Intervention de Daniel Lemler lors de la formation APERTURA « Clinique de l’aliénation et de la séparation » qui a eu lieu le 8 avril 2016.
Problème de traduction
Le terme Hilflosigkeit doit être traduit de façon correcte par « sentiment d’impuissance », car c’est un désarroi dû à un sentiment d’impuissance ; le terme de détresse est peut-être un peu fort, mais surtout il ne rend pas l’idée d’impuissance, car c’est bien de cela qu’il s’agit chez Freud. D’ailleurs l’allemand a d’autres mots correspondant mieux au français « détresse » : Not, Notlage. Traduire Hilflosigkeit par désaide – comme cela est proposé ailleurs – est, sur le seul plan linguistique, un non-sens.
Le premier cri
Une devinette pour débuter ! Qui a dit : « Qui, si je criais, qui donc entendrait mon cri parmi les hiérarchies des anges ? » (Silence absolu dans la salle) C’est exactement comme ça que cela se passe, un grand cri dans un silence absolu. « Qui, si je criais, qui donc entendrait mon cri parmi les hiérarchies des anges ? », c’est ainsi que Rilke ouvre sa première élégie. (1912). C’est un cri, c’est un appel, mais c’est un appel dans un cri, c’est un appel inarticulé qui est voué à demeurer irrecevable, inaudible et ça, ça renvoie à ce que Lacan vient dire quand il parle de l’advenue du sujet au monde. « A l’origine, dit Lacan, le sujet rencontre la détresse absolue. Le cri échappe au nourrisson, ce cri signale l’intrusion radicale à l’intérieur de l’organisme de quelque chose de si autre à l’être qui vient au monde. »
Première relation du sujet à l’Autre, comme dit Lacan, mais c’est une intrusion à l’intérieur. Première question du rapport que tout sujet humain peut avoir à la question de l’altérité. C’est comme cela que Lacan traduit le fameux traumatisme de la naissance de Rank, une intrusion de l’Autre à l’intérieur de soi, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement la séparation d’avec la mère, ce n’est pas seulement la sortie de quelque chose, c’est l’intrusion de l’altérité, c’est cela qui fait traumatisme, l’aspiration en soi d’un milieu foncièrement autre, c’est-à-dire que ce qui va faire respirer l’être humain, l’infans, commence par le faire suffoquer. Lacan dit : « D’emblée, le sujet humain est saturé de détresse sans nom. » Le premier contact que nous avons avec « être au monde », c’est une Hilflosigkeit absolue et sans nom, nomenlos. Ceci nous introduit la question de la Hilflosigkeit ; elle nous saisit au commencement, elle nous retrouve à la fin…
De la Hilflosigkeit à l’angoisse
Lacan articule cette Hilflosigkeit avec la question de l’angoisse, avec la question du Angst au sens où il s’agit de discriminer entre l’angoisse, le danger (Gefahr) et cette détresse absolue. Pour Lacan, ce qui est en jeu, c’est l’imminence de l’objet du désir et donc la question du désir ; quelque chose se joue entre cette détresse primordiale, initiale, et la question de l’être désirant, avec comme nécessité l’angoisse qui est déjà une parade à la détresse.
L’angoisse va nous permettre de nous défendre contre la Hilflosigkeit et en même temps, nous introduit à la dimension du désir. Cela apparaît dans ce terme qu’utilise Freud : die Erwartung, l’attente. Lacan, reprenant Freud, dit que, dans l’angoisse, l’élément essentiel c’est justement cette dimension de l’attente, c’est l’Erwartung. Il souligne ainsi que l’angoisse est le mode radical par lequel est maintenu le rapport au désir ; l’angoisse est ce qui permet de maintenir notre rapport désirant. Même dans les pires situations, même quand quelque chose de l’objet est complètement déhiscent, c’est l’angoisse qui nous maintient comme désirant ; voilà l’arête centrale de la question.
Phylogenèse de la Hilflosigkeit
Vous savez que pour Freud, tout commence à « ur- » (pas Ur en Chaldée, quoique…), dans tout ce qui est de l’ordre de l’originaire. Toute la pensée freudienne s’articule sur des « ur » qui sont les fantasmes originaires, les formations de l’inconscient originaires, auxquels on n’a jamais accès mais qui sont nécessaires à notre constitution subjective.
Ces fantasmes qui sont toujours les mêmes, et qui interrogent, en tant qu’originaires, l’origine, ce sont : « la scène primitive » qui écrit le mythe de l’origine du sujet, « la séduction » qui mythifie l’origine de la sexualité, et « la menace de castration » qui, elle, étaye la question de la différence des sexes.
