Introduction
Le 17 mars à 12h le confinement de la population française est ordonné sur l’ensemble du territoire national, suite au discours du Président de la République, Emmanuel Macron, la veille. Il parle de « guerre sanitaire » contre la COVID-19. L’ennemi est un virus, apparu dans l’ombre d’un marché d’animaux vivants à Wuhan (Chine). Il dépasse les frontières, touche nos voisins italiens, s’échappe de la télé et déferle chez nous. Il est d’autant plus dangereux qu’invisible. L’espace Schengen se ferme, tout déplacement restreint au strict nécessaire. Les rassemblements sont interdits, les contacts humains deviennent fatals, le retranchement chez soi, le maître mot. Tous les ingrédients sont réunis pour édifier un climat de pandémie d’allure hypochondriaque. Chacun se demande s’il n’a pas attrapé le coronavirus, craint pour ses proches et ne comprend rien à cette maladie naissante.
Une initiative naît alors, développée par la société Nabla, dont l’équipe est majoritairement constituée d’ingénieurs et de médecins, engagés dans la transformation de la pratique médicale, grâce à l’intelligence artificielle (IA). Plus précisément, il s’agit d’un site : c19.info, sous la direction médicale du docteur Anne-Laure Rousseau, médecin vasculaire, avec l’aide du docteur Stanislas Harent, infectiologue. Sous forme d’un questionnaire guidé intelligent, il permet à ceux qui le consultent d’être conseillés en cas de symptôme suspect et ainsi de désengorger le 15 ou les services d’urgence. Le site s’étoffe et offre la possibilité de poser directement des questions à des professionnels de santé par SMS une fois le questionnaire rempli. J’ai de la fièvre que faire ? Mon mari est malade, puis-je aller travailler ? Comment s’embrasser en temps de covid ? Où se procurer un masque ? Faire un test ? L’équipe, composée de médecins généralistes, puis de spécialistes et d’infirmières, répond sous deux heures depuis chez eux (confinement oblige !) par un message unique.
Le nombre de visites augmente, il y a besoin de renfort ; je suis psychiatre et c’est en tant que médecin que je rejoins l’équipe. Très vite, je m’aperçois que les messages sont à la frontière entre mes deux casquettes. Les demandes pour symptômes respiratoires abondent mais est-ce le coronavirus – comme les visiteurs interrogent – ou bien signe d’anxiété, ou encore les deux ? D’autres ne veulent plus sortir du tout, se lavent les mains cent fois par jour et consultent le site c19.info après avoir effleuré quelqu’un par inadvertance dans la rue. Comment répondre par un message unique lorsque les visiteurs sont angoissés et semblent avoir besoin de parler ? Ma spécialité reprend le dessus, il y a demande sur la toile tandis que les structures hospitalières et ambulatoires sont désertées.
Le 25 mars, par le bouche à oreille, psychologues et psychiatres répondent en un temps record à mon appel : l’équipe de lancement du projet réunie, c19.info/fr/psy voit le jour, le soutien psychologique par chat (conversation écrite type WhatsApp) en temps de covid est né.
Je vais vous raconter cette histoire en 3 chapitres qui illustrent comment nous avons mis au point une nouvelle façon d’exercer :
- c19.info psy : C’est quoi ?
- c19.info psy: Retour d’experience
- c19.info psy: Une pratique revolutionnaire de la psychiatrie
c19.info psy – C’est quoi ?
Le projet de soutien psychologique en ligne est né pendant le confinement, période particulièrement anxiogène et limitant les soins psychiques. Le chat avec des psychologues,
qui existait déjà en temps « normal », proposé par quelques plateformes en ligne restait encore largement méconnu et peu pratiqué.
Avec c19.info il trouvait toute sa place en temps de Covid, d’autant plus que le site, référencé par le Ministère de la Santé avait alors une grande visibilité, soutenue également par les réseaux sociaux (Facebook) afin de bénéficier à un maximum de personnes. Un visiteur qui vivait difficilement le confinement et avait besoin d’en parler pouvait alors discuter avec notre équipe par chat (type WhatsApp) ou par téléphone.
