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Le déconfinement ou « La clinique est pleine de surprise ! »

par Jean-Richard Freymann, 14 Mai 2020
  1. « Surprises du déconfinement »

Autant le confinement prolongé a provoqué des manifestations de lassitude et d’agressivité, autant le retour vers le « déconfinement » replonge vers les ressorts de l’angoisse.

Quels sont ces paradoxes ?

L’humain s’habitue à presque tout, sauf à l’irruption du changement. L’être parlant se ritualise dans des aberrations dont il perd souvent les raisons. Essayez chez vos proches de toucher à leurs petites habitudes, vous m’en direz des nouvelles !

La question freudienne (modèle 2e topique) serait de se demander s’il s’agit là de la mise en jeu de « l’automatisme de répétition » ou « des pulsions d’auto-conservation » ? Freud en donne plusieurs réponses dans un texte intitulé « Au-delà du principe de plaisir1 ». En termes lacaniens on pourrait risquer : Comment se priver des jouissances de la répétition ? J’ai eu quelques surprises concernant les modifications des édifices techniques de ma pratique de l’inconscient. En fixant une date – avec quelque fierté ! – de reprise des consultations « présentielles », grande a été ma surprise en entendant quelques patients me dire qu’ils préféreraient poursuivre en « téléconsultation ». Surprise ? Et pourtant Marcel Ritter et Cyrielle Weisgerber nous ont bien montré les fonctions de la présence dans les précédents « Éphémérides ». Je dirais plutôt que la plupart des gens ne supportent pas l’anticipation du changement, même si par la suite les choses se passent fort bien.

Quant à la question de la reprise des écoles, je n’oserais certainement pas affirmer que sous prétexte (justifié) d’impréparation, les adultes se cachent derrière les enfants pour dissimuler (enfouir, occulter ?) leurs angoisses et leurs peurs (le nuage du virus n’ayant pas encore quitté les lieux).

Quels que soient les mensonges des gouvernants, nous voudrions pointer la question des nominations qui renvoient aux questions fondamentales et la « métaphore paternelle2 », de l’affirmation et du « Nom-du-père » ? Qu’est-ce à dire ?

Dans le quaternaire œdipien (mère-père-enfant-phallus), d’après Lacan la mobilisation se fait en différents temps et cela a de l’effet sur la constitution de l’enfant. Quel rapport ?

En affirmant une date de déconfinement, quelque chose se produit dans la psychologie collective.

Mais encore ?

Quelque chose va s’arrêter dans le glissement du langage ; on va introduire une pause ou un silence (comme on dit en musique) avec tous les effets d’anticipation et d’anxiété personnelle. Que la date soit justifiée ou non, on introduit une coupure riche d’effets défensifs, inhibiteurs ou favorisants.

Cela renvoie à la notion de scansion, d’intervention « paternelle », d’effets métaphoriques face au glissement métonymique.

Qu’est-ce à dire ?

Qu’après une logique de l’effroi (Schreck), on tente de rétablir un changement de portée. Il est trop tôt pour dire à quelle nouvelle mythologie nous avons à faire. Quelque part on réindividualise les décisions. Aux décisions prises par les gouvernements, chacun est contraint de se situer.

Ce qui va aussi dans le sens de la « redialectualisation » entre l’administratif et le médical3. Au même titre que l’épidémie a redonné du pouvoir au discours médical par rapport au discours administratif souvent Kafkaïen.

L’arrêt du confinement réintroduit l’individu dans des choix particuliers où se repose la question de l’engagement personnel.

J’entends les plaintes des petits-enfants qui eux cherchent leurs copains et copines...

Alors attendons la créativité de tous les enseignants.

À quelle analogie est-ce que je me réfère concernant la nomination d’une date, au

« NON » d’un discours paternel ? Qu’est-ce à dire ?

