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Textes en dialogue : Propositions actuelles et inactuelles à l’orée de 2022…

par Martin ROTH, Valérie RITZENTHALER, Vincent STUTZ, Cyrielle WEISGERBER, janvier 2022

Un auteur propose un texte à quelques amis, collègues, qui à leur tour écrivent leurs commentaires, questions, réactions.

Il revient à Martin Roth, inventeur de ce format, de l’inaugurer : il choisit une thématique cruciale : qu’en est-il de la psychanalyse aujourd’hui ? Il repère quelques unes des difficultés actuelles mais à ne pas s’arrêter à leurs formes manifestes, ouvre des pistes techniques et éthiques vers des pratiques actuelles ou « actualisées ».
Puis quelques autres lui donnent la réplique, et nous voici en pleine discussion !

Propositions actuelles et inactuelles à l’orée de 2022…

Martin Roth

La psychanalyse résiste au cafouillis social actuel! Dieu est mort, Marx est mort, et la croyance populaire en la science bat de l’aile. On ne sait plus à quel Saint se fier ! La psychanalyse, elle, est souvent décriée, elle est parfois bannie, elle gêne toujours. Et pourtant, elle a de l’avenir. Bon, vous me direz que la tendance indique plutôt tout le contraire. Certes, et c’est précisément ce qui fait de l’approche analytique une ressource ayant de l’avenir. L’atmosphère est saturée, les perspectives sont présentées comme soit bouchées, soit incertaines. Dans les deux cas, l’étau de l’angoisse oppresse le sujet. La perte de sens envahit les esprits, la dépression guette.

Mais le sujet persiste, et le psychanalyste lui tend la perche. Dans le cafouillis ambiant la psychanalyse permet d’exister. Encore faudrait-il que l’analyste sorte parfois de son fauteuil. La demande ne se jette pas toujours sur son divan. Il s’agit au préalable d’entendre les nouvelles formes empruntées. Ces présentations collent aux modes sociétales. Attente d’un diagnostic, d’un conseil, d’une relaxation, etc. Alors oui, la demande est moins séduisante qu’une demande « d’analyser ma névrose d’âme ». Seulement, elle concerne tout autant l’analyste. La demande est la partie dicible de la métamorphose d’un désir empêché.

Analystes, entendez les nouvelles formes de demandes plutôt que de déplorer la disparition des anciennes ! Et si la bonne vieille névrose est moins fréquente, qu’importe, adaptons-nous au contexte dans lequel nous vivons. Il s’agit d’évaluer l’aide à apporter à un sujet “allant-devenant” pour reprendre une expression de F. Dolto. Et la manière de répondre à cette personne prend en compte le réel qui l’anime, les méandres de sa parole mais aussi les représentations qu’elle se fait d’elle-même ainsi que les croyances qui la portent. Non, elles n’ont pas disparu…

Revenons à l’avenir de la psychanalyse. Tous les chemins peuvent mener à l’analyse. À condition qu’il y ait des analystes à l’écoute des inconscients ! Il n’y pas d’âge pour débuter. Cela peut être même trans-générationnel : une interpellation peut résonner aux générations suivantes qui s’en empareront et conduiront vers l’analyse.

Je propose ici deux facteurs qui font de l’analyse une thérapeutique d’avenir : l’inévitable névrose infantile côté patient et la capacité de durer côté analyste.

Une fois le sujet autorisé à parler, c’est toujours son enfance qui revient. Ou plus justement la névrose infantile. La psychanalyse est la seule « thérapie » à proposer une méthode qui touche réellement ce point nodal de tout sujet. La névrose infantile est le drame de l’enfant qui hante l’adulte et qui revient sans cesse dans le couple, la vie familiale, professionnelle, extra-conjugale, etc. La névrose infantile assure le passé, le présent et l’avenir de la psychanalyse. En effet, l’oppression de l’enfance ne cesse pas. Qu’elle soit écrasante interdiction ou permissivité sans limite. Les symptômes prennent effectivement d’autres formes dans ces deux situations différentes. Ce qui ne change pas, c’est qu’avant de devenir un adulte, l’individu a été enfant. La névrose infantile peut être résumée ainsi : persistance d’un incompréhensible et insaisissable dont les associations renvoient à l’enfance. Alors voilà : la névrose infantile tente inépuisablement de se faire entendre. Et ce qu’offre l’analyse, et qu’elle est seule à proposer, c’est un temps d’élaboration de ce réel du passé qui ne passe pas. Nous ne disons pas que la cure efface ou réduit cette névrose, mais elle n’est pas sans effets sur elle. Quels sont ces effets ?

