Intervention de Guillaume Riedlin lors de la formation APERTURA « Mélancolie et Paranoïa » qui a eu lieu le 8 juin 2016.
Dans ce cycle de formation organisé par Apertura, il est question, à cette session, d’évoquer en particulier la paranoïa et la mélancolie. Mon intervention s’inscrit dans ce contexte et propose d’aborder la notion de mélancolie et ses rapports à la paranoïa autour d’un cas clinique dans un premier temps et, dans un deuxième temps, de proposer une réflexion personnelle sur ce que seraient des moments mélancoliques au sein d’une cure analytique.
La présentation a eu lieu le 29 juin 2020 à la Librairie Kléber (et en Facebook live), avec la présence de Jean-Richard Freymann, Marcel Ritter, Guillaume Riedlin et Cyrielle Weisgerber
GR : Bonjour à tous, on est heureux de se retrouver aujourd’hui à la Librairie Kléber pour discuter du dernier livre de Jean-Richard Freymann, Amour et Transfert, préfacé par Marcel Ritter. Je voudrais introduire les choses en commençant par parler du rapport à la transmission parce que nous avons ici deux personnages importants, deux psychanalystes importants, de la scène strasbourgeoise et française qui nous ont transmis ce que eux-mêmes avaient vécu autour de Jacques Lacan, Moustapha Safouan, Lucien Israël et, à travers eux, Sigmund Freud. Ce rapport à l’analyse, j’aime bien utiliser ce mot, c’est l’éthique du sujet, la liberté de chacun d’être au monde. Le discours analytique a parfois souffert à certaines époques où tout était bon à dire sous couvert de psychanalyse. Mais il y des gens qui ont continué à travailler, à remettre en cause la théorie, à amener les choses du côté de la clinique et du travail permanent.
JR : Cette forme de dialogue nous permet de photographier, pour ainsi dire, ce que nous faisons depuis des années. Il y a quelque chose d’important autour de la transmission intergénérationnelle, « ça se poursuit ». « Ça », c’est la question de l’inconscient. L’idée cartésienne est de tout reprendre. On reprend tout à partir de la question : « Qu’est-ce qu’on dirait si on redémarrait ? »
Relecture du numéro 6 (1972) de la Nouvelle revue de psychanalyse « Destins du cannibalisme » 1
Cannibalisme : action ou habitude pour les hommes ou les animaux de manger des êtres de leur propre espèce. (Dictionnaire Larousse en ligne)
D’un point de vue sociologique, le cannibalisme apparaît comme loin de nous, culturellement primitif peut-être même. Pourtant des traces de cannibalisme subsistent : l’anthropophagie comme moyen de survie, le fait d’avaler des liquides d’origine corporelle, l’anthropophagie criminelle, mais et surtout dans le discours sous forme de mythe, conte et trace. Le lien du cannibalisme avec l’oralité est évident dans sa forme d’incorporation, mais à travers cela, exprime quelque chose de la sexualité. Dans le numéro 6 de la Nouvelle revue de psychanalyse datant de 1972 et s’intitulant : « Destins du cannibalisme » plusieurs textes pourront servir de point de départ à une réflexion que nous amènerons sur le terrain du signifiant et de ce qu’il représente.
J. Lacan « l’inconscient c’est le social »
Avant de pouvoir bientôt tirer des enseignements de la période tout-à-fait singulière que nous sommes en train de vivre, il y aurait à envisager de se requestionner sur le cadre dans lequel, nous pourrions nous permettre d’y envisager d’en dire quelque chose. Nous, le pronom personnel, est déjà au niveau de ce que l’on va proposer de dire aujourd’hui, le on, s’y adjoint d’ailleurs. Pronom personnel pluriel, il est aussi, par une formule de politesse, un pronom personnel singulier, il y a là une ambiguïté grammaticale qui est proposée dans la langue même où l’on parle.
Au décours des entretiens et des patients rencontrés depuis que la pandémie fait rage, l’intrication je-nous n’a jamais était aussi prégnante dans le discours. Le Je renvoyant à la question du Nous, « suis-je le seul ? », « nous sommes tous touchés »… Etc. Ce repérage clinique n’est pas simplement à envisager du côté d’un moment « traumatique » qui brouillerait les pistes du discours, qu’est-ce à dire exactement d’ailleurs quand on parle de trauma ?