Nous avons à tenir compte pleinement des modifications des formes de la famille4 pour le bien-être de l’enfant. Il faut au moins qu’il découvre deux types de discours (maternel et paternel par exemple), autrement dit une forme de conflictualité, peu importe les costumes donnés à cette conflictualité. Faute de quoi, nous retombons sur la primitivité spéculaire de la relation leader-enfant, qui se rapproche de la logique du clone5. Contrairement aux idées répandues, les enfants supportent beaucoup de choses, pour peu qu’on les introduise dans les logiques de la parole. Ceci est d’actualité puisque c’est bien la binarité confinante relationnelle qui conduit à des formes de violences. Et il suffit le plus souvent d’introduire une tiercité (voir le texte de Julie Rolling dans Éphéméride n°4) pour réintroduire un cheminement, une diachronie.

2. La tiercité et le mythe

À la préparation du séminaire sur « Introduction à la métaphore paternelle6 », le débat a circulé autour de la fonction du mythe en particulier par rapport aux liens entre « Œdipe- roi », « le complexe d’Œdipe » et « Œdipe à Colone ». Une des formes de la tiercité c’est l’irruption d’un changement, le « peut-être » de changer d’habitude ! Mais aussi le surgissement d’un acte imprévisible.

Le « NON » dans un discours habituel vient à faire dérailler un des aspects de l’automatisme de répétition. Faire parfois jaillir un autre discours ! Cela met l’accent sur une donnée clinique que Freud développe dans Totem et Tabou7 – qui reste une énigme pour l’inventeur de la psychanalyse – qui est « l’ambivalence affective ».

Et c’est bien là que nous trouvons les articulations entre les formations de l’inconscient et les formations sociales8.

Après avoir détaillé la mythologie grecque, Freud s’étonne du fait que les héros de la tragédie doivent souffrir (leçon pour les politiques !), et que le héros tragique est chargé de

« la faute tragique » (Ubris). Et face à une irruption du réel (Covid 19 !) l’humain se rebelle contre l’autorité divine ou humaine !

Et pourquoi ?

La réponse de Freud est tranchante : le leader de choc doit souffrir (p. 219) parce qu’il est le père primitif (Urvater)... « quant à la faute tragique, c’est de celle dont il doit se charger ». La suite c’est le passage du « Père primitif » au Père œdipien.

Et nous trouvons, grâce au complexe d’Œdipe (dit Freud), les commencements à la fois de la religion, de la morale, de la société et de l’art : ce qui est confluent avec les données de la psychanalyse où Freud voit dans le complexe d’Œdipe le noyau de toutes les névroses.

Alors que devient l’ « ambivalence affective » ? L’ambivalence se pose non pas par rapport au père œdipien mais par rapport à l’Urvater ou le père primitif « de la horde ». Certains diront par rapport au « principe de paternité ».

P. 220 : « L’ambivalence affective, au sens propre du mot, c’est-à-dire un mélange de haine et d’amour pour le même objet, qui se trouve à la racine d’un grand nombre de formations sociales ».

C’est toute la question de la structure de l’identification primaire et l’effet de pointage clinique du moment de vacillation psychique.

Comment rendre compte du trou dynamique laissé par l’objet sinon en le qualifiant de bon et de mauvais ?

Regardez l’ambivalence par rapport au déconfinement...

1 S. Freud (1920), « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993.

2 J. Lacan, Le Séminaire livre V (1957-1958), Les formations de l'inconscient, Paris, Le Seuil, 1998.

3 J. Clavreul, L’Ordre médical, Le Seuil, 1978.

4 J. Lacan, Les complexes familiaux, Navarin.

5 Note : dans un article ancien j'avais proposé que la première relation infantile serait du type : « sein-bouche ».

6 « Introduction à la métaphore paternelle » Prévu le vendredi 15.05.2020 (qui fera l'objet d'un enregistrement).

7 S. Freud, Totem et Tabou, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2003.

8 Ibid.

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