Éveil
C'est une grande chance de se réveiller d'une certaine épreuve, dans un état tout à fait différent de celui dans lequel l'on était, ou de se retrouver libéré d'un certain fardeau. Il s'agit certainement d'une forme transformée de la traversée d'un fantasme.
C'est ce que j'ai retrouvé à notre réunion Zoom autour de « Fantasmes et mythes» du 15 mai 2020. Grande a été ma stupeur de croiser un moment de recueillement avec mes plus proches collègues et percutante a été cette rencontre où j'ai entendu chacun soutenir ses propres singularités tout en s'adjoignant à un « parcours de santé » qui sortait des nimbes de l'épidémie. À cette technique – exigeante pourtant – j'ai constaté à ma grande surprise que mes fantasmes de « leadership » m'avaient abandonné et que je découvrais dans cette solitude de la coexistence internet une « société de Maîtres » dont avaient parlé J. Lacan et M. Safouan... que chacun a pu soutenir son propre propos sans souci de ses voisins en « timbre-poste zoomesque » et pourtant si indispensable aux apports de chacun. Est-ce l'effet de la limitation de la durée de la parole, est-ce bien possible ? Oui, mais pas seulement. Chacun aussi se retrouve seul : « allein wie ein Stein », seul comme une pierre. C'est ce que me disait un de mes « maîtres chanteur d'opéra», aux Contades, quand il avait dû arrêter ses enseignements.
À présent la sensation est inversée : je peux travailler avec ceux qui m'en donnent l'envie.
– Mythe et fantasme
J'avais envie de reprendre les épisodes précédents du séminaire-feuilleton « Fantasmes et mythes » à partir des étymologies du triptyque « Traumatismes, Fantasmes, Mythes » et j'avais le désir, à l'envers du fantasme de Lacan dans Scilicet, que chacun puisse signer son texte.
Trauma :
Nous avons si souvent dépouillé la théorie traumatique de Freud, une sorte de péché originel et l'on pourrait revenir au latin Tracmaticus ou grec Traumatikos et laisser à Trauma sa plus simple expression : le trauma signe la blessure.
Fantasme :
On devrait prendre au sérieux que cela nous renvoie en 1795, à Fantasmagorie : à savoir « une production dans l'ombre au moyen d'une lanterne magique mobile ». Fantasme pourrait aussi être formé avec le grec Phantasma « fantôme » et « allégorie » pour désigner des représentations plastiques. Belle condensation !
Mythe :
« Mythus » du grec Mythos et vous pouvez laisser vagabonder les récits et les légendes. Je propose ma propre définition composite : le mythe se constitue à partir de blessures pour créer des allégories qui fondent des récits et des légendes collectives ou individuelles. Si l'on se met dans l'hagiographie classique de « Fantasmes et mythes », quant à moi je retombe sur des souvenirs d'analyses où j'avais été confronté à un texte de Jean Clavreul sur « Le désir et la loi »1 et sur un texte de Guy Rosolato où il proposait d'appeler lois de retournement les rapports entre « Mythe et Fantasme »2.
Malgré le fait à l'époque de ne pas saisir dans l'ensemble ce qui était affirmé, faute de pratique, je ressentais en même temps un relent de vérité psychosomatique. Puis j'ai compris bien tardivement que Guy Rosolato essayait, avec les clichés de l'époque – de rendre compte de « Totem et Tabou »3 dans une version lacanienne. À ce propos Freud a dû être plus que confiné (!) pour avoir réussi à lire tant d'auteurs. Quel génie... pour donner son avis sur tant de livres dans son actualité.
Actualisons : La dialectique « Fantasme - Mythe » s'égrène autour de plusieurs signifiants en quête de bijection dans la théorie des ensembles (comme le rappelle Guillaume Riedlin) dans le désordre : scenario – histoire – grammaire – signification fermée – circulation d'objets... entre deux ensembles. Et, pour en tirer un fil directeur, on trouve des chaînes signifiantes particulières et une cinétique d'objets qui se retrouvent ou au moins convergent. Comment se transmet un mythe dans les générations qui se succèdent ?
– Conséquences lacaniennes
Il n'y a pas qu'une seule transmission. Ce qui a permis par exemple à Lacan de dégager un certain nombre de mathèmes – qui pour chacun ont nécessité plus d'un séminaire - le fantasme $ ◇ a sous-entend l'axiomatique lacanienne « le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant » et cela réfère à des signifiants maîtres : S1 (Signifiant maître) (S2 → $ → S3) cela peut aboutir à un mythe d'une certaine époque de la clinique lacanienne, qui est celui du fantasme fondamental.
