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Éros ou Thanatos?

par Martin ROTH, avril 2022

Rappelez vous la lyrique et émouvante fin du texte « Malaise dans la civilisation » : « il leur (aux hommes) est facile de s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier. Ils le savent, d’où une bonne part de leur inquiétude actuelle, de leur malheur, de leur angoisse. Il faut dès lors espérer que l’autre des deux puissances célestes, l’éros éternel, fera un effort pour l’emporter dans un combat contre son non moins immortel adversaire. Mais qui peut prédire le succès et l’issue ? »

Le qualificatif d’éternel nous situerait-il dans le mythe de l’éternel retour ? Condamnés à la dualité pulsionnelle et à ses avatars!

Si Éros est ouverture vers l’altérité, Thanatos vise l’extinction de celle-ci. L’altérité c’est l’autre, l’étranger, celui qui me rappelle que je ne suis pas seul, que je ne suis pas le seul. C’est aussi les alter ego, presque-égaux, ceux qui portent « la petite différence » qui entraîne tant de rejet, de haine et de jalousie. Il n’est pas anodin que l’autre soit souvent incarné par le tout proche, le voisin, celui qui pourrait très bien être moi. Il s’agit alors pour m’en distinguer de marquer au fer rouge la supposée différence. Mais quelle est cette « petite différence » ? Ne serait-ce pas un certain rapport au manque ? Celui que justement je ne m’autorise pas et que je projette sur l’autre ? Ainsi, l’altérité serait également l’Autre en moi : le sujet de la psychanalyse justement ! Lacan ne nous prévenait-il pas que celui qui avancerait, boitant, sur le chemin de son désir, le ferait seul et que tout n’y serait pas rose ?!

Ah ! J’oubliais dans la formule freudienne un terme important : narcissisme des petites différences. Ce terme nous renvoie à l’ « Ego surdimensionné » dont parlait Jean-Richard Freymann dans l’Édito du mois dernier. L’Ego se déploie et ne supporte pas qu’on se détache de lui : le manque pressenti dans cette séparation n’est pas symbolisable. Il s’agit donc soit de contraindre l’autre à faire partie de l’Ego, soit de l’éliminer. La conflictualité est évacuée au profit du seul conflit. La pulsion de mort vise l’aconflictualité. C’est dans la baisse de la tension que Freud situe le sentiment de plaisir. Plaisir ou jouissance ? Certains jouiraient-ils de la guerre entre les deux pulsions ? Je rappelle au passage que nous avons tous un narcissisme… à dimension variable…

Le tyran, qu’il soit père ou mère, supportera-t-il l’autonomisation/ différenciation de son enfant ? Ou considère-t-il l’enfant comme une partie de lui-même, un prolongement de lui-même ? Quel cas fait-il de l’autre qui participe de l’engendrement ? C’est en apprenant que son fils le remplacera (on peut l’entendre de différentes manières) que Laïos exigera qu’Œdipe soit éliminé. Et Dédale offre des ailes à Icare qui en mourra. Œdipe, avant d’être parricide, est victime d’infanticide. Icare se brûle les ailes en tentant de réaliser le fantasme paternel. Hum hum, le vœu plus ou moins inconscient d’infanticide précéderait-il celui du parricide ?!

Le mythe présente ce qu’il en serait du destin du névrosé s’il n’était limité par le fantasme. En effet, le mythe présente la version actée, la version réalisée du fantasme. L’absence de délimitation par le fantasme pousserait vers l’illimité. Et le fantasme, contrairement aux idées reçues, se construit avec l’autre. L’autre sous ses différentes formes : l’alter ego, l’Autre, mais aussi l’autre pulsion. L’approche analytique ne vise pas à éliminer l’autre qui gène, le symptôme ou le fantasme en l’occurrence, mais bien de « faire avec ». La boucle est bouclée : la dualité pulsionnelle persiste, et nous réécrivons alors notre titre :

Thanatos et Éros

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