L’agora de l’école est un lieu de fructueuses discussions. C’est même un espace de débat. Non pas au sens à la mode, médiatique, où chacun a un avis radical qui entraîne une guerre stérile mais jouissive pour le public. Mais au sens d’éviter de se battre physiquement et cela par l’échange verbal, l’élaboration à plusieurs. Ce débat permet à chacun d’en sortir avec un plus grand discernement de sa position singulière qui le distingue de l’autre. En cela, il y a débat analytique !
Une autre fonction de l’agora renvoie à une étymologie lointaine : le tribunal. Tribunal particulier où le juge n’attribue pas une sentence, mais permet un jugement d’existence. L’agora devient cet espace où le vide central participe à la transmission d’une parole qui rencontre l’écoute d’une assemblée. L’Autre surgit silencieusement de l’espace tiers, il fait résonner le discours qui s’énonce et se constitue dans le même mouvement. L’Autre murmure à l’oreille de l’inconscient du témoignant son propre message. Il y a en cela jugement. Non pas jugement surmoïque, moral, culpabilisant. Non, c’est justement le propre de l’agora de ne pas précipiter une parole dans son rabattement sur un jugement moral mais bien de faire entendre ce moment en amont, que la précipitation tente d’éviter : ce temps du jugement symbolique d’existence, où le sujet entend sa question. Voilà une caractéristique du débat analytique : le commentaire fait par un analyste suite à un témoignage ou une prise de parole, n’est pas à entendre comme une remise en question de l’individu mais bien comme une mise en question du sujet. Il est appelé à répondre symboliquement sur sa position et non imaginairement sur sa représentation. Lorsque ces deux dimensions sont confondues, rabattues l’une sur l’autre, l’individu prend le commentaire moïquement. C’est le début de la plainte, ressentiment, bouderie ! La chose analytique est si fragile, préservons la !
Lors de nos dernières journées d’études à propos du second témoignage, j’ai été saisi par le subtil mélange de prise de parole intime et sérieuse sans emprise du grave ni du sérieux. L’expression singulière amenait une élaboration collective. Les postulants ont permis aux questions d’école d’avancer. Il y avait comme un air de pousse-à-témoigner si entraînant que je me suis laissé aller à parler de ma fin de cure ! Fin de cure qui ne m’apparaît pas comme fin d’analyse, mais qui témoigne de l’épuisement d’un transfert. Si la psychothérapie opère par la catharsis du nœud symptomatique, l’analyse grignote la répétition dans et du transfert. L’épuisement du transfert dans mon cas s’est présenté comme un désinvestissement soudain, imprévu, dénotant avec mes habitudes, de la relation à l’analyste. Perdure simplement l’étonnement de la disparition d’une attente qui m’accrochait aux séances, ainsi qu’un sentiment de solitude : il n’y a plus d’Autre incarné.
Quel rapport entretient, en fin de cure, la répétition du transfert avec la résistance de l’analyste?
Ces journées d’études ont également amené l’impression que nous devons redéfinir ce qui fait repère théorique dans les témoignages. Evidemment en s’appuyant sur la tradition et sur ce qui a été élaboré jusque-là mais également en réinventant une pratique à partir de la période dans laquelle nous vivons. Les préparations au second témoignage ont toutes été enseignantes dans cette voie. La pratique nous devance. À l’instar de l’interprétation qui jaillit, surprend et dépasse la compréhension immédiate. L’après-coup, l’affaire de l’école, essaye de recevoir cet enseignement en le théorisant. Le témoignage, lui, surpasse le sens prévu. Il apporte à l’école un nouveau savoir qu’il s’agit
d’entendre. Il peut donc également chambouler ce que nous pensions savoir. Te laisseras-tu surprendre ?
Qu’est-ce qui rassemble une communauté d’analystes ? Quel est ce désir ? En ce qui me concerne il y a un désir de recherche et un désir de surprise. L’étonnement de la chose analytique ! Quel est pour toi l’objet analytique ? Un halo symbolique entoure l’assemblée d’analystes et donne une forme au goût de la découverte. Découverte pulsionnelle pourrais-je dire, qui renaît de ses cendres. La surprise également du surgissement imprévu des effets de l’inconscient au décours d’un mot, d’une phrase, d’une tonalité, d’un silence. Surpris par le désir ! Ce désir au sein de l’agora se rencontre à la croisée de la parole et de l’écoute. L’autre est donc nécessaire. L’inconscient c’est le social, à condition qu’il y ait des analystes qui l’entendent. Comment qualifier ce lien qui réunit les analystes d’une école ?