Abordons maintenant le deuxième argument (ou le même côté analyste) en faveur d’un certain futur pour la psychanalyse : la persévérance de l’analyste ! Il tient un cadre. Il propose un dispositif que le patient accepte. L’analyste est garant de ce dispositif. Celui-ci est le rythme des séances, leur durée, leur lieu, etc. : cadre qui assure un espace-temps qui autorise un sujet à s’exposer, s'explorer et se transformer. Autre point essentiel : le cadre est une invitation forte au transfert. Avec les cliniques actuelles et leurs dispositions à la thérapie, ce cadre peut prendre des formes variées et surtout connaître un chemin fluctuant avant de trouver une certaine assiduité. Ceci montre que ce cadre analytique n’est pas seulement un dispositif organisationnel mais également un positionnement éthique.

Voilà une spécificité analytique! Tenir le cap de l’inconscient! Ne pas lâcher le sujet sur ce qui ne le lâche pas! La liberté du sujet n’est possible qu’à condition de donner la juste mesure au poids des contraintes qui l’assiègent. La rigueur de l’analyste a pour modèle et guide la ténacité du symptôme. L’analyste tente de se tenir entre la surestimation des déterminants psychiques et leur sous-estimation. Pour cela, ou plutôt pour ne pas trop « estimer » les déterminants, il laisse place à la répétition ce qui permettra la répétition dans le transfert. Avant toute interprétation, il s’agit de permettre à cette répétition d’être ressentie, de devenir sensible: le sujet en est affecté! De nombreuses consultations (en psychiatrie, en pédopsychiatrie, donc pas seulement adressés à l’analyste, mais il faut de l’analyste pour le prendre en compte) laissent place à ce ressenti transférentiel. C’est ce même ressenti qui, lorsqu’il n’est pas pris en compte, met fin au suivi en laissant un goût amer. Ce ressenti n’est pas toujours amour de transfert. Il est bien souvent, dans les consultations les plus éprouvantes, ressentiment de transfert. Charge à l’analyste d’en permettre une élaboration.

Donc, le cadre tenu rend concrète la théorie de l’analyste. Il n’y a pas d’analyste sans théorie, pas plus qu’il n’y a d’analyste sans pratique. La ténacité à laisser revenir, dans le transfert, les manifestations de la névrose infantile, font de l’analyste un représentant de la contrainte. Il ne vous contraint pas, il tient la place depuis laquelle ce qui vous contraint se manifeste à vous.

Le ressenti de cette contrainte est mal toléré de nos jours. En effet, les promotions de la liberté individuelle, de l’autonomie, de l’indépendance, de l’auto détermination, de la consommation, de la priorité à la jouissance personnelle sur la vie collective, de l’accent mis sur les potentialités de l’enfant et moins sur l’obéissance, etc., entraînent une plus grande difficulté à faire avec une parole d’autorité. Cette parole est alors reçue comme injuste, car limitant la « liberté » individuelle, la jouissance individualiste et consommatrice, etc. Cela en oubliant qu’il n’y a de liberté que s’il y a une loi qui évite le chaos. La parole d’autorité, celle qui dit non, sera alors entendue comme autoritarisme.

La parole de l’analyste sera souvent attendue –ou fuie !- à cette place… Si nous introduisons ici le terme de « surmoi » nous percevons alors mieux les liens avec la névrose infantile. L’analyste est attendu/entendu depuis cette place d’autorité –qui autoriserait !- ne signifie aucunement qu’il y siège. L’acte analytique dépendra de l’adresse avec laquelle il « joue » entre ses deux places.

