un renouage ? Comment penses-tu ce « truc » ? On le voit, mais pour le comprendre, c’est quoi ?

Jean-Richard Freymann – J’ai une conception pour le travail, celle de penser qu’on est tous clivés, c’est-à-dire que chacun est porteur de tous les mécanismes du monde. On a de la forclusion, on a du déni, on a du refoulement, on a tout en « stock ». Il se trouve que, structurellement, comme résultante, il y a un des mécanismes qui est prépondérant. La première réponse, c’est qu’il n’est pas étonnant que quand vous grattez de manière importante un des mécanismes, la levée du refoulement, ça a un effet sur les autres mécanismes, sur le devenir des pulsions ; il y a d’autres devenirs des pulsions, ça a à voir avec la question des pulsions. À un moment donné, les gens qui ont été le plus magnifiquement obsessionnels, font des passages à l’acte incompréhensibles parce que c’est une mise en route des pulsions. Autrement, il faut faire attention, c’est ce en quoi la fin de cure et la fin d’analyse, ce n’est pas la même chose, ce sont des temps différents. La deuxième réponse, c’est bel et bien des forclusions d’un signifiant ou le déni du sein de la mère. On avait mis avec Michel Patris un triptyque en place qui nous avait beaucoup appris sur cette question-là, c’est le triptyque : croyance, conviction, certitude. Ce sont des mécanismes qui cohabitent aussi. En général, les formes transférentielles sont des formes de croyances, en général, les formes paranoïaques sont des formes de certitude et les formes de psychoses collectives sont des formes de conviction, avec la question de la religion etc. On a des tas de formes possibles, et je pense qu’il y a des choses qui permettent de se repérer, dont on n’a pas parlé ici, mais à d’autres moments, c’est le rapport au symptôme. Les personnes viennent d’abord, on pourrait dire, pour un certain nombre de signes cliniques, ils vont découvrir un symptôme prépondérant, et par la suite, si les choses se passent à peu près bien, ils vont modifier leur rapport à ce symptôme, et là, ça met en route – je réponds indirectement à ta question – d’autres mécanismes. Mais Lacan dit, la structure elle-même en tant que telle, c’est le symptôme ; c’est le symptôme qui définit la structure.

M. L. – J’ai une deuxième question dans la « foulée ». Si dans la paranoïa, il y a du signifiant qui vient représenter le sujet pour un autre signifiant, si dans la paranoïa, le sujet n’est pas divisé et qu’on est dans la certitude, est-ce que tu n’es pas en train de dire après Lacan, que le signifiant représente le moi, pour un autre signifiant ?

J-R. F. – Non, je pense que c’est un rapport au signifiant, si le sujet n’est pas clivé – on fait de la métapsychologie – mais l’effet du signifiant est beaucoup plus radical.

M. L. – Qu’est-ce que c’est que ce sujet complet, de certitude, non clivé, comment appelle-t-on cela ?

J-R. F. – C’est le sujet fétichiste, c’est celui qui s’est doté de quelque chose qui permet de ne pas être troué. C’est très facile, tu prends la religion, tout ce qui remplit – on pourrait dire – ce manque qui se trouve à l’intérieur du sujet. C’est déjà une tendance spontanée cette paranoïa ; la paranoïa quotidienne, ce n’est pas se promener avec un sujet divisé.

M. L. – Donc, dans ce truc-là, il n’y a pas de glissement métonymique.

J-R. F. – Si, parce qu’on est quand-même dans la Ichspaltung, donc on n’est pas entièrement dans la paranoïa, il y a toujours un clivage et c’est vrai aussi pour les schizophrènes ; c’est là que je dis qu’il y a un traitement psychanalytique ; les personnes ont toujours des parts, donc elles peuvent toujours avancer dans leur propre cheminement, c’est ce que je trouve génial du côté de l’invention de la psychanalyse. En psychiatrie, ce n’est pas ainsi. Alors comment apprend-t-on aux personnes à supporter pendant 30 ans un même patient ? Ce qui le permet, c’est le désir du désir ; c’est de désirer qu’il y ait du désir, c’est ça qui nous soutient.

M. L. – Je rajoute, à propos de la question de l’effroi et du traumatisme, que, si ça ne rend pas fou la personne elle-même, ça peut rendre fou ses enfants.

Une participante – Vous parliez de trop de sens, de pas assez de sens, je me demandais si, chez une personne mélancolique, la paranoïa ne devenait pas un mécanisme de défense ?

J-R. F. – Oui, les cliniciens l’ont toujours dit. Il y a une solution à la mélancolie, c’est une bonne paranoïa ; c’est aussi vrai pour la schizophrénie, mais c’est un peu dangereux par moments…

Un participant – Est-ce que tu fais un distinguo entre la temporalité dans la mélancolie et d’autre part, dans la névrose obsessionnelle ?

M. L. Oui, une différence totale. Dans la mélancolie, tout est déjà terminé, dans la névrose obsessionnelle, le temps est mis de côté, il est mis en réserve, il peut être scandé. Il y a du désir dans la névrose obsessionnelle, je ne dis pas qu’il y en a pas du tout dans la mélancolie, tant que la personne se lève, même si elle se lève à 3 heures de l’après-midi et qu’elle se recouche à 5 heures, il y a un tout petit élément qui la fait bouger encore. Dans la névrose obsessionnelle, le temps est scandé, de façon machinique, il est rythmé de façon très précise, il y a une tentative fantasmatique de maîtrise du temps, tandis que dans la mélancolie ce n’est pas la question, ce n’est pas là que ça se joue ; le rapport à la temporalité est complètement différent. Au contraire, c’est même l’inverse de ce point de vue-là, dans la névrose obsessionnelle, la mort est toujours repoussée à plus tard, c’est une tentative d’évacuer la question de la fin ; dans la mélancolie, ce serait le constat que c’est déjà là. Il y a des points communs, mais il y a des grandes différences.

J-R. F. – Ce à quoi on est confronté, ce sont des moments mélancoliques qu’on peut faire dans toutes les structures ; l’endroit délicat, c’est justement le moment mélancolique et le point fondamental qu’on va reprendre dans nos prochaines formations, en septembre, c’est le rapport à la temporalité.

Séminaire « Les retours à Freud de Jacques Lacan »

28 juin 2016 : Martine Chessari – L’amour dans le transfert selon Freud et Lacan

Martine Chessari – L’amour dans le transfert

31 mai 2016 : Bernard Baas a fait une intervention sur la dénégation dont vous pouvez lire ici le texte.

Il nous a aussi semblé intéressant d’y associer, en contrepoint, un ancien texte de J. P. Bauer paru dans les Lettres de l’Ecole Freudienne de Paris en novembre 1974.

En partant de l’article de 1925, Die Verneinung, où Freud y évoque une articulation précise entre la psychose et la pulsion de mort, J. P. Bauer développe la question du négativisme psychotique, défini comme plaisir de nier (Verneinungslust). Il sera questionné à partir des quatre points suivants : la négation et la résistance, la négation et le jugement, la négation et les pulsions primaires, le sujet du plaisir de nier.

Bernard Baas Séminaire du mardi 24-06-2016

Jean-Pierre Bauer – Le plaisir de nier

22 mars 2016 : Dans le cadre de ce séminaire, il semble important de développer encore la recherche sur les pulsions et vous trouverez ci-joint les textes autour du thème « Les interprétations des pulsions »

J.-M. Jadin 22-03-2016 L¹interprétation de Lacan

Ch. Schneider 22-03-2016 Le Concept de Pulsions et de leurs Destins

J.R. Freymann 22.03.2016 Les interprétations de la pulsion 

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