Voir tous les articles de ÉPHÉMÉRIDE

Du Covid au transfert de travail

par Alain Casse, 7 Mai 2020

Une étude BVA-Gallup International de 2011 avait classé la France parmi les pays les plus pessimistes du monde, juste devant l’Irak et l’Afghanistan ! Ainsi, avant même d’atteindre le pic de l’épidémie de Covid-19, de violentes critiques se sont élevées pour attaquer le gouvernement, l’administration et l’organisation du système hospitalier. Il y a eu des manifestations spontanées primesautières et imprudentes, par exemple le dernier soir avant le confinement beaucoup d’entre nous sont allés faire la fête. Dernière occasion avant longtemps ? On risquait de profiter aussi de cette grande occasion de contagion en masse. Deux discours différents et opposés. Pourtant, vu de l’étranger, la France est citée en exemple. Encore un troisième discours. Ces discours flottent en fragments clivés et isolés. Ceci se passe. La psychanalyse, sa pratique, sa transmission restent-elles à l’abri ? Comment les protéger ?

Sur le programme de France Culture de ce jour, 03 mai 2020, on peut lire ces quelques mots de Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, qui embrassent le problème : « On voit très bien une scission entre la théorisation, la capacité de verbalisation, même de la pire des catastrophes, comme si c'était sur une sorte de route parallèle, et puis, de l'autre côté, ce qui est véritablement attrapé, digéré, émotionnellement par le cerveau et qui renvoie à un vécu. Et en fait, le passage de l'un à l'autre n'est pas du tout évident, parce que, ce que nous pouvons théoriser, nous ne voulons pas nécessairement le digérer émotionnellement. »

Dans les familles règne l’ordre familial, son calme en surface, ou ses explosions de batailles jouissives. Les deux recouvrent et dissimulent les turbulences qui suivent les effets de mythes, fantasmes et traumas, ces armatures qui fondent et solidifient en sous-sol cet ordre familial.

L’ordre familial est en priorité ce qui se transmet. Les fixations, les résistances prennent de là leur efficacité. C’est de ça qu’il faudra s’affranchir, par l’effet du transfert et de son interprétation. Cette question est cruciale, on la retrouve dans le champ psychanalytique, comme l’écrit Jean Richard Freymann dans Amour et transfert1, à propos de Lucien Israël, « la transmission de ses apports n’a pas été facile, je me suis trouvé dans une situation de grande frérocité ».

« Les enjeux groupaux ne sont ni moins ni plus que ce que Lacan nomme les complexes familiaux. Mon expérience d’une quarantaine d’années avec des groupes me permet de dire que plus un groupe travaille ensemble plus il ressemble à un groupe familier voire familial. » écrit Liliane Goldsztaub2 à propos de son exercice de direction de psychodrame psychanalytique.

Peut-on considérer les écoles psychanalytiques comme des groupes qui pourraient engendrer le même genre d’effets ? Elles semblent parfois parcourues de séismes qui y font penser. « Pour ce qui concerne les masses qui infiltrent le groupe, dans la mesure où le cadre n’a pas été pensé, où la visée des processus n’a pas été pensée, chacun infiltre le groupe pour y amener sa propre idéologie. » (Liliane Goldsztaub3). On ne pourrait pas arrêter le cheminement psychanalytique à la cure, ou à l’enseignement, ou à la supervision, il faudrait le poursuivre porté plus loin par un « transfert différent », c’est ce qui a été proposé sous le terme de « Transfert de travail ».

C’est une invention qui a émergé dans différentes écoles et sociétés psychanalytiques, autour des années 1996. Cette date est celle de la publication de « Transfert imaginaire et transfert de travail »4 qui de mon point de vue rassemble des élaborations pertinentes à ce propos.

Je dois souligner pour conclure que ce concept de « transfert de travail » prend son origine dans une notation de Jacques Lacan. Notation brève, elle n’a plus guère été déployée depuis l’époque des travaux cités.

Ce que j’ai inscrit ici est bref, c’est une interrogation, je vous invite à aller visiter les travaux cités. Je vous enverrai quelques précisions sur ce « transfert de travail » à la prochaine éphéméride.

1 J.R. Freymann, Amour et transfert, Arcanes-érès, 2020, p. 76.

2 Op. cit., p. 126.

3 Op. cit.

4 Patrick de Neuter, Le Bulletin Freudien n°28, Août 1996.

Suivez-nous sur les réseaux sociaux