La réactualisation de la névrose infantile prend plus ou moins de temps pour apparaître dans le transfert. Je rencontre cependant de nombreuses situations où cette dimension est d’emblée présente, ce qui ne facilite pas la tâche. Il semblerait que l’inhibition névrotique réponde mieux au modèle « classique » de la cure analytique. Or, la mise à l’épreuve du praticien avec rapidement des revendications, des exigences, de la colère, du ressentiment, oblige le thérapeute à se positionner autrement que l’habituel retrait de la cure type avec de rares interventions. En tout cas ceci nécessite du temps et un usage révisé de nos paroles et silences. Cela tout en gardant le cap sur une direction analytique, celle orientée par la névrose infantile. Combien de répétition et de perlaboration pour supporter les limites qui nous contraignent. Et souvent ce temps est requis simplement pour ce qui s’appelait les entretiens préliminaires mais qui constituent aujourd’hui un travail analytique en soi.

Cette notion de temps, de durée mais surtout de durer – « dur désir de durer » disait l’autre - est un concept pratique fondamental. Car c’est cette lente élaboration qui permet de grignoter la névrose infantile et de la rendre moins envahissante.

Tant que l’enfant a de l’avenir, le psychanalyste aura du travail!

Commentaires et échos

Valérie Ritzenthaler :

C’est très juste de souligner qu’il y a eu un temps, dont certains sont sans doute nostalgiques, et je me compte parmi eux, parfois, un temps confortable, où les demandes étaient bien ficelées, une sorte de prêt-à-porter pour les psychanalystes en vogue. Mais c’est tout de même, comme nous le rappelle souvent Jean-Richard Freymann, la situation plus habituelle de l’analyse, que celle de ne pas être dans l’air du temps, d’être à contre-courant.

Finalement tu invites les psychanalystes à se déloger eux-mêmes d’une position de plainte et de nostalgie.

Le fauteuil est moins confortable, surtout en institution, les demandes cachées derrière l’armure de la quête du diagnostic, offert comme un leurre de vérité, et les demandes de gouttes, qui apaisent un temps la culpabilité et la souffrance.

Ton écrit n’est pas sans me rappeler ce que Charlotte Herfray soutenait, et qui tient dans le titre d’un de ses tout dernier texte, qu’elle n’avait plus eu la force de venir dire, « Et toujours le désir nous rendait soucieux ».

Soutenir une position désirante, tendre la perche au sujet, prêter l’oreille au contenu latent, n’est pas une position confortable.

Martin Roth :

Merci Valérie pour ton retour qui relance mon souci de précision!

Oui, ne pas être dans l'air du temps c'est ne pas adhérer, pour ne pas dire coller, aux modes de l'époque. Et toi, comment l'entends-tu? Pourquoi ne pas adhérer? N'est-ce pas avant tout car ces modes participent à la constitution du symptôme? Nous retrouvons ici "les non dupes"... air du temps! L'idée du contre-courant me parle bien, mais pour qu'il y ait contre-courant, il faut être dans le bain ambiant. Sinon le contre-courant court contre rien ! Ce que je veux dire, c'est que le contre-courant est intéressant en tant qu'il crée un remous et ainsi un point de friction qui met en lumière la non-évidence. Nous naviguons dans la Non-evidence Based Medicine. Ainsi, comment prendre suffisamment en compte les rets sociaux de notre époque, pour ne pas être sans patients, sans y être totalement aliéné?

La nostalgie ne me pose pas de problème, d'autant moins que je me surprends à être nostalgique d'une période que je n'ai pas connue...

Quant à la plainte, oui, en effet! Mais, distinguerais-tu différentes formes de plaintes? Par exemple la plainte "constructive", préalable à une élaboration, et la plainte passion, symptôme s'auto-entretenant?

Oui, soucions-nous du désir : quel désir dans la plainte?

Vincent Stutz :

Martin, tu nous invites à de l’optimisme concernant la place de la psychanalyse dans les différentes « offres » de soin, un optimisme pour plus tard, mais aussi pour maintenant puisque des demandes il y en a, c’est simplement qu’elles butent sur les attentes de réponses déjà élaborées par nos patients, avant même de venir nous consulter. Elles butent également, ces demandes, sur la « liberté individuelle », sur la « jouissance de consommation »…

Je ne peux que te rejoindre sur ces différents points, ayant été, avant d’être praticien de la chose psychique (psychanalyste?), analysant (je le suis encore d’une certaine manière), et il est vrai que la frustration qui est un des éléments de la rencontre avec un psychanalyste insiste, même si elle s’associe à cette liberté de dire et d’être écouté (entendu parfois) qui permet l’ouverture vers un autre horizon, sans forme particulière, si ce n’est quelque chose qui, si je prends au sérieux ce que me disent certains de mes patients, « leur fait du bien », tout simplement.

