« Frères humains qui… aujourd’hui vivez » D’après François Villon, La ballade des pendus1
Avez-vous remarqué l’effet d’annonce de la date pour la levée du « confinement » ? Pour l’instant l’on oscille entre des rêves de liberté retrouvée et un mélange de craintes concernant le fait de savoir de quel groupe d’« affranchis » nous allons faire partie.
Quoi qu’on en dise un peu partout, on sait peu de choses sur le Covid 19 et malgré les nouvelles rassurantes des réanimateurs on voit défiler statistiquement le nombre des morts.
Que l’être humain est solide !... à supporter un chiffrage contradictoire et à attendre les autorisations pour vivre dans une réalité habituelle.
Pour ceux qui en ont le loisir vous pouvez suivre dans l’Antiquité « L’histoire de l’Empire Romain » (Netflix) et vous pourrez constater la manière dont l’irruption de l’« épidémie peste » vient à scander dramatiquement la dialectique politique entre l’Empereur et le Sénat ; l’épidémie surgissant au moment par exemple où l’Empereur en herbe veut jouer sur la nourriture distribuée au peuple de Rome affamé.
Rien ne se passe comme prévu ! La peste vient à décentrer les projets politiques les plus fous. À chacun de faire les analogies qu’il veut dans l’actualité, les interprétations délirantes ont droit de cité. Avez-vous constaté que le pouvoir politique donne souvent la parole aux scientifiques, aux médecins, aux commissions des sages ?
Et l’on voit à quel point chacun attend avec anxiété les résultats des traitements, des vaccins, des solutions, des moments où les retrouvailles seront possibles sans risque de mort.
Mais ce qui est restitué par les médias, si friands de débats, ce sont les luttes entre scientifiques et les idées contradictoires de remèdes miracles. Et nous n’en sommes qu’au début.
Là où les psychanalystes ne peuvent être qu’admiratifs et reconnaissants – au sens le plus vital du terme – c’est par le retour à la clinique particulière que font les urgentistes et les réanimateurs. Ce sont eux qui – avec tout le reste du personnel si héroïque – humanisent ce cauchemar épidémique.
À propos des chercheurs en pleine action, on voit fleurir – comme dit Freud – nombre de « superstructures spéculatives »2 où les idées géniales côtoient des délires paraphréniques. Et où nombre de célébrités du passé se doivent de nous faire part de messages messianiques ! Rappelez-vous le dicton « On ne peut pas être et avoir été » où le souci de plusieurs qui ont été primés est de revenir au-devant de la scène, peu importe le méli-mélo théorique anachronique.
À l’heure internationale où l’on cherche les responsables initiatiques de la pandémie et leurs mensonges patients, cela nous renvoie dans le champ freudien aux premiers échanges dans
« Œdipe-Roi »3 de Sophocle, qui a donné l’armature à l’œuvre de Freud.
Citations d’ « Œdipe-Roi »
- Le prêtre, p. 106 : « Une plaie tombée du ciel embrase la cité, c’est la peste maudite, elle fait le vide dans la maison de Cadmos et le noir (Hades) thésaurise les gémissements et les pleurs »…
- Tirésias à Œdipe … « mais nous t’élisons entre tous les hommes, à l’heure du péril pour intercéder auprès des Dieux… ».
- Tirésias p. 112 : « Hélas ! Hélas ! Que la science est chose terrible quand elle se tourne contre le savant !...
- À Œdipe, p.114 : « Je dis que tu es le meurtrier que tu recherches ».
En termes triviaux actuels nous dirions : « On cherche des coupables » en mélangeant au passage tout ce qui n’a pas été prévu dans le système de santé et les causes de déclenchement de cette épidémie, qui d’ailleurs, en cache peut-être plusieurs…
Les responsabilités (souvent justifiées) viennent à voiler, pour chaque être parlant, le déni (Verleugnung) de la mortalité humaine qui est une des constantes de l’inconscient freudien et qu’une performance singulière qui reste le plus souvent isolée.
Avec « ceux de ma génération « des soixante-huitards, les échanges de 1968 convergent vers les deux idées suivantes :
- Analogiquement nous sommes renvoyés dans ces désordres actuels, aux brisures faites par Mai 68. Où comme jeune dans « un monde gaullien ». Une implosion de la société a mis pendant quelques temps le « tout si structuré » par terre.
- Alors que… l’on était après la guerre, alors que la science faisait tant de progrès… alors que la durée de vie s’allongeait, nombre d’étudiants ont mis l’État à terre et aujourd’hui un virus énigmatique vient à menacer le monde.
L’analysant, le psychanalyste, le sujet désirant sont mis à l’épreuve (et là je rejoins un é change avec Pierre-André Julié) de leur propre créativité, de la « débrouille » avec une situation autour de l’impossible… (Exemple : « Je découvre parfois celui ou celle avec lequel je suis confiné… »)
À ce titre-là (et c’est le grand-père qui parle !) je ne pense pas que les effets de ce
« confinage » seront similaires pour les différentes générations… et je n’en soulèverais qu’un point (à développer)… Que va-t-il advenir après coup du confinement du rapport à la séduction (seducere), à l’érotisation et aux rapports sexuels (et pas au sens de Lacan !) ?
C’est là où il va falloir inventer, là où les psychanalystes ont à intervenir, c’est dans ces nouveaux destins pulsionnels… imprévisibles, mais où le désir de créativité est mis rudement à l’épreuve.
Ne minimisons pas l’affirmation (Bejahung) miraculeuse qu’en écrivant et en lisant ces éphémérides, nous sommes encore en vie.
« Frères humains qui… aujourd’hui vivez »
1 F. Villon, La ballade des pendus, « Frères humains qui après nous vivez », Gallimard, 1997.
2 S. Freud, Sur la psychanalyse.
3 Sophocle, Théâtre complet, « Œdipe-Roi », Garnier Flammarion. Essais, 2008