Chaque article de cette rubrique se présente comme une ode à la complexité de l'esprit humain, abordant des thèmes souvent laissés en marge des discussions cliniques traditionnelles. Ici, la psychanalyse ne se cantonne pas aux frontières du cabinet thérapeutique mais s'élance dans le vaste monde de la culture, de l'histoire et des arts.

S'écartant des voies conventionnelles, nos auteurs prennent la liberté de puiser dans la richesse du langage poétique pour éclairer les recoins les plus obscurs de la psyché. Ils vous invitent à une danse métaphorique entre l'inconscient et le conscient, où chaque vers et chaque réflexion vous entraînent dans une spirale d'interprétations et de significations.

Dans "Billet d'où ?", nous faisons fi de la rigidité académique, mais non de la rigueur intellectuelle. Chaque contribution est un essai de transcendance, un effort de comprendre le subtil équilibre entre le rationnel et l'irrationnel, le visible et l'invisible, l'analysable et l'inanalysable.

 Notre collection d'articles Billet d'Où ?

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 novembre 2023

Partout des ténèbres ?

Tout est sombre. Tout est crispant. Tout est glaçant. Au niveau national, international, planétaire, social, personnel, mis en abîme pour l’analyste par le discours des patients et analysants – réflexions d’horreur à l’infini.
La fonction du psychanalyste est de ne pas prendre au pied de la lettre, de se décaler, de lire les mécanismes en jeu ; décrypter que tout ceci n’est qu’une des formes du chaos perpétuel du monde ; se souvenir de l’intemporalité des messagers de l’apocalypse[1] ; se rappeler que la violence, l’agressivité, le pouvoir et son abus, sont indissociables des mécanismes psychiques et pulsionnels. Le tableau se révèle plus sombre encore, alors ? Les ténèbres ne sont pas qu’à l’extérieur, elles sont aussi et surtout au fond de chacun de nous ?

La question se renverse : comment est-il possible qu’il n’y ait pas que les ténèbres, la violence ? Comment est-il possible qu’existent des relations entre humains qui ne sont pas seulement utilisation, consommation, séduction suggestive, abus de l’un par l’autre ? Comment est-il possible qu’existe la rencontre ouverte, la présence généreuse ? Cela existe-t-il seulement ?
Je pense, j’espère, que chacun d’entre nous en a l’expérience, de ces moments de rencontre lumineuse. Sans l’appui de l’expérience, dans la seule réflexion à partir d’une certaine actualité, il y a le risque, voire il y aurait lieu, de douter de l’existence de la lumière[2].

Rappelez-vous, elle existe. Rappelez-vous, certains regards, certains sourires, quelques silences, l’une ou l’autre main tendue. Quelques paroles, même.

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 avril 2023

Avertissement préliminaire :
ce « billet d’où ? » s’est écrit étrangement, éclats et échos de voix. Fermez les yeux, imaginez une grande scène blanche, deux comédien-nes s’avancent sur la scène, lisez le texte – rouvrez les yeux, donc, ne les fermez qu’en pensée –, entendez leurs voix résonner dans l’espace.
Ou… passez votre chemin.
Ou… écoutez la version mise en voix.

Un humain
enchanté-e – désenchanté – déchanter – réenchanter – faire chanter –
Merlin… l’enchanteur –
espèce… d’enchanteresse

Un psy (humain aussi, par ailleurs)
C’est quoi ce métier ?!
On me demande des solutions – le monde regorge de solutions, internet regorge de solutions, scrollez n’importe quel réseau social, défilent des solutions à tous les problèmes imaginables, et inimaginables, même ceux auxquels vous n’avez jamais pensé, et même ceux qui ne sont pas des problèmes… –, le psy répond qu’il n’en a pas, de solution.

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 mars 2023

Qu’est-ce que j’ai envie de dire, comment je peux le faire entendre ? Sous quelle forme pour atteindre l’autre, vraiment ?

Corps et brumes.
Je n’en reviens pas, je ne finis pas de ne pas en revenir, probablement je passerai ma vie à n’en pas revenir ? – en êtes-vous revenu-e ? –. Ce qu’est un être humain : corps et brumes.

« Le sens n’est nulle part. Nous le traçons avec de la fumée et le vent n’est jamais très loin. »  Salah Stétié[1]

Je préfère les brumes – l’idée est la même ? –, je préfère la texture du mot, je préfère la texture de la « matière ».
Parfois nous traçons, Salah Stétié, parfois nous dessinons dans les brumes ; souvent elles se forment sans que nous n’y contrôlions rien, elles se soulèvent lorsque nous touchons – bousculons ou nous cognons dans – un bout de réel ou un autre, le touchons du regard, de la pensée, du bout du doigt, d’un bout de corps.

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 13 décembre 2022

La psychanalyse peut être une forme de rébellion.
La psychanalyse telle que je la pense, telle que j’essaie de la pratiquer, est une forme de rébellion.
Il faut de la rébellion, elle est vitale. Il faut une force tendue, constante, pour permettre qu’une certaine part de l’humain s’exprime – la part de l’ouverture, de la rencontre, de la créativité, de la joie – et ne soit pas écrasée par une autre part de l’humain – les mécanismes dont les moteurs sont quête des pouvoirs, jouissances aveugles, peurs…

Peurs.
Le pessimisme est criminel. Les discours ambiants actuels sont criminels. La soupe servie est sombre, de la bile noire en boîte façon concentré de tomate. Rassurons-nous, il y a toujours moyen d’y échapper : l’hypnose béate et idiote est omniprésente, à portée de clic et de scroll : regardez, le chaton mignon entre les pattes de l’énorme chien – qui n’en ferait qu’une bouchée, mais il semblerait que pour lors il n’a pas faim –, regardez, ma dernière story avant/après mon rendez-vous chez le coiffeur !.. Merveilleux, non ?… Une nouvelle coupe et j’oublie guerre, pénurie d’essence, coupures d’électricité, rien ne m’inquiète plus !

