« Nous entendons montrer en quoi l’impuissance à soutenir authentiquement une « praxis », se rabat comme il est en l’histoire des hommes communs, sur l’exercice d’un pouvoir »
J. Lacan, « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », 1958
À me proposer ainsi de relire un classique de Lacan – si l’on peut véritablement qualifier un texte de Lacan de « classique » – Jean-Richard Freymann, me permet entre plusieurs point d’entrées possibles ici, de tenter d’inscrire une lecture dans deux problématiques au travail dans les échanges et élaboration au sein de la Fedepsy et de l’Ecole psychanalytique de Strasbourg actuellement : celle de l’élaboration des paramètres de la consultation médicale, de manière générale et plus large, et celle plus spécifique à la pratique, d’élaborer un peu comment se décline l’ « être psychanalyste aujourd’hui », en rapport à une nouvelle génération d’analystes. Dans le même mouvement d’actualisation, en fond – à la place du mort du bridge, dont nous allons parler ici, se tient l’énigme des fins d’analyse, là où pour la psychanalyse depuis les premières divergences sur la fin de l’analyse, entre Freud et Ferenczi, finalité et terminaison sont liées, déterminent et étayent le désir de l’analyste.
Le terme « cabinet » vient du mot cabine (1491), et désigne en premier lieu, une chambre retirée dépendant d’une plus grande.
Quelque chose comme une petite pièce à part, abri, refuge, lieu d’étude.
D’abord cela. Après quoi l’Histoire ira bon train, avec les cabinets de travail et d’études, le cabinet de lecture, le cabinet noir espion pour le gouvernement, mais au départ une pièce sans fenêtre et sans lumière, où l’on enfermait les enfants pour les punir, les cabinets d’aisances ou de toilettes, le cabinet médical, le cabinet de curiosités prélevant des objets incongrus et inclassables, produit par l’improbable fabrique de la nature et de la culture.
L’écho de l’immémorial (Lacoue-Lacan), Bernard BAAS, éd. Herrmann, Paris, 2016.
Le dernier ouvrage de Bernard Baas évoque ce double mouvement singulier, bien connu des cures analytiques, où remonter vers un originaire, quand bien même le découvre-t- on et l’expérimente-t-on comme inéluctablement insaisissable, revient à avancer, notamment ici dans l’élucidation d’un champ de travail fertile entre philosophie et psychanalyse, mais aussi à produire un discours nouveau, du moins ici de nouvelles perspectives : j’espère pouvoir restituer quelque chose de ce qui travaille là de la philosophie à la psychanalyse et comment, de cela, émerge une réouverture de la question pulsionnelle, et notamment des rapports « inframinces »1, entre le désir et la pulsion.
En guise de rapport à l’originaire, il ne s’agit pas ici directement d’élaborer les symptômes de l’insupportable d’une perte, ni d’aller débusquer la fonction de voile du mythe, mais plutôt de mettre à jour les effets et la productivité d’un paradoxe, le paradoxe de l’immémorial, formulé ainsi, de manière telle que le motif de l’« écho » prend déjà tout son sens problématique : « Résumé au plus court, le paradoxe affirme que l’origine n’advient que dans sa répétition ; c’est aussi bien dire que l’origine n’a pas eu lieu. Ou encore que c’est la perte qui est originaire, sans rien qui soit perdu ».
Le genre de texte qui peut mettre l’ambiance, entre rire et rogne. Entre un Freud assez brut et un Freud bluffant qui coiffe notre époque au poteau. Un côté « grande tripière » d’habitude attribué à Mélanie Klein.
Est-ce bien raisonnable me dira-t-on en ces temps de sidération tous azimuts, de torpeur sociale, de malaise de la civilisation, et de bascule guerrière, de déterrer ces quelques lièvres, ces quelques marottes à première lecture un peu datées pour nous, alliant considérations anthropologiques d’avant Lévi-Strauss et pragmatisme clinique un peu brut de décoffrage ? N’est-ce pas mettre le feu aux poudres ?
