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« Jus ou Sauce[1] » Acheminement vers une nouvelle définition du « PASSEUR »

par Jean-Richard FREYMANN, juillet 2022

Peut-on oser parler positivement d’un groupe de psychanalystes ? Ce n’est pas à la mode ! En cette ère des thérapeutiques brèves et nouvelles, comment aborder la lenteur du devenir du psychanalyste et sa lente formation ?
Les réseaux sociaux autorisent-ils à aborder ces sentiers escarpés où le sujet de l’inconscient se constitue ? Comment ça ? Le sujet n’est-il pas cet être déjà constitué ? Un être consolidé ? Un individu prêt pour la « servitude volontaire » ?
Il est déjà fatiguant de lire, alors en plus écouter, voire entendre... Ce n’est pas une sinécure. Quel beau signifiant ! Ce d’autant plus qu’une cure nécessite bien du temps.

Changeons de cap !
Une rencontre d’analystes a eu pour effet d’échanger autour de l’objet de la psychanalyse. Cela s’appelait « acheminement vers le 2e témoignage ». À y perdre ses « testis ».
Chacun a pu circuler dans une ronde autour de la dialectique entre le singulier et le collectif, voire le groupal et le particulier.
Qu’est-ce à dire ? Que ce symptôme (au moins, ou sinthome... à voir) du devenir analyste soit mis sur le chantier.
Devenir analyste, c’est au moins permettre de « s’identifier » au discours de l’analyste. De pouvoir lâcher sur sa petite « historiole », d’abandonner la Durcharbeitung (en cours ou pas) et de jeter un regard – avec une coupe projective – sur sa destinée et sur son chemin caillouteux. Un petit coup de « Mehr Licht » comme le disait Goethe.

Alors on mesure des : « Que serais-je sans toi ? » ou « Que serais-je sans toit ? »
– « Par quel objet es-tu animé ? »
– « Quelles angoisses nous étreignent ? »
– « Comment suis-je sorti de la répétition ? »
– « Pourquoi l’amour de la théorie ? »
– « Peut-on se remettre de la passion ? » ou « Peut-on se ‘‘re-maître’’ de pas si on ? »
– « Comment sortir de la cage dorée ou argentée... de la cure analytique ? »

Je pourrais multiplier les interrogations mais elles ont été vécues et sont vivantes.

Une fois n’est pas coutume, nous n’avons pas cédé à l’enregistrement et nous attendons de l’écriture.
La conclusion est que le « CheVoi » ne s’adresse pas seulement aux anciens d’une autre génération mais s’adresse justement aux générations à venir.
Cette génération qui suit le senior s’adresse au(x) second(s) de cordée qui fonctionne(nt) comme passeur(s), et celui qui demande une reconnaissance se retrouve dans la position du PASSANT (avec soucis ?).

Que serais-je sans TOIT ? Dans un ailleurs c’est là qu’intervient le lieu de l’Agora. Une sorte de cartel géant qui varie à l’infini. Ma théorie de « sociologie analytique » est la suivante : faute de discours du maître, il va s’agir, pour les leaders, de s’adresser à une « foule » différenciée. Il ne sera pas possible analytiquement au senior de s’adresser directement à l’élève ou à l’esclave.
Mais les leaderships ont besoin d’une génération intermédiaire pour faire circuler la parole. Et de fait cette génération intermédiaire fait fonction de PASSEUR.
Voilà, le mot est lâché quand les messagers sont ainsi de retour.
Nous disions que le « désir de l’analyste » ne fait pas que se dire, il doit se signifier. Et c’est la fonction du passeur, avec le risque de ne pas reconnaître le message initial. Cette fonction de passeur est à redéfinir, même si elle est très présente dans « la proposition d’Octobre 1967 » de Lacan. C’est peut-être le passeur qui introduit le point de perspective... du tableau clinique psychanalytique.

Ce qui est à reprendre dans la « logique pulsionnelle » que nous aborderons l’an prochain.

Le passeur permet la métamorphose du message initial : pour une longue traversée des mots, en travers d’un sujet en constitution. Et il faut en avoir peur parce que les pas de la « métamorphose corporelle » peuvent être présents ou en devenir. J’oppose là la métamorphose de la psyché à celle du corps.
À cet endroit la question devient « Sinthomale » dans sa concaténation. Chaque traversée a un prix et pourquoi pas l’effet du témoignage, même s’il apparaît direct. Comment allons-nous nous réveiller ? (voir La métamorphose de Kafka[2]).

Par ailleurs la fonction de l’Agora est-elle de créer du grand Autre barré ?
Qu’est-ce à dire ? Que la question de l’Adresse n’est pas secondaire, elle est en saccade. Ainsi il faut un lieu du code troué pour que la parole puisse se constituer. Chemin faisant, le symptôme perd de son acuité et l’on voit apparaître du « Sinthome » ; quel est ce 4e rond de ficelle qui n’est ni R, ni S, ni I mais une émergence nouvelle qui peut nous combler du côté de la sublimation, mais pas seulement, une création dans le répétitif. Une cinétique nouvelle qui peut alors créer de « l’Ego » et souvent « Ego sum pauper » (L’Ego est pauvre) mais qui nécessite un mouvement, une cinétique, un essai répétitif.
De tous ceux qu’on a oubliés – pris dans l’éternel départ –, nous attendons parfois un témoignage dans notre solitude d’analyste ; si déjà vous l’avez traversée… ce qui renvoie, d’après Jean Clavreul, à la « solitude de l’infantile[3] ».

Alors, à ceux qui participent à la ronde de la FEDEPSY, merci d’avoir donné du sens à la question du lien social nouveau qui fait la nique au langage ambiant.
À la manière de Philip Roth, on pourrait se questionner « Jus ou Sauce ?[4] ». Selon mon ressenti il s’agit bien du « pur jus » singulier, à savoir, un temps d’arrêt du cheminement dans le champ analytique. Quant à la sauce, elle est prévisible. Celui ou celle qui a pris le risque de s’y essayer (par un témoignage) ne se retrouve pas dans la même configuration avant et après. C’est ce que l’on appelle un « moment analytique ». Faisons un parallèle dans la dialectique symptôme/sinthome en utilisant les propos de Philip Roth… : « … il n’est pas totalement inhabituel de voir se produire dans le monde réel des choses que l’on a couchées sur le papier uniquement de manière imaginaire. »
Et il a arrêté... d’écrire !

  1. Voir P. Roth (2017), Pourquoi écrire ? (Why Write ?), de Philip Roth, traduit de l’anglais (États-Unis) par Lazare Bitoun, Michel et Philippe Jaworski et Josée Kamoun, Gallimard, coll. « Folio », 2019.
  2. F. Kafka (1915), La Métamorphose, Gallimard, coll. « folio », 2000.
  3. J. Clavreul, L’homme qui marche sous la pluie, Odile Jacob, 2007 ; et L’ordre médical, Seuil, 1978.
  4. « Dans ce texte "jus ou sauce" Philip Roth se trouve dans un restaurant de Chicago à côté d’un cuisinier qui n’arrête pas de répéter "jus ou sauce" à tous les clients pour accompagner leur steak. C’est là qu’il trouve une feuille de papier sur laquelle il y a une liste de 19 phrases, en réalité, les premières phrases de tous ses livres à venir. P. Roth, Pourquoi écrire ?, op. cit., p. 448.

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