Entre murmures et fracas, entre nouvelles du monde et paroles sur le divan, si l’analyste y prête l’oreille, cacophonies ou polyphonies, les échos lui dictent quelques éditoriaux…
Surprise… il arrive que ça parle. On était entouré de sang, de mort, d’essais techniques de toutes sortes.
Hypnose, médicaments, groupe d’échanges…
Peut-être craint-on la brutalité, et ce qui change. De nos jours les filiations se retrouvent dans la psychanalyse, sans que l’on s’en rende compte. Faire de la psychanalyse sans s’en rendre compte, peut-on encore parler de psychanalyse freudienne ?
À côté de cela, il y a ceux qui produisent de la psychanalyse sans le savoir. D’autres qui créent du nouveau, en pensant faire du nouveau. Et voilà aussi certains qui reviennent, ils avaient disparu et… les revoilà. Étonnant ! À la suite de disparitions, plus de nouvelles, et voilà que l’on voit réapparaître du nouveau.
À chercher l’essentiel, on s’y perd… enfin.
Après 45 ans, ou 50 ans de pratique, je crois que l’on pourrait en tirer quelques fils.
Hier, j’ai vu, à Metz, l’exposition sur Lacan et je n’en ai pas été déçu ?
On pourrait faire bien des commentaires, mais il suffirait de dire : quelle créativité !
Ce n’est pas tellement la question, de la manière dont on va « enfiler les perles », mais quelle créativité.
Lacan fait partie de ceux qui ont fait dérailler les trains du conformisme, et il n’y en a pas beaucoup.
Faire dérailler le train, n’est-ce pas l’image de la résistance ?
Le problème qui se pose, c’est qu’il n’y a plus beaucoup de gares.
Pour repérer une nouveauté, il faut un cadre, et dans notre champ, un cadre théorique.
Puis-je vous parler de manque, du vide, de la perte… de l’absence, sans parler de : fonction paternelle, de métaphore, du sinthome et j’en passe et des meilleurs.
Pourrais-je parler du vélo, sans sous-entendre le guidon. Alors, comment crée-t-on des guidons ?
Chaque fois que les « juifs » pourraient se sentir en sécurité dans le monde, à chaque coup, on les massacre, on les torture, on leur arrache le cœur et les tripes, on en fait des cadavres déchiquetés sans différence entre les générations, du bébé à la femme (fût-elle enceinte), les vieillards… et même les chiens !
Quel est ce monde que l’on croyait dans le « post » de quelque chose ?
Il y a le juif (Nachträglich), pour peu qu’il se soit posé quelque part, mais il y a tous ceux qui sont autour.
Avec tous ceux qui « veulent bouffer du juif » et ceux qui en sont fascinés.
Je me rappelle, cette phrase de mon père, où il reconnaissait les antisémites comme ça : « Mais, mon meilleur ami aussi est un juif ! »
Et voici concerné la place du juif : un « Tiers » de drôle de nature. Exclu, inclus et parfois neutre, présent ou retiré dans sa communauté.
À la question : mais pourquoi ces programmes répétitifs au cours des millénaires, pourquoi on en veut à ce petit état d’Israël que le concours des nations a mis des siècles à créer !
Étrangement Freud n’était pas très sioniste, il trouvait que ce retour aux sources des Hébreux – comme jugement d’attribution – n’était pas sans danger.
Ce qui ne l’empêchait pas de faire cours à l’Université d’Israël et d’essayer ses cours au Bnai-Brith de Vienne.
Les « grands » sont à présent disparus… comme dit la blague « moi-même, je ne me sens pas très bien ». « Quand je cherche les amis, je regarde le gazon », disait Georges Brassens.
Et l’heure est venue, dans le temps qui reste compté, de tenter de parler vrai, pour ceux qui vont prendre la suite.
Parlons à ceux qui prennent la suite. On ne sait pas qui c’est/sait. Ne pensez pas que ce sont les « proches » qui vont bâtir la chronologie. La transmission est d’une grande étrangeté. Ce sont souvent quelques phrases lancées à la dérobée, qui constituent une nouvelle assise pour du nouveau.
L’effet générationnel, voire transgénérationnel, est décevant. Je me rappelle quand humoristiquement Lucien Israël, auquel on posait une question sur la question du couple, répondait d’une voix timide : « je vais demander à mon surmoi », il parlait de… son épouse.
« Que diable allait-il faire dans cette galère ? »
Dans la vie de tous les jours, si l’on cherchait un qualificatif pour dénommer nos entourages… familiaux, politique, ou au travail, nous dirions des « conflits d’ambivalence », où au niveau manifeste : « Ça ne se mouille pas… » et surtout, on pourrait à la fois être pour, et être contre… est-ce possible ? Autant dans le manifeste (freudien) que dans le discours ambiant, qui pourtant se gorge de certitudes et cela avec une banalité involutive.
Par contre, au niveau d’une « latence légère », on repère un monde de « pensifs », un refus répétitif du dialogue et la fétichisation d’un jugement, où l’on aurait envie à chaque fois de s’écrier : « Pour qui – il ou elle – se prend-il pour juger ainsi les autres ? » Au passage, on attend plus du mimétisme et du juridique, que de vastes interrogations sur les « identifications ».
