13 avril 2020
Il peut y avoir fort à penser du fait de ces circonstances exceptionnelles de confinement ; on observe en premier lieu les effets sur la pensée quand nous sommes face à la maladie et la mort, et les effets sur la pensée de ces restrictions auxquelles nous sommes tenus de nous soumettre. Changement de cadre, cadre de vie, cadre de travail. Limitations à nos mouvements et à nos échanges habituels. Émergence de nouveaux rituels, à nos fenêtres… de nouvelles habitudes, pour notre quotidien… de nouvelles modalités, pour notre pratique.
Il en faut des jours pour se faire à l’idée que ce que nous vivons est bien « réel », pour en prendre la mesure, pour ne pas avoir à se refaire à l’idée, chaque matin au réveil, et pour adapter nos conduites… à ce qui surgit là, on se heurte et on s’y fait avoir ;
À ce qui surgit là, n’essaie-t-on pas aussi de s’en déprendre, pas vraiment seul, avec quelques-uns, avec les truchements des liens sociaux ?
Très vite, un nouveau rituel émerge, avec les applaudissements aux fenêtres à 20h. Les fenêtres s’ouvrent sur des familles que nous ne côtoyons pas ordinairement, sur des personnes discrètes, âgées parfois ; au fil des jours se joignent de nouvelles personnes à ce nouveau rituel, dont le sens, les sens, l’essence, se décline au pluriel au fil du temps et dépasse amplement le soutien aux soignants ;
Plus vite encore, facilités par les outils numériques dont nous disposons majoritairement, des messages humoristiques émergent et diffusent, des écrits, des croquis, nombreux, parfois d’un humour fort bien trouvé, l’humour comme témoin de l’élan vital face à l’angoisse de mort… l’écrit pour soutenir le mouvement d’humanisation. Un étudiant en médecine s’y prête aussi et sa lettre paraît sur le site de l’Obs1, il témoigne de sa place, de son vécu au cœur de l’hôpital, auprès des soignants, auprès de ceux qui l’enseignent, auprès des soignés, fenêtre ouverte sur l’hôpital, fenêtre ouverte sur l’humanité ; humanisation face aux chiffres égrenés quotidiennement ;
Le clinicien s’interroge. Dans le flot quotidien des nouvelles effrayantes et difficiles à intégrer, qu’en est-il du travail du rêve ? Le travail du rêve est-il préservé ou entravé ? … comment le sujet se débrouille-t-il avec ce contexte ? en fonction de sa structure, en fonction de ce qu’il a pu établir comme lien à l’autre, à l’Autre, en fonction de l’existence préalable d’un lien transférentiel ?… quel effet sur la subjectivité pour le petit enfant, selon le moment où son quotidien et le discours de ceux qui l’entourent sont modifiés, selon l’inventivité ou la détresse de son entourage ?... quels détours prendra le travail du deuil pour ceux qui n’auront pu accompagner leur proche dans les derniers instants, quand les veillées, les préparatifs, les rites funéraires sont escamotés et n’accompagnent plus la séparation du corps et de la mémoire du disparu, n’apprêtent plus l’abandon de la dépouille à l’inhumation… qu’en sera-t- il du lien social ? Les modalités du lien social connaîtront-elles de nouvelles mutations ?
Ces questions nous mettent au travail et des pistes de réflexion peuvent déjà s’esquisser mais…
On ne le répétera jamais assez, si l’inconscient est a-temporel, il faut laisser à chacun son temps psychique, tenir compte du temps psychique… et dès à présent être à l’écoute et manifester sa présence et les possibilités de la continuation du lien, téléphoniquement, en visio, épistolairement et parfois même encore, selon les nécessités, en présence « présentielle » toute précaution prise. Nos patients – nos analysants – il me semble, ne s’y trompent pas, lorsqu’ils nous disent la forme qu’ils choisissent, si tant est que nous les proposions et les acceptions, sans pour autant nous faire l’économie de la réflexion à mener des effets des modifications du cadre de la cure, réflexion que Marcel Ritter a déjà introduite2
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1 « Ce message est pour tous mes patients mourants ou seuls » www.nouvelobs.com, 6 avril 2020
2 Marcel Ritter, En ce temps de confinement, Éphéméride 1, Fedepsy, 5 avril 2020