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« Frères humains… » Quand le monde actuel se métamorphose…

par Jean-Richard FREYMANN, février 2022

Introduire la parole, penser à la psychanalyse, n’est pas obligatoirement une mission de savant. Est-ce que la référence à la logique inconsciente ou à l’art du signifiant est de l’ordre des processus secondaires ?
S’est-on trop bercé dans la complexité théorique ? La question est double. L’analyste doit être capable d’épurer, voire d’apurer et d’autre part, il se doit de mettre sur le chantier une éternelle théorisation.
Je distingue théories et théorisation. Et ce d’autant plus qu’il faut savoir si entre l’un et l’autre se trouve branché un « parlêtre allongé » sur le divan.
La théorie dans la psychanalyse risque de s’endormir si le psychanalyste ne se réfère pas à la Règle Fondamentale[1]. Comment peut-on l’oublier ?
« Le discours ne s’associe pas à l’aventure… » disait Jacques Lacan[2]. Et voici que la confusion des registres apparaît à l’horizon.
N’a-t-on pas confondu « Liberté d’association » et Règle Fondamentale ? Il faut dire que l’inventeur de la psychanalyse ne nous a pas facilité la tâche. Essayez de vous y retrouver dans les Études sur l’hystérie[3] et dans « le cas Dora[4] ».
Eh oui, Sigmund Freud a débuté par l’hypnose, mais s’agissait-il d’une hypnose jacksonienne ou de celle de Chertok[5]. On se perd en conjecture si on se montre incapable d’historiser le devenir de la diachronie de la psychanalyse.
Comment vous repérez-vous dans les mouvements de bascule de la théorie analytique ? On a perdu beaucoup de didacticiens, on a connu de grands théoriciens, mais leur portée ne peut s’adresser qu’à ceux qui ont trempé dans les méandres du domaine. Mais alors, comment peut-on enseigner la psychanalyse ? Faut-il des instituteurs à différents niveaux, de bons scolaires sans fantaisie ?
Jacques Lacan a mis du temps pour répondre à ces questions mais, malgré les apparences, il a fini par y répondre clairement (voir Transmission des Lettres de l’École Freudienne).

Pour résumer il n’y a de transmission de la psychanalyse que par le Divan ; à chaque analysant d’inventer la psychanalyse à partir de son expérience singulière.
Question : Peut-on transposer les inventions qui ont pu avoir lieu à l’École Freudienne de Paris dans le contexte actuel, où la cure analytique est, aujourd’hui, oubliée, rejetée, condamnée… ?
Je ne le pense pas !
Le plus souvent on a oublié la psychanalyse et la difficulté serait de savoir de quel oubli il s’agit. On ne peut aujourd’hui rencontrer l’inconscient freudien que dans les effets de « non-mode », dans des rencontres traumatiques ou parce que l’on a déjà tenté toutes les techniques de la suggestion hypnotique. Peut-être que les poètes ainsi que les philosophes ont eux croisé les folies.
Je pense qu’il faut aujourd’hui avoir croisé un psychanalyste.
Qu’est-ce à dire ? Il faut avoir croisé quelqu’une ou quelqu’un qui nous a confronté à une pluralité de discours ou qui nous a lâché une interprétation « qui nous a parlé ».
Mais encore ? Quelqu’un qui, à partir du manifeste de votre discours, vous a restitué un contenu latent. Peut-être plutôt quelqu’un qui vous en « dégomme » une signification, un sens auxquels vous teniez. Disons-le autrement : un analyste qui vous a levé une certitude.
Exemple : À l’époque de Lucien Israël arrivaient fréquemment en policlinique des parents qui consultaient en raison d’un(e) adolescent(e) qui se prétendait homosexuel(le) ou transexuel(le). Lucien Israël les écoutait longuement et il lui arrivait de conclure l’entretien en disant : « Ne vous inquiétez pas, votre enfant va certainement finir par se retrouver bisexuel. » « Encore », ajoutait-il à l’attention des jeunes collègues « si les parents ne sont pas trop paranoïaques ».
Je suis persuadé que ce type d’échanges s’avère aujourd’hui impossible, dans l’actualité des rapports à la sexualité et à la différence des sexes. Le monde est actuellement trop psychologique, comme l’ont fait remarquer Eva-Marie Golder et Jean-Louis Doucet-Carrière dans la dernière conférence de l’ASSERC[6]. Nous avons conclu à ce moment-là sur le fait que le technoscientisme informatique (individuel et collectif) converge vers une forclusion de l’imaginaire[7]. Hypothèse que nous mettrons à l’épreuve dans un autre texte.
Le monde actuel a-t-il réalisé un tournant psychotique ?

  1. Apertura, La règle fondamentale, volume 1, Paris, Springer Verlag, 1987 ; Jean-Richard Freymann, L’art de la clinique, Toulouse, Arcanes-érès, 2013.
  2. Ornicar. n°17/18, « Introduction de Lacan à la section clinique de Vincennes ».
  3. S. Freud, J. Breuer (1895), Études sur l’hystérie, Paris, Puf, 1971.
  4. S. Freud (1905), « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora) », dans Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1995.
  5. L. Chertok (1959), L’hypnose, Payot et Rivages, 1979.
  6. Conférence de L’ASSERC du 21.01.2022.
  7. J. Lacan, Le Séminaire, livre III (1955-1956), Les psychoses, Paris, Le Seuil, 1981.

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