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Qu’est-ce que l’amour de transfert ? Ses évolutions

par Jean-Richard FREYMANN, 13 mars 2019

Intervention de Jean-Richard Freymann lors de la formation APERTURA "Névrose : Transfert et demande" qui a eu lieu le 13 mars 2019.

Introduction

L’hypothèse que je développe dans mon livre Les mécanismes psychiques de l’inconscient1 est la suivante : chacun est porteur de tous les mécanismes pulsionnels. Parmi ces mécanismes – le refoulement, l’idéalisation, la sublimation, la forclusion, le déni de la réalité etc. –, chaque être parlant a un mécanisme privilégié. Actuellement, le mécanisme « premier » n’est pas un mécanisme subjectif mais l’idéalisation collective : nous plaçons notre identité dans une appartenance à un groupe, mécanisme qui conduit à une sorte de binarité que l’on retrouve dans les institutions, endroit où la psychanalyse peut être évacuée. La psychanalyse est la seule « technè » qui permet de changer de mécanisme psychique comme prépondérant. Au cours des entretiens, quelque chose insiste du côté de la compulsion de répétition. Par le travail qu’elle propose, la psychanalyse permet, non pas un changement de structure, mais un changement de prépondérance de mécanisme – mécanisme au sens mécanistique du terme –, c’est-à-dire qu’une personne psychotique peut acquérir un mécanisme de refoulement secondaire qui devient un mécanisme prépondérant car l’inconscient permet la mise en mouvement, la remise en circulation d’éléments psychiques. A contrario, que proposent les psychothérapies ? Il existe un grand nombre de psychothérapies : des psychothérapies par la parole, sociodrame et psychodrame, par l’hypnose, par la méditation etc. Ces techniques font disparaître pour un temps la symptomatologie clinique, c’est-à-dire convoque un retour à un état antérieur. Nous sommes « pris » dans le discours ambiant des psychothérapies. Le travail de l’analyste est donc de créer du discours de l’Autre à partir du discours ambiant. La psychanalyse est la seule « technè », le seul art qui permet de changer de mécanisme psychique comme prépondérant. Aussi le discours de l’Autre est à soutenir en privé, dans nos consultations, et en institution. « Il n’y a pas d’analyse, dit Lacan, sans analyste. » Pour faire une analyse, il faut rencontrer un analyste. Être analyste veut dire avoir soi-même traversé suffisamment une analyse, « il faut avoir fait, dit Lacan, au moins deux tours », un tour pour l’analyse thérapeutique, un second tour pour l’analyse didactique.

I – Névrose : une émergence disparue

Que sont devenues l’hystérie, la névrose obsessionnelle et la névrose phobique ? La névrose ne figure plus dans les nouvelles nosographies du DSM, le modèle de la « normalité actuelle » est un modèle psychotique collectif, ce n’est pas un modèle névrotique, autrement dit un modèle basé sur la conflictualité du discours.

La différenciation entre conversion et somatisation

Dans les mécanismes psychiques, il devient difficile de différencier, dans la question hystérique, la conversion de la somatisation. L’accent n’est plus mis aujourd’hui sur la conversion définie dans Les Études sur l’hystérie comme : « L’expression par le corps d’un conflit inconscient2. »

La somatisation est en lien avec la question de la lésion. Mais la question de la psychosomatique reste le plus souvent une énigme : « Certaines lésions sont-elles dues à des conflits psychiques ?3 »

Certaines personnes, atteintes de maladies graves (cancer, problèmes cardiaques) font, pourrait-on dire « paradoxalement », une demande d’analyse, non pas pour interroger les causes psychiques de leur maladie, mais pour questionner le comment vivre le temps qu’il leur reste à vivre. À cet endroit, nous avons besoin des différents rapports à la sublimation.

D’autre part, dans le cas d’un traitement du cancer par exemple, il faut prendre en compte les effets de parole sur le patient : « chimiothérapie » qui ne donne plus de résultat, puis passage à « l’immunologie ». Le travail analytique permet, non pas de guérir ces personnes, mais leur permet de survivre, survie qui peut souvent surprendre un certain nombre d’oncologues.

Par quels effets la psychanalyse permet-elle de « survivre » ? Il s’agit, disait Freud, de« lever la stase de la libido ». Dit autrement, les personnes peuvent être malades mais avoir du désir. Soutenir la part désirante a des effets dans le temps, et permet souvent de prolonger la vie. Ce sont des « zones » en lien avec la mort qu’il faut supporter, des zones difficiles à travailler, qui requiert une expérience clinique.

Nous recevons aussi en travail analytique des personnes qui appartiennent à des générations différentes. D’une génération à l’autre, il n’y a pas répétition des mêmes symptômes, c’est-à-dire répétition du même ; dans le discours de la génération suivante, on entend l’endroit où les symptômes de l’Autre étaient là. Ainsi, non seulement « l’inconscient, c’est l’effet du discours de l’Autre », mais aussi l’effet du discours de l’Autre transgénérationnel. Nous sommes donc porteurs d’un certain nombre de traumatismes de l’Autre, des parents, des grands-parents, traumatismes que l’on n’a pas vécus soi-même. La question des traumatismes transgénérationnels a permis de comprendre pourquoi, lors des dernières élections présentielles en 2017, dans les villages alsaciens où on ne rencontrait aucun « étranger », le Front National est monté en « puissance ». Une étude menée par Philippe Breton4 a indiqué que des personnes avaient eu des arrière-grands-parents « malgré-nous ». Ces personnes revenues le plus souvent du front russe après des années de captivité, étaient donc considérées comme mortes. La vie du village avait repris son cours sans eux, leurs femmes s’étaient remariées, et de cela, les « malgré-nous » n’ont jamais pu parler. Leurs arrière-petits-enfants étaient « porteurs » de ce traumatisme, autrement dit « porteurs » de ce silence. Ce n’est pas, pour Lacan, de la psychanalyse appliquée, c’est le « transgénérationnel de la psychanalyse ».

