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Comment éviter la guerre ? Une histoire de tiers

par Jean-Richard FREYMANN, avril 2022

Malgré la guerre (!), il faut nous pencher sur les questions de racisme et d’antisémitisme[1]. Je vois en effet que la guerre est un délire et pas seulement d’un seul[2] !

Nous, les enfants de « l’après-guerre », nous sommes confrontés à la guerre tout court... inside.

De plus les distances se rapprochent, la guerre est à nos portes européennes et on ne peut pas l’oublier. Plus facile de refouler ce qui se passe en Afrique, en Asie, voire en Chine où l’on ne se prive pas d’asservir jusqu’à des peuples entiers. Et que vient faire le psychanalyste de ces cascades de remaniement des signifiants et des signifiés ?

Chaque guerre a des conséquences, non seulement sur l’histoire de l’humanité mais aussi sur chaque individu personnellement. À cet endroit, je me rappelle une mélodie que susurrait un de mes grands-pères (Freymann) qui correspondait aux souvenirs des tranchées de 1914-1918 où, à côté d’un ami, dans les tranchées, il aurait entendu son voisin qui sifflotait cet air avant de prendre une balle sur le front. Aujourd’hui je recherche cette mélodie que j’avais retrouvée à une certaine époque en entendant un concerto de Mozart. Que reste-t-il, non seulement de nos amours, mais de nos chers morts ? Le Mythe de ce grand-père se poursuit puisque le grand-père « Prosper » aurait pris sous son aile sa nièce orpheline, devant le cadavre de ses parents. « Prends les affaires de cette petite », aurait déclaré Prosper, et il a élevé cette enfant. Où va-t-on chercher quelque mélodie, quelque slogan sinon dans le discours de l’Autre : l’inconscient est transgénérationnel. Bref on ne fait que happer quelques extraits. Quelques traits unaires, quelques sourires, quelques souvenirs... cela se reconstitue comme un puzzle, mais qui, chaque fois, s’enrichit.

Mais à côté de ce jeu de « glance », il nous reste aussi quelques malveillances que l’on a produites, quelques fautes de jugements qui nous reviennent, quelques injures que nous aurons proférées.

Ce qui nous manque parfois c’est un fantasme, ou un délire qui nous permettrait de refaire la scène. Ou une sorte de remake de la scène que l’on aimerait corriger.

Les fins de cure analytique lèvent l’oubli et permettent un autre oubli. Et les fins d’analyse permettent de nouvelles pages blanches. Mais la plupart des ex-analysants ne supportent pas cette page blanche. Alors « destitution subjective[3] », désêtre, identification au manque, changement de discours, voici de nombreuses expressions qui disent la visée d’une psychanalyse, mais rassurez-vous, visées rarement atteintes dans la pratique. On préfère se gorger de transfert, de montrer de l’hyperactivité plutôt que d’accepter son sort « d’être boitant[4] », de parlêtre castré. On aime tant la « castration » comme concept de l’asymptote. Et il suffit que l’analysant se frotte un peu à la séparation lacanienne (separare-separere), pour que l’on se gausse de la « faim de cure ».

Dans « Analyse fini et infini[5] », Sigmund Freud se montre d’une modestie inouïe, alors qu’il laisse ses élèves tricoter des fins d’analyse de tous poils[6].

Comme nos aînés, j’ai souvent envie de dire à nos jeunes collègues de pousser le bouchon analytique le plus loin possible. Ce qui n’est pas prétentieux en ce sens que l’on a envie de transmettre : « Ne ratez pas une sortie de cure... », buvez le vin tant qu’il est sorti du tonneau.

Quant à l’analyste « didacticien », il est confronté à la question de la déception.

Beau sujet, la déception !

Peut-être que l’on attendait trop d’Icare[7] ! Il s’est envolé trop haut vers le soleil, avec le risque de se « cramer » les ailes. Comment rester à bonne distance des soleils ? Si l’on vole, c’est que quelqu’un nous a appris à voler, que faire ensuite de cette dette ? Si elle n’est pas réelle, au moins qu’elle soit symbolique. Dieu merci, j’ai perdu la goût pour la déception, qui est pleine de rancune. « Que serais-je sans toi ? », comme disent les amoureux.

Quand on a côtoyé la mort (sans le savoir), on tire une expérience de revenant ou peut-être de fraîcheur pas tellement juvénile, mais jeune ? Cela donne encore plus l’envie d’écouter l’autre, dans sa différence, dans ses traits de créativité. Encore faut-il avoir fait le deuil du « Caligula » en soi, que l’on repère si bien en l’autre et que l’on laisse tomber pour éviter la guerre.

Alors « La guerre de Troie n’aura pas lieu[8] » ? À l’analyste de réintroduire de la triangulation dans un monde « sans foi ni loi ». Comment l’enfant peut-il perdre de la jalousie[9] ?

  1. Groupe de travail sur « Racisme et Antisémitisme » dans la cadre de l’Université de Strasbourg, dirigé par Jean-Richard Freymann et Frank Hausser.
  2. J. Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, Paris, Seuil, 1975.
  3. J. Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 » dans Ornicar, 1978.
  4. L. Israël (1989), Boiter n’est pas pécher. Essais d’écoute analytique, Toulouse, Arcanes-érès, 2010.
  5. S. Freud (1937), « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, Idées, Problèmes II, Paris, Puf, 1985.
  6. J.-R. Freymann, « Les fins d’analyse après Lacan » dans Esquisses psychanalytiques.
  7. Voir Dictionnaire de la mythologie, « Icare ».
  8. J. Giraudoux (1935), La guerre de Troie n’aura pas lieu, Paris, Grasset, 1967.
  9. S. Leclaire, On tue un enfant, Paris, Seuil, 1975 ; S. Freud (1919), « Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles », Névrose, psychose et perversion, Paris, Puf, 1997.

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