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Hommage à Jean-Jacques Beineix

par Hervé GISIE, février 2022

Jean-Jacques Beineix, cinéaste populaire, atypique, indépendant et marginal, est mort le 13 janvier dernier à l’âge de 75 ans. Né à Paris le 8 octobre 1946, il s’est éteint à son domicile parisien des suites d’une longue maladie.

Après son bac philo au lycée Condorcet, il entame des études de médecine mais sans les finir. Il tente alors de passer le concours de la prestigieuse école de cinéma, l’IDHEC, qu’il rate de peu, et réalise des spots publicitaires mais renonce, parce que « c’est bien de mettre son talent au service de causes », mais la publicité, « ce n’était pas des causes. » Il apprit, par la suite, les rudiments de son art en tant qu’assistant réalisateur sous la férule de cinéastes exerçant dans des registres les plus divers (Jacques Becker, Nadine Trintignant, Claude Zidi, Claude Berri…).

Lui qui pensait qu’il y a un danger dans le succès et s’en méfiait, sa carrière cinématographique fut à l’image d’un feu d’artifice, flamboyant et éphémère. Il compte six long-métrages à son actif. En 1981, à 35 ans, Beineix sort son premier film, Diva, qui révéla Richard Bohringer et Gérard Darmon et connut un succès public après avoir reçu quatre récompenses aux Césars. Suivit un deuxième, La lune dans le caniveau (1983), avec Gérard Depardieu, Nastassia Kinski et Victoria Abril, dont il se souvient surtout avoir été assassiné par la critique et insulté à Cannes. Puis un troisième, 37°2 le matin, en 1986, où il connaît la consécration et qui devint un film culte des années 80 en mettant en scène une histoire d’amour destructrice et de folie qui révéla aux yeux du public une jeune actrice inconnue, Béatrice Dalle, jouant aux côtés de Jean-Hughes Anglade.

Par la suite, sa carrière ne connaîtra plus jamais les mêmes sommets commerciaux et les films suivants se soldent par des échecs : Roselyne et les lions (1989) avec Isabelle Pasco et IP5– l’île aux pachydermes (1992) qu’il considérait comme son « meilleur », et le dernier d’Yves Montand, mort à la fin du tournage. Puis, à la suite d’« une chute de désir pour faire des films » et au décès de sa mère, plus rien, pendant 9 ans, jusqu’à Mortel transfert (2001), un « thriller psychanalytique » comme il aimait à le répéter, qui est en France un désastre commercial et un gouffre financier qui finit par le ruiner. Ce dernier long-métrage tout en second degré dans l’esprit de son réalisateur a cependant beaucoup plu en Russie et aux États-Unis où le public a beaucoup ri affirmait Beineix, regrettant qu’au pays de Lacan, on n’ait pas fait preuve du même sens de l’humour.

Préférant se consacrer à d’autres activités, il ne tournera plus que des documentaires (Les enfants de Roumanie, Assigné à résidence, Place Clichy sans complexes, Otaku : fils de l’empire du virtuel, Loft Paradoxe, Les Gaulois au-delà du mythe) sous la bannière de sa société de production indépendante, Cargo Films. Peintre et pianiste à ses heures, il fera encore une incursion remarquée au théâtre en signant une pièce sur Kiki de Montparnasse en 2015 et se tournera vers la littérature avec son très réussi premier roman, Toboggan (2020) : « Le roman, c’est le seul endroit de liberté qui me reste », confiait-il.

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En 2002, Marc Morali et moi-même, avions profité de la toute récente sortie de Mortel transfert pour aller interviewer Jean-Jacques Beineix dans ses locaux à Paris. Nous lui avions demandé ce qu’était pour lui la fonction du cinéma, d’une image, d’un film... Nous l’avions encore interrogé au sujet du rapport de l’art et du commerce et de la société de consommation, sur le statut de la création artistique et de l’œuvre d’art, sur son rapport à la psychanalyse car il avait repris une cure analytique…

Il nous avait beaucoup parlé de temps, de rythme, de désir, de l’inconscient mais aussi de son rapport à la mort et à la pulsion. Nous étions encore revenus longuement sur son premier film, Diva, qui n’avait finalement qu’un seul personnage principal : la voix…

En republiant ici l’intégralité du texte de l’interview paru dans le numéro 17 de la revue Apertura, nous voulons rendre un dernier hommage à cet artiste farouchement attaché à son indépendance pour garantir sa liberté créatrice et qui nous confiait tout à la fin de l’entretien : « Je ne peux concevoir que l’on nie la psychanalyse. C’est un déni d’humanité, un déni de vérité. »

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