Les messages et appels se faisaient directement depuis la plateforme pour garantir la confidentialité des échanges. Gratuité, sécurité et anonymat, tel était notre socle de départ. Les utilisateurs étaient évidemment informés que l’échange n’avait pas pour vocation à se substituer à une consultation médicale ni à remplacer le diagnostic d’un médecin.
Le service psy était au départ ouvert de 10h à 18h, 7j/7. Dix psychologues bénévoles se répartissaient les créneaux horaires pour répondre en moins de deux heures. En dehors des heures d’ouverture, les visiteurs étaient invités à écrire leurs messages qui seraient lus dès le retour de l’équipe, contacter les numéros d’urgence ou un hôpital de proximité si nécessaire.
c19.info psy – Retour d’expérience
Tous les français concernés
Les demandes affluaient du monde entier. Seule condition pour utiliser le service : être majeur et parler français. C’était le cas par exemple de R., expatrié au Mexique, qui face à l’actualité tournant en boucle sur sa télévision, n’osait plus sortir dans la rue.
Un climat de peur
Au début du projet, le climat de peur a engendré une fréquentation exponentielle sur le site. Un nouveau virus, des informations en continu inondant les esprits, une inactivité ou du moins un changement dans les habitudes – de quoi déséquilibrer de nombreuses personnes qui avaient besoin d’en parler, d’être rassurées. Pour beaucoup, ce fut leur premier contact avec la psy, facilité par le chat, simplifiant l’accès et garantissant l’anonymat, à distance des lieux de soins classiques.
Des malades et des soignants
Parmi ces visiteurs particulièrement angoissés, certains avaient un proche atteint de la Covid, hospitalisé ou décédé, ce qui renforçait concrètement les appréhensions et l’isolement s’ils en étaient séparés. De l’autre côté, les soignants étaient également concernés, à bout dans les services surchargés et notamment de réanimation, craignant de transmettre le virus à leurs proches. Que faire lorsque le mari a un cancer : continuer à aller à l’hôpital afin de participer à l’effort collectif ou bien s’arrêter afin de le protéger ? Pour répondre au mieux à ces demandes et proposer un soutien au plus grand nombre, nous avons étendu les horaires jusqu’à 21h, d’autant plus que l’angoisse se manifestait précisément en soirée.
L’isolement et l’ennui
Les personnes isolées, ou bien celles qui cherchaient à combler le vide du confinement ou rompre avec l’ennui formaient une bonne partie des visiteurs. Quelques-uns revenaient régulièrement sur le site, parfois tous les jours. Comme L. qui réitérait ses demandes quotidiennement : « y a quelqu’un ? ». Ses messages pouvaient être désespérants, nous renvoyant à notre impuissance. Le groupe WhatsApp entre thérapeutes et les réunions hebdomadaires à distance étaient l’occasion de discuter de ces inconnus qui s’adressaient à nous, nous permettant de diffracter notre contre-transfert pour mieux accueillir de nouveaux échanges.
Des patients déjà suivis
Les conversations à répétition étaient pour certaines celles d’internautes déjà suivis en psychiatrie, avec des antécédents, ou sortant tout juste d’hospitalisation. Des patients souffrant potentiellement de troubles psychiatriques graves donc. Ainsi, se posait la question de leur prise en charge sur notre site. Question retrouvée également dans le cadre de situations d’urgence : agressions sexuelles, violences conjugales, suspicion de maltraitance… Au fil du temps, les patients que nous connaissions de la psychiatrie générale furent plus nombreux et occupèrent une place plus grande dans notre travail, alors que l’angoisse de la maladie l’était de moins en moins. De ce fait, au déconfinement, les horaires ont été diminués jusqu’à ce que la plateforme soit mise en pause un mois après, le 12 juin 2020. En effet, le nombre de décès par jour diminuait, les Français sortaient à nouveau, reprenaient le travail, les structures de soins classiques rouvraient : les demandes se faisaient plus rares et n’étaient plus directement liées au coronavirus.
Le site c19.info a ainsi touché un grand échantillon de la population, de ceux qui n’auraient pas consulté, ayant peur de faire le premier pas, à ceux déjà suivis en psychiatrie ;
de ceux paralysés par l’angoisse, ne pouvant sortir, aux soignants à bout de souffle après leur journée de travail, qui avaient besoin d’un espace de parole. L’instantanéité du chat a également permis de proposer aux internautes en situation critique de leur apporter un réconfort immédiat.
