« Savoir clinique », « savoir sur la clinique », « savoir entendre la clinique » ?... comment faudrait-il dire ?
Quelque chose a à voir avec du savoir, dans le rapport à la clinique. Et ne s’y résume pas. Je proposais la semaine passée : « entre poésie et savoir ? »1
Si je m’avance un peu du côté du savoir, malgré toutes les précautions qu’il me faut prendre de ce côté-là – attention ! le savoir peut se transformer en discours sclérosé sclérosant, pétrifié pétrifiant….
Si je m’avance un peu, au bord du précipice, que pourrais-je en dire ?...
Il y a du savoir-entendre, du « savoir-permettre-de-parler » aussi, de la technè. C’est toute une affaire, que d’accéder à la possibilité de parler et n’être pas seulement le jouet des discours, et jusqu’au jouet de sa propre parole.
Et tout de même il est besoin, me semble-t-il, de quelque chose comme une cartographie : nous avons « besoin » d’avoir idée de ce que sont les mécanismes psychiques, de ce qu’il peut surgir lorsque parle un être humain. À ceci près que notre « savoir » ne serait pas une carte, mais une idée de carte, ou une trame de carte : la carte n’est pas dessinée, ce que nous savons à peu près c’est comment dessiner une carte. Puis c’est à entendre l’analysant, à lui permettre de parler, à lui permettre d’abord d’apprendre à parler puis à l’écouter et à l’entendre, que se dessine la carte.
Ce que nous « savons », c’est la diversité des reliefs que nous pouvons découvrir : plaines, montagnes, abîmes, océans, rivières, collines, canyons, jardins à la française, oasis, champs gigantesques, îles, lagons, falaises, plages, jardins japonais – en ces temps de non- voyage je me laisse aller au plaisir de l’évocation des mots… – sources, cascades, fleuves… Et nous savons que la parole de l’analysant peut nous découvrir des reliefs encore insoupçonnés, peut inventer des reliefs encore inédits, inexistants, des cascades tombant à gros bouillons vers le ciel, des plaines verticales, de petits recoins dissimulés, de petites pierres minutieusement sculptées, des reliefs que nous ne connaissions pas. À l’entendre nous dessinons, sans crayon sans encre sans papier, cela se dessine quelque part.
Il serait tentant, à cet endroit, de penser qu’une cure vise alors à établir la carte la plus complète, la plus détaillée, la mieux dessinée : écueil ! La carte se chiffonne et se jette à mesure. Une cure, ce serait plutôt qu’à dessiner la carte, les reliefs se modifient quelque peu. L’analysant chemine, l’analysant voyage, dans les reliefs quelque peu modifiés, pacifiés apaisés viabilisés il trace son chemin, il existe, un peu… Il y danse plutôt que s’y ensable- enlise, il s’envole plutôt que se noie.
Il y a tout de même un paradoxe, ou un paradoxe apparent du moins. Diversité infinie et singularité absolue des reliefs : aucune carte (tracée chiffonnée abandonnée dans l’eau du ruisseau), aucune carte ne ressemble à une autre. Pourtant, à entendre les analysants, à s’entendre soi-même – l’analyste ne s’exclut en rien de ce qu’il peut dire de la clinique, peut- être même ne peut-il que partir de sa propre clinique, de ses propres paysages pour aller à la découverte des autres – quelques traits essentiels finissent par se graver sur la table, à force de dessiner les cartes, ou se graver sur le sable, jusqu’à la prochaine vague. Traits essentiels qui ne sont pas pour autant traits communs.
À quoi cela tient-il, une psyché, les mécanismes singuliers d’une psyché ? Peu de chose, quelques « peu de chose », choses de peu – Lacan nous aide à le saisir avec ses petites lettres, pseudo-mathèmes mais aussi choses de peu : un montage baroque de S Barré, a, phi, A barré, i(a), m, I, voici une psyché… Articulez-la comme vous pouvez à la masse de tripes et de chair qu’est un corps.
Qu’il s’agisse de « peu de chose » n’est pas jugement de valeur. D’un certain arrangement des petites lettres naissent les horreurs tout autant que les « merveilles » de l’humain, rencontres et poésie.
Les conditions quasi-expérimentales du confinement éclairent ces quelques arrimages psychiques d’une lumière crue et brutale : on efface les contraintes du travail (disparition d’une incarnation du surmoi…), que se passe-t-il ?
On remet en place le travail mais aucune activité ou rencontre « sociale » possible (invalidation des mécanismes d’identification réciproque, vacance temporelle qui ouvre le gouffre de la question du sens…), que se passe-t-il ?...
Les objets, qui nous ont été mis à portée de clic (la livraison en 24 à 48 heures est devenue référence), ne sont pas disponibles (rayons de supermarché vides, délais d’expédition et de livraison de commandes supérieurs à deux semaines, quelle catastrophe ! – même des robes, pensez-vous, quoique certains vêtements ou produits de luxe sont livrables bien plus rapidement que l’huile d’olive bio et les graines à germer, allez comprendre...), les objets ne sont pas immédiatement disponibles, que se passe-t-il ?..
À suivre la semaine prochaine, à moins que l’inspiration ne me mène ailleurs : quelques traits gravés sur le sable ?...
1 Improvisation libre – et préliminaire – sur un « savoir clinique », dans l’Éphéméride 3.