Comment cela fonctionne-t-il ? Soit ces fantasmes s’appuient sur le vécu du sujet, ou alors si ce vécu fait défaut, ils vont puiser dans un matériel phylogénétique, qui aurait la particularité d’être commun à l’ensemble de l’humanité.
C’est ce à quoi fait allusion l’ère glaciaire de mon titre : dans le tout dernier texte qu’on a retrouvé de Freud sur les névroses de transfert (1915), Freud inscrit l’origine de la Hilflosigkeit humaine, dans l’ère glaciaire, c’est là l’origine phylogénétique de notre détresse absolue. Au temps de la glaciation, l’espèce humaine s’est trouvée en détresse et nous avons hérité de ce sentiment de génération en génération.
Deux ans auparavant, dans Totem et Tabou, Freud a introduit l’Urvater, le père originaire de la horde primitive pour nous donner une origine aussi bien de la constitution du social que de la constitution du sujet dans la différence des sexes ; deux mythes : le père de la horde et Lucy, notre ancêtre de l’ère glaciaire ; nous sommes descendants de ce couple particulier, l’Urvater et Lucy.
De la Hilflosigkeit à l’œdipe
A l’époque de la grande détresse, de la Hilflosigkeit, comment l’enfant peut-il vivre l’absence de la mère, cette mère qui est tout pour lui ? Comment l’infans supporte-t-il l’absence de cet Autre, puisque le paradoxe de l’existence du sujet humain, c’est que l’Autre est à la fois ce qui va faire intrusion et à la fois ce dans quoi il existe et donc ce sans quoi il n’existe plus ou il n’existe pas ? L’absence, les premières absences, se traduisent par la mort ; il n’y pas de pensées : il est / il n’est pas. Donc, l’absence de la mère, c’est la mort de l’Autre et donc la mort du sujet. C’est dans un temps second que la question de l’absence fera intervenir du tiers. Cette absence prend alors la signification d’un autre désir chez la mère ; si elle part, c’est qu’elle désire ailleurs. Cet ailleurs, c’est la première présentification du père. Mais, c’est aussi ce qui symbolise le phallus. Ainsi, le père fait-il son apparition dans l’univers imaginaire de l’enfant. L’introduisant dans la problématique œdipienne, il lui permet de se séparer de la mère. Toutefois, la plupart du temps, c’est quelqu’un de la fratrie qui fait tiers, bien avant qu’un père fasse émergence, le sujet entre dans la « frèrocité ».
Une représentation « métaphorique » de la métaphore paternelle présente ici un intérêt : le Tsimtsoum. Isaac Louria au XIIe siècle se pose la question théologique suivante : Comment, dans une conception d’un Dieu qui est tout, comment peut-il y avoir la création du monde ? La théorie de Louria, c’est que Dieu s’est retiré en lui-même, cela s’appelle le Tsimtsoum. Il a laissé ainsi un espace qui est vide de Dieu qui est l’espace de la création du monde. C’est ce que Lacan vient pointer quand il dit que la mère n’est pas toute ; que dans la relation à cet Autre, qui est à la fois ce qui fait intrusion et ce qui fait existence, cette existence n’est possible que si elle n’est pas toute, et l’endroit où elle n’est pas toute, c’est cela la fonction paternelle ; c’est ce qui vient laisser un espace possible pour l’existence du sujet.
A mère Nature, Dieu le Père
Freud ne dit jamais aussi bien la question des enjeux œdipiens de la Hilflosigkeit que dans son étude de Léonard de Vinci, où il écrit : « Nous retrouvons dans le complexe parental, [ce n’est pas très souvent qu’il utilise Elternkomplex], la racine du besoin religieux. » En effet, « Dieu juste et tout-puissant, la nature bienveillante, nous apparaissent comme la rénovation et des reconstructions des premières représentations de l’enfance » ; c’est la version soft. Dans L’avenir d’une illusion, c’est la version hard, puisque, à cet endroit-là, la nature n’est pas seulement bienveillante. Freud décrit dans L’avenir d’une illusion l’image paradoxale de la mère, à la fois première protectrice contre l’angoisse mais rapidement remplacée par le père car « elle est aussi nature hostile, violente et indomptable provocant chez l’homme un sentiment de détresse, de Hilflosigkeit qui l’amène à rechercher la protection d’un super père. C’est à ce niveau, dit Freud, que la religion prend son importance par sa dimension anxiolytique ». Voilà, nous sommes issus de ce couple impossible, Dieu/la nature ; Dieu n’étant pas ambivalent dans la représentation freudienne. Ceci définit la constitution du sujet freudien à partir de la Hilflosigkeit première.
