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« Que diable allait-il faire dans cette galère de la psychanalyse ?

par Jean-Richard FREYMANN, juin 2022

– apprendre à parler ? – »

De retour au « pays de l’Autre » après de longs séjours inhospitaliers, je me retrouve présentement dans une Weltanschauung (conception du monde) ambivalente.

Autant je trouve un cheminement pertinent pendant mon « absence-présence » en ce qui concerne le fonctionnement institutionnel de la FEDEPSY et de l’EPS, autant je trouve – sans un regard d’envie – le manque d’initiatives au sein du champ psychanalytique.

Le « devenir ancien » conduit-il à de la déception ou bien dans ce retour d’univoque ? Y a-t-il du vrai dans ce regard sur la cinétique de mes proches qui semblent avoir oublié de prendre du « temps pour comprendre » ? Apprenons à rajeunir grâce au Wissentrieb (à la pulsion de savoir).

Un vrai rêve d’adolescent : les séminaires sont bondés, les groupes cliniques fleurissent, la psychanalyse en extension s’étend aux autres institutions.

Mais où sont passés les « artisans inventifs », les contestataires qui débattent avec une période de Freud, de Lacan ou avec les post-freudiens ?

Les lecteurs (s’ils lisent) ne sont pas des interprètes et ne sommes-nous pas à la recherche d’originalités humaines qui ne cherchent pas obligatoirement des galons d’adjudants ?

Je connais les échos à ces remarques mélancoliformes sur la déverbalisation : il y a toute la période du COVID (j’en sais quelque chose !) et il y a la guerre à nos portes.

On voit déjà à quel point les gens osent s’habituer à la barbarie de la guerre (qui, aux dires des Russes, ne porte pas ce nom). Freud aurait déjà repéré que l’humain cherche avec délice l’inhumain[1] qui est en lui et les pulsions les plus abominables ne cherchent que l’occasion de fleurir. Les effets civilisateurs ne sont jamais acquis.

Je ne fais pas un anachronisme, le champ analytique et le discours analytique ont un rôle à jouer dans le monde actuel face à la « désymbolisation » avec des effets générationnels difficilement repérables, mais existants.

La transmission a pour mission de passer le relais d’une génération à l’autre. Quant à la psychanalyse (contrairement à l’Université et à la politique) elle détient un espace tiers qui est celui de la cure analytique.

Rappelez-vous les propos de Lacan sur la transmission[2]. La psychanalyse ne se transmet que par le divan et ses dérivés. Mais voici le problème du psychanalyste : « Est-il à même de soutenir la situation analytique, et en plus sur la durée ? »

Le problème : l’héritage de cette capacité ne se fait ni dans l’institution d’analystes (même si elle y contribue), ni sous forme d’un virus ou par la filiation d’un Maître[3].

Buts de l’analyse : faut-il penser abusivement qu’on est à même de transmettre les rapports à l’inconscient quand on ose perdre… pour un temps, les petits autres… ? On me rétorquera alors : que devient l’amour dans tout cela ?

Réponse à entendre aussi du côté des religieux. Sont-ils les mêmes, ceux qui cherchent D. et ceux qui l’ont trouvé ? Cela fait un peu partie des entretiens préliminaires de chercher le rapport à Dieu dans le rétroviseur ?

Dans les nouvelles générations que je trouve plus « normales » que nous, avec des fétiches téléphoniques qui ne les quittent plus, peu de choses les rapprochent de la situation analytique. Il va falloir introduire quelque chose pour réouvrir les portes de la psychanalyse. Les impossibilités actuelles tiennent aux nouvelles définitions des rapports des langages à la parole et au discours. Cela ne remet pas en cause que « l’inconscient est structuré comme un langage[4] », c’est plutôt que le « discours ambiant », le contexte langagier synchronique, dénie toute diachronie et toute historicisation subjectivante.

Difficile alors de donner accès à une parole « qui ne serait pas du semblant ».

« Peut-on apprendre à parler à partir de la psychanalyse ? » Affirmatif !

Cette phrase semble d’une naïveté infantile avérée. Mais nous pouvons y répondre que le « tout langage » et le « moulin à parole » ne se rapportent pas directement au sujet dit de l’inconscient.

Pénétrer dans le monde des « formations de l’inconscient » provoque une césure dans le langage commun auquel l’être parlant s’identifie et s’affiche souvent dans les « stéréotypies de bistrot[5] ». Et ceci n’anticipe pas sur quelque « autismé »… ou sur un diagnostic « DSMisé ».

Le problème est que cette acquisition de la « parole pleine » ne saurait se répandre aisément dans le collectif. Ce qui explique d’ailleurs pour une part la mise au rencart du champ analytique.

Le monde actuel se meut non seulement dans un individualisme saisissant mais dans un refus du particulier et de la singularité. Comment se fait-il que la pression générationnelle aille plus dans les méandres de l’individualité que dans une quête communautaire et civilisationnelle ? Je peux risquer une interprétation. À force d’expliciter la psychologie collective autour de l’idéal du moi, on oublierait presque que le « parlêtre » se trouve souvent derrière le moi idéal[6] » qui est l’héritier fondamental du devenir du narcissisme de l’enfance.

Dit autrement « quand on est plus de quatre, on est une bande de cons[7] » calfeutrés dans un narcissisme et dans un infantilisme flamboyant. Un monde de bébés vengeurs honteux de leur origine ?

En guise de préambule je tiens à anticiper mes propos à venir, en schizant le précieux langage du postulant-névrotisant virtualisant de la parole et des griffes univoques de la paranoïa hétéro-punitive qui sont à l’origine d’une destinée bien univoque.

C’est que la paranoïa traverse sans coup … (et avec coups) les différentes générations[8], alors que le névrotisant en formation se doit d’être baigné dans les limites du berceau verbal.

Pour ce faire et pour produire un distinguo, il nous faut aujourd’hui relire « La technique active » de Sándor Ferenczi[9] pour éviter que la psychanalyse soit remise dans les musées archéologiques.

  1. S. Freud (1927), L’avenir d’une illusion, Paris, Puf, 1973.

  2. J. Lacan, Lettres de l’École sur « La Transmission » (2 volumes), Bulletin Intérieur de l’École Freudienne de Paris, avril et juin 1979.

  3. J. Lacan, Le Séminaire livre XVII (1969-1970, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991.

  4. J. Lacan (1953), « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », dans Écrits I, Paris, Seuil, 1999.

  5. L. Israël, Le désir à l’œil (séminaire 1975-1976), Toulouse, Arcanes-érès, 2003.

  6. S. Freud (1921), « Psychologie collective et analyse du Moi », dans Essais de psychanalyse, Parsi, Payot, 1993.

  7. D’après G. Brassens, « Le temps ne fait rien à l’affaire », 1961.

  8. M. Safouan, La parole ou la mort. Essai sur la division du sujet, Paris, Seuil, 2010.

  9. S. Ferenczi, Œuvres complètes, Paris, Payot.

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