I – Loi du retournement : mythe – fantasme chez Lacan
L'intérêt d'écrire d'une semaine à l'autre est que le fil métonymique se dessine tout seul ; il suffit d'attendre les productions de sa propre imagerie, ses propres fantasmes le concernant.
À propos du « fil personnel », je me suis rendu compte que je n'ai jamais interrompu le dialogue avec ceux qui ont poursuivi les échanges avec moi, qu'ils aient été amis, ennemis, complices, élèves, maîtres... Cela a sans doute à faire avec quelque fantasme d'immortalité. Mais je persiste à penser que quelqu'un qui se prétend psychanalyste et qui refuse de dialoguer – même de manière véhémente – cela est sans intérêt.
Dans cette idée, j'ai dû produire quelques identifications avec des maîtres et je pense en particulier à la personne de Jean Clavreul et aussi de Jacques Lacan. Je ne fais pas allusion ici à Lucien Israël, où la recette était plus compliquée, avec entre nous quelques maîtres talmudiques et de la culture littéraire commune.
Dans le dernier Éphéméride, le numéro 6, je faisais allusion à un livre collectif qui a marqué son époque Le désir et la perversion1 où je parlais surtout à Guy Rosolato. Dans ce même ouvrage se trouve un texte de Jean-Paul Valabrega intitulé « Le problème anthropologique du phantasme ». Je cite, p. 166 : « On fait donc, à propos de l'analyse, ce qu'on fait dans l'analyse. Ceci est pour montrer que nous sommes là devant une première indication de ce que j'appellerais la loi de retournement. Et plus loin : « Le mythe se rapporte toujours, universellement, à l'origine ». Ainsi le mythe est une mise en équation de l'origine.
À propos du « mythe individuel de l'analyste, je voudrais revenir à cette formule : On fait donc, à propos de l'analyse, ce qu'on fait dans l'analyse ». C'est à dire que ce qui se joue dans l'énonciation de l'analyse et l'articulation des centres d'intérêt théoriques. Ce que j'appellerais la mythologie individuelle. Exemples :
- chez Lucien Israël : l'hystérie2
- chez Serge Leclaire : la poésie du réel3
- chez François Perrier : l'érotomanie4
- chez Jean-Paul Valabrega : le phantasme5
- chez Françoise Dolto : le cas Dominique6 et chez Jacques Lacan alors ?
On pourrait penser qu'il y en a plusieurs et c'est peut-être la spécificité de l'homme (ou de la femme) de génie !.
II – La « section clinique » de J. Lacan
Dans l'ère qui constitue l'histoire de mon devenir analyste je prendrai comme support :
« L'ouverture de la section clinique » de J. Lacan7, ouverture à laquelle j'avais assisté (comme attaché des Hôpitaux au service du Pr L. Israël!) et qui constituait l'ouverture mémorable de la Section clinique (par J. Lacan) qui prenait la suite de l'Université de Vincennes dirigée par Serge Leclaire. Il faut savoir que l'ouverture de la Section clinique organisée par le Département de psychanalyse (dirigée alors par Jacques-Alain Miller) a été fondée en octobre 1976. L'ouverture de J. Lacan le 5 janvier 1977 a provoqué une petite révolution à l'École Freudienne de Paris où le discours analytique s'est d'emblée confronté aux discours universitaires, incarnés par J.A. Millet et son équipe.
Tout cela n'a pas été sans effet sur ma « psychanalyse personnelle » et c'est l'époque où j'ai demandé mon inscription à l'EFP (École Freudienne de Paris).
III – La mythologie de l’œuvre de J. Lacan
Tout ce préambule pour dire quelque chose de la « Mythologie de Lacan » en cette année 1977. Je fais allusion au contexte, nous sommes en plein séminaire de Lacan sur Le sinthome - Chapitre « Bouts du réel ». Parallèlement Marcel Czermak écrivait sur « Le déclenchement des psychoses » et Moustapha Safouan venant de publier La sexualité féminine répondent aux questions de Gérard Miller, Jean Allouch, François Wahl (éditeur), Catherine Millot, Colette Soler... beau cortège.
À l'ouverture, prise de position de J. Lacan : « Qu'est-ce que la clinique psychanalytique ? Ce n'est pas si compliqué, c'est ce qu'on dit dans une psychanalyse ».
Dans le contexte d'aujourd'hui, il n'y a plus d'évidence : qu'est-ce à dire ? Ce d'autant plus que le dire peut se différencier du langage, de la parole et de « lalangue » d'après la théorie du même J. Lacan.