Le devenir de l’obsession

Dans L’inconscient pour quoi faire ?5, je développe la question du devenir de l’obsession et donne des repères sur deux modes cliniques différents : les défenses obsessionnelles à la suite de moments psychotiques. Par exemple, une personne fait un épisode psychotique, une bouffée délirante, un épisode aigu, et se restructure avec des rituels. Travailler, au cours d’une analyse, les défenses obsessionnelles de ce patient du côté névrotique, risque de provoquer une dissociation psychique.

Le devenir des phobies

Le devenir des phobies met en place toutes les facettes de l’angoisse. Freud développe trois théories différentes sur l’angoisse. Pour Lacan, l’angoisse se situe structurellement entre le désir et la jouissance. La phobie est une manière de « canaliser » une angoisse intense. Le triptyque hystérie, obsession et phobie est donc plus que jamais à soutenir, plus que jamais à maintenir.

Que sont devenues les névroses ?

Quels sont les apports de la seconde topique par rapport à la première topique ? Pourquoi Freud a-t-il eu besoin de passer du préconscient, conscient, inconscient au moi, ça, surmoi ? Un certain nombre d’instances se sont imposées à lui, instances qu’il ne pouvait placer dans le triptyque : préconscient, conscient, inconscient. La seconde topique – moi, ça et surmoi – lui a permis d’introduire d’autres éléments dans la névrose, parmi eux les fonctions de l’idéal du moi, les questions de l’automatisme de répétition, base des pulsions de mort ainsi que les névroses post-traumatiques, intitulées dans les nosographies actuelles « stress post- traumatique ». Ces névroses post-traumatiques ne sont pas des psychonévroses, ce qui pose la question des transferts. Ces nouvelles formes névrotiques sont souvent des formes transférentielles psychotiques, c’est-à-dire persécutives, érotomaniaques ou encore religieuses.

Que sont devenues les névroses aujourd’hui ? Je l’ai dit, ce sont avant tout des stress post-traumatiques que les personnes ont à affronter qui passent souvent par la question du rapport à l’argent. L’argent n’est plus un objet partiel, l’argent est devenu un objet total, et ce dans toutes les classes sociales. Dans la transposition des pulsions, Freud évoque les équivalents symboliques de l’argent qui sont : enfant, excrément, pénis.

II – Le transfert chez Freud et chez Lacan

Y a-t-il des névroses sans transfert ? Il y a, en effet, des névroses qui ne produisent pas de transfert au sens analytique du terme. Pour Lacan, le transfert analytique est le fait que l’analysant peut se prendre comme objet. Le travail de l’analyste consiste en une torsion qui mène l’analysant à se prendre comme objet.

Freud travaille « l’amour de transfert ». Le transfert, pour Lacan, n’est pas seulement

« l’amour de transfert », il introduit une structure, une instance symbolique, celle du « sujet- supposé-savoir », autrement dit, on suppose à l’Autre un savoir. Ce que de votre propre inconscient vous ne savez pas, vous le supposez à l’Autre. Au cours de la cure, vous découvrez les signifiants et les objets dans lesquels vous êtes pris, la part de ce sujet supposé-

savoir alors s’amenuise, moment où l’analyste va « choir ». Le but de l’opération trans- férentielle, du côté symbolique, est ce rapport au savoir inconscient.

Dans « La proposition d’Octobre6 », Lacan introduit un signifiant quelconque tandis que sous la barre il écrit S1, S2, S3. Cet algorithme veut dire que n’importe quoi peut provoquer le transfert.

III – La demande de l’Autre

« Quelle est la zone que votre mère n’a pas caressée ?7 » Cette question est posée par Lucien Israël. Si la mère caresse « tout », cela donne des psychotiques, si elle ne caresse pas du tout, cela donne aussi des psychotiques… Auparavant, la notion de mère « abusive » était, pourrait-on dire, « à la mode ». De nos jours, le travail se centre autour de celui ou celle qui est en position de mère qui « abandonne » l’enfant réellement, symboliquement ou imaginairement. Cet abandon n’est pas un abandon réel, c’est quelque chose qui a « lâché » du côté de la libido.

Ce problème renvoie à la sexuation actuelle, il y a une différence des sexes, les fonctions masculines et féminines sont différentes. Le point fondamental qui est actuellement oublié, c’est le fait que nous sommes tous « pris », au niveau de l’inconscient, dans une bisexualité.

La question se pose donc aussi en termes de transfert, forme qui met en place à la fois l’automatisme de répétition, la manière dont vous allez mettre en place la part féminine et la part masculine, et c’est à partir de cette mise en place qu’il y aura possibilité, dans une troisième boucle, de décrypter qu’elle a été votre demande fondamentale au départ. Je terminerai donc sur cette question :

Le transfert lui-même n’est-il pas une demande ?

  1. J.-R. Freymann, Les mécanismes psychiques de l’inconscient, Arcanes-érès, 2019.
  2. S. Freud ; J. Breuer (1895), Études sur l’hystérie, Paris, Puf, 1956.
  3. J.-R. Freymann, Les mécanismes psychiques de l’inconscient, op.cit..
  4. Ph. Breton ; D. Le Breton, Le silence et la parole, Arcanes-érès, 2017.
  5. J-R Freymann, L’inconscient pour quoi faire ?, Arcanes-érès, 2018.
  6. J. Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », p. 243-259. Paru dans Scilicet, n°1, Paris, Le Seuil, 1968.
  7. L. Israël, La jouissance de l’hystérique, Séminaire 1974, Arcanes, 1994.

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