Alors quel est ce latent d’un inconscient public (pas collectif), celui de la paranoïa d’autopunition, ou la paranoïa de Kretschmer ?
À propos de la Révolution de 1968, Jacques Lacan était intervenu de la sorte : « Vous cherchez un maître, vous l’aurez… » ; à cette époque dominait encore la fin du Marxisme, les effets du fascisme hitlérien, les suites de Mao-Tsé-Toung, les leçons du stalinisme, … les effets du tribunal de Nuremberg etc.
De nos jours les référentiels se sont transformés, la guerre n’est pas loin, et nous dirions qu’il n’y a pas véritablement les profils de nouveaux Maîtres. Cependant, les tyrans dominent et les républiques tentent de faire contrepoids et de survivre.
Ces constats sont d’une grande banalité et on ne peut que se demander : ces « affaires de retraites » vont-elles réussir à déstabiliser complètement les divisions des pouvoirs ?
Il est, en tout cas, un nouveau mécanisme qui fonctionne individuellement et collectivement : il n’y a pas d’ordre des importances, tout est sur le même plan – la survie du monde et l’âge de la retraite sont sur le même plan. Qu’est-ce à dire sur le plan du refoulement ?
Mystère ? Comment peut-on se gaver de tout, « d’automatisme de répétition ». Nous pouvons penser à la répétition symptomatique, mais aussi à l’insistance fantasmatique, ou mieux l’insistance d’un style.
Je me suis souvent demandé si, au courant d’une psychanalyse, quand le volet douloureux du symptôme a disparu, quand le fantasme inconscient est un peu débrouillé, est-ce que l’on peut se permettre, pour l’analyste, de pointer le style de l’analysant.
Quoi donc ?
– Sa manière de nous donner la main (gare au confort),
– l’inflexion de sa voix,
– son style de mouvoir son corps,
– la répétition de ses onomatopées,
– son tic de toucher ses cheveux, etc. etc.
Et pourtant nous n’en abusons pas, alors qu’il s’agit de définir la fonction du trait unaire, peut-être de la lettre, qui se meut sur ou avec le corps. Vous me direz, c’est certainement trop intime ou intimiste pour le dévoiler. Rassurez-vous, la plupart des psychanalystes ne vont pas jusque-là.
« Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard »
Je crois y reconnaître Georges Brassens chantant Louis Aragon.
Des héritages générationnels sont peut-être des petits restes, des « Kleinigkeiten[1] » qui ont traversé notre périple particulier. Étonnant pourtant que la cure psychanalytique lève certains oublis et à la fois en produise.
Quel beau sujet que l’oubli ! À la fois le souvenir de certains grands amours, l’expulsion psychique de scènes si attrayantes, et cette lourdeur considérable de traumas qui nous hantent la vie durant, et que souvent vous ne savez plus dater.
Dans une note plus romantique, on pourrait rajouter : « Que reste-t-il de nos amours ? » Et voici un terrain, peu scientifique, où l’on se disperse poétiquement. Alors quelle topologie pour l’amour ?
Il est étonnant d’avoir envie de résumer les apports du champ analytique, alors que la culture s’évanouit dans des savoirs éclatés. Comment se fait-il que le monde accepte « l’immonde » ?
Ce qui peut nous secourir, c’est bien de penser l’écart entre les générations par l’existence d’une « mythologie » spécifique suivant lesdites générations. C’est l’avenir de nos enseignements, et de notre congrès. Ce fameux écart entre le générationnel, entre les mots, et les modes de théorisations. Par moments, on pourrait s’adonner à quelque hilarité : en lisant des théories, même d’il y a dix années : incompréhension souvent !
Connaissez-vous la force du « discours ambiant » et d’une époque ? On parle facilement comme des « veaux » (voir Charles de Gaulle) en se conformant au langage à la mode (de chez nous).
Certainement, il y a une affaire de langue, voire de « lalangue » (Lacan), à savoir quelles jouissances à se conformer au discours des autres ?
Alors comment passe-t-on du discours… des autres, au discours de l’Autre ?
Nous approchons de la féérie de Noël et de ses addictions multiples. De ses chants et de ses désenchantements. Nous n’aborderons pas la consommation « capitaliste », ni les cadeaux à thème et à 5 euros, pas plus que les beuveries festives. Nous aborderons l’addiction, la vraie : l’addiction familiale ! Voilà un symptôme tenace…
Addicere : être dit à… Si vous contractiez une dette au temps des Romains et que vous ne pouviez pas la payer, vous vous retrouviez désigné comme dit à votre créancier. Vous deveniez pendant un temps son esclave par contrainte de corps. On retrouve dans cette notion tous les ingrédients d’une bonne aliénation : parole contractualisant une dépendance, don du corps à l’autre, dette envers cet autre. Être dit à est proche de s’abandonner à ou s’adonner à. Dans la première formule l’Autre initie l’aliénation, dans les deux suivantes, l’individu les reprend à son compte et s’y soumet. « Ce que tu hérites de tes pères, acquiers-le » écrivait Goethe, « mais pour mieux t’en séparer » ajoutait-il !