À l'époque j'avais été fasciné par ces formulations, ce qui rentrait d'ailleurs en contradiction avec la différenciation que je fais aujourd'hui entre sinthome et symptôme. Mais Lacan était précautionneux : « on se propose de dire n'importe quoi, mais pas de n'importe où, de ce que j'appellerai pour ce soir le dire-vent analytique... on peut aussi se vanter de la liberté d'association, ainsi nommée ».
Mais voilà, la liberté d'association existe dans bien des techniques psychothérapeutiques et n'est pas la règle fondamentale8 qui s'articule autour du désir de l'analyste9. Oui, le problème est que
« Le dit ne se socie pas à l'aventure ». Encore faut-il un « Extérieur » et Lacan articule « Le cosmos »,
« Le corps glorieux (l'âme) » enracinés qui suivent la question du savoir. Et d'ajouter : « C'est de l'inconscient qu'il s'agit. Et ce n'est pas brillant. Il faut faire un effort pour ne pas croire qu'on est immortel »... alors il faut cliniquer, c'est-à-dire, se coucher (commentaire JRF). Belle condensation de la visée d'une analyse la castration symbolique, autrement dit de supporter sa mortalité.
Je le dirai en une phrase, le fantasme de Lacan serait à cette époque (au moins) : « Freud a découvert l'inconscient et moi j'ai trouvé ce qu'il y a dedans ».
Exemple10 : « Une bévue a-t-elle besoin d'être expliquée ? Certainement pas. Simplement la psychanalyse suppose que nous sommes avertis du fait qu'une bévue est toujours d'ordre signifiant. Il y a une bévue quand on se trompe de signifiant ». Le mot est lâché : le signifiant lacanien.
Autre exemple la mise en « signifiantisation » de Freud par Lacan. À propos du schéma sur le rêve est inscrit :
- la Wahrnehmung : la perception
- le Vorbewusst : le préconscient
- le Bewusstsein : le conscient.
Et Lacan ne se prive pas de dire p. 9 : « Eh bien, je dirai que, jusqu'à un certain point, j'ai remis sur pied ce que dit Freud ». Il ne se mouche pas du pied ! Et ajoutons que Lacan « orthopédise » Freud (le culot ! « Si j'ai parlé de 'retour à Freud', c'est pour qu'on se convainque d'à quel point c'est boiteux. Et il me semble que l'idée de signifiant explique tout de même comment ça marche »... et d'en arriver à cette phrase provocante : « L'inconscient donc n'est pas de Freud, il faut bien que je le dise, il est de Lacan. Ça n'empêche pas que le champ, lui, soit freudien » p. 10. Peut-on s'étonner que Lacan se soit fait pas mal d'ennemis ? Et en même temps il a réauthentifié Freud qui avait été psychologisé.
IV – Le fantasme de Lacan (1977)
Osons formuler une texture pour le fantasme de Lacan
- Prendre l’œuvre de Freud comme un contenu manifeste, c'est à dire d'en trouver le contenu latent signifiant.
- C'est introduire la linguistique Saussurienne et Jacobienne, là où Freud a dû en inventer une et transformer le signifiant linguistique en signifiant analytique.
- Lacan part du dire dans la clinique psychotique (la paranoïa, le cas Aimé, les psychoses...), pour en arriver à la clinique psychanalytique, soit une façon d'interroger, de convoquer le psychanalyste, de le presser à déclarer ses raisonnements. Alors la clinique psychanalytique consiste à réinterroger tout ce que Freud a dit à partir de sa pratique du sujet.
- Ceci avec des effets sur les traductions elles-mêmes. Exemple : traduction du terme
Traumdeutung :
- Meyerson : Sciences de rêves puis Jankelevitsch : Interprétation des rêves
- Lacan propose : Deutung, Bedeutung ce qui redouble la bévue. Deuten = c'est le sens.``
1Piera Aulagnier-Spairani, Jean Clavreul, François Perrier, Guy Rosolato, Jean-Paul Valabrega, Le désir et la perversion, Seuil, Paris, 1967.
2L. Israël, La jouissance de l'hystérique, Séminaire 1974, Strasbourg, Arcanes, 1996.
3S. Leclaire, Démasquer le réel : Un essai sur l’objet en psychanalyse, Poche, 1983.
4F. Perrier, La chaussée d'Antin, Écrits psychanalytiques, Albin Michel, Bibliothèques Idées, 20008
5op. cit.
6F. Dolto, Le cas Dominique, Le Seuil, 1985.
7Ornicar ? 9, Bulletin périodique du Champ freudien, p. 7-10.
8Apertura n° 1, La règle fondamentale, 2003.
9M. Safouan, Le transfert et le désir de l'analyste, Le Seuil, 1988.
10Ornicar ? 9, p. 8.