La Lettre #10 – Juillet-Août 2022

Sommaire
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« Jus ou Sauce[1] » Acheminement vers une nouvelle définition du « PASSEUR »
par Jean-Richard FREYMANN
Éditorial -
Transfert(s) et Rencontre(s)
par Myriam RIEGERT
Par chemins de l'école -
Espace-temps analytique : échos de l’École
par Martin ROTH
Par chemins de l'école -
Variations sur l’inspiration
par Cyrielle WEISGERBER
Billet d'où ? -
Le monde est-il fou ?
par Marie-France SCHAEFER
Entre divan et théories -
Eloge de la psychanalyse comme lien de parole
par Dimitri LORRAIN
Entre divan et théories -
Mathématiques ◊ Psychanalyse – Une invitation au travail
par Hervé GISIE
Entrelacs -
À l’ombre de Grothendieck et de Lacan
par Patrick GAUTHIER-LAFAYE
Entrelacs
« Jus ou Sauce[1] » Acheminement vers une nouvelle définition du « PASSEUR »
par Jean-Richard FREYMANN
juillet 2022
Peut-on oser parler positivement d’un groupe de psychanalystes ? Ce n’est pas à la mode ! En cette ère des thérapeutiques brèves et nouvelles, comment aborder la lenteur du devenir du psychanalyste et sa lente formation ?
Les réseaux sociaux autorisent-ils à aborder ces sentiers escarpés où le sujet de l’inconscient se constitue ? Comment ça ? Le sujet n’est-il pas cet être déjà constitué ? Un être consolidé ? Un individu prêt pour la « servitude volontaire » ?
Il est déjà fatiguant de lire, alors en plus écouter, voire entendre… Ce n’est pas une sinécure. Quel beau signifiant ! Ce d’autant plus qu’une cure nécessite bien du temps.
Changeons de cap !
Transfert(s) et Rencontre(s)
par Myriam RIEGERT
juillet 2022
Au décours des journées de l’EPS de juin 2022, cadre de prises de parole sur les effets du premier témoignage et vers le deuxième témoignage, je propose d’y revenir déjà un peu autrement.
Il y a le cheminement de l’analyse personnelle et de la supervision. Si la question de l’analyse personnelle rejoint « la découverte de l’inconscient freudien à partir de son expérience singulière » ce que nous propose Jean-Richard Freymann comme formulation pour le premier témoignage, la question de la supervision, ou de l’analyse de contrôle, me paraît avoir un rapport plus direct encore avec cet acheminement vers le devenir analyste. Dans ce transfert, dans le fait de se rendre en analyse de contrôle, d’y évoquer tel ou tel analysant, telle ou telle séance, d’y reprendre un cheminement de début de cure, un accroc, d’y saisir une surdité, il y a quelque chose qui se met à fonctionner permettant de se déprendre de l’angoisse – telle qu’elle peut émerger chez l’écoutant.
Espace-temps analytique : échos de l’École
par Martin ROTH
juillet 2022
L’agora de l’école est un lieu de fructueuses discussions. C’est même un espace de débat. Non pas au sens à la mode, médiatique, où chacun a un avis radical qui entraîne une guerre stérile mais jouissive pour le public. Mais au sens d’éviter de se battre physiquement et cela par l’échange verbal, l’élaboration à plusieurs. Ce débat permet à chacun d’en sortir avec un plus grand discernement de sa position singulière qui le distingue de l’autre. En cela, il y a débat analytique !
Une autre fonction de l’agora renvoie à une étymologie lointaine : le tribunal. Tribunal particulier où le juge n’attribue pas une sentence, mais permet un jugement d’existence. L’agora devient cet espace où le vide central participe à la transmission d’une parole qui rencontre l’écoute d’une assemblée. L’Autre surgit silencieusement de l’espace tiers, il fait résonner le discours qui s’énonce et se constitue dans le même mouvement.
Variations sur l’inspiration
par Cyrielle WEISGERBER
juillet 2022
Jour 1
Les mots ne reviennent jamais tout à fait identiques. Une ou deux phrases se sont dessinées dans mon esprit, hier, avant-hier, je ne sais plus, des phrases à écrire, pas écrit de suite, pas le temps, pas le courage, ou il était tard, je me rappellerai les mots – les mots ne reviennent pas. Peut-être est-ce à les chercher qu’ils ne reviennent pas. Arrêter de chercher.
Tant de paroles. Tant d’écrits. À quoi reconnaître un « texte », une « écriture » ? Un de ces textes qu’on lit encore, un demi-millénaire plus tard. Qu’ont-ils de particulier, ces textes d’il y a mille ou deux cents ans, qui nous touchent encore ?