Oui, la cacophonie des discours rend paradoxalement un certain discours singulier (discours subjectif) parfois inaudible, et il suffit alors de lui donner toute sa place pour que des effets de rencontre se mettent en place, des effets transférentiels… Alors oui, peut-être qu’au lieu de s’accrocher au savoir, ce transfert s’agrippe plus radicalement à l’oreille de celui qui écoute, laissant pour un temps de côté le nécessaire grignotage sur une (pseudo) liberté, ce cocon dans lequel le monde contemporain tente de nous assoupir, en vain je l’espère.

J’espère donc. J’espère que tu dis vrai et que ton optimisme se confirmera ou se confirme déjà. Je devrais dire j’espère que nous disons vrai tant je partage cette foi dans le fait de parler, et dans cette élaboration de nos méandres infantiles sur lesquels nous butons dans une répétition parfois sublimée.

Et puis, par rapport à ce que tu dis sur ce réajustement du positionnement du psychanalyste, je ne peux qu’aller dans ton sens. Ma pratique avec des adolescents m’a depuis quelque temps déjà convaincu qu’il était crucial d’aller à la rencontre, voire de chercher la rencontre avec ces jeunes qui se trouvent face à nous, qu’ils aient choisi de venir en consultation ou que certains dans leur entourage aient pensé cela nécessaire. Aller à la rencontre n’est-ce pas alors aller au plus près de l’endroit d’où ils parlent ? Dans cette pratique, le silence n’est pas cette absence de parole mais plutôt quelque chose qui vise à faire taire le commentaire, pour laisser la parole de l’autre se dérouler, laisser le sujet se surprendre de ce qu’il ne s’attendait pas à dire, à pouvoir dire, de ce qu’il ne s’attendait pas à pouvoir être entendu. Pour ma part je parle ici de relation transférentielle, en mettant l’accent sur « relation », c’est peut-être là que la pratique analytique demeure subversive, dans le maintien, envers et contre tout, d’une relation dans laquelle le sujet peut se construire, s’élaborer, et plus encore, peut-être, se libérer de son injonction à la liberté.

Martin Roth :

Merci Vincent pour cette réponse qui prolonge et ouvre de nouveaux points de recherche.

Y a-t-il, selon ton analyse, dans cette « relation » particulière une quête? Peut-être faut-il accepter un temps préalable de requête, non? Nos patients ont souvent une requête à nous faire, qu'il s'agit de faire advenir à la parole. C'est seulement à partir de là que la quête commence. Quelles sont, selon toi, les spécificités de la quête analytique? Il me semble que tu amènes un début de réponse très intéressante : « aller vers ». Cette expression est à la mode (terme clef dans les projets de l'ARS) mais tu lui donnes un sens moins académique et bien plus analytique : aller vers l'Autre. « Aller au plus près de l'endroit d'où ils parlent », dis-tu. Cela me rappelle la belle expression de Jean Oury : « être au plus proche du lointain de l'autre ». L'Autre en soi également ou le « va vers toi » biblique. Tu rappelles combien la parole de l'Autre limite mais/et conditionne la liberté.

Éveiller, par la présence, une libération chez l'autre, voilà ce dont nous pourrions rediscuter!