Je crois que les poudres n’ont pas attendu pour prendre feu, sur fond de coups de boutoir sociaux-politiques, et que, au contraire, il faut pouvoir nommer les préjugés, les croyances immatures et la trame archaïque. C’est bien la maxime freudienne reprise à l’Enéide de Virgile : « Si je ne peux fléchir les Dieux d’en haut, je remuerai les Enfers »
« La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres. »[2]
C’est souvent la surprise qui laisse les marques les plus profondes. Que ce soit la marque au fer rouge du traumatisme. Ou la marque inattendue d’une lecture, tout à coup, qui vient introduire un nouveau monde, une voix nouvelle dans le familier intérieur. Un de ces livres que l’on a choisi distraitement, dans les errances un peu vagues en librairie au seuil de l’été – tout ce que l’on pas vu passer cette année, en quête si possible de quelque chose de léger, qui vienne trouer de fraîcheur le plomb caniculaire, trouer le plein de vide propre à cette époque pourtant serrée de près par la guerre et la catastrophe. Et si possible alors, relever un peu l’insistance du motif des violences, à nombreux endroits de ma pratique, sans s’endormir sur le pire, sinon à prendre les armes, du moins à produire, « (se) donner des armes », et ce que cela signifie et lesquelles, n’est-ce pas une question qui nous engage comme citoyens, mais aussi comme analystes, et comment ?
« Hélas ! En quelle terre encore ai-je échoué ?
Vais-je trouver des brutes, des sauvages sans justice
ou des hommes hospitaliers craignant les dieux ? »
Homère, Odyssée
Betty Milan écrivain, psychanalyste, fut une analysante de Lacan dans les années soixante-dix, entre 1973 et 1977. Il s’agissait pour elle, lui retourne Lacan au seuil de l’analyse, de « découvrir l’Amérique ».
Dès l’abord elle annonce d’où cela se trame dans l’espace et le temps : « Quarante ans plus tard, j’ai eu envie de revenir sur ce qui s’était passé au 5 rue de Lille, où, entre autres choses, j’avais appris à privilégier le moment opportun ».[2]
Le terme « cabinet » vient du mot cabine (1491), et désigne en premier lieu, une chambre retirée dépendant d’une plus grande.
Quelque chose comme une petite pièce à part, abri, refuge, lieu d’étude.
D’abord cela. Après quoi l’Histoire ira bon train, avec les cabinets de travail et d’études, le cabinet de lecture, le cabinet noir espion pour le gouvernement, mais au départ une pièce sans fenêtre et sans lumière, où l’on enfermait les enfants pour les punir, les cabinets d’aisances ou de toilettes, le cabinet médical, le cabinet de curiosités prélevant des objets incongrus et inclassables, produits par l’improbable fabrique de la nature et de la culture.
Cabinet particulier, réservé, intime, il y a là cette idée de retrait, préservé, de s’extraire du rythme, du regard public, des « lieux communs », aussi.
Echos et prolongements au texte de Martin Roth, « propositions actuelles et inactuelles à l’orée de 2022 »
« Faire écho », donc et plutôt « faire court », aussi. Un « court écho » n’est pas une mince affaire…
Echos
Mais allons-y. Ne serait-ce que pour faire résonner d’emblée cette première formulation « la demande est la partie dicible de la métamorphose d’un désir empêché ». Pas mal, non ? La faire ressortir pour la prolonger et avec elle, ce trait d’un « bien dire », qui soutient le texte de Martin et cette contribution à la transmission de l’expérience analytique, son frayage dans un contexte actuel parfois hostile, souvent encombré, ou comme il le dit, annoncé bouché, fini, incertain. A ce titre, il témoigne là d’une forme de tranquillité sur le devenir de l’analyse en tous les cas, « tant qu’il y aura des analystes » et sans rien perdre de lâcher sur la parure classique de la névrose et de la demande : tant qu’il y aura des analystes en mouvement, capables peut-être de s’assurer à l’inaliénable et au propre de leur champ et de leur objet pour supporter le deuil d’un âge d’or révolu, la nouvelle donne de la transmission, pour se cogner aussi parfois, certains règlements de compte, dévoiements, certains désirs d’effacement ou d’éradication de la psychanalyse dans l’air et les miasmes du temps.