Et tout l’intérêt qu’un humain peut avoir pour des mots, pour des histoires. La soif de mots.
Si le corps n’est pas approvisionné en eau, son degré d’hydratation baisse et il meurt. Si l’humain n’est pas abreuvé de mots, que se passe-t-il ?
Le monde est-il fou ?
par Marie-France SCHAEFER
juillet 2022
C’est la question que je me suis posée vendredi dernier après avoir écouté mes patients.
Les psys entendent des histoires qui semblent invraisemblables mais ma dernière patiente lâche à la fin de la séance que son fils est devenu une fille et que sa fille se prépare à devenir garçon. J’ai deux patients adolescents en thérapie qui sont en cours de transformation. J’avoue avoir du mal à écouter « cela ».
Je me console en me disant que cela doit être pire en psychiatrie, ce que l’on peut entendre « du Monde ». Une de mes stagiaires, lorsque je travaillais en milieu scolaire près de la prison, m’avait dit qu’elle trouvait que les scénarios des films étaient exagérés mais que la réalité qu’elle avait entendue étaient encore bien pire que dans les films.
Quand même…. Parmi toutes ces « folies », il y en a une qui m’interroge, me touche au-delà des autres. Ce sont les enfants, les adolescents qui se livrent à la médecine pour changer de sexe.
Eloge de la psychanalyse comme lien de parole
par Dimitri LORRAIN
juillet 2022
Au regard de l’évolution contemporaine des discours et des mécanismes psychiques, j’aimerais ici insister sur un point qui me semble particulièrement important. Tout un ensemble de discours collectifs avancent de nos jours que la psychanalyse sous sa forme actuelle serait « dépassée » – souvent pour justifier sa minoration institutionnelle. Or cela ne me semble pas juste.
En effet, s’il s’avère que la psychanalyse a pu souvent être dénaturée et devenir dogmatique, et ainsi perdre en créativité, cela n’est heureusement pas toujours le cas. Elle existe aussi de nos jours sous une forme rigoureuse et créative (ce qui est la même chose). Dans ce cas-là, je dirais qu’elle se centre sur la création d’un lien de parole qui crée la situation analytique en tant que telle[1]. Sous cette forme, la psychanalyse élabore sur les critiques qui lui sont adressées. De plus, elle remet au travail ses apports, afin de prendre en compte les subjectivités sous leur forme contemporaine.
Mathématiques ◊ Psychanalyse – Une invitation au travail
par Hervé GISIE
juillet 2022
La scientificité de la psychanalyse est une question qui a suscité, et suscite encore, d’importants débats. On se souviendra qu’en 2013, Moustapha Safouan dans son livre La Psychanalyse. Science, thérapie – et cause[1] y avait apporté ses réflexions et des prises de position tranchées à ce stade de son parcours. Questionné de façon plus précise à propos d’une éventuelle distinction entre psychanalyse thérapeutique et psychanalyse didactique, il évoquait que la question du désir qui se situe là serait venue à Lacan à un moment où il voulait une transmission scientifique de la psychanalyse, à une époque où il croyait que la psychanalyse était transmissible scientifiquement. On comprendra mieux sa déception quant aux résultats attendus de la passe, dont la procédure visait à la production d’un savoir sur « le désir qui fait l’analyste ». Que cette expérience soit un échec, au sens de l’échec de l’attendu d’un savoir sur un désir, ne veut pourtant pas dire que le désir de l’analyste ne réponde à un certain nombre de critères pour dire qu’une analyse a un peu été opératoire et qui font partie de critères éthiques.
À l’ombre de Grothendieck et de Lacan
par Patrick GAUTHIER-LAFAYE
juillet 2022
Ce livre est l’histoire d’une rencontre entre un mathématicien, Alain Connes, et un psychanalyste et qui n’ont pas eu peur d’échanger, sans parti pris, des idées sur leurs disciplines et ont rapidement dû constater qu’existaient de nombreux points de convergence entre elles.
En rapport avec l’écriture d’un nouveau livre, je me trouvais à Cerisy-La-Salle pour assister à un colloque ayant pour thème : « Les autres noms du temps ». Ce colloque m’a donné l’occasion de rencontrer Alain Connes, qui faisait partie des intervenants, et de lui poser une question, à mes yeux essentielle, permettant d’imaginer un avenir à la psychanalyse : existe-t-il ou pas l’équivalent du Nom-du-Père en mathématiques, garantissant qu’une équation n’est pas folle ? « Oui, les mathématiques archaïques » me répondit-il aussitôt. À ma demande, il m’expliqua longuement ce qu’étaient ces mathématiques archaïques.