Ognuno sta solo sul cuor della terra traffitto da un raggio di sole ed è subito sera |
Chacun est seul sur le cœur de la terre transpercé par un rayon de soleil : et soudain, le soir |
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Salvatore Quasimodo, La terre incomparable, cité par Jacques Lecoq, Le Corps Poétique, Actes Sud, Papiers, 1997
Au fur et à mesure de ma lecture du texte[1] de Liliane Goldsztaub, le souvenir d’une lecture a pris forme. En quoi la formation du comédien touche à l’expérience du psychodrame ? L’un parle de donner forme à un texte en l’interprétant, l’autre, de donner forme à un texte qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. « Ed è subito sera » est cette surprise qui surgit dans un donné. Ah oui, je n’avais pas vu cela, et pourtant c’était là !
Notre époque vante l’individualisme, chacun pour soi revendique tous les rayons du soleil rien que pour lui tout seul. Le groupe n’a d’intérêt que s’il met en valeur l’intérêt de l’individu. Les groupes se créent selon l’opportunité. Quand ils se défont, il n’est pas rare que la violence se déchaîne. Chacun avait oublié que ce qui fait lien c’est l’altérité et pas l’essentialisation de la petite différence.
Le livre de Liliane Goldsztaub nous parle de l’effort qu’elle et ses collègues déploient dans le dispositif du psychodrame pour permettre à l’individu de sortir de son solipsisme grâce à l’appui des autres qui partagent le même cheminement vers la découverte de la subjectivité. Dans une co-construction, les participants à cette expérience donnent forme scénique à la question. Question surgie d’une réflexion en commun, question amenée à tour de rôle par chacun des participants. L’idée conductrice est de donner un lieu à l’expression subjective par l’intermédiaire d’un cadre sécurisant et des règles qui permettent la libre parole qui ouvrent la possibilité du surgissement de la surprise. Liliane Goldsztaub souligne, à quel point il est nécessaire de créer les conditions d’un déchiffrement de l’imaginaire qui révèle les entraves des identifications inconscientes.
La question est récurrente : pourquoi le psychodrame ? Quel rapport à la psychanalyse ?
La psychanalyse n’est pas en odeur de sainteté. Pour certaines formes psychopathologiques, même les Autorités Publiques se sont prononcées contre son utilisation thérapeutique. Le recours à des traitements médicamenteux, chirurgicaux, comportementalistes, est tellement plus facile. Le public lui-même plébiscite ces formes d’intervention réputées plus efficaces et si inoffensives. L’augmentation actuelle de l’expression du malaise montre qu’il n’en est rien. Pour autant, le public ne s’adresse pas facilement au psychanalyste. Le recours aux « autres » sur les réseaux sociaux est prépondérant et expose ceux qui y cherchent aide à une véritable colonisation de l’imaginaire qui les éloigne encore plus de leur propre vérité.
Le psychodrame propose une forme d’intervention qui semble pour certains faire moins peur qu’une démarche individuelle. Il fait découvrir un dispositif de groupe qui permet de déceler progressivement les enjeux identificatoires liés à l’histoire personnelle et de les élaborer dans un cadre dont Liliane Goldsztaub nous trace les délinéaments. Elle nous parle de cette possibilité du retournement dialectique du discours dans la mise en scène qui ouvre un espace parfois hermétiquement verrouillé par des symptômes invalidants. Elle souligne la centralité de la question pulsionnelle à l’époque actuelle qui confond passage à l’acte avec acte de parole. Elle invite à un déplacement du mouvement pulsionnel vers l’élaboration d’une mise en scène, à même de faciliter le surgissement d’une forme de reconnaissance de ce qui a été là déjà, sans pouvoir être reconnu par le sujet. Cette « autre scène », cette « scène intérieure » peut être découverte grâce au transfert qui se déploie dans le groupe et qui peut être mis en mots dans une réflexion partagée entre les participants.
Liliane Goldsztaub insiste sur le fait que les effets d’un tel travail ne sont pas les mêmes que ceux d’une psychanalyse à proprement parler, mais permettent parfois seulement d’envisager ce travail sur le divan, tant redouté auparavant.
C’est un livre riche de situations, de rappels de l’histoire de cette trouvaille de Moreno, riche aussi d’apports théoriques. C’est à cet endroit que je voudrais inviter Liliane Goldsztaub à poursuivre son travail et, comme le fait Jacques Lecoq dans son domaine, de déplier chaque point théorique à l’aide d’exemples cliniques pour continuer à initier les jeunes praticiens du psychodrame à nouer infatigablement leur expérience à la théorie de Freud et de Lacan. Ce livre est une mine qu’il faut continuer à creuser !
- Liliane Goldsztaub, Psychodrame analytique lacanien, Éditions Arcanes-érès, 2024. ?