À cette hétérogénéité de visiteurs, nous avons alors essayé d’offrir une aide des plus diversifiée et personnalisée.
Une aide multiple et individualisée
c19.info/psy a été créé pour accompagner la population durant la période de pandémie qui rompait avec tous les équilibres préétablis.
Des méthodes complémentaires
Face à l’angoisse de la Covid, les visiteurs demandaient des informations concrètes, parfois médicales, lorsqu’on ne sait plus qui croire sur internet. Nous préconisions d’ailleurs de réduire le temps passé à regarder les informations, particulièrement anxiogènes. Après quelques mots échangés, l’internaute éteignait son ordinateur rassuré, moins seul, d’autant que nous partagions ce qu’il vivait, comme tous. Il était aussi possible d’engager une conversation téléphonique via la plateforme. Le lien de voix à voix, d’oreille à oreille pouvant être plus apaisant. De l’autre côté, le chat conduisait plus à un travail de coaching et de conseil, adapté à l’individualité de chacun. Plusieurs méthodes comportementales étaient proposées pour gagner en sérénité. Nous faisions alors appel à des « suggestions de réponses », recommandées par un membre de l’équipe et auxquels tous avaient accès. Par exemple : des idées de méditation (proposition de télécharger l’application petit bambou, liens vers des sites de méditation dirigée) mais aussi de relaxation, d’auto-hypnose, des méthodes de respiration en cas de stress ou encore d’assouplissement musculaire. Pour se détendre en cette période si particulière, nous donnions parfois même des liens vers des livres audio ou des cours de zumba. S’occuper en temps de confinement, mais aussi faire réfléchir autrement, approfondir les questions qui viennent, rebondir, transformer ces jours en vue de les rendre supportables, qu’ils se remplissent de quelques échanges, quelques pensées et parfois même de poésie. Qu’il y ait du mouvement afin de pouvoir se décaler du quotidien si peu rempli ou inversement surchargé par une angoisse paralysante.
Un site ouvert la nuit
Nous avons aussi fait le choix de laisser le site ouvert la nuit, les visiteurs pouvaient y envoyer leurs premiers mots/maux. Une réponse automatique les informait que nous répondrions le lendemain à partir de 10h. Il s’agissait de permettre un soutien symbolique et d’ouvrir un lieu d’expression, même sans réponse, comme le début d’un lien. La personne pouvait déposer sa demande, son premier cri.
Soutenir sans trop s’engager
Les visiteurs qui venaient de manière itérative interrogeaient le sens de ce site pour eux. Peut-être celui d’un point d’appui, d’une continuité ou d’une musique de fond ? Ne nous rapprochions-nous pas du soutien tel qu’il peut être fait à « SOS amitié » ? Leur mettre une limite a été vite abandonné. En effet, leur venue ne remettait pas en question notre travail, c’est-à-dire celui d’un accueil pour tous, une permanence d’écoute, sans prendre la place des autres soins qui restaient toujours en toile de fond, et auxquels nous les (r)amenions souvent. Les (re)mobiliser pour qu’ils consultent, parler traitement en vue d’une consultation à venir, peut-être, et sans prendre cette place-là, suggérer un travail psychologique que certains disaient être prêts à entamer. La conversation chat ne se substituait pas à une consultation médicale. Lorsque l’internaute nécessitait l’avis d’un médecin, il était renvoyé vers son psychiatre ou adressé. Sur la plateforme, il n’y avait pas d’objectif de suivi, cependant les membres de l’équipe donnaient leurs jours de présence lorsqu’une continuité paraissait opportune. Tout en restant vigilant quant au risque de créer une relation qui mettrait trop en péril celles qui suivraient avec la psychiatrie conventionnelle. Soutenir sans trop s’engager.
Vers les urgences
En cas de dangerosité psychiatrique, un risque auto- ou hétéro-agressif, ou une situation de violence (agression, maltraitance, etc.), le visiteur était invité à aller aux urgences ou à appeler un numéro d’écoute plus spécifique, voire même le commissariat. Démunis face à l’urgence, à distance, la règle était d’orienter et d’inciter à en parler à l’entourage pour être accompagné. Quand une jeune femme révéla un viol, aller porter plainte fut notre premier conseil avant toute prise en charge. Un autre exemple est ce père de famille qui se connectait régulièrement sur le site et pour qui l’équipe a réfléchi à faire une information préoccupante, suspectant une maltraitance.
