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L'aquarelle, le sommeil de la raison

par Marie-Odile Biry-Fétique, 4 Août 2020

« Descendre avec le peintre aux racines sombres, en remonter avec les couleurs et la lumière1. »                      Cézanne à Joachim Gasquet.

À l’heure où sonne le glas du confinement, on imagine le peintre, enfermé dans le secret de son atelier, se livrer à des rituels d’embaumements. Onctions et inspiration sont invoquées et gracieusement invitées à jouer leur rôle.

Pour ma part, je pris donc le chemin des pinceaux, jubilant presque d’avoir enfin du temps à moi.

J’avais pour idée de reprendre une image-source, négligée depuis longtemps. Cette image était le tableau de Fragonard, Les Baigneuses. Elle représentait une sorte de fibule pour moi, d’un éclat un peu terni et enfermée dans une boite. Lors d’un épisode douloureux sur le plan émotionnel, elle m’avait permis de reprendre pied, en se prêtant à diverses interprétations gestuelles et chromatiques sur le papier.

Je commençais mon petit voyage, avec un bagage léger. J’avais choisi de me consacrer à l’aquarelle, pratique de jeune fille, dit-on (la peinture à l’huile, c’est bien plus beau que la peinture à l’eau…) qui souffre un peu de mélancolie, à la manière de Verlaine.

Bien sûr, tous les peintres savent que c’est LA technique la plus difficile à maîtriser.

Elle ne souffre aucun repentir, on la rate ou on la réussit, cela l’espace d’un instant.

C’est cette immanence qui me séduisait justement au moment où tout se figeait dans la ville. Bien sûr le choix d’exhumer cette image devait beaucoup à ce qu’elle représentait, plusieurs jeunes femmes – ni toutes à fait les mêmes, ni tout à faite les autres – s’ébattant librement dans une cascade.

1 Rien de certain dans ce célèbre entretien, il est tout à fait possible que cela soit des paroles interprétées.

Une manière de « rafraîchissement » en quelque sorte. Notons que l’on rafraîchit également les tableaux…

L’accord entre le tact léger de l’aquarelle et le sujet était parfait. Après une série quelque peu compulsive de jolies figurantes flottantes, je décidais de changer un peu de sujet.

J’allais donc puiser dans mon Kriegschatz d’images nombreuses et variées, formant un atlas sans rime ni raison, collectionnées depuis l’enfance. Combien de fois ne me suis-je pas vue reprocher de rêvasser évasivement devant ces mirabilae !

Donc, très logiquement, je suis passée des baigneuses à une sirène antique pétrifiée, qui avait littéralement perdu la tête, quelque part dans les campus romains.

De là, j’ai aéré mes figures dans un de ces parcs abandonnés qui me sont chers.

Sans doute parce que j’étais saisie de frayeur en réalisant que tous les parcs de la ville étaient clos. Je tournais autour en ayant l’impression qu’ils étaient devenus une sorte d’utopie, comme dans les romans de Jules Verne ou dans La Belle au bois dormant.

Je me suis permis un collage osé en disposant Watteau et Artaud de part et d’autre d’une de ces folies nécessaire au charme du pittoresque. Je me souvenais que ce dernier avait entrepris de « forcener le subjectile » ! Il aurait été le meilleur compagnon du peintre du XVIIIe siècle.

L’aquarelle se prêtait à toutes mes fantaisies en imaginant elle-même des formes aux contours improbables. Elle avait une faculté extraordinaire à recréer des sensations tactiles : rosissements épidermiques, troubles cutanés, palpitations, macules et mouchetures se succédant comme autant d’épiphanies.

Elle réagissait à tous mes gestes, griffures, syncopes ou nappages et buvardages.

Chiffonnages…

La couleur est sans pareille également dans l’art de l’aquarelle, effusif et synesthésique par excellence.

On est perpétuellement surpris par des rencontres non organisées !

Les flux, les fluides et les affects avaient pris les rênes d’une imagination matérielle autant que figurale, chez moi, le temps du confinement.

Peut-être me permettra-t-on, en guise de conclusion, d’évoquer le célèbre milieu micellaire, cette métaphore freudienne dont le créateur était un fervent de Goethe.

Je veux parler de cet endroit plus dense et entrelacé où s’élève le Wunsch comme un champignon, qui serait quelque chose comme une « substance jouissante » (Lacan).

Un songe creux, le temps d’un confinement, a le pouvoir, à bas bruit, de donner une forme, même tremblée, à l’Ombilic des rêves.

À quoi Réel ?

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