Cyrielle Weisgerber

Dans ton article, Martin, tu fais entendre plusieurs points qui me semblent essentiels :

  • qu’apporte la psychanalyse ?
    Comme tu le dis, elle tend la perche au sujet : elle lui permet d’exister dans le cafouillis ambiant, malgré le cafouillis ambiant !
    Je proposerais d’ailleurs qu’il y a deux temporalités différentes : du côté des effets de désaliénation subjective, des effets de la cure en tant que tels, cela prend du temps, ce n’est pas gagné d’emblée, rien n’est assuré. Mais le simple fait de tendre la perche au sujet permet aussi des effets de subjectivation assez « immédiats ».
    « Parle-moi, je t’écoute, j’essaie d’entendre ce qui parle en toi, au-delà de ton Moi très actuel qui se veut la meilleure version de lui-même, j’essaie d’entendre ce qui parle en toi, cette parole à travers laquelle tu peux exister… », propose l’analyste.
  • les demandes adressées à l’analyste peuvent prendre des formes en écho avec le discours courant, apparemment non analytiques ou contre-analytiques : tu rappelles que toute demande peut n’être pas prise au premier degré, que ces demandes elles aussi peuvent être entendues comme demandes en tant que telles, c’est-à-dire point d’accroche d’un début de transfert. Si l’analyste peut « reconnaître » qu’il y a une demande, quelle que soit sa forme, sans la combler par une pseudo-réponse, toute la dynamique - et dynamite ! - de la parole peut se mettre en mouvement.
  • tu rappelles la place essentielle de quelque chose que tu épingles sous le nom de névrose infantile. Est-ce que tu serais d’accord de dire que cela correspond aussi aux fantasmes inconscients du sujet, à tout ce complexe ou cette matrice des mécanismes psychiques ?
    Les apports de Lacan à propos du fantasme ont l’intérêt d’éclairer que tout l’édifice psychique d’une personne (son identité, sa vision du monde, ses désirs, ses choix amoureux, sa façon d’agir et de réagir dans la vie…) est déterminé par quelques éléments : son rapport à l’objet cause de son désir, qui s’articule avec la construction qu’il se fait de l’Autre et son rapport à l’Autre à travers l’objet cause du désir (l’Autre me donne-t-il l’objet, et lequel, suis-je l’objet de son désir, et lequel, qu’est-ce que je lui veux, qu’est-ce qu’il me veut ?..), et s’articule encore avec toutes les questions de reconnaissance dans le regard de l’Autre et dans le miroir de l’autre (Idéal du Moi, Moi idéal, etc). En effet, tous ces éléments se construisent dans l’enfance, mais peuvent aussi se modifier un peu, de se colorer autrement, sous l’effet des événements ultérieurs de la vie.
    Tu le soulignes, Martin, et le formules ainsi : « La névrose infantile est le drame de l’enfant qui hante l’adulte et qui revient sans cesse dans le couple, la vie familiale, professionnelle, extra-conjugale, etc. »
    La matrice du fantasme inconscient trame toute l’existence de la personne : et il est parfois surprenant de voir la personne contrainte par cette matrice bien davantage qu’elle ne l’est par les éléments de la réalité extérieure de sa vie.
    À première vue, on pourrait penser que la psychanalyse ne s’occupe que des « petits problèmes nombrilistes de névrose », et néglige les « vrais problèmes du monde » : au contraire une cure permet à l’analysant de se défaire quelque peu de ses préoccupations et déterminants nombrilistes, et de faire face de façon plus subjective et plus libre aux problèmes et chaos du monde.
  • La cure permet une certaine désaliénation de la matrice du fantasme inconscient, ou du moins son assouplissement. Mais elle fait passer l’analysant par tout un périple de répétitions dans le transfert, périple qui se révèle souvent mouvementé et pénible.
    Tu le formules ainsi, Martin : « La ténacité à laisser revenir, dans le transfert, les manifestations de la névrose infantile, font de l’analyste un représentant de la contrainte. Il ne vous contraint pas, il tient la place depuis laquelle ce qui vous contraint se manifeste à vous. »
    Peut-être y a-t-il un intérêt à rappeler que la démarche n’est pas masochiste : si une cure n’était pas engagée, la répétition qui a lieu dans le transfert aurait lieu dans la vie, avec des conséquences probablement plus lourdes d’ailleurs. Et précisément la cure vise à lever quelque peu la contrainte de répétition, dans la vie !…
    Je m’arrête dans les commentaires, qui, à les vouloir assez précis, prennent une certaine lourdeur théorisante, pour faire écho plutôt à la note d’optimisme, d’espoir et de « foi » (?) que Vincent a prolongée dans sa réponse.

