Lire puis écrire pour maintenir la pensée qui s’estompe sans rencontre, voilà une proposition qui me réveille.
Le texte de Martin Roth (éphéméride 2) réactive l’importance des mythes comme celui de Jennifer Griffith qui me fait sortir de la bibliothèque les merveilleux classiques, les œuvres culturelles en général.
Thierry Vincent parle d’humour comme antidote.
Justement, le confinement m’autorise à perdre mon temps avec délectation et je regarde des films à la maison.
Avoir beaucoup de temps pour le gaspiller sans honte, c’est un rêve qui se réalise en ce moment.
Un film de Nanni Moretti est ce qu’il y a de mieux. Sa solution existentielle en temps de crise, bonne pour la santé, propose la folie douce, les jeux de société, les cartes et les jeux de ballon.
Tous les ingrédients de la crise que nous vivons se trouvent dans le film : « Habemus Papam».
Les cardinaux se réunissent en conclave pour élire leur nouveau pape (confinement sans limite précise), un événement imprévu et traumatisant bloque le déroulement : le nouveau pape élu
« déconne grave » : il est sidéré, incapable de se montrer à la foule à la fenêtre du Vatican (notre blocage « économique »). Une grande agitation pour sortir de l’impasse se met en place : le majordome en chef invente des stratagèmes pour sortir le pape de sa torpeur (nos hôpitaux en bien plus grave). Les mensonges, les annonces informatives des journaux contradictoires et fantaisistes, la foule qui attend une réponse et surtout nous, les psy qu’on appelle quand il n’y a plus de solutions, se retrouvent dans le film.
Je choisis d’en rire, dans le film, la réalité, c’est plus difficile.
Devant la stupeur, l’improbable, le choc, le majordome fait entrer un psychanalyste dans le conclave, il est sommé de trouver une solution pour réveiller le nouveau Pape.
Celui-ci ne s’attendait pas à son élection, il est l’outsider de service, les cardinaux ne parvenant pas à départager les prétendants compétents. Ce nouveau Pape accepte la fonction dans un état d’hypnose, d’irréalité mais il déclenche une crise bruyante suivie de torpeur quand il s’agit de se présenter à la fenêtre du Vatican pour saluer les fidèles.
Ce qui déclenche un embarras général…
Rien ne semble aider le nouvel élu. L’isolement, les belles paroles la compréhension sont voués à l’échec.
C’est là qu’on appelle le psychanalyste le plus réputé de Rome.
Coincés et sans croire à l’inconscient, le grand organisateur du conclave est allé chercher le psychanalyste qui lui ne croit pas à la Religion.
Complètement hors cadre, il doit se débrouiller. Il est actif, ce psychanalyste essayant de démontrer que la Bible parle bien de la dépression, en conseillant les cardinaux sur leur prise de médicaments et en organisant un tournoi de volley-ball pour patienter plus joyeusement entre les jeux de société.
Michel Piccoli joue admirablement bien ce Pape désorienté, sur son trône, face au psy et entouré des cardinaux qui attendent un miracle. Les cardinaux sont très tolérants mais il y a des sujets à ne pas aborder qui sont ceux justement de la parole en analyse.
Le majordome fait croire au repos du Pape en plaçant un garde suisse qui agite le rideau de la chambre de temps en temps et emmène le prélat chez une psychanalyste en ville qui se trouve être l’épouse du premier psy. Essayons donc une femme si un homme ne convient pas.
Le Pape parle un peu plus, seul, face à elle dans le cabinet et elle lui livre l’interprétation miracle, celle qu’elle sert à tout le Monde. Il s’en saisit et ça fonctionne... un peu. Il s’échappe, incognito, se perd dans la ville revient au Vatican avec le courage de déclarer à la foule, à la fenêtre que bien que Dieu l’ait choisi, il n’est pas fait pour la fonction. Dieu s’est trompé.
Le film permettrait de nombreux sujets de réflexion et de thèmes à débattre, d’associations à laisser venir (en vrai ce serait tellement bien…).
C’est le rôle assigné aux psychanalystes qui m’a beaucoup amusée.
Quand même Dieu ne parvient pas à résoudre un problème, quand il se trompe, c’est aux psy qu’on fait appel.
Dans les contes de fées, les histoires pour enfants, on trouve toujours une sorcière, un devin, un druide, une potion magique, un livre venu des temps anciens ancien pour aider le héros à résoudre le problème.
Je me vois, dans ma fonction de psychologue en milieu scolaire appelée à venir d’urgence dans le bureau de la directrice parce qu’un élève en crise bruyante et agressive se tape la tête contre les murs. C’était un enfant censé avoir 8 ans, tout frais venu d’un orphelinat de l’Est, accueilli dans une famille anglophone habitant en France et n’ayant jamais été scolarisé ou presque.
Je devais agir. Quoi ? Pas de formule magique, pas de gestes calmants, rien… Une collègue intéressée par la Psychologie l’a empoigné et a exercé « la contention ». L’enfant a apprécié le contact du corps féminin et s’est effectivement calmé. La méthode ne correspondait pas à mon éthique, ni à mon habitude, ni à mon envie d’ailleurs. Elle n’a pas été longtemps répétée.
J’ai pensé que j’allais décevoir. Mais pas du tout, même si mon Art ne s’est pas révélé efficient, je n’ai pas perdu ma place.
Le risque est grand d’essayer n’importe quoi ou de dire n’importe quoi, surtout si ce n’importe quoi réussit.
Une autre situation où j’entendais une jeune mère épuisée par le manque de sommeil me supplier de déclamer une formule magique à son enfant pour qu’il se décide à dormir en même temps que tout le monde. Elle avait beaucoup lu les psychologues et des histoires de « guérisons » ou un professionnel de l’âme avait « trouvé les mots » à dire : Abracadabra.
Je pensais qu’elle ne reviendrait pas puisque je lui avais humblement avoué que, bien que rémunérée pour mon travail, je n’avais pas ce qu’elle attendait. Elle est revenue.
Nous, les psy, sont les accompagnants des crises, les copains de l’impensable, de l’insoluble, on est toujours là.
Si ça tourne mal, comme la méchante fée sur le berceau de la Belle au Bois dormant, les mauvaises paroles sont venues de notre bouche. Si ça va mieux, ce sera, après un long moment ce sera grâce au prince charmant.
Si ça tourne bien, nous sommes comme Merlin l’Enchanteur et on pourra l’écrire dans un manuel de psychologie clinique.
Il n’y a pas d’autre place pour nous que celle de l’absurdité. Continuer quand même, être noyé avec les autres, avec tous.
La mort est absurde, profondément injuste, impensable, ça fait mal de voir mourir et de
mourir.
Notre simple présence absorbe l’angoisse, on est là.
Freud (Malaise dans la civilisation. PUF) : « En fixant de force ses adeptes à un infantilisme psychique et en leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à quantité d’êtres humains une névrose individuelle mais c’est à peu près tout … La religion elle- même peut ne pas tenir sa promesse. Quand le croyant se voit en définitive contraint d’évoquer les
« voies insondables de Dieu », il avoue implicitement que, dans sa souffrance, il ne lui reste, en guise de dernières et unique consolation et joie, qu’à se soumettre sans condition ».
On pourrait penser qu’actuellement on nous appelle quand Dieu se révèle inefficace… Quel
défi !
Freud ajoute pour terminer le chapitre : « Et s’il est prêt à la faire, il aurait pu sans doute
s’épargner ce détour ».
Avant ou après le détour (par toute sorte de Dieux) nous sommes là…