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Lecture et présentation du livre "Amour et transfert" de Jean-Richard Freymann

par Éva-Marie GOLDER, 21 Mai 2020

Le livre est paru en mars 2020 chez Arcanes-érès dans la collection Hypothèses.
Eva-Marie Golder nous en propose une lecture.

Comme toujours, Jean Richard Freymann nous met au travail par son écriture. Il y a plus, cette fois-ci, puis qu’il conclut en disant qu’il considère que le moment est venu pour passer la main. Hélas, il n’est pas encore temps de le laisser tranquille, tant il est vrai que son désir de transmission fait surgir chez l’autre le désir d’en savoir encore un peu plus. Il en parle d’ailleurs en abordant la question de l’amour, du désir et de la demande. Soit, je m’autorise donc une fois de plus de le pousser à en dire davantage, parce que ce livre est dense et plus difficile d’abord que les autres. Il fait apparaître qu’avec la théorie lacanienne, il s’agit d’apprendre une véritable langue. Une langue difficile qui requiert du temps pour être assimilée. Si les deux premiers ouvrages ont été une forme d’initiation à la lecture de Freud par Lacan, je me permets de souligner qu’ici, de toute évidence, nous somme au niveau « advanced » !

Langue difficile, d’autant plus qu’avec le transfert, il s’agit d’un thème controversé et parfois malaisé à saisir. Les commentaires de Marcel Ritter, Michel Patris, Liliane Goldsztaub, Guillaume Riedlin, s’avèrent donc de bienvenus commentaires sur les commentaires. Lacan, encore plus que Freud, ne peut pas se lire autrement que par cette démultiplication des perspectives, et ce livre relève ici et là des points de vue d’exégèse bien différents. La polyphonie est nécessaire si on veut avancer dans ce domaine si épineux.

J’en veux davantage, disais-je. Oui, les illustrations littéraires sont brillantes et nécessaires, mais j’ose demander un second tome qui articule ces questions à des exemples cliniques, eux-mêmes accompagnés d’une réflexion sur ce qui s’est joué dans telle situation transférentielle précise. De par les supervisions que je fais, je m’aperçois bien, combien, même pour des praticiens avertis, il faut des années pour saisir l’enjeu de la question du sujet-supposé- savoir, du maniement de cet espace transférentiel partagé entre l’analysant et l’analyste, entre

le patient qui vient nous amener sa question et nous-mêmes, parfois mal identifiés comme psy- quelque-chose, et ceci, dès les premières minutes de l’entretien.

Ainsi, le chapitre qui parle de la question du transfert particulier entre Freud et Fliess pourrait être illustré davantage encore par des exemples cliniques faisant apparaître cette bascule passionnante entre déception, destruction et sublimation. Ce sont ces phénomènes-là qui circonscrivent le territoire de l’objet (a) dans le transfert et bien plus nettement que l’idéalisation. Dans les déceptions amoureuses, pour ne prendre que cet exemple-là, les phénomènes ont évolué depuis le début du siècle et l’ère du net. La dimension de consommation rend ce « dépôt » de l’objet dans l’autre quasi concret, mais rend le maniement dans le transfert tellement plus délicat. Puisque tout doit aller plus vite, ce lent processus inconscient exaspère plus d’un qui préfère avoir recours au « ready made » du coaching. Ces transferts ne sont pas moins là, mais requièrent une prise en compte particulière dont il serait essentiel de parler, tant l’aspect éphémère nous transforme en chasseurs aux papillons.

Un autre chapitre me paraît encore plus dense : celui des refoulements. Freud ne distingue pas vraiment les refoulements originaire et primaire ; il note que ce sont des phénomènes qui ne se saisissent que dans l’après-coup du refoulement secondaire. Pour autant, ils ne sont pas moins là, bien au contraire ! Dans un commentaire sur les commentaires, j’ajouterais volontiers l’hypothèse d’une différenciation radicale entre refoulement primordial et refoulement primaire, le premier étant enraciné dans le hic et nunc de l’accueil de l’enfant au moment de sa naissance, par la réponse à son cri : le « il y a » de la parole adressée à un sujet supposé permet seulement à ce sujet de venir se loger dans le lieu de l’Autre. Le fameux a-sujet du graphe du désir. Le refoulement primaire me semble alors davantage en lien avec la question des représentants psychiques et leur inscription. Des exemples cliniques, notamment avec les tout petits enfants et les psychotiques sont nécessaires pour justifier cette perspective.

Ce ne sont que quelques questions parmi tant d’autres.

Une fois de plus, Jean-Richard Freymann a réussi à nous mettre au travail ! Qu’il continue et qu’il ne passe pas trop vite la main !

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