Les points que tu éclaires, Martin, permettent de soutenir (pour ceux qui en douteraient) que la psychanalyse a sa place et a des effets, même face aux demandes prises dans le discours courant actuel, même dans les institutions, elles aussi confites dans le discours courant actuel. Tu vas jusqu’à ouvrir des pistes précises vers des pratiques actuelles de la psychanalyse.

Je me pose une question : y a-t-il de la foi quelque part en l’affaire ? S’agit-il de croire en la parole, en ses effets possibles dans le dispositif analytique ?

Un élément de réponse me vient à repenser à la note d’optimisme et d’espoir de ton texte, qui filtre entre les lignes. On entend que tu écris à partir d’un mouvement désirant, porté par un désir de désir de l’autre, un désir de la possibilité du désir subjectivé de l’autre : ton texte lui-même comme une perche tendue au sujet, pourrait-on dire. Je ne pense pas qu’il s’agisse de « foi », cela : je pense qu’il s’agit de l’expérience personnelle des effets de la cure (un peu de désaliénation, d’espace de liberté, mouvement désirant quelque peu dégagé de la prise dans les objets, possibilité de prise de position subjective, possibilité de se sentir exister !…), expérience d’une telle force et d’une portée si cruciale, vitale (exister !...), qu’elle appelle à être renouvelée, réanimée, soutenue, encore et encore, pour soi-même, pour pouvoir tendre la perche, et pour l’autre, s’il saisit la perche ?

Martin Roth

Passionnante question que celle du rapport entre fantasme et névrose infantile ! Cela justifierait un séminaire entier ! Mais ici lançons peut-être des hypothèses.

Tout d’abord, non, je ne les confondrais pas. Ce sont deux concepts qui renvoient pour moi à des phénomènes différents. Mais, oui, ta proposition d’apposer le fantasme en regard de la névrose infantile est fructueuse car en effet ils paraissent indissociables. En tous cas, il semblerait qu’il y ait à distinguer cliniquement deux phénomènes qui s’imbriquent mais se distinguent. Disons ici la névrose infantile et le fantasme. Mais il pourrait s’agir d’une distinction qu’on pourrait opérer au sein de la névrose infantile ou au sein du fantasme.

La névrose infantile - concept freudien - renvoie à l’inassimilé et l’inassimilable d’un vécu de l’enfant qui fait retour chez l’adulte. Le vécu de l’enfant restant en tant que tel inaccessible car passé, et donc toujours reconstruit. Mais un quelque chose insiste. Le fantasme - concept lacanien - serait alors la séquence, le schématisme récurrent qui met en scène ce réel de la névrose infantile. La névrose infantile fait retour dans le transfert : retour d’un affect. Le fantasme serait alors l’interprétation qu’en fait le sujet, la petite histoire qu’il se raconte pour justifier cet affect. Cette petite historiette peut donc être dans son contenu une nouvelle histoire, mais dans sa structure, elle se répète et elle permet à la névrose infantile de s’exprimer.

Et toi, Cyrielle, comment vois-tu ce recouvrement de la névrose infantile et du fantasme? Comment définirais-tu l’un et l’autre? Évidemment, il faudrait revenir aux textes…

Deuxième remarque:

Je ne dirais pas que la matrice du fantasme trame TOUTE l’existence de la personne. Je me méfie « du tout ». Cette trame pèse lourd en effet, et ainsi elle oriente de manière intransigeante l’individu vers la répétition. Elle donne une orientation prépondérante. Mais cette trame n’est pas unique, seule, indépendante. Elle est associée à tout un réseau d’autres éléments signifiants pour le sujet, certes qui pèsent moins lourds, mais qui peuvent influer la tendance de la trame principale. Donc la parole en analyse, tout en révélant par le transfert cette trame principale du fantasme, laisse apparaître par association d’autres potentialités qui permettent la survenue d’indéterminé, de nouveauté, de liberté. Les contingences, et notamment les rencontres en font partie.

Enfin, j’accueille avec intérêt tes remarques sur la foi et la croyance, où tu introduis l’expérience !

En quoi croit le psychanalyste ? La pratique analytique est-elle dénuée de croyance ? Quel rapport entre la croyance et l’expérience ? Il faudrait au préalable redéfinir la croyance…

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