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 octobre 2022

Nuit calme. Terrasse surplombant la mer.

Ils sont venus finir la nuit ici, à discuter à trois. Ils se connaissent de longue date, leurs nuits d’étudiants ressemblaient à la nuit qui se déroule. La vie a rapproché deux d’entre eux, entrelacé leurs devenirs, amené sous d’autres cieux la troisième, la danseuse. Ils sont venus la voir danser la dernière représentation de son spectacle. Sera-ce le dernier ? Chacun se le demande sans le dire. Le temps a passé, le temps continue de passer.

La psychanalyste soupire : « Je t’envie, le sais-tu, de savoir faire parler ton corps. »

La danseuse, dans un sourire : « Il a plus à dire que ma tête. Mais entends-tu qu’il gémit, parfois, grogne, ce ne sont pas des mots qu’il dit, il hurle il murmure des sons inarticulés, la vie que je ressens à travers lui, la joie, la lumière, l’émerveillement l’horreur. Je t’envie de savoir transformer cela en mots – pourtant, dans la transformation, que devient ce que ressent le corps, qu’en fais-tu ? »

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 octobre 2022

Quels espaces de liberté ?
De quels espaces de liberté disposons-nous ? Nous, humains, et chacun au singulier, toi, moi, jusqu’où pouvons-nous nous mouvoir ?

L’expérience de la cure (personnelle et celle de nos analysants) dévoile à quel point le psychisme d’un humain est déterminé par des rouages qui lui échappent, mais aussi dans quelle mesure il peut s’en désaliéner.

Pascal Quignard écrit que pour l’être humain la liberté n’existe pas… La liberté entendue comme un état n’existe pas. Il soutient cependant l’existence et la possibilité d’un mouvement de libération. Ses écrits en témoignent profondément.

Par Marie-France SCHAEFER   publié le 1 août 2022

Elle pose des questions qui me parlent :
Pourquoi ne me suffit-il pas de ressentir que je suis vivante. Pourquoi la nécessité d’en écrire quelque chose ?
Et
Pourquoi certains écrits d’il y a mille ou deux cents ans nous touchent encore. Ils recèlent des fragments de ce que vivre et penser donnent à dire à l’humain ?

Écrire, c’est matérialiser par des traces sur un support : du papier, un écran ou un objet ce qui se déroule, ce que j’ai vécu, ce qui se dit dans ma tête.
J’écris ce que j’ai fait dans ma tête de la réalité dans laquelle j’étais prise, après coup.

 

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 juillet 2022

Jour 1

Les mots ne reviennent jamais tout à fait identiques. Une ou deux phrases se sont dessinées dans mon esprit, hier, avant-hier, je ne sais plus, des phrases à écrire, pas écrit de suite, pas le temps, pas le courage, ou il était tard, je me rappellerai les mots – les mots ne reviennent pas. Peut-être est-ce à les chercher qu’ils ne reviennent pas. Arrêter de chercher.
Tant de paroles. Tant d’écrits. À quoi reconnaître un « texte », une « écriture » ? Un de ces textes qu’on lit encore, un demi-millénaire plus tard. Qu’ont-ils de particulier, ces textes d’il y a mille ou deux cents ans, qui nous touchent encore ?
Et tout l’intérêt qu’un humain peut avoir pour des mots, pour des histoires. La soif de mots.

Si le corps n’est pas approvisionné en eau, son degré d’hydratation baisse et il meurt. Si l’humain n’est pas abreuvé de mots, que se passe-t-il ?

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 juin 2022

Qu’est-ce que ces mots qui viennent à l’esprit, se déroulent en phrases, viennent on ne sait d’où ? Et pourquoi l’inspiration se poursuit-elle plus fluide lorsque je fais glisser la plume sur le papier, plutôt que taper les lettres sur les touches du clavier ?

Qu’est-ce que l’inspiration ?
En un sens simplement une forme de symptôme, ou de manifestation de l’inconscient, manifestation des quelques mécanismes psychiques qui nous régissent à notre insu.
Les idées nouvelles et pertinentes naissent ainsi – les idées fausses, absurdes, délirantes… de même. Jusque dans les réflexions et recherches scientifiques, entre connaissances établies et données de l’expérience, l’articulation soudaine d’une hypothèse est de l’ordre de l’inspiration.
Donc de l’ordre d’une forme de symptôme, de l’ordre d’une manifestation des quelques mécanismes psychiques qui nous régissent à notre insu.

Par Cyrielle WEISGERBER   publié le 1 avril 2022

Nous essayons de saisir avec des mots, avec de la pensée, l’épaisseur – opaque boueuse gluante explosive lumineuse parfois – de ce que nous vivons. Nous alignons quelques mots : voici ce que j’ai vécu, voici ce que je vis.
Autant essayer de traduire Madame Bovary (version intégrale) en une série d’émoticônes.

Je me penche au bord des mots – sous mes pieds à l’intérieur de moi des abîmes d’épaisseur – vertige.
Comment parvenez-vous à rester arrimé-e aux mots ? À continuer à les aligner, à construire des discours, jusqu’à des « explications » de tout, et de l’humain, et de la vie, et de la parole ? Comment ? Que faites-vous des abîmes sans fond de l’épaisseur du vivant ?

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