Ayant pu constater que les fins d’analyse, voire les institutions peuvent être le lieu de dynamiques sociales particulières, je me suis intéressé à ces questions, en particulier à partir du nœud de trèfle et du nœud borroméen. Avec comme autre interrogation subsidiaire : le nœud de trèfle peut-il évoluer en borroméen, et vice versa ?
Mais avant de déplier toutes ces questions, entrons dans la problématique. La topologie lacanienne nous propose deux objets tout à fait particuliers au terme de la démarche topologique : la bouteille de Klein et le cross-cap.
Ces deux objets topologiques ne sont pas identiques mais ils sont porteurs d’une équivalence, un lieu de leur structure ne répond pas aux lois qui régissent l’espace euclidien. Dans la théorisation lacanienne, elles sont le support de présentation d’un concept métapsychologique.
La bouteille de Klein est l’aboutissement d’un cheminement topologique. Formée à partir d’un tore qui vient à s’ouvrir et se tordre sur lui-même, elle est constituée par un goulot, donc ouvert sur l’extérieur, mais qui se trouve être concomitamment le fond de la bouteille. Ce goulot se poursuit par un col qui traverse le ventre de la bouteille avant d’aboutir à ce même ventre ; or l’entrecroisement des parois entre col et ventre reste fluide. Ce lieu ne répond pas aux lois euclidiennes, énonçant que par un point ne peuvent pas passer deux droites distinctes, mais seulement deux droites qui se croisent, or avec la bouteille de Klein nous ne sommes plus dans un espace euclidien, c’est-à-dire plus dans un espace à trois dimensions, il y en a au moins quatre, ce qui permet à deux droites de se croiser en un point sans se toucher. Cet espace n’existe pas dans l’environnement dont nos sens peuvent faire l’expérience, empirique.
La bouteille de Klein référée à quatre dimensions est un aboutissement. Lacan, suite à la proposition des deux tores entrecroisés, classiquement demande d’un tiers et constitution d’un tore en réponse, étayé sur le premier. Cette seconde structure ne peut s’ouvrir que si le tore initiant cette dialectique est porteur de manque en un point de sa surface, ce qui permet au tore induit de s’autoriser une distanciation, un découplage du tore initial et de se constituer en bouteille de Klein avec une zone de traversée, en fait de glissement hors des trois dimensions classiques de l’espace euclidien ; faisant de la bouteille de Klein un objet topologique autonome mais pouvant, et c’est là ma question, si la structure devait se rigidifier redevenir un simple bouteille avec, cas particulier certes, un goulot traversant son ventre.
Il en va autrement du cross-cap. Sa forme s’origine dans la bande de Möbius dont il est une extrapolation par déploiement de ses bords. Le cross-cap se caractérise par sa ligne de cross-cap, ligne de croisement, de glissement, sans contact des droites qui le constituent sur un de ses versants, et de l'autre un ventre à l’abri du monde périphérique. Il y a donc discontinuité entre intérieur et extérieur.
Ces deux objets topologiques peuvent être considérés comme l’aboutissement, pour Lacan, d’une pensée qui s’étaye sur la spatialisation ; avant que le nœud borroméen ne renouvelle le questionnement d’une présentation possible de la structure du sujet.
Pourquoi cette introduction ?
Ma question est soutenue par la question de la conflictualité, qu’elle se révèle en fin d’analyse ou qu’elle participe de la vie ordinaire des institutions. Ces deux formes topologiques permettent de schématiser au moins deux structures topologiques ne répondant pas à l’espace euclidien. Deux formes topologiques intégrant des zones de croisements, de glissement, ne répondant pas aux lois tridimensionnelles de la réalité immédiate, de la connaissance classique. Mais, et c’est là un point qui met au travail, ce lieu de glissement est une présentation possible de ce qui peut être exigible d’une fin d’analyse : soit appréhender d’une manière ou d’une autre le Réel.
Au cours d’une analyse, l’analysant est soumis à au moins une injonction de la part de l’analyste, la règle fondamentale : « Dites ce qui vous passe par la tête. » Il a été possible dans ma pratique d’introduire des tentatives de correction pulsionnelles, des prises de parole qui me semblaient nécessaires pour essayer de modifier la répétition, donc la jouissance. Comment ce type de paroles peut-il être reçu, intégré par l’analysant ? Si nous sommes en
présence d’un sujet pour lequel, à ce moment-là, sa prise dans le langage se réfère à une bouteille de Klein, une dynamique persécutive peut en découler.
Est-ce que le cross-cap est compatible avec des positions de jouissance nécessitant des interventions tentant de modifier la dynamique pulsionnelle, ou peut-il être la résultante de corrections pulsionnelles ? Si nous retenons cette deuxième hypothèse, toute parole sera potentiellement entendue comme persécutive, mais pourra, si du borroméen est de la partie, évoluer vers du cross-cap.
Il devient ainsi tout à fait envisageable de passer d’une structure kleinienne à une structure de cross-cap, mais osons l’hypothèse que si la fin d’analyse est sous le jour de la bouteille de Klein, les pulsions agressives peuvent plus aisément venir à s’exprimer; induisant par là même des fins d’analyse de tessiture différentes que sous un environnement en cross-cap. Les dynamiques de groupes peuvent également être abordées à partir de ces présupposés. Mais restons vigilants, les montages topologiques ne sont pas des objets statiques, mais des constructions dynamiques.
Remarque conclusive
Si l’on se réfère au moment borroméen de Lacan, peut-on comparer bouteille de Klein et nœud de trèfle, cross-cap et nouage borroméen ?
Le nœud de trèfle et le nouage borroméen sont centrés par un lieu de manque où l’objet a peut être repéré.
S’il est possible de poser une telle hypothèse, le nœud de trèfle ne présenterait pas qu’un moment psychotique, mais également une phase de passage, traversée repérable lors de la constitution du sujet.
Constitution d’une bouteille de Klein :
tore s’ouvrant, premier temps, avant
… avant invagination sur lui-même
Bouteille de Klein
Exemple de cross-cap