En réunion, a été évoquée la possibilité de faire appel à un(e) assistant(e) de service social, un(e) juriste pour ces questions si particulières et celles entraînées par le confinement (chômage partiel, droits, lois, etc.).
Une équipe aux compétences variées
Enfin, les différents horizons dont nous, psychologues et psychiatres, venions, avec des obédiences et des expériences diverses et variées, enrichissaient ce soutien offert. Les échanges au cours de nos réunions et sur le groupe WhatsApp permettaient d’affiner en temps réel ce que nous proposions mais aussi de se soutenir les uns les autres afin de garder l’équilibre indispensable à notre fonction de soignant en santé mentale.
C’est cette diversité des horizons enrichie par la pluridisciplinarité de notre équipe, avec l’intelligence artificielle mise au service de la médecine, qui est venue bouleverser notre pratique, menant à un changement de paradigme en psychiatrie.
c19.info psy – Une pratique révolutionnaire de la psychiatrie
La relation soignant-visiteur bouleversée
Visiteurs anonymes ou patients ?
En ligne, notre pratique a été bouleversée dans la relation même ou dans la façon dont elle s’établissait avec les visiteurs. Ces derniers devaient-ils être appelés comme tels, ce qui définissait concrètement leur statut sur le site, ou bien étaient-ils pour nous des patients, bien que la plateforme ne se substituait pas à un lieu de soins ?
Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la situation, nous finissions toujours par glisser dans notre dénomination et à les appeler des patients. Une manière de retrouver un semblant de « normalité », sans doute. Et il faut dire que le chat demandait un vrai effort de patience ! En effet, le visiteur envoyait un premier message, un soignant lui répondait. Il avait alors le choix entre continuer par écrit ou demander à être appelé, ce qui lui conférait une certaine marge de manœuvre.
Protéger l’espace intime
L’appel permettait un lien plus direct, plus proche de celui dont nous avions l’habitude. Néanmoins, beaucoup poursuivaient par chat, qui semblait faciliter les échanges, sous couvert d’anonymat, sans même la voix pour être distingué. D’autant plus qu’à la maison, en temps de confinement, les proches n’étaient jamais loin et pouvaient écouter. La conversation écrite protégeait ainsi l’espace intime. Elle banalisait l’échange grâce à la distance, entre deux tâches ou activités quotidiennes, s’éloignant donc de la consultation classique qui fait peur a priori. D’ailleurs, le visiteur choisissait un prénom ou un pseudo par
lequel nous l’appelions, sauf lorsqu’il sonnait trop familier. De la même manière, nous demandions son âge, son entourage, sa situation familiale et la région d’où il venait. Comme si un minimum d’éléments d’identité permettait de nouer un lien.
Des soignants anonymes
Du côté soignant, l’anonymat était de mise. Nom, prénom et fonction n’apparaissant nulle part sur le site. Néanmoins, il arrivait de donner nos prénom et fonction (psychologue ou psychiatre), et plus rarement si nous étions un homme ou une femme. Ainsi, l’internaute se représentait son interlocuteur et non pas un simple ordinateur. Notre fonction pouvait orienter l’échange qui allait suivre. En revanche, dévoiler notre nom aurait impliqué de sortir de l’anonymat, ce qui aurait trop engagé la relation.
Une nouvelle temporalité des échanges
Le chat a également changé la temporalité des échanges qui avançaient au gré des messages et de la disponibilité de ceux qui les rédigeaient. Parfois la cadence augmentait, les mots abondaient, la distance libérant manifestement la parole. À l’excès, un débit excessivement rapide pouvait être synonyme d’angoisse : la personne se déversait sur le site, créant ce qu’on appellerait un tachychat, équivalent de la tachyphémie. L’appel pouvait alors être plus apaisant et contenant face à une angoisse non retenue. Aussi, il permettait de délimiter notre présence, cadrant temporellement l’échange ou le relançant lorsque la discussion écrite tournait en rond.