Premiers commentaires du livre de Jean-Richard Freymann, Amour et Transfert :
Amour, bande de Möbius, et transfert
Comme j’avais déjà pu l’envisager à la première lecture sérieuse du livre de Jean- Richard Freymann 1 et dans l’élaboration qui en avait été à l’origine dans son séminaire « amour et transfert », la question transférentielle et amoureuse est plus que jamais une question mœbienne. Qu’est-ce à dire ? Il s’agirait d’un lien, dont on est ni intérieur ni extérieur et qui n’aurait que le bord de ce qu’il met en place, au-delà de ce que pourrait être le bord d’une subjectivité propre.
Ce n’est pas simple de présenter les choses comme cela, puisque se pose directement alors la question du devenir de la subjectivité si les bords, la limite avec l’autre, ne sont pas garantis dans le transfert ? Eh bien, c’est justement la question de l’amour. En topologie, branche des mathématiques qui étudie les propriétés invariantes dans la déformation géométrique des objets, la bande de Möbius est une surface compacte dont le bord est homéomorphe à un cercle. De là à dire une alliance, il n’y aurait qu’un pas à faire devant l’autel.
« La relation éventuelle de la fonction respiratoire avec ce dont il s’agit, le moment fécond de la relation sexuelle, c’est que cette respiration, sous la forme du halètement paternel ou maternel, faisait bien partie de la première étiologie de la scène traumatique, au point d’entrer tout à fait légitimement dans la sphère de ce qui pouvait surgir pour l’enfant de la théorie sexuelle »
J. Lacan, L’angoisse, 1962-1963, Paris, Le Seuil.
De quoi sommes-nous l’objet ? De lecture ? De création ? De désir ? Puisse-t’on être un peu objet d’optimisme, de vie, du souffle de vie, du second souffle qu’il semble que le discours veuille nous proposer. Il pointe une odeur de renouveau dans l’ambiance actuelle entre respect et révolte. Ce discours ambiant nous place en position d’être son objet, qu’est-ce que cela signifie ?
À ne pas être sourd s’entend l’angoisse qui chauffe notre monde. Cette angoisse est le signe palpable de ce qui traverse chacun et tout le monde à la fois. S’y mélangent l’incertitude, l’insécurité sociale, l’insécurité médicale, la pandémie, la guerre, les élections et ses non-choix. Quelque chose s’impose à nous, nous étouffe, et le parlêtre quand il est livré à lui-même affleure au discours à la limite de lui-même.
Pour s’y retrouver il est possible de considérer le triptyque qui nous organise, chacun de nous : Corps-Moi-Sujet, c’est-à-dire, notre chair et la conscience qu’elle constitue une unité, le corps, notre histoire comme mythe individuel, le moi, et enfin le sujet de notre discours comme parlêtre, le sujet donc, et il apparaît que le parlêtre serait en quête de la limite de lui-même, de son corps, de son histoire.
Repenser l’amour aujourd’hui est-ce un anachronisme ? Le rapport entre l’amour et le transfert reste une des questions centrales de la psychanalyse qui concerne aussi bien sa pratique que sa théorie. Sait-on que c’est par le biais du transfert analytique que résident la plupart des guérisons psychiques ? En effet, continuer à vivre c’est souvent la gageure d’un transfert dont les composantes mettent en lumière, « mehr Licht », l’inconscient et les mécanismes psychiques.
Dans ce troisième volet de son triptyque clinique – après L’inconscient pour quoi faire ? (Arcanes-érès, 2018), Les mécanismes psychiques de l’insconscient (Arcanes-érès, 2019) –, Jean-Richard Freymann met en chantier les rapports entre les différentes formes de l’amour et les portées inouïes du transfert sur le plan thérapeutique et sur le plan analytique.
Dans le monde contemporain, la dialectique amour et transfert prend de nouvelles formes singulières. Que peut-on faire aujourd’hui de la bisexualité fondamentale de l’être parlant ? Et comment comprendre chez les « psys » cet amour des formes de transfert ?