PREMIER TEMPS - 17 février 2022
Reprise
I
Res primum
Ne confondons pas le traumatisme avec les irruptions du réel.
Est-on capable de transformer une irruption en un traumatisme freudien ?
Diantre ! Le traumatisme freudien serait-il différent du « trauma » dont on nous bassine les oreilles dans le médiatique et en médecine ?
Pourquoi préfère-t-on, sur la plupart des chaînes de télévision, mettre en premier des faits divers (ou d’été !), exhiber le plus meurtrier, le plus horrible avant même les nouvelles internationales qui nous annonceraient le risque de guerres ?
À tous les coups on privilégie les « films d’horreur » plutôt que les équilibres précaires entre les nations… Et vous constaterez que les événements immédiats (le politique) sont mis bout à bout avec les méandres de la diplomatie. Alors bien sûr on pousse vers l’expression de la rue qui le plus souvent dénie les formes de représentativité étatiques et démocratiques.
Puisque je parle de représentativité, je peux faire le pont avec la « représentance » signifiante. À savoir que dans le traumatisme freudien, il s’agit d’un écho en suspens.
Exemple : tel geste séducteur de l’oncle qui renvoie après moult méandres associatifs à un souvenir infantile (par exemple être sur les genoux de…) avec une chaîne signifiante renvoyant par exemple au « roman familial[1] ».
L’irruption du réel n’est pas du même bois. Ce qui tombe dessus n’est pas d’emblée pris dans la « réalité psychique », il est un temps de suspension. Si nous prenons l’exemple trop actuel d’une épidémie : le choc est troublant voire sidérant. Et nous aurons affaire à une angoisse ou plutôt une panique à partir d’une menace bien réelle (névroses actuelles). Mais il est déjà manifeste que les réactions psychiques ne sauraient se résumer à un trauma partagé par tous.
À côté d’une fantasmagorie collective, derrière une obéissance ou une désobéissance, se cachent des connotations particulières qui peuvent être du fantasme ou du délire. Nous dirions aujourd’hui que ces réactions ne sont pas sans lien avec du religio, voire de la religiosité.
On voit de tout : de ceux qui sont habillés comme des scaphandriers à d’autres qui crient « à la menace contre la liberté, et que l’on n’aille pas violer le temple du corps ! ».
Comme dirait Lacan, « il n’y a pas de rapport sexuel » entre les uns et les autres : sur un fond de délire collectif, le fantasme particulier ne se confond pas avec le délire individuel.
Les renfermements imposés ont provoqué des accentuations des réactions phobiques, mais comme on le sait par la clinique, la phobie n’exclut pas le déni.
Comme l’a fait remarquer Guillaume Riedlin, la pathologie s’est manifestée bien plus après le confinement que pendant le confinement.
Mais ces propos se réfèrent à un cadre freudien, à des opérateurs, dont le fond mythologique est celui du complexe d’Œdipe. À l’idée devenue presque « préhistorique » que le désir du sujet se constitue à partir du « désir de l’Autre » et que l’enfant se constitue à partir d’une tiercéité (fonction paternelle, Nom du Père, phallus symbolique…).
À l’heure actuelle la mythologie contemporaine perd les plumes de la question du tiers : l’Objet dominant est celui de la consommation, l’Éros sexuel n’attire plus les foules, tout « ce qui n’est (plus) symbolisé revient du réel ».
Qu’est-ce à dire ?
Faute de Fonction paternelle structurante et de Nom du Père triangulant[2], ce qui fait retour dans la société[3], c’est la quête d’un Père tout-puissant, un Ubu qui fait la loi, faute de respecter une Loi symbolique. Faute de « Nom du Père » et de « non-dupes errent[4] », nous voilà replongés dans une quête de Totem et Tabou[5] : rêve d’une Reprise ou d’une Répétition ?
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S. Freud (1909), « Le roman familial des névrosés », dans Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1997. ↑
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J. Lacan, « La métaphore paternelle », dans Le Séminaire livre V (1957-1958), Les formations de l’inconscient, Paris, Le Seuil, 1998. ↑
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J.-P. Lebrun, Ch. Melman, La dysphorie de genre, Toulouse, érès, 2022. Caroline Eliacheff, Céline Masson, La fabrique de l’enfant transgenre, Paris, éditions de L’Observatoire, 2022. ↑
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J. Lacan, Le Séminaire Livre XXI (1973-1974), Les Non-dupes errent, inédit. ↑
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S. Freud (1913), Totem et tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2003. ↑
DEUXIÈME TEMPS - 7 mars 2022
« Pourquoi la guerre ? » Le présent comme naguère
Les paramètres causaux sont nombreux, les interprétations politiques fourmillent. Il n’en demeure pas moins qu’un seul dirigeant peut provoquer une « cascade des remaniements », non pas des signifiants, mais du réel.
Qu’est-ce qui permet que la folie d’un seul peut déchaîner des conflits mondiaux ?
La vraie question particulière est simple : chacun va-t-il mourir sous les bombes ou sous la bombe ?
Alors, nous avons par ailleurs une autre question : à quoi sert-il de continuer à parler avec un fou désaliéné alors qu’il fracasse réellement un pays entier ?
Et si l’on cherche une leçon de courage, regardez les Ukrainiens et leur Président !
De quelle symbolique s’agit-il quand, dans ces conditions, on continue à essayer de parler. Tout le monde avec cette énorme table entre Poutine et Macron…, j’ai donné à quelques-uns mon interprétation schreberienne de cette rencontre (silence). Mais notre Président a su affronter « le non-rapport sexuel » au niveau du langage. Chacun parlait dans sa ligne de course, rien ne se rencontre... sinon... je vous laisse deviner...
Quelle horreur !
Comment un humain peut-il ainsi fracasser l’humanité ? Il est une réponse possible : voici l’effet d’un délire qui pourtant ne se confond pas avec le mensonge affirmé : « C’est la faute de l’OTAN qui l’a attaqué. »
J’ai suivi sur ARTE l’émission consacrée au Président Poutine et un journaliste raconte et filme son ascension au pouvoir (document officiel). On y voit sa relation originaire avec le Président Boris Eltsine dont le visage a l’air aussi déformé par la Vodka. On y voit d’emblée le refus de sa propre reconnaissance, de son origine, de ce qu’il doit au Président Eltsine.
Quel est le contenu latent de refuser son origine et sa filiation ? Nous dirions le « déni de la réalité » qui est d’un autre bois que le déni de la castration (Verleugnung) – voir le livre de Jean-Richard Freymann sur Les mécanismes psychiques). Ce qui a pour effet un retour dans le réel marqué d’irréel. En tout cas un monde halluciné, marqué d’irréel. Ce qui provoque une déshumanisation en acte quand on a le pouvoir. Quand on dit « le pouvoir corrompt », on rompt le Moi de l’individu, au profit d’un Ego surdimensionné, qui a forclos la culpabilité. Rappelez-vous la culpabilité délirante du mélancolique.