Lorsqu’un visiteur prenait son temps pour répondre, pouvions-nous contacter celui qui était en attente et dont nous voyions les messages s’accumuler sur le fil ? Combien de personnes prendre à la fois ? Nous nous sommes vite aperçus que les conversations multiples entraînaient une confusion dans les échanges et questionnaient notre éthique de soins. Pour faire face à cette surcharge de demandes, du renfort était demandé via le groupe WhatsApp.
Une autre question qui s’est posée est celle de la durée d’une conversation. Il n’y avait aucune limite mentionnée et nous avons fait le choix de ne pas en définir une mais d’adapter en fonction de la situation et de l’attente, en espérant que le visiteur reparte avec quelque chose, ou du moins se sente mieux qu’à l’arrivée.
Lorsque X. nous écrivit à la fin d’un échange « Ah je n’ai pas pensé à ça » notre travail avait eu un sens, de la même manière que nous n’avions pas pensé à proposer du soutien psychologique en ligne, c19.info nous avait étonnés, revisitant notre pratique.
L’intelligence artificielle au service de la médecine
Un site qui rassemble
C19.info étant initialement un site d’information médicale au sujet de la Covid-19, la porte d’entrée somatique pouvait permettre d’ouvrir plus facilement le volet psychologique. Chaque visiteur se trouvait embarqué sur le même bateau, tous concernés, alors que la santé mentale met à part et stigmatise. De même, nous, soignants, c’est-à-dire médecins généralistes, spécialistes, infirmières, psychologues et psychiatres, nous retrouvions ensemble, rassemblés – alors que les spécialités et fonctions divisent –, voguant tous dans la même direction.
Une collaboration étroite entre médecine somatique et psychiatrie
Comme déjà évoqué, les questions posées sur le site pouvaient être à la frontière entre la médecine somatique et la psychiatrie. Pour reprendre l’exemple précédemment cité, en cas de symptômes respiratoires, les médecins généralistes nous adressaient les personnes qu’ils jugeaient relever de notre spécialité. Dans l’autre sens, en cas de doute persistant, nous invitions les médecins à rejoindre la conversation chat, l’angoisse devant rester un diagnostic d’élimination. Une fonctionnalité supplémentaire a donc été créée par les ingénieurs pour permettre cet ajout. Sur la plateforme, une fonction « note » permettait d’accéder à ce qu’un confrère jugeait pertinent de transmettre concernant un internaute en cas de nouvelle visite. Il était également possible d’avoir accès aux anciennes conversations.
La technologie a donc déjà permis grâce à ces deux fonctionnalités simples de faciliter la collaboration entre les soignants.
En poussant encore davantage la technologie, plusieurs fonctionnalités s’appuyant sur l’intelligence artificielle ont également vu le jour pour améliorer encore davantage l’accompagnement à grande échelle des visiteurs de c19.info.
Un système intelligent d’autocomplétion
La première, un système intelligent d’autocomplétion permettait aux soignants de gagner du temps dans la rédaction des messages en suggérant automatiquement un ou plusieurs mots dans une phrase donnée. Ce système s’est appuyé sur les progrès récents des modèles de langue informatiques, lesquels cherchent à prédire les mots les plus probables après une suite de mots donnée. Aussi, le système devenait de plus en pertinent dans le temps en apprenant à chaque nouvelle réponse de soignant, et ce sans jamais simplement répéter mot à mot des messages observés dans le passé.
Des suggestions de réponse
La deuxième fonctionnalité développée pour c19.info suggérait directement aux soignants des templates complets de réponse qu’il suffisait alors d’adapter à chaque situation. Le site faisait apparaître plusieurs thèmes récurrents dans le soutien aux visiteurs : réassurance (comme dit plus haut concernant les méthodes de relaxation ou de méditation), conseil médical, orientation médicale, etc. Plusieurs réponses type ont alors été rédigées par les soignants pour chaque thème de manière à être réutilisées. En fonction de la nature de l’échange entre le visiteur et le soignant, celui-ci n’avait plus qu’à sélectionner le message le plus adapté dans la sélection construite par l’algorithme.
