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Un premier feuillet en pente douce

par Frédérique RIEDLIN, janvier 2023

Le terme « cabinet » vient du mot cabine (1491), et désigne en premier lieu, une chambre retirée dépendant d’une plus grande.

Quelque chose comme une petite pièce à part, abri, refuge, lieu d’étude.

D’abord cela. Après quoi l’Histoire ira bon train, avec les cabinets de travail et d’études, le cabinet de lecture, le cabinet noir espion pour le gouvernement, mais au départ une pièce sans fenêtre et sans lumière, où l’on enfermait les enfants pour les punir, les cabinets d’aisances ou de toilettes, le cabinet médical, le cabinet de curiosités prélevant des objets incongrus et inclassables, produit par l’improbable fabrique de la nature et de la culture.

Cabinet particulier, réservé, intime, il y a là cette idée de retrait, préservé, de s’extraire du rythme, du regard public, des « lieux communs », aussi.

Nous ajouterons, cabinet de rire et de réjouissances, transdisciplinaire et transgénérationnel : force est de constater en effet, que le cabinet de lecture de la Fedepsy s’est tout de suite vu « transe », générationnel, disciplinaire, a tout de suite pris la tangente, pour une articulation libre entre travail et plaisir, entre des dits « actifs » et « retraités », entre spécialistes et amateurs de psychanalyse et autres. Que la subversion psychanalytique opére, donc, pour cette petite utopie, prompte à faire résonner la surprise poétique et la pensée littéraire, scientifique, théorique.

La question n’étant pas simplement de lire et d’écrire au sens fonctionnel, car on ne manque ni de lire, ni d’écrire, en ce moment, il suffit de grimper sur la toile, submergée par un débit de lire et d’écrire saturé…de vide.

Il ne s’agit pas du lire fonctionnel, hypnotique, automatique, sorte de processus primaire qui dit « ce qu’il y a » sans véritable sujet, fatras de l’Autre, où tout s’équivaut sans coupure si ce n’est des coups d’éclats, défilant dans les têtes.

Il s’agirait plutôt de relancer une pratique du lire, avec d’autres – là où lire est un déchiffrage, ou tout simplement une rencontre, une confrontation sensationnelle à une énonciation, une voix, à la lettre, à l’histoire, à l’ouverture d’un monde original et singulier.

Là où la lecture, la grande passeuse, dépasse la « petite affaire privée », qui se régurgite à haut débit sur la toile, pour produire l’expérience humaine, par-delà l’espace-temps, dialogue entre Freud et Œdipe, Freud et Shakespeare ou Aristote, et de poursuivre le dialogue avec Lacan, avec Safouan, désormais, avec celles et ceux qui nous quittent mais nous lèguent aussi.

La grande passeuse face à la grande Faucheuse.

Pour paraphraser Malraux, le lire et l’écrire sont peut-être l’avant-garde de « toutes ses forces qui résistent à la mort » et nous ouvre la profondeur de champ de l’histoire et l’ombilic vertigineux de la trace humaine.

Le Cabinet de lecture articule plusieurs modalités :

  • Le recueil des textes envoyés par ceux et celles qui voudront témoigner de l’effet d’une lecture, quelle qu’en soit la forme et la manière,
  • Le lieu de retrouver l’énonciation, en demandant aux auteurs-lecteurs, s’ils le souhaitent bien sûr, de choisir un ou quelques extraits qui pour eux pourraient être lus et initiant des soirées littéraires diverses, autour d’œuvres,
  • Une dimension de « livre associations » qui cheminera à partir d’un livre central, du moment, choisi à la croisée des thèmes qui traversent l’Ecole, le GEP, mais aussi l’actualité de la psychanalyse.

A partir de ces lignes préalables, et depuis, nous bifurquons assez joyeusement vers un cabinet qui se ré-invente à chaque séance, dans ses « démêlés »

Beaucoup de femmes et un dénivelé de générations, créent la pente glissante vers un désir associatif assez fort et plein d’humour, un franc - parler, s’étonner et se questionner, qui permet de s’emparer à plusieurs de l’effet d’un texte, un « retour au texte et à son énonciation » sur un mode sensible à ce qui se produit actuellement et dialectique.. Vu ce que l’on nous sert aujourd’hui comme pollution audiovisuelle à flux tendu et couvrant la pensée, on s’aperçoit que les bases de certaines pratiques « dialectiques », de la discussion et de la pensée, ne sont pas si évidentes qu’elles en avaient l’air non seulement à retrouver mais aussi à soutenir pour s’y tenir.

Les lectures de A. Pfauwadel - Lacan versus Foucault, la psychanalyse à l’envers des normes, Paris, Éditions du Cerf, 2022 - et de P. De Neuter - Les hommes, leurs amours et leur sexualité, Erès, Toulouse, 2021 - en ont été à l'honneur et en ont fait les frais aussi, sujet à débat pour ne pas perdre le cœur des problématiques entre conservatisme, dogmatisme, académisme, révisionnisme versus déconstruction, illusion de déconstruction à l’absurde et démagogie simpliste, comment ne pas céder sur l’ombilic réel et de fait constituant d’une pensée ou d’une orientation, d’une « lecture » des évènements.

Les fantasmes sont-ils masculins ou féminins si ce n’est comme constructions socio-culturelles ? Quelle est la part d’une écriture unique et singulière du fantasme, au contraire mythique, idéologique, là patriarcal ? Quelle est la part du « patriarcat » en distinguant dans tout ce qui se joue à partir de ce terme aujourd’hui, dans l’analyse des fantasmes ? Y a-t-il une part de fantasmes fondamentaux anhistoriques et atemporels ? Du fait d’un sexe mâle et d’un sexe femelle ? Quid de la bisexualité psychique en rapport à ce que le contemporain recherche avec le « flow » et le « fluide », le « trans » ou le « queer » ?

Quel « progrès » ? Puisque la notion elle-même a été déboutée de sa fonction de grand récit collectif - qui liait finalement - remarque au passage - de manière assez pratique mais sans doute confondante, science et religion, sous la forme d’une promesse.

Certes rendre à Lacan ce qui est à Lacan semble encore dépasser de si loin les actuelles apories et résister aux vagues de conneries racontées tous azimuts. Mais toute question actuelle ne peut être travaillée comme une re-légitimation de Lacan. Parfois il y a ce bord aussi à repérer. Ne pas céder sur Lacan, c’est aussi trouver les gestes à mettre en œuvre et devenirs de la référence lacanienne, là où il conditionne et éclaire l’actuel du lien social, de l’épistémologie, de la pratique psychanalytique mais dans un nouveau rapport historique et générationnel, génération qui produit et doit pouvoir reconnaître et légitimer le savoir faire avec le réel qu’elle se donne, découvre et invente pour opérer aujourd’hui.

Quelques questions qui ont traversé nos échanges. Où l’on retrouve le plaisir et l’efficace de réintroduire la dimension dialectique et dialogique, à plusieurs voix et plusieurs textes, pour constituer des références, des positionnements, des repérages. Où l’on a vu aussi combien la clinique psychanalytique, faisait point d’ancrage pour rester ouverts et ne pas se leurrer de « trop comprendre » ni opiner du chef, de la norme, ou s’effondrer d’épuisement et d’abrutissement sous le poids des énoncés au nom desquels tout semble possible, permis, inquestionnable.

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