Comme dans l'histoire du Golem4 de Meyrink, on rêve en associations de trouver le point ultime d'une analyse. C'est-à-dire de trouver après des années de perlaborations ce qui nous enserre le lien univoque entre la parole et le corps. Ou comme le disait Daniel Sibony, entre « le nom et le corps »5. Un régal presque épicurien de penser la fin de l'analyse comme une sorte de formule ultime, reflet à la fois de votre statut originaire et de l'aboutissement de siècles de Durcharbeitung sur un divan.
Rassurez-vous – et je le dis d'expérience – la psychanalyse se poursuit malgré la passe6 !
À mes risques et périls je propose à mon tour une définition du Mythe qui aurait l'avantage (éphémère !) de faire retour vers les premiers séminaires de Jacques Lacan (cf. Séminaire sur Les psychoses 7 ). Le Mythe, dans une perspective analytique se situe dans un croisement entre métaphore et métonymie, ce qui renvoie à bien des desseins et bien des topologies.
Prenons les dictionnaires :
- La métonymie : f (S... S') S ≡ S (-) s. La fonction f de ce mot à mot du signifiant (S... S') conserve la signification déjà là.
- La métaphore : f (S'/s) S ≡ S x s. Un signifiant se substitue à un autre créant une nouvelle signification.
Et par ce biais, nous parlons d'une introduction à la métaphore « paternelle ». La barre résistant à la signification a été franchie (+). Un signifiant est tombé dans les dessous et un nouveau signifié apparaît (cf. Larousse de psychanalyse8).
Alors comme le dit Lacan : l'axe métaphoro-métonymique nous désaxe complètement. Dans le psyché : peut-il y avoir de la métaphore sans métonymie ? Et surtout dans la pratique ne trouve-t- on pas du glissement métonymique sans métaphore repérable ? Peut-être est-ce l'hypomanie terminale de fin d'analyse proposée par Balint9.
Condensons les propos. Quelle est donc la définition de la métaphore ? « Substitution d'un signifiant à l'autre ou transfert de dénonciation » dit le Larousse de Psychanalyse10. Et là on se perd en conjectures. De quel transfert parle-t-on ?11
Par exemple, peut-on résumer le transfert à un glissement métonymique. Mais gare ! Ne confondons pas le transfert de la Traumdeutung et le transfert dans « l'amour de transfert » de Freud. Une autre Mythologie n'est-elle pas de confondre ces deux transferts ?
– Alors la métaphore paternelle, un néologisme de Lacan ?
Nous nous contenterons – pour relancer ce séminaire – de la formulation de Lacan pour la définition de la Métaphore : « Un mot pour un autre »12.
Avec cet exemple classique que nous aurons l'occasion de déplier et de mystifier (dans un autre éphéméride...) : « Sa gerbe n'était point avare, ni haineuse »13.
Nous avons appris dans le confinement que les capacités de symbolisation des reclus sont bien plus importantes que prévues. Mais qu'en est-il de la métaphorisation et quelles sont les surprises d'après coup des axes matéphoro-métonymiques ? Beaucoup de désaxés ? Beaucoup de délires ?
1 Ouvrage collectif avec P. Aulagnier, J. Clavreul, F. Perrier et J.P. Valabrega, Le désir et la perversion, Points Essais n° 124, 2016.
2 G. Rosolato, La scène primitive et quelques autres, Nouvelle revue de psychanalyse n° 46, Gallimard, 1992.
3 S. Freud, Totem et Tabou, Gallimard, 1993.
4 G. Meyrink, Le Golem, Ed. Jean-Pierre Lefebvre, Flammarion, 2003.
5 D. Sibony, Le nom et le corps, Seuil, 1974.
6 J.R. Freymann, « Les fins d’analyse après Lacan », Esquisses analytiques.
7 J. Lacan, Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Seuil, 1981.
8 R. Chemama, V. Vandermersch, Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, 2018.
9 J. Lacan, « La direction de la cure » in Écrits, Seuil, 1966.
10 Op. cit.
11 J. Lacan, Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, Seuil, 1981. À quoi renvoie ce « transfert de dénomination ». Je cite
p. 261 : « Il faut d'abord que la coordination signifiante soit possible pour que les transferts de signifié puissent se produire ».
12 Ibid., p. 257, Cela renvoie à une comédie de Jean Tardieu en un acte où il s'agit du dialogue de deux femmes.
13 Ibid., p. 248.