Le risque majeur de cette fonctionnalité était de créer un accompagnement froid et impersonnel, avec comme seul prétexte de devoir servir un grand nombre de patients en même temps. Or, ces modèles de réponse nous ont permis de mettre en commun au fur et à mesure numéros utiles (numéros d’écoute, d’urgence...) mais également toute une panoplie de propositions comportementales. L’intelligence artificielle nous rendait toujours plus précis et pertinents dans nos propositions, tout en développant l’empathie nécessaire à tout accompagnement en santé mentale.
Une équipe pluridisciplinaire et flexible
De jour en jour, notre travail est devenu de plus en plus pluridisciplinaire, facilité par l’intelligence artificielle. En effet, cette étroite collaboration avec les ingénieurs, qui se sont adaptés à nos besoins, ainsi qu’avec le médecin coordonnateur qui disposait d’une solide expérience en e-médecine, a permis des évolutions en temps réel, efficaces et rapides, pour une aide en ligne toujours plus optimale. Du début du projet à sa mise en suspens, c19.info s’est métamorphosé, devenant aussi intuitif qu’ergonomique. Nos outils se développaient, créant de nouvelles fonctionnalités. Les ingénieurs amenaient aussi leur langage, ce qui entraînait quelques débats sur les termes employés. Par exemple, à la fin d’un échange, nous archivions la conversation, vocable particulièrement peu usité dans nos métiers. La flexibilité de notre organisation se retrouvait également sur les horaires d’ouverture qui – hors d’un lieu de soins, hors du temps, en période de confinement – ont évolué en fonction de la demande.
Il nous est arrivé de nous demander, dans certaines situations, pourquoi les internautes s’étaient tournés vers le site plutôt que vers leur thérapeute habituel ou les urgences. Peut-être son accessibilité, visible sur les réseaux sociaux, dans le monde entier francophone, gratuit et atteignable en un ou deux clics, facilitait leurs démarches. L’anonymat et la confidentialité
d’échanges virtuels, favorisés par le chat, ou même l’appel téléphonique qui évitait l’affrontement des regards, permettait également d’amorcer plus simplement la conversation.
Comme si l’ordinateur désincarnait la figure du psy, consultable à la maison et à la demande. Comme si cette fausse virtualité ouvrait une porte vers la banalisation du soutien psychologique, le rendant plus accessible pour tout un chacun.
Conclusion
La santé mentale a été durement éprouvée tout au long de cette période anxiogène provoquée par la crise sanitaire. Car comment consulter son thérapeute lorsque le compte à rebours quotidien des morts paralyse toute sortie ? Lorsque les forces de l’ordre contrôlent et sanctionnent ? Lorsque certains centres de consultation sont fermés ou que leurs soignants sont masqués, à l’autre bout du bureau, comme étrangers ?
Les moyens pour prendre en charge la souffrance psychique ont dû se déplacer en ces temps de pandémie. C’est ce que c19.info/fr/psy a réalisé, révolutionnant le paysage de la psychiatrie traditionnelle, à l’aide de l’intelligence artificielle, faisant travailler conjointement ingénieurs et médecins, somaticiens et psychologues/psychiatres. Du début du confinement à un mois après le déconfinement, nous avons ainsi pu accompagner la population française, dont nous faisions également partie, formant une chaîne de solidarité qui a permis de renouveler les moyens de soutien psychologique ou psychiatrique.
Les personnes se sont tournées plus facilement vers un site en ligne, à distance, anonymes, sans étiquette ni le regard des autres braqué sur eux. Finalement, de la même manière qu’il était difficile de nous positionner concernant la nomination « patient », « visiteur », « internaute », le distinguo l’était tout autant concernant la place de la plateforme entre soutien, accueil, conseil, orientation et téléconsultation. c19.info a été tout à la fois.
La souplesse de notre organisation, en ligne, adaptable et disponible immédiatement, pourrait être déployée systématiquement en cas d’événement générant une crise (pandémie, catastrophe naturelle, attentat, guerre…), réquisitionnant une pratique de la psychiatrie en urgence, à grande échelle. Mais aussi, en dehors de situations extrêmes où le besoin de parler est impérieux, c19.info rend plus accessible les soins psychiques, nécessaires en tout temps et en tout lieu, tout en démystifiant la notion de folie et l’idée de parler à un psy. Les frontières entre normal et pathologique s’estompent, et avec elles les limites géographiques entre les lieux de soins, c19.info proposant une aide au plus proche de la population, depuis son domicile.