Hilflosigkeit de fin d’analyse
La confrontation à la Hilflosigkeit se repose à la fin de la vie, question que je ne vais pas développer ici.
Par contre, je vais aborder un moment particulier qui vient marquer un retour de cette question de manière tout à fait spécifique : la fin de l’analyse. La fin de l’analyse qui consiste, entre autres, à dénouer le lien du transfert, à mettre en place une séparation ; cette fin d’analyse va confronter le sujet à revivre de manière absolue cette Hilflosigkeit. Pour que cela puisse avoir lieu, pour que ce moment puisse exister, il est indispensable que du côté de l’analyste, on ne vienne pas recouvrir, qu’on ne vienne pas combler, qu’il n’y ait pas quelque chose qui fasse « tout » à cet endroit-là.
Quand chutent les signifiants dans lesquels le sujet se reconnaît imaginairement, apparaît ce que Freud désigne sous le terme de Hilflosigkeit, que je propose d’interpréter comme un moment de dénouement du « nœud borroméen ». Ce moment de fin n’est pas unique dans une cure. Donc, ces moments de fin seraient à entendre comme dénouements successifs des noms du père (dans leur fonction de raboutage).
Moments de dénouement ; moments de dénuement ; qui restituent pour le sujet la folie originelle.
Pour que ce moment de dénouement qui va se traduire par un dénuement – le sujet se trouve nu des signifiants qui l’ont constitué et qui se sont articulés dans la relation transférentielle –, pour que soit possible ce qui ramène le sujet, on pourrait dire à la folie originelle, au chaos de départ, il faut que du côté de l’analyste, ce soit supporté. En effet, il se joue quelque chose de tout à fait spéculaire à cet endroit ; à ce moment-là chacun se retrouve confronté à cette Hilflosigkeit. D’où une tendance, pour chacun des protagonistes, à l’évitement, ce qui laisse la fin de cure en suspens.
Hilflosigkeit et résistance de l’analyste
Nous touchons là au problème de la résistance du côté de l’analyste. Lacan parle de cette question dans le séminaire L’éthique de la psychanalyse, séance du 29 juin 1960 : Le procès d’une analyse ne conduit-il pas sur ce versant que ce soit au travers de moments de dépersonnalisation [dans laquelle Lacan parle de franchissement] lorsque le moi perd un peu de son écorce ou plus fortement encore dans ce qui est attendu par lui de la fin d’une cure.
« Je pose, dit-il, la question de la terminaison de l’analyse, la véritable, j’entends celle qui prépare à devenir analyste, ne doit-elle pas à son terme affronter celui qui la subit à la réalité de la condition humaine ? C’est proprement ceci que Freud, parlant de l’angoisse, a désigné comme le fond où se produit son signal à savoir Hilflosigkeit, la détresse où l’homme dans ce rapport à lui-même qui est sa propre mort n’a à attendre d’aide de personne. »
Voilà quelque chose de l’enjeu de la fin de l’analyse et je répète, pour moi, c’est quelque chose, cet enjeu-là, qui se joue de chaque côté du divan.
« Au terme de l’analyse didactique, le sujet doit atteindre et connaître le champ et le niveau de l’expérience du désarroi absolu au niveau duquel l’angoisse est déjà une protection non pas Abwartung, attendre l’autre, attendre la catastrophe, mais Erwartung, s’attendre à. »
Vous voyez que ça se joue autour de la question de l’attendre, on pourrait dire non- dupes, s’attendre à, qui est à mon avis un élément tout à fait important de ce que nous a laissé Lacan.
« Ce s’attendre à, par où se traduit, dit Lacan, la constitution de l’hostile comme tel. Paradoxalement, c’est la constitution de l’hostile qui marque un premier pas vers la protection. L’angoisse déjà se déploie en laissant se profiler un danger alors qu’il n’y a pas de danger au niveau de l’expérience dernière de la Hilflosigkeit. »
Le danger est déjà une manière de structurer quelque chose pour nous protéger, c’est déjà une tentative d’élaboration secondaire. Et pour que le passage soit franchi, cela suppose aussi que l’analyste ait pu premièrement, reconnaître l’expression de cette détresse, deuxièmement lui faire place sans la recouvrir.
