Présentation du livre Amour et Transfert, de Jean-Richard Freymann Arcanes-érès, 2020
En facebook-live à la Librairie Kléber, Samedi 13 juin 2020 à 15h
Participants : Guillaume Riedlin, Cyrielle Weisgerber, Jennifer Griffith
Repenser le transfert
Nous sommes dans un semi après-coup d’une épidémie de coronavirus, ce qui vient provoquer une incontournable coupure. Alors qu’en est-il par rapport à ce couple à entrées multiples que constitue AMOUR et TRANSFERT ?
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour faire retour à « mon livre » : Amour et Transfert qui a comme sous-titre, non négligeable : Amour de transfert et amour du transfert.
Nous allons nous y reporter aujourd’hui à plusieurs, en y ajoutant les effets d’un fracas qui nous oblige à en repenser les termes. En quelques semaines, la lecture peut en être modifiée et s’élargir et je vais vous donner, quant à moi, quelques pistes supplémentaires.
Dans 15 jours, nous dialoguerons avec Marcel Ritter à un niveau plus textuel, 50 ans d’expérience de l’analyse, cela peut changer les angles de vue.
Amour des mécanismes
Pour commencer, de manière crue et cruelle, je dirais que « l’amour et le transfert » ont sauvé beaucoup de monde et ont permis pour beaucoup de se remettre de leurs plaies, mais avant d’en créer des nouvelles, des gouffres, des séparations et des nouveautés… aussi.
La psychanalyse a cet intérêt d’en préciser les mécanismes mais, pour ne rien vous cacher, les choses sont complexes.
Pour le dire tout simplement :
- L’amour cultive un objet et le pare de bien des qualificatifs.
- Le transfert déroule des substituts.
La psychanalyse par définition s’en prend à l’individuation, à la singularisation et en tout cas, particularise les propos. Dit en une phrase : « l’amour de transfert » permet d’apprendre à parler. Apprendre à parler ce n’est pas baratiner, blablater, répéter, c’est donner du poids à la parole. Par après on peut faire des subdivisions et parler par exemple de parole vide et parole pleine. Et alors, demanda-t-il, qu’est-ce que discourir ? En tout cas dans le transfert il y a quelque chose qui court… comme un furet. Le discours s’oppose au slogan, au stéréotype.
Mais le champ analytique couvre aussi dans sa recherche la « psychologie collective », les effets de masse, les mécanismes de groupe.
Crainte de la mort
La psychanalyse a beaucoup de recherches à faire dans ce qui se passe encore pour 4 milliards de personnes en ce monde : se confiner, puis se déconfiner, passer d’un monde Extime à un monde Intimisé… et ce à partir de mots d’ordre, variables suivant les pays, et autour d’un transfert partagé sur la CRAINTE DE LA MORT.
Cela me renvoie à une phrase de Freud dans son article sur la Ichspaltung, extrêmement énigmatique : « nur der Tod ist umsonst.1 » Traduction : seule la mort est pour rien. Cela veut-il dire : seule la mort n’a pas de sens ?
De toute manière il faut différencier ici la mort réelle, la mortalité, le désir de mort, l’idée de mort.
Ce qui s’est passé c’est qu’au nom de « l’être pour la mort », la mortalité chez l’humain est venue prendre une réalité qu’elle n’a pas couramment. Cela a provoqué bien souvent un « avenir sans illusion » avec un retour vers l’idée de solidarité.
Et face au mystère de cette pandémie, la religion, en tant que déni de mortalité, a eu du mal à provoquer des recours au monde religieux. Et ce d’autant moins qu’en France c’est dans des cercles religieux que le virus a provoqué bien des morts.
Poursuivre la dynamique du transfert
Sur le plan thérapeutique il a été tout à fait flagrant que ce qui permet aux gens de poursuivre leur vie c’est avant tout la dynamique du transfert.
Il était tout à fait crucial – pour les psychanalystes, les psychiatres, les psychologues, les médecins… – que ces métiers poursuivent leur art de la parole ; les questions techniques qui se sont posées ensuite sont d’un autre ordre. La psychanalyse en tout cas ne peut pas déserter l’espace constituant de la parole. La désertion est plus qu’un péché originel.
Et l’on voit à côté que l’amour en a sauvé plus d’un et que parfois, sous l’effet du confinage réussi ou raté les amours se sont ressaisies, des haines ont explosé et j’ajouterais qu’on a pu découvrir, chez ses proches, des aspects que l’on n’avait jamais repérés. Et c’est souvent l’occasion dans une cure analytique de découvrir les matrices de l’amour et du transfert.
Ce que j’ai essayé d’introduire dans le livre c’est une sorte de dialectique qui a été fort opérante et qui va subir des transformations pour les générations de cliniciens qui sont en train d’apparaître. D’où le sous-titre : « Amour de transfert et amour du transfert ».
Amour de transfert :
Depuis Freud et Lacan on peut au moins superposer l’amour de transfert (de l’analyste) qui a tous les qualificatifs de « l’amour véritable, le déplacement de prototypes infantiles. Qui dit amour, dit aussi haine (énamoration) ou comme disait Freud : « ambivalence des sentiments »… avec des moments d’ « énamoration », de coups de foudre…
Amour du transfert :
Qui concerne toutes les professions qui non seulement « aiment qu’on les aime » (ce qui n’est pas le cas de tout le monde) mais aussi tous ceux qui sont amoureux du lieu, aussi bien du ligare que du foedus.
Je pense que le déconfinement c’est le « désamour du transfert ». À l’endroit où l’on s’était accroché à l’amarre d’un lieu, d’une famille, d’un appartement… quelque chose a lâché, s’est désarrimé et ce qui est (ré)apparu c’est la genèse des angoisses.
Apparition ou réapparition des phobies, déstabilisation du rapport entre les générations (voir un mythe : les petits enfants tuent les grands-parents…). Et toutes les questions sur les violences et autour du racisme, les angoisses du contact : phobies sociales.
Épilogue
Il faudrait aussi aborder la différence entre les transferts dans la situation analytique qui dans l’analyse est analyse de transfert et les transferts de la psychologie collective qui articulent de différentes manières certains paramètres :
- La place du leader et la place d’horreur avec manque d’un point géométral ;
- Les identifications en leader et les identifications mutuelles ;
- La place des idéaux ;
- Les rapports à l’angoisse et à la culpabilité ;
- La place de l’énigme : avec quête de la scientificité, quête de la divinité.
1 Texte sur Ischspaltung ; S. Freud (1938), « Le clivage du moi dans le processus de défense », dans Résultats, Idées, Problèmes II, Paris, Puf, 1985.