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De quoi sommes-nous l’objet ?

par Guillaume Riedlin, 30 Avril 2020

« La relation éventuelle de la fonction respiratoire avec ce dont il s’agit, le moment fécond de la relation sexuelle, c’est que cette respiration, sous la forme du halètement paternel ou maternel, faisait bien partie de la première étiologie de la scène traumatique, au point d’entrer tout à fait légitimement dans la sphère de ce qui pouvait surgir pour l’enfant de la théorie sexuelle »
                      J. Lacan, L’angoisse, 1962-1963, Paris, Le Seuil.

De quoi sommes-nous l’objet ? De lecture ? De création ? De désir ? Puisse-t’on être un peu objet d’optimisme, de vie, du souffle de vie, du second souffle qu’il semble que le discours veuille nous proposer. Il pointe une odeur de renouveau dans l’ambiance actuelle entre respect et révolte. Ce discours ambiant nous place en position d’être son objet, qu’est-ce que cela signifie ?

La notion d’objet est à appréhender sur au moins trois plans1. L’objet est déjà l’objet de la pulsion renvoyant à la satisfaction, de l’impossible satisfaction du fantasme jusqu’au fait de jouir de celui-ci au sens du juridique, c’est la grammaire de l’avoir. Il est aussi, l’objet d’amour, dans une position qui est celle de la constitution, non du sujet, mais du Moi, ouvrant aux problématiques narcissiques et de la grammaire du verbe être en ce sens que notre existence dépendrait d’un rapport mœbien à l’autre. Enfin, toujours selon cette définition, l’objet est aussi cette notion qui traverse les champs du savoir, collectif ou individuel, objet de la sociologie, de la science, de la philosophie où s’articulent alors l’être et l’avoir, comme étant le représentant de quelque chose, introduisant déjà notre rapport au A et permettant les mécanismes identificatoires, seule position objectale post-œdipienne.

À être l’objet du discours actuel, chacun se targue de pouvoir se prononcer sur ce qui nous motiverait fondamentalement, du respect des mesures à leur transgression, « les gens », « les français », « les chinois », « les américains » et que sais-je encore.

À être l’objet du discours on est renvoyé, subjectivement, à toutes les occurrences de l’objet. Le discours jouit de construire notre subjectivité, au sens du collectif, nous renvoyant à la question de la légende comme nous en avions proposé un avant-gout dans le numéro précédent de l’éphéméride2. Il construit, ou pense construire, nos positions amoureuses, organise notre rapport au sacrifice du sujet pour tous, et enfin nous renvoie au destin, dans l’illusion d’un destin qui serait collectif, l’humanité, au défaut de la place que le sujet pourrait s’y frayer.

Ces injonctions, contraintes, satisfactions qu’engendrent pour nous le fait d’être l’objet du discours ambiant se nouent difficilement dans un discours manifeste, il est aisé de le constater. Il n’y aurait qu’une forme de nouage qui pourrait soutenir tout cela, au sens du sujet, c’est le nouage borroméen. À chacun le rond de ficelle qui tiendra la structure du nœud alors que l’ambiance est à provoquer son tiraillement majorant ses tensions entre Réel, Symbolique et Imaginaire.

Une éthique du sujet poserait cette condition, qu’il n’y a de destin collectif que dans le sens d’un positionnement subjectif propre, qui lui ne renvoie pas au bien commun, mais renvoie à la question désirante. S’il est question maintenant d’un second souffle, c’est dans la perspective du sujet.

Sur le plan clinique, il y a l’émergence, dans ce contexte, d’une tension borroméenne qui permet parfois au sujet d’en entendre un peu plus sur le rond de ficelle qui tient sa structure. Nous avons pu repérer l’apparition, au sein du transfert, de levée de refoulement, de moment d’énonciation se situant au plus près de l’existence même du sujet, c’est-à-dire au plus près de ce qu’il y aurait de fondamental pour lui. Où se situe le désir dans ce constat ? Au moins du côté de l’analyste, le rond de ficelle étant adésirant, pour le reste ce sera l’objet, cette fois-ci, de la question que nous avons encore à nous poser, dans le second souffle d’une vie qui va reprendre et que, à la manière de la citation de J. Lacan, nous pourrions retravailler du côté de la fonction respiratoire dans la relation sexuelle. Voilà la belle à-faire !

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