L’exemple, c’est Goethe, Le roi des aulnes. C’est un père qui porte son enfant qui est confronté à l’Unheimlich, enfant qui ne cesse pas de dire au père qu’il se passe quelque chose qui l’angoisse, mais le père ne l’écoute pas et le rassure jusqu’à ce qu’ils arrivent et que dans ses bras, l’enfant est mort. Je résume très vite, mais c’est la question ; le père n’a pas entendu, il n’a pas pu laisser cette place à ce moment que vit l’enfant, et ne pouvant pas laisser cette place, l’enfant est mort, le sujet disparaît. Voilà ce qui est pour moi l’enjeu de la Hilflosigkeit.
Détresse psychotique
Une manière d’entendre pourquoi la Hilflosigkeit nous met en demeure d’entendre quelque chose et, c’est le dernier terme de mon titre, c’est la psychose. Quand Serge Leclaire vient nous dire qu’on ne peut entendre le sujet psychotique que du lieu de notre propre faille, celle qui renvoie à notre folie originelle, parce qu’on est confronté à celui qui n’a connu que la Hilflosigkeit, c’est de pouvoir l’entendre du lieu où il parle, c’est-à-dire du lieu que l’on reconnaît en nous, que quelque chose devient possible et c’est aussi en ce sens-là que le sujet psychotique par rapport à notre rapport à la résistance et notre la formation, a pour nous figure d’analyste.
Discussion
Pascale Gante : Le monde psychotique n’existe-t-il que dans la Hilflosigkeit ?
D. Lemler : Vous vous rappelez ce que dit Freud à propos de Schreber qui vivait dans un univers dans lequel il n’y avait que des « sehr hingemachte Männer », traduit par « des ombres d’hommes bâtis à la six-quatre-deux », c’est un univers qui n’est pas humain. Serge Leclaire reprend cette question-là, c’est-à-dire que le sujet psychotique, c’est celui qui ne rencontre pas l’autre, qui est donc laissé en permanence dans cette détresse absolue. Lacan dit que le psychotique, au début, parle à la cantonade et quand il s’adresse à vous, il est déjà à moitié guéri, c’est-à-dire que quand quelque chose d’humain intervient, existe dans son univers, eh bien il y a quelque chose qui s’est construit.
Khadija Nizari-Biringer : Une remarque sur le cri que vous avez introduit au début qui annonce l’être au monde ; j’interroge la question de l’au-delà du cri mais on peut aussi poser la question de l’en deçà du cri ; qu’en est-il de cet entre-deux ? Autrement dit, on peut se poser la question de l’inscription de ce cri, de cette Hilflosigkeit dans le temps, par rapport à une temporalité inconsciente autrement dit dans une logique temporelle et non pas dans une chronologie temporelle.
D. Lemler : Le cri en question, c’est cette détresse absolue initiale, c’est le cri du déploiement alvéolaire, c’est vraiment l’irruption du sujet dans le monde où Lacan vient reprendre la question du traumatisme de la naissance comme le modèle de tout traumatisme, en lui restituant une dimension nouvelle qui est que ce cri n’est pas seulement séparation, il est aussi intrusion, c’est-à-dire il est ce paradoxe de la question de notre rapport à l’altérité ; c’est à la fois ouverture à l’autre et à la fois intrusion de l’autre et c’est dans cette dialectique- là qu’on a à exister.
Liliane Goldsztaub : J’aimerais te poser une question sur la fin de l’analyse que tu abordes du côté de l’imaginaire, si j’ai bien entendu, et ça va dans le même sens c’est-à-dire est-ce que c’est vraiment du côté de l’imaginaire et tu parles du côté du dénouement. Est-ce que cette séparation ne peut pas avoir lieu justement parce que c’est la position subjective la plus symbolique qui est là, c’est-à-dire la capacité de se désaliéner du psychanalyste ?
D. Lemler : C’est la capacité de l’analysant de se désaliéner du psychanalyste, j’entends bien, mais c’est aussi, j’ai envie d’utiliser ce terme-là, le courage.
