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Fin du monde et début d’analyse

par Jean-Richard FREYMANN, 2 novembre 2022

Jusqu’où vas-tu supporter l’enfer… même s’il est « pavé de bonnes intentions » ? La découverte que j’ai faite à « mon nouveau retour », c’est que la « nouvelle génération psychanalytique » traverse sans trop de pudeur, la dialectique entre croyance et manque... manque de quoi ? Manque de toi... mais pas de Moi...

Le clivage du Moi est plus prononcé que jamais. La haine côtoie l’amour – comme un seul homme –, la masculinité se renverse en féminité sans délire, l’aigu se répand en chronique et… j’en passe et des meilleurs.

Et nous n’avons pas à avoir peur de ces nouveaux cultes de la Mère-Nature, à condition de ne pas se prendre pour Le Créateur ou le faiseur d’empires.

Dans quel état as-tu laissé le monde ? La peur analytique que j’y décèle dans la praxis de la psychanalyse, c’est le manque d’Humour, voire pire le manque de Witz – « mot d’esprit » –, au profit d’une langue stéréotypée qui se répand comme des SMS... Combien vaut un portable si l’on tient compte de tous ses composants ? Combien de déchets pourras-tu voir depuis le paradis que tu te supposes ?

Avez-vous saisi la formule de Lacan : « L’amour c’est donner ce que l’on n’a pas... à quelqu’un qui n’en veut pas ? » Alors y a-t-il différentes formes d’amour suivant les millénaires... ? L’amour aujourd’hui, c’est peut-être « l’ineffable » de la relation, un opérateur que l’on n’aborde plus pour éviter qu’il se vide.

Il est une publicité répétitive où l’être humain se recharge comme une pile millénium.

Interprétation : seule exigence, ne pas s’arrêter sur le « temps pour comprendre » de Lacan. Difficile à mettre en route, si non seulement nous avons les deux adversaires de la guerre, mais qu’en plus vous avez deux propagandes qui ne correspondent pas à la réalité des faits ? Quand pensez-vous à tous les morts ? Et la psychanalyse dans tout cela ? Elle n’a pas beaucoup de place. Même la psychiatrie et la psychologie se planquent.

Depuis Lacan, qui nous branchait sur les séances à durée variable, j’ai découvert les séances longues, dans certains cas et même sans promesse d’endormissement... Je me souviens, de mon cousin et Maître, Serge Leclaire[1], un de ceux qui ont défendu Lacan, coutumier, lui, des séances de... 50 minutes. Que diable ! Accepte les contradictions, même si tu as raison dans ton affirmation.

Alors on peut se demander quelle est l’exigence minimale pour un nouvel « analyste-compagnon » ? C’est qu’aujourd’hui le contexte ne pousse pas vers des débats théoriques passionnés, on se contenterait d’une assertion minimaliste.

Allons-y avec prudence : « Qu’est-ce que la conviction dans l’inconscient ? » à laquelle nous rajouterons à la manière de Molière[2] : « Qu’allait-il faire dans cette galère ? »

Je pourrais en plus rajouter à la manière de la Bible : « J’ai une réponse, qui a une question ? »

J’additionnerais : comment aider quelqu’un ou quelqu’une à saisir au moins un bout de cette logique si spécifique de l’inconscient. Pour y accéder, vous pouvez vous reporter au texte de Freud, Psychologie de la vie quotidienne[3].

Rappelez-vous ce portrait-robot du petit bourgeois : « Tout va très bien chez moi, j’ai un époux, une épouse, un métier, une maison, un chien et nos enfants font des études, et pourtant je ressens comme un mal-être, je perçois une angoisse... et je suis allé(e) voir un psychanalyste qui m’a dit : ''le manque vous manque[4]''. » Indication liminaire, mais qu’allez-vous en faire ? Rien du tout, si on ne vous aide pas à trouver un chemin qui vous y mène.

J’aimais trop les cours de Lucien Israël quand il disait : « La perversion coutumière c’est de prendre l’objet du désir pour le désir lui-même[5]. » Aujourd’hui la plupart des individus n’ont même pas atteint subjectivement le niveau de la « perversion quotidienne ». La constante de la psychologie quotidienne « au travers de notre temps », c’est d’oublier le désir inconscient derrière les stéréotypies intentionnelles.

Alors peut-on aimer l’amour sans effleurer la question du désir ? Affirmatif ! C’est peut-être la raison pour laquelle l’érogénéité de tout poil n’est pas à la mode. A-t-on le droit aujourd’hui de faire allusion à la « bisexualité freudienne » ? Terme trop à la mode, pour ne pas être dangereux !

À la FEDEPSY (dès l’an 2000), nous avons renoué avec la procédure du « compagnonnage » qui a permis de créer, ces dernières semaines, une dizaine de psychanalystes praticiens. Et cela n’est pas un moindre succès, si l’on pense au contexte culturel psychologique actuel. J’en profite pour les féliciter sincèrement de leur courage en soulignant cette affirmation : « L’analyste ne s’autorise que de lui-même... et de quelques autres. » Manière de dire : à la guerre, certains répondent par le singulier et par le particulier. Étonnant, non ? de mettre le psychanalyste en position de Résistance. Et pourtant nous ne sommes pas sans savoir que l’on peut aussi cultiver la singularité et en même temps ne pas laisser suffisamment la parole à l’autre.

De fait, j’ai perdu plusieurs amis et j’en ai trouvé bien d’autres ; et ceux-ci se multiplient si on supporte mieux sa solitude et que l’on respecte les « Mythes Individuels », en tenant compte des générations. Je me rappelle la phrase de Mustapha Safouan[6] à la disparition de Jacques Lacan : « Il faut tout supporter. »

Je n’irai pas jusque-là, mais tenons compte de ce que l’autre (Autre ?) nous a apporté.

  1. S. Leclaire, « Les scissions », dans Démasquer le réel, Paris, Seuil, 1971. ?
  2. Molière, L’avare. ?
  3. S. Freud (1901), Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1967. Ou Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1992. ?
  4. J. Lacan, Le Séminaire livre X (1962-1963), L’angoisse, Paris, Le Seuil, 2004. ?
  5. L. Israël, « La perversion de A à Z », dans Le désir à l’œil, Séminaire 1975-1976, Arcanes, 1994. Rééd. Arcanes-érès, 2003. ?
  6. M. Safouan dans Poinçon n°1. ?

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