J-Richard Freymann : C’est très important que tu aies posé cette histoire de la Hilflosigkeit en ce sens que c’est un signifiant, c’est une zone de passage, c’est cliniquement juste et je suis d’accord avec la question de l’angoisse ; le rapport à l’angoisse, c’est déjà d’une certaine manière, comment dire, de se défendre, de faire une construction ou d’introduire le désir, c’est déjà un « rempardage », et on voit bien qu’on travaille autour de différentes théories sur l’angoisse, les théories de Freud, première, deuxième, troisième, on a la position de Lacan. La question que je voudrais te poser est double, la première, il y a la question de la Hilflosigkeit, la question des angoisses ; et la question de la frérocité, où la situer ? Est-ce qu’on va la mettre plutôt du côté de l’angoisse ou encore en deçà de la question de la Hilflosigkeit et en particulier ce que tu n’as pas dit, c’est que derrière la Hilflosigkeit se cache aussi toute la question des pulsions. L’autre question, c’est que tu mets Dieu en position de grand Autre et je ne suis pas sûr que dans l’œuvre de Lacan on puisse dire ça tout au long ; je pense qu’il y a différents temps et justement peut-être que dans Les quatre concepts, si Lacan introduit la question de l’aliénation-séparation, c’est pour sortir de ça en mettant en place les opérations logiques, les cercles eulériens, la bourse ou la vie, autrement dit c’est pour essayer de structuraliser. Alors, je voudrais te poser cette question, pourquoi tu as besoin de coller Dieu là-dedans ?
D. Lemler : Ce n’est pas moi qui ait besoin de coller Dieu, c’est la position de Freud de venir poser dans un des éléments fondamentaux de la structuration le Elternkomplex comme étant ce couple particulier qui serait composé de la nature avec son ambiguïté ou son ambivalence d’un côté et la question de erhöher Vater, ce père plus élevé qui serait dans la figure de Dieu.
J-R Freymann : Oui, c’est la mythologie freudienne mais on est dans une question clinique de l’aliénation-séparation. Alors, est-ce qu’une fin d’analyse va travailler du côté de la Hilflosigkeit ? C’est une très bonne question mais si on dit ça, on est tenu de dire quelque chose sur le rapport entre la Hilflosigkeit et la question de l’objet a. Qu’est-ce qu’il en est de la Hilflosigkeit par rapport à la théorie de l’objet a concernant la fin d’analyse ?
D. Lemler : On en avait parlé au moment des entretiens préliminaires assez paradoxalement mais ce moment de dénouement en termes lacaniens, c’est là qu’il se passe un double mouvement qui met, je dirais « presque » en cause aussi bien l’analysant que l’analyste, c’est-à-dire que si on parle en termes d’objet a, c’est supporter de faire choir l’analyste en tant qu’objet petit a, ce qui va permettre ce dénouement du côté des effets signifiants, ça c’est du côté de l’analysant ; du côté de l’analyste, ça veut dire qu’il est dans la capacité, quelque chose qui se joue au moment des entretiens préliminaires, de pouvoir accepter, supporter – quel terme convient le mieux ? – d’être quelque part ravalé à cette dimension à tel point que Lacan, quand il en parle de ces choses-là, se pose la question de savoir si les analystes qui sont dans la salle comprennent ce qu’il dit, parce qu’il le dit clairement, ce n’est pas une position enviable que de choir comme objet fût-ce comme objet petit a, l’enjeu est là.
J-R Freymann : Je suis d’accord avec toi mais il y a nécessité d’introduire une opération qui est la question de la séparation, qui n’est pas seulement la séparation avec maman, le sein. A partir de la Hilflosigkeit que tu amènes, on est obligé d’introduire quelque chose qui permette la coupure, c’est une opération logique ; alors séparation par rapport à quoi ? Lacan le dirait dans la genèse signifiante donc par rapport à l’aliénation. Donc, tu as montré la nécessité d’utiliser autre chose que le recours à Dieu et aux mythes.
Nicolas Janel : Il y a cette idée d’une prise dans l’Autre où à la fois, on a besoin de ce lieu de constitution pour se constituer et à la fois de pouvoir s’en séparer pour exister. J’ai beaucoup réfléchi et puis je suis allé voir les définitions exactes de ce qu’on pouvait trouver chez Lacan sur la séparation et l’aliénation. Pour Lacan, la séparation, c’est une perte de vie qui a rapport avec le réel, et l’aliénation, c’est une prise dans les signifiants où le sujet serait lui-même aliéné dans les signifiants, c’est-à-dire où il ne peut pas à la fois se repérer dans ces signifiants et à la fois y exister, on ne peut pas être à deux endroits en même temps. Je voulais simplement témoigner de cela où l’intuition clinique ne correspond pas forcément à la définition qu’on retrouve chez Lacan et je trouve que les deux sont